Histoire – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Fri, 23 May 2025 13:43:14 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 «L’histoire du foot féminin coïncide avec celle de l’émancipation» /alma-georges/articles/2025/lhistoire-du-foot-feminin-coincide-avec-celle-de-lemancipation /alma-georges/articles/2025/lhistoire-du-foot-feminin-coincide-avec-celle-de-lemancipation#respond Fri, 23 May 2025 13:40:11 +0000 /alma-georges?p=22358 L’organisation par la Suisse en été 2025 de l’EURO de foot féminin devrait doper – encore – l’intérêt pour ce sport. Il n’y a qu’un demi-siècle que les footballeuses suisses ont fait leur entrée officielle sur les terrains. Retour sur un boom en plusieurs temps avec la professeure d’histoire contemporaine Christina Späti.

Christina Späti, pratiquez-vous le football?
Malheureusement non. Durant mon enfance st-galloise dans les années 1970 et 1980, j’ai littéralement dû imposer la participation des filles aux parties de ballon rond dans la cour d’école. Reste que lorsque j’ai souhaité rejoindre un club de foot, j’ai vite déchanté: cela n’était tout simplement pas possible pour une fille dans la région. A l’image de nombreuses amatrices de sports d’équipe et de ballons, je me suis rabattue sur le handball.

Christina Späti © Stéphane Schmutz / STEMUTZ.COM

Quarante ans plus tard, votre fille a fait une expérience complètement différente…
En effet, lors de notre séjour familial d’une année aux Etats-Unis en 2018-2019, elle a assez naturellement commencé à jouer au football. Ou plutôt au «soccer», comme ils le nomment là-bas pour le différencier du «football», que nous appelons ici le «football américain». Alors que ce dernier est considéré en Amérique du Nord comme un sport masculin, le soccer, lui, est LE sport féminin par excellence. Quand nous sommes rentrés en Suisse, ma fille, alors âgée de huit ans, a intégré une équipe de football féminin. Ce qui, heureusement, est désormais possible un peu partout dans notre pays.

On revient de loin: longtemps, les femmes ont été systématiquement exclues du football…
Cette exclusion ne concerne pas que les femmes. Le football moderne est né en Grande-Bretagne au milieu du 19e siècle dans les internats pour jeunes hommes issus de l’élite. Ce sport était donc réservé à la population aisée, qui y voyait le moyen de se démarquer de la classe ouvrière. Rapidement, cette dernière s’y est néanmoins intéressée. Il faut dire que la pratique du football ne nécessite que peu d’infrastructure et de moyens. En outre, avec le changement sociétal entraînant une réduction du temps de travail, les samedis après-midi désormais libres pouvaient être consacrés par les travailleurs manuels aux loisirs, football en tête. Un bel exemple d’«empowerment». Les «gentlemen», eux, se sont tournés vers d’autres activités, telles que le cricket ou le hockey sur terre. Quand les équipes ont commencé à participer à des tournois internationaux – entretemps, ce sport avait été popularisé à l’étranger par les marchands britanniques – une autre grande étape a été franchie: la professionnalisation du football. Il n’était en effet financièrement pas possible pour les joueurs, désormais majoritairement issus des classes populaires, de se passer d’un revenu.

Dans quelle mesure les femmes ont-elles également profité du football comme outil d’«empowerment»?
Disons-le d’emblée: l’élargissement du football à d’autres catégories de la population que l’élite masculine britannique n’a concerné les femmes que dans une moindre mesure. Il faut rappeler qu’à l’époque, la société différenciait de façon stricte les genres, les rôles et, par ricochet, les activités sportives. Les hommes étaient invités à se défouler dehors, en équipe et de manière compétitive. Les femmes, elles, étaient considérées comme à leur place dans des salles de gym, à effectuer des mouvements graciles. Plus tard, les régimes politiques autoritaires ont repris – et renforcé – cette dichotomie. Dans ce contexte, le football féminin a toujours fait l’objet d’un grand scepticisme. Jusque dans les années 1970, il s’est généralement limité à des pratiques informelles, par vagues successives. L’ «art pour l’art» était mal vu. Pour les femmes, le football devait s’accompagner d’une autre fonction, par exemple caritative. Et dans tous les cas, il concernait les jeunes célibataires, pas les épouses et mères de famille.

Comment ces vagues successives d’émergence du football féminin en Europe au cours du 20e siècle se sont-elles organisées?
Elles ont quasi systématiquement coïncidé avec les vagues d’émancipation féminine dans la société, c’est-à-dire durant et après la Première Guerre mondiale, dans les années 1960 (libération sexuelle), dans les années 1990 (première grève des femmes) ou encore, tout récemment, avec le mouvement MeToo. On constate alors un effet de va-et-vient, de cercle vertueux: un mouvement d’émancipation féminine s’opère, qui permet d’ouvrir une porte pour le foot féminin, qui à son tour renforce le mouvement d’émancipation.

Les femmes se sont mises à jouer au foot en pleine Première Guerre mondiale?!
Tandis que les hommes étaient au front, les femmes ont pris leur place dans les usines… et sur les terrains de football. Les tournois interentreprises en Angleterre peuvent d’ailleurs être considérés comme les tout premiers tournois de foot féminins. A noter que plus tard, dans les années 1960, c’est également par la porte du football corporatif – qui, contrairement au football pratiqué en club, était accessible aux femmes – que les footballeuses se sont engouffrées dans la brèche.

Est-ce que ce premier mini-boom du football féminin s’est poursuivi au-delà du conflit de 14-18?
Non. La montée des régimes autoritaires tel que le nazisme et le fascisme a coupé la vague d’émancipation féminine, pratique du football y compris. Dans de nombreux pays européens, il a fallu attendre plusieurs décennies avant que ce sport ne ressorte au grand jour. Celles qui s’y adonnaient étaient qualifiées d’amazones, de garçons manqués. Que ce soit en France, en Allemagne ou en Angleterre, le football féminin n’a officiellement été reconnu par les fédérations nationales qu’à la fin des années 1960.

Quid de la Suisse?
Notre pays n’échappe pas à la règle. En terre helvétique, il y a eu comme ailleurs au fil du 20e siècle des élans favorables au foot féminin, ainsi que des actions – souvent isolées -de promotion et d’encouragement de cette activité. Dans les années 1920, un club dénommé Les Sportives -dont on a désormais perdu la trace – aurait été fondé à Genève. A la fin des années 1930, le village d’Adliswil, dans le canton de Zurich, a pour sa part accueilli une «démonstration» de football féminin en marge d’un tournoi masculin. Qui s’est d’ailleurs heurtée à pas mal de moqueries. Près de trente ans plus tard, l’équipe féminine FC Goitschel a demandé à l’Association suisse de football (ASF) l’autorisation de l’intégrer, qui lui a été refusée. En contrepartie, l’ASF a ouvert aux femmes la possibilité de devenir arbitres, ce qui a marqué une étape importante de l’histoire suisse du football féminin.

Toujours dans les années 1960, l’affaire Madeleine Boll a fait grand bruit…
Suite à un malentendu, cette jeune joueuse a participé en 1965 avec les juniors C du FC Sion à un match préliminaire de la coupe de l’UEFA contre l’équipe turque de Galatasaray. La presse internationale s’en est généreusement fait l’écho. En raison de ce scandale, l’ASF a retiré sa licence à la sportive. Reste qu’en 1969, un championnat suisse féminin inofficiel a été organisé. Un an plus tard, la ligue féminine nationale était créée, tout comme la «Nati» féminine. ÌýIl a néanmoins fallu attendre 1993 pour que le football féminin intègre l’ASF.

L’officialisation du football féminin suisse au tournant des années 1970 a-t-elle rimé avec la «normalisation» de cette activité sportive?
Pas vraiment, non. Un exemple parlant est le compte rendu publié dans un média bien établi suite au tout premier match de l’équipe nationale féminine, gagné 9-0 contre l’Autriche. Une bonne partie de l’article est consacré au physique des joueuses. C’est à peine si le résultat est mentionné…
Que ce soit à l’échelle nationale ou internationale, il faut attendre encore une bonne vingtaine d’années avant que le public ne manifeste un réel intérêt pour le foot féminin…
La dynamique est venue des Etats-Unis où, comme déjà indiqué, le «soccer» était traditionnellement établi comme sport féminin, tandis que le «football», le baseball ou le hockey sur glace étaient associés aux hommes. Le foot féminin drainait de plus en plus de public outre-Atlantique. En 1999, quelque 90’000 personnes – y compris le président Bill Clinton – ont assisté à la finale de la Coupe du monde féminine à Los Angeles. Sans surprise, l’euphorie s’est propagée en Europe, y compris en Suisse. Dans notre pays, l’intérêt est un peu retombé par la suite, avant de remonter en flèche dès 2015, lorsque la «Nati» féminine s’est qualifiée pour sa première Coupe du monde. Les nouveaux mouvements féministes, dont la grève, ont renforcé cet élan. L’EURO de l’été 2025, qui se tiendra en Suisse, devrait en rajouter encore une couche.

L’an dernier, vous avez donné un cours magistral sur l’histoire du football (masculin et féminin) comme phénomène global. Pourquoi ce choix thématique?
Le football est un fil rouge intéressant pour raconter l’histoire contemporaine européenne, voire globale. Il constitue une porte d’entrée vers de nombreuses thématiques, qu’il s’agisse de la politique, de l’extrémisme, du genre ou de la transnationalité. Sans oublier bien sûr le fait qu’il est très apprécié par de nombreuses personnes, tous horizons politiques, sociaux ou ethniques confondus. Bref, qu’il constitue un vrai aimant à étudiantes et à étudiants. J’ai néanmoins fait quelques déçues et déçus: celles et ceux qui s’attendaient à ressortir du cours avec des statistiques de matches à partager en soirée n’en ont pas eu pour leur argent. (Rires)

Vous disiez plus tôt que votre fille a eu un accès bien plus facile que vous au football. Celles qui luttent pour davantage d’égalité des genres dans ce sport peuvent-elles lever le pied?
En guise de réponse, voici une anecdote. L’hiver dernier, ma fille est à plusieurs reprises rentrée de ses tournois de foot en salle avec une médaille. D’un côté, on y voyait un garçon. De l’autre un homme.

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  • Christina Späti est professeure ordinaire au Département d’histoire contemporaine de l’Unifr. En 2024, elle a donné un cours magistral intitulé «Fussball. Geschichte eines globalen Phänomens»
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Nuit des Musées : découvrez les origines de la neutralité helvétique! /alma-georges/articles/2025/nuit-des-musees-decouvrez-les-origines-de-la-neutralite-helvetique /alma-georges/articles/2025/nuit-des-musees-decouvrez-les-origines-de-la-neutralite-helvetique#respond Thu, 22 May 2025 10:50:02 +0000 /alma-georges?p=22350 Ce samedi 24 mai, à l’occasion de la Nuit des Musées, les Archives de l’État de Fribourg ouvriront leurs portes pour exposer un document historique d’exception: le traité de paix perpétuelle. Signé en 1516, ce traité unique tant par sa forme que par sa portée symbolique est considéré par les historien·²Ô±ð·s comme une étape fondatrice vers la neutralité suisse.

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Les villes européennes, actrices de l’histoire /alma-georges/articles/2025/les-villes-europeennes-actrices-de-lhistoire /alma-georges/articles/2025/les-villes-europeennes-actrices-de-lhistoire#respond Wed, 02 Apr 2025 08:34:26 +0000 /alma-georges?p=22138 De l’Empire romain à l’époque contemporaine, les villes ont toujours joué un rôle clé dans l’organisation du pouvoir en Europe. A travers une approche comparative et transversale, l’ouvrage Patterns in the History of Polycentric Governance in European Cities explore comment les villes ont su préserver leur autonomie et interagir avec les grandes structures politiques. Cédric Brélaz, professeur ordinaire d’histoire de l’Antiquité et président du Département d’histoire, nous parle de ce passionnant projet collaboratif.

Comment vous est venue l’idée d’étudier le rôle des villes au travers de quatre périodes historiques, depuis la période impériale romaine jusqu’à l’époque contemporaine?
Il se trouve que la façon dont les villes se sont constituées et que la marge de manœuvre dont celles-ci ont pu disposer dans leurs relations avec des entités de plus grande envergure (confédérations, royaumes, empires) occupent une place importante dans la recherche historique, toutes périodes confondues. L’autonomie dont jouissaient les communautés locales au sein de l’Empire romain, l’émergence des communes au cours du Moyen-Age, la montée en puissance des villes à l’époque moderne et l’expansion urbaine depuis le XIXe siècle sont autant de phénomènes qui sont ordinairement considérés comme des jalons de l’histoire de l’Europe. L’idée s’est donc imposée d’étudier l’autonomie des villes de manière transversale et comparée, en y voyant un élément central de l’histoire européenne.

Quel est le but d’un tel projet, si vaste dans le temps et dans l’espace?
Si l’histoire, au contraire de la sociologie, ne se propose pas de mettre en évidence des règles qui détermineraient l’organisation des sociétés humaines et se borne à l’observation des faits passés, elle ne néglige cependant pas l’apport théorique des sciences sociales. Dans le cadre de ce projet, nous avons ainsi décidé, à l’instigation du professeur Thomas Lau, co-éditeur du volume, de nous appuyer sur le concept de «polycentric governance», développé à partir des années 1960 par des spécialistes d’économie et de sciences politiques. Désignant à l’origine l’interdépendance d’une multiplicité d’acteurs impliqués dans un processus économique, il nous a semblé pertinent d’y recourir pour explorer la place des villes dans le paysage politique européen à travers les siècles ainsi que la façon dont celles-ci ont interagi avec les royaumes, les empires, les Etats-nations.

Quel est le dénominateur commun entre des historien·²Ô±ð·s spécialistes de périodes si différentes?
Même si –en raison des particularités dues aux sources disponibles, aux langues employées dans les documents et aux traditions académiques– la recherche historique a tendance à se spécialiser et à être envisagée séparément par période, la discipline, de par ses méthodes et ses objectifs, reste profondément unie. C’est pourquoi les quatre périodes conventionnellement délimitées que sont l’histoire de l’Antiquité, l’histoire médiévale, l’histoire moderne et l’histoire contemporaine sont rassemblées dans le Département d’histoire pour les besoins de l’enseignement et de la recherche (même si l’histoire contemporaine forme, à l’Université de Fribourg, un département distinct, lequel collabore toutefois étroitement avec le Département d’histoire). Raisonner thématiquement sur un sujet commun qui serait abordé par des spécialistes des différentes périodes permet d’obtenir une vision à la fois plus complète et plus nuancée des problèmes historiques.

Quelles sont les évolutions majeures ou, au contraire, qu’y a-t-il d’immuable dans cette gouvernance polycentrique?
Un des enseignements majeurs de cette enquête menée sur la très longue durée et de façon comparative est que les villes, indépendamment de leur statut précis et des prérogatives qui leur étaient reconnues (deux choses qui ont pu varier considérablement en fonction du contexte et de l’époque), ont été des protagonistes incontournables de l’histoire européenne. Cela vaut également pour les périodes lors desquelles des entités politiques plus puissantes, telles que les monarchies du XVIIe s. ou les Etats-nations à partir du XIXe s., se sont imposées à elles. En ce qu’elles ont représenté, et continuent à représenter aujourd’hui, le premier horizon pour l’organisation de la vie en collectivité, les villes, en parvenant à se réserver une capacité d’initiative substantielle, ont joué un rôle structurant dans l’histoire européenne.

Chez certains historien·²Ô±ð·s, il y a une approche quasi militante de leur discipline: «L’histoire sert à comprendre le présent, voire à le corriger». Ici en l’occurrence, qu’est-ce que le passé peut nous apprendre sur notre présent et y a-t-il une moralité à en tirer?
En tant que discipline académique, l’histoire, comme toute science, obéit à une méthode et suppose de se conformer à une déontologie. Par conséquent, en s’efforçant d’éclairer le passé, l’historien·ne doit, dans la mesure du possible, faire abstraction de ses convictions personnelles. Contrairement à l’instrumentalisation dont elle fait couramment l’objet à des fins partisanes et idéologiques, l’histoire ne saurait justifier le présent ni servir à prédire l’avenir. En revanche, il est certain que l’étude de l’histoire permet d’être mieux armé pour comprendre les enjeux du temps présent et pour faire face à ses défis. C’est pourquoi l’apprentissage de l’histoire et la possession d’une culture historique peuvent, à l’heure de la désinformation, nous aider à contrer l’étiolement de nos consciences démocratiques. Pour ce qui est du sujet abordé dans ce volume, l’étude du rôle des villes dans l’histoire européenne montre que l’octroi de compétences accrues à celles-ci et que la décentralisation se sont révélés profitables aux populations locales, un constat qui pourrait venir nourrir une position politique à l’heure où l’uniformisation et la concentration des pouvoirs sont érigées en modèles.

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  • Cédric Brélaz
  • Cédric Brélaz,Thomas Lau, Hans-Joachim Schmidt, Siegfried Weichlein (éd.), , Berlin – Boston: De Gruyter Oldenbourg, 2024, 311 p.

 

 

 

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Andere Perspektiven auf die Conquista, frischer Wind für das Geschichtsdepartement /alma-georges/articles/2025/andere-perspektiven-auf-die-conquista-frischer-wind-fuer-das-geschichtsdepartement /alma-georges/articles/2025/andere-perspektiven-auf-die-conquista-frischer-wind-fuer-das-geschichtsdepartement#respond Thu, 20 Mar 2025 09:53:50 +0000 /alma-georges?p=22076 Am 2. April hält Vitus Huber seine Antrittsvorlesung. Im Interview erklärt der neue Professor für Geschichte der Frühen Neuzeit, warum er dort über die Conquista spricht, welche Parallelen man zu heute ziehen kann und welche Art Professor er sein will.

Sie haben für Ihre Antrittsvorlesung das Thema «Kollaboration, Kooperation und Konkurrenz im spanischen Kolonialreich» gewählt. Erklären Sie Ihre Wahl.
Die Conquista, die Eroberung und Kolonialisierung des heutigen Lateinamerikas durch die iberischen Kronen, hat eine erhebliche Relevanz für die heutige Welt. Die sogenannte Entdeckung von Amerika durch Christopher Kolumbus etwa markiert ein welthistorisches Ereignis: den Anfang der Globalisierung. Sie beeinflusst unsere Ernährungskultur und verschiedene Lebensbereiche bis heute. Und der Fokus auf Kollaboration, Kooperation und Konkurrenz zielt darauf ab, in diesem kolonialen Setting die verschiedenen Ebenen von Begegnungen und Austausch, Konfrontation und Unterdrückung aufzuzeigen. Die Geschichte der Conquista wurde lange als eurozentrische Erfolgsgeschichte erzählt; dass Spanier die Amerikas entdeckt, erobert, unterworfen und besiedelt haben. Heute ist klar, dass das eine viel zu dichotome Darstellung ist.

Inwiefern?
Mittlerweile werden verstärkt auch die indigenen Perspektiven berücksichtigt, wodurch die Geschichtserzählung ein differenzierteres Bild erhält. Denn die Indigenen spielten mithin als Verbündete spanischer Eroberungszüge eine zentrale Rolle. Es entstanden ständig Kooperationen und Kollaborationen. Als Kooperation bezeichne ich in diesem kolonialen Setting eine Zusammenarbeit auf Augenhöhe. Kollaboration hingegen betitelt eine asymmetrische Partnerschaft.

Können Sie Beispiele nennen?
Beim von Hernán Cortés zu Beginn des 16. Jahrhunderts angeführten ikonischen Eroberungszug auf Tenochtitlan – den Ort, an dem heute Mexiko-Stadt liegt – schlossen die spanischen Eroberer verschiedene Allianzen. An der Küste wurden sie zuerst von den Totonaken empfangen. Diese waren den Mexica tributpflichtig, die im sogenannten Aztekenreich von den umliegenden Stadtstaaten Tribut verlangten. Die Spanier merkten deshalb schnell, dass Rivalitäten existierten und sie keineswegs auf ein einheitliches, homogenes Reich trafen. Die Totonaken kollaborierten mit den Spaniern. Die Motivation dahinter war die Hoffnung, sich vom Tributjoch zu befreien. Eine Kollaboration war es deshalb, weil es eine schwächere Gruppierung war, die versuchte, gegen die etablierte Macht Verbündete zu finden. Später trafen die Spanier auf die Tlaxcalteken, eine grössere indigene Gesellschaft, die sich gegen die Mexica wehren konnte und entsprechend nicht tributpflichtig war. Auch sie arbeiteten mit den Spaniern zusammen. In diesem Fall würde ich von Kooperation sprechen. Zu diesem Zeitpunkt waren die spanischen Eroberer rund 600 Mann stark. Allerdings wurden sie von Tausenden bis Zehntausenden Kriegern und Gefolgsleuten der Tlaxcalteken unterstützt. Von der ursprünglich erzählten heroischen Geschichte der kleinen Gruppe von Spaniern, die das riesige Aztekenreich bezwungen haben soll, bleibt deshalb nicht viel übrig. Auch im weiteren Verlauf trafen die Spanier immer wieder auf lokale Herrscher, die versuchten, ihre Macht auszubauen, indem sie die angreifende Kraft unterstützten.

Haben die spanischen Eroberer das geschickt eingefädelt oder bloss offene Türen eingerannt?
Das Bild von Cortés als genialem Anführer, der den lokalen Mikropatriotismus ausgenutzt habe, wurde rasch durch die berühmte Chronik von Bernal Díaz del Castillo revidiert. Dieser war ein einfacher Konquistador, der rund 40 Jahre danach in einer Chronik seine Beobachtungen festhielt. Es wurde klar, dass Cortés nicht immer über alles die Kontrolle hatte. Die heutige Forschung relativiert das Bild noch einmal zusätzlich, weil sie auch die Handlungsfähigkeit der indigenen Verbündeten benennt. Das ist mit Blick auf die Täter-Opfer-Zuschreibung ein heikles Thema, trotz Relativierung darf man nicht vergessen, dass der Ursprung der Aggression aus Europa kam. Tatsächlich aber war Mesoamerika schon vorher eine kriegerische Gegend, genau wie das Inkareich vor Francisco Pizarros Eroberungszug. Auch dort herrschte eine Bürgerkriegssituation vor, was es den Spaniern erleichterte, Allianzen zu knüpfen. Teilweise war es Zufall, dass sie auf solche Rivalen stiessen und sich mit ihnen verständigen und einen gemeinsamen Feind finden konnten. Es war kein kalkuliertes «Teile und herrsche», kein klarer Plan. Auch gab es immer wieder Verluste, gescheiterte Eroberungszüge, unübersichtliche Situationen. Es sei nur daran erinnert, dass Kolumbus eigentlich zu den Gewürzinseln wollte, einen Westweg nach Indien suchte – und aus Versehen auf den Doppelkontinent stiess, der der christlichen Welt unbekannt war.

Im Idealfall können aus der Geschichte Lehren für die Gegenwart gezogen werden. Was können wir mit Blick auf die Conquista mitnehmen?
Experte bin ich für Geschichte, aber ich beobachte Phänomene, die ähnlich sind. Nehmen wir beispielsweise die Beute, die ein zentrales Thema meiner Forschung zur Conquista ist. Ich behaupte, dass sie den Verlauf massgeblich beeinflusst hat. Die Leute, die bei den Eroberungszügen mitmachten, hatten keinen fix zugesagten Sold, sie lebten von der Beute, die aufgeilt wurde. Das trieb an, immer weiterzumachen und möglichst dort hinzugehen, wo es mehr zu holen gibt. Weil sie oft nicht so viel mobile Beute in Form von Gold, Silber und Edelsteinen machten, wie erhofft, suchten sie nach anderen Einnahmequellen, etwa indem sie Steuern erhoben oder den Boden gewinnbringend bewirtschafteten. Im russischen Angriffskrieg auf die Ukraine sehen wir derzeit ebenfalls eine Konzentration auf ressourcenreiche Gegenden. Der Osten und der Süden der Ukraine sind von den Böden her ressourcenreicher als der Rest des Landes. Die Russen haben dort auch Kornfelder abgeerntet und Korn weiterverkauft. Mit erbeuteten Ressourcen Einnahmen generieren und mit Einnahmen das kriegerische Unterfangen weiter vorantreiben; ich nenne das eine Beutespirale. Sie dreht sich immer weiter. Parallelen sind zudem auch auf Ebene Geschichtsschreibung und Legitimierung erkennbar.

Inwiefern?
Während der Conquista gab es in Spanien Kontroversen, ob es gerecht ist, die Bewohner_innen Amerikas zu unterwerfen. Entsprechend wurde ein rhetorischer Trick angewandt. Das sogenannte Requerimiento war ein Text, den man dem Gegner vorlas, bevor man ihn bekämpfte. Darin stand, dass es nur einen Gott gebe, den christlichen. Und dass dessen weltlicher Vertreter, der König, einen gesandt habe. Dass sich alle diesem Gott unterwerfen müssten, ansonsten habe man das Recht, sie zu bekriegen, weil sie Widerstand zur friedlichen Unterordnung zum Christentum leisteten. Dieses Umkehren der Rollen, wer der Aggressor ist, sehen wir in vielen Konflikten. Damit einher geht die Geschichtsschreibung. Cortés schrieb lange Briefe an den König, um seine Handlungen zu legitimieren. In Russland verfolgt Wladimir Putin heute ebenfalls eine demagogische Geschichtsschreibung. Es ist ein stark von den eigenen Interessen gefärbtes Narrativ, das die eigene Vorgehensweise legitimiert und die Fakten verdreht.

Sie forschen und lehren auch zu ganz anderen Themengebieten. Dazu gehört die Körpergeschichte. Wie kamen Sie dazu?
Mich interessieren insbesondere die historischen Formen der Selbstbeobachtung und Selbstverbesserung. Hierbei spielt der Körper eine zentrale Rolle. Die Frühe Neuzeit, die meinen Epochenschwerpunkt bildet, markiert die Zeit, in der die Praktik des Tagebuchschreibens aufkam. Die Verbreitung von Papier sorgte für eine günstigere Form von Schriftlichkeit. Mit der Reformation entstand gleichzeitig eine individuellere Beziehung zu Gott. Anders als im Katholizismus beichteten Protestant_innen ihre Sünden nicht regelmässig einem Beichtvater. Für das Verhältnis zu Gott waren sie vermehrt selbst verantwortlich. Es wurde propagiert, täglich zu beobachten und reflektieren, wie man den Tag verbracht, wo man gesündigt hat, was man besser machen kann – und am besten das alles am Abend im Tagebuch festzuhalten. Das brachte mich auf die Idee, mich mit der Frage nach der Veränderung des eigenen Ichs, des eigenen Körpers auseinanderzusetzen – beziehungsweise damit, inwiefern das schon in der Frühen Neuzeit ein Thema war.

Die Selbstoptimierung, die nicht nur in Lifestyle-Magazinen heute allgegenwärtig ist, ist also kein neues Phänomen?
Nur bedingt, allerdings unterscheiden sich die Umstände und Motivationen. In der Frühen Neuzeit waren Letztere oft verbunden mit religiösen, spirituellen Zielen. Ob Nahrungsreduktion, Schlafentzug oder Körperbeherrschung durch Unterdrückung von Wut etc. – all das war meistens mit spirituellen Intentionen verbunden. Gewisse Mechanismen sind dennoch vergleichbar mit der Gegenwart. Selbstoptimierung ist heute endlos, weil man nie weiss, wann das Optimum erreicht ist. Man kann immer noch besser werden. Im Christentum gab es insofern ein ähnliches Phänomen, als sich die Leute nie sicher sein konnten, ob sie fromm genug lebten. Sie durften auch nicht davon ausgehen, dass sie das taten, das hätte sonst als eitel gegolten – und wäre sicher nicht fromm gewesen. So mussten sich die Betroffenen permanent kleinhalten und selbst geisseln.

Sie sind seit rund einem halben Jahr ordentlicher Professor am Departement für Geschichte. Was für eine Art Professor versuchen Sie zu sein?
Ein hoffentlich innovativer. Ich versuche, die Studierenden für diese Epoche zu begeistern, plausibel zu machen, wie reichhaltig die Zeit war – und wie wichtig und relevant für heute. Ich nenne da gerne auch Beispiele aus dem Alltag: Tomaten kommen aus Amerika, die mediterrane Küche, die bei uns dominant ist, wäre ohne die sogenannte Entdeckung Amerikas undenkbar. Auch Rösti gäbe es nicht, weil wir die Kartoffel nicht kennen würden. Das sind Anekdoten, die Frühe Neuzeit ist jedoch tatsächlich eine Epoche, durch die wir viel lernen können, etwa über interkulturelle und interreligiöse Begegnungen, Staatsbildungsprozesse, Menschen-, Frauen- und Bürgerrechte, Konfliktmanagement etc. Für solche Themen versuche ich die Studierenden zu gewinnen und Ihnen zentrale Kompetenzen aus der Geschichtswissenschaft mitzugeben: Fundiertes Recherchieren, kritisches Analysieren sowie die Fähigkeit, einzuordnen und zu vermitteln. Ich versuche auch, das Fach Geschichte innerhalb der Universität Freiburg zu bewerben, dafür gehe ich gerne ungewohnte Wege und arbeite interdisziplinär. Bereits sind Kooperationen mit Kolleg_innen aus Literaturwissenschaften, Neurowissenschaften und Machine Learning angedacht.

Zur Person

Vitus Huber ist Professor für Geschichte der Frühen Neuzeit am Departement für Geschichte der Universität Freiburg. Nach seinem Doktorat an der Ludwig-Maximilians-Universität München war er als Gastwissenschaftler und Dozent an verschiedenen Universitäten in der Schweiz und im Ausland tätig, unter anderem an den Universitäten von Harvard und Oxford. Zu seinen Forschungsschwerpunkten gehören Kolonialgeschichte, Körpergeschichte und die Geschichte der Nacht.

Zur Antrittsvorlesung

Die Antrittsvorlesung von Vitus Huber findet am Mittwoch, 2. April, um 18.15 Uhr am Standort Miséricorde 03 im Raum 3115 statt. Das Thema lautet «Kollaboration, Kooperation und Konkurrenz im spanischen Kolonialreich».

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Einblicke in die Welt des Gamedesigns /alma-georges/articles/2024/einblicke-in-die-welt-des-gamedesigns /alma-georges/articles/2024/einblicke-in-die-welt-des-gamedesigns#respond Mon, 09 Dec 2024 16:12:47 +0000 /alma-georges?p=21679 Vor Kurzem landete in der Mailbox unseres Alma&Georges-Autors ein besonderes Teilnahmezertifikat – eine Erinnerung an einen aussergewöhnlichen Workshop, der am 20. November 2024 im Rahmen der Internationalen Fachtagung «Brettspiele im Mittelalter – Das Mittelalter im Brettspiel. Poetik, Rezeption, Praxis» stattfand. Unter der Leitung des preisgekrönten New Yorker Game-Designers Eric Zimmerman tauchten 18 Teilnehmende in die Kunst des Gamedesigns ein und verwandelten ein einfaches Würfelspiel in spannende Brettspielkreationen.

Ein Workshop für kreative Köpfe
Die Unifr wurde für einen Abend zum kreativen Hotspot der Spieleentwicklung. Studierende und Spieleinteressierte trafen sich zu einem interaktiven Workshop mit dem Titel «What’s Wrong with Roll and Move?», der vollständig auf Englisch abgehalten wurde. Ziel war es, gemeinsam eigene Brettspiele zu entwickeln – von der Idee bis zum spielbaren Prototyp.

Organisiert wurde die Veranstaltung von Robert Schöller, Inci Bozkaya und Cyril Senn. Sie war Teil der internationalen Fachtagung rund um Brettspiele und deren Bedeutung im Mittelalter und darüber hinaus.

Was macht ein Spiel «Fun»?
Zimmerman, der unter anderem durch Spiele wie Diner Dash und seine unkonventionellen Bücher über Game Design bekannt ist, führte die Gruppe in die Grundlagen des Gamedesigns ein. Dabei stellte er zentrale Fragen: Wie schaffen Spiele Spannung? Was bringt die Spielenden dazu, emotional involviert zu sein? Wie entwickelt man Regeln, die herausfordernd, aber verständlich sind?

Mit der Plattform Miro arbeiteten die Teilnehmenden in Kleingruppen an einem Spiel, das zunächst ganz simpel begann: Würfeln, ziehen, fertig. Doch Schritt für Schritt wurden die Regeln verändert und getestet. «Shut up and testplay!», so Zimmermans Lieblingssatz, prägte die Atmosphäre. Der iterative Prozess – Designen, Testen, Analysieren, Neu designen – stand im Mittelpunkt.

 

Von Minnesang bis Drachenflucht
Die kreativen Ergebnisse konnten sich sehen lassen: Spiele mit Themen wie dem Minnesang, «Tristan», oder der «Flucht vor einem Drachen» entstanden. Jedes Spiel erhielt durch die Anpassungen der Teilnehmenden mehr Tiefe, Spannung und Interaktivität.

Gamedesign als kulturelle Praxis
Für Zimmerman ist Gamedesign mehr als nur Unterhaltung – es ist eine kulturelle Form, vergleichbar mit Theater oder Tanz. Brettspiele sind für ihn Lernwerkzeuge, die strategisches Denken und soziale Interaktion fördern. Dieser Workshop zeigte eindrücklich, wie spannend und herausfordernd der Weg von der Idee bis zum fertigen Spiel sein kann.

Ein unvergessliches Erlebnis
Der Workshop war ein Highlight der Fachtagung und hinterliess bleibenden Eindruck bei allen Beteiligten. Die Teilnehmenden können auf einen intensiven Abend voller Kreativität, Teamarbeit und neuen Erkenntnissen zurückblicken. «You’re all game designers now», sagte Zimmerman – und bewies, dass alle die Welt der Spiele aktiv mitgestalten können. Die Krönung des Workshops ist ein kleines Teilnahmezertifikat, das bei der nächsten Bewerbung mit Sicherheit positiv auffällt und für Gesprächsstoff sorgt.

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L’utopie conservatrice du «Réarmement moral» /alma-georges/articles/2024/lutopie-conservatrice-du-rearmement-moral /alma-georges/articles/2024/lutopie-conservatrice-du-rearmement-moral#respond Tue, 03 Dec 2024 14:32:11 +0000 /alma-georges?p=21557 Par essence, les thèses de doctorat ne sont pas vouées à devenir des best-sellers. Pour publier le fruit de son travail aux éditions AlphiL, Audrey Bonvin, aujourd’hui postdoctorante FNS au Département d’histoire contemporaine de l’Université de Fribourg, a dû se livrer à un méticuleux travail de réécriture. Elle en présentera le résultat, un livre intitulé L’Utopie conservatrice du«Réarmement moral», ce jeudi 5 décembre à la libraire L’Art d’Aimer à Fribourg.

«Tout·e chercheur·euse est un·e détective en herbe». En effet, dans le projet de recherche FNS à la base de ce livre, il faut admettre que tous les ingrédients nécessaires à ceux d’une enquête policière étaient présents dès le début. Un palace grandiose surplombant la Riviera vaudoise en guise de décor; un corps à disséquer, celui d’un mouvement politico-religieux international nimbé d’une aura de mystère. En guise de preuves à récolter, de riches fonds d’archives de nature diverses à croiser, provenant de 25 institutions, éparpillées entre la Suisse, le Royaume-Uni, les Etats-Unis. Il s’agissait d’identifier et d’expliquer le profil comme les mobiles des protagonistes principaux, qu’il s’agisse de sympathisant·e·s occasionnel·le·s issu·e·s de milieux d’élites provenant du monde entier ayant fréquenté le palace entre les années 1960 et 2000, mais aussi de prêter une oreille attentive à 26 témoins, les bénévoles ayant consacré leur vie au mouvement, prêt·e·s à partager leur propre version de «l’affaire».

Si le «rapport final» de cette affaire prend cette forme, c’est aussi grâce aux «petites cellules grises» d’autres personnages: nombre de collègues issu·e·s de diverses disciplines qui ont commenté au fil des années mes chapitres se faisant rapports intermédiaires. Que l’on ne s’y trompe cependant pas: le corps en question, celui du Réarmement moral, est loin d’être moribond, puisqu’il fêtera ses 80 ans d’existence en 2026 à Caux: le mouvement a simplement adopté un autre nom en 2001, celui d’«Initiatives et Changement».

Dans votre ouvrage, vous mettez en lumière un mouvement peu connu du grand public. De quoi s’agit-il?
Le livre retrace l’histoire d’un mouvement conservateur international implanté en Suisse depuis 1946 appelé «Réarmement moral». Il répond aux questions suivantes: Qui formait la nébuleuse de ce cercle porté par un réseau de bénévoles consacrant leur vie à «changer le monde»? En quoi consistait le contenu et les formes de sa pensée conservatrice? Comment qualifier ce qui ne fut ni un nouveau mouvement religieux, ni une organisation politique? Quelles furent ses activités et comment expliquer sa pérennisation? La période au cœur du travail est marquée par les deux bornes suivantes: 1961, année de décès de son fondateur, un pasteur américain, et 2001, année de l’adoption de son nouveau nom, «Initiatives et Changement» sous l’égide de celui qui était alors l’ex-président du CICR Cornelio Sommaruga (2001). Le prologue remonte tout de même au début du XXe siècle pour comprendre les racines de ce mouvement et comment il arrive en Suisse depuis les campus d’Oxford et de Cambridge…

A qui s’adresse ce livre, avatar de votre thèse?
Qui n’a jamais levé les yeux et admiré la façade de ce palace en passant la région de Montreux? Le livre se destine donc tout d’abord aux esprits curieux intéressés de savoir ce qui s’est tramé dans ces tourelles depuis 1946. J’ajouterais que, jusqu’ici, l’histoire du mouvement a été principalement écrite par des «insiders», ce qui a contribué à véhiculer une mémoire mythifiée. Or, toutes langues confondues, il s’agit de la première publication sur ce mouvement émanant d’une historienne sur cette période des années 1960 à 2000, avec du matériel jamais exploité (les archives viennent de s’ouvrir) et prenant en compte la parole des bénévoles. Mon approche s’appuie sur une histoire croisée et mobilise l’interdisciplinarité. Ainsi d’une part, historien·²Ô±ð·s de la guerre froide, politologues, sociologues des religions mais aussi philosophes y trouveront, je l’espère, un fil sur lequel tirer pour leurs propres recherches. D’autre part, des épisodes variés retiendront l’attention du lectorat selon le thème de prédilection: un apport théorique sur la pensée conservatrice et l’utopie, mais aussi la scène musicale d’une jeunesse occupée à contrer la contre-culture des années 1960; l’analyse de discours de femmes antiféministes, ou l’ex-URSS.

Appréhender ce mouvement comme une étude de cas m’a permis de proposer cette idée d’«utopie conservatrice» comme outil d’analyse des milieux de centre droit. Il faut savoir que dans le champ des études sur les courants conservateurs, la majorité des travaux portent sur l’extrême droite, mais encore peu d’attention est portée sur les milieux centristes se prétendant n’être «ni de gauche ni de droite», cette fameuse Troisième Voie; et encore moins à l’analyse de leur discours. A ce titre, le Réarmement moral consiste en une étude de cas fascinante pour analyser à la fois les paradoxes de ce positionnement, qui se montre intenable sur la longueur, et les moyens mis en Å“uvre qui s’avèrent faramineux.

Et à l’heure où l’on assiste à un retour en force de l’extrême droite ainsi que la banalisation de son vocabulaire dans la sphère publique, décrypter les effets de celles et ceux qui refuseraient de se voir attribuer l’étiquette de politique, tout en œuvrant dans les faits pour la catégorie des dominant·e·s, est crucial.

Finalement, le livre revient sur le rôle de la Suisse en période de guerre froide, qui s’est fait ainsi depuis 1946 le quartier général d’un mouvement d’ampleur mondiale. Ce dernier, bien que se métamorphosant au fil des décennies, se trouve être un cercle dont le noyau décisionnel est composé d’hommes blancs anglo-saxons protestants issus de classes sociales privilégiées, dont le but est de faire adopter au monde entier leur références et leurs valeurs, et qui ont bénéficié d’appui considérable…

Après avoir travaillé plusieurs années sur une thèse: quel est votre sentiment quand vous tenez ce livre entre vos mains?
Le retravail d’un manuscrit de thèse en un ouvrage accessible pour le grand public implique d’alléger et de retravailler le manuscrit initial, en publiant sous forme d’articles ce qui est délaissé, en sélectionnant seulement quelques illustrations, en ajoutant des parties de contextes, en approfondissant des passages théoriques, en intégrant de nouveaux documents ou en pensant particulièrement la communication – ici avec l’exemple du soin accordé à la couverture, qui a été réalisée par la graphiste de mon choix, Vanessa Cojocaru. Même si c’est tout un processus de deuil, je suis heureuse de pouvoir tenir un produit physique dans mes mains qui a été repensé par rapport à la première version et d’avoir eu l’occasion de travailler avec un éditeur si efficace et rapide qu’AlphiL. Le livre est plus léger que la thèse… mais plus lourd que les numéros rassemblant mes articles. Le fait que l’ouvrage soit mis en open access sur le site de l’éditeur grâce au FNS en plus du format physique est enfin une importante plus-value pour la diffusion des résultats.

Votre éditeur a organisé plusieurs dates de vernissage, dont celle du 5 décembre à Fribourg. Comment vous préparez-vous à ce contact avec le grand public?
En fait, le vernissage du 5 décembre est une initiative commune émanant de la postdoctorante Aurore Müller et moi-même. Ma consœur a en effet travaillé sur les enfants placés dans le cadre d’une thèse soutenue à l’Université de Fribourg et la publication de son aura lieu en même temps.
Notre démarche est caractérisée par la volonté commune de restituer au grand public les résultats de manière accessible, de sortir de la sphère académique pour inviter dans un cadre convivial un public curieux d’en apprendre davantage sur une histoire croisée qui dévoile des pans contrastés de l’histoire suisse récente. Nous avons choisi cette librairie L’Art d’Aimer, nouvellement installée à la rue des Epouses 5, en raison de sa sélection pointue et spécialisée dans la question des luttes sociales et des études genre qui font écho à nos travaux. La présentation des ouvrages comportera donc plutôt des anecdotes personnelles autour de la production de ces monographies, suivie d’une discussion où nous encourageons le public issu de divers horizons professionnels à échanger. C’est de plus l’occasion d’illustrer concrètement la vision de la recherche que nous défendons: celle qui valorise le travail d’équipe, tant au niveau académique qu’avec les institutions de médiation pour transmettre ce savoir dans la Cité.
La thèse de doctorat a pour cible un public de spécialistes mais les résultats d’une recherche scientifique ont vocation à être diffusés, sans quoi la recherche perd sa raison d’être. Sans les subsides institutionnels, une recherche de cette ampleur n’aurait pas pu être réalisée, ni le livre voir le jour mais sans le rôle crucial des maisons d’éditions, des médias, des librairies spécialisées et l’intérêt du lectorat, pas de diffusion de cette connaissance à large échelle. Nous avons donc prévu de visibiliser ces deux ouvrages dans différents cadres et sous différents format l’année à venir.

Après cela, votre texte vivra sa propre vie en quelque sorte. Et vous quels sont vos projets?
Le fil rouge de mes recherches reste la socio-histoire des mouvements conservateurs contemporains, avec une focale sur les organisations internationales chrétiennes dont j’approfondis les différentes facettes puisque, depuis 2023, je suis postdoctorante FNS dans le cadre du projet L’antiféminisme en Suisse, 1971-2001: discours, pratiques et circulations transnationales dirigé par la PD Dr Pauline Milani, dans le cadre duquel je me focalise sur l’essor des réseaux antiavortements en Suisse. Outre les articles ou colloques prévus, j’ai eu la chance d’échanger cette année par exemple avec des spécialistes de l’UQUAM et du Centre d’histoire de Science Po Paris.

De plus, la santé publique constitue mon second pôle de recherches, avec une charge de cours sur les addictions à l’Ecole de médecine (Université de Lausanne) et une affiliation à l’Institut des Humanités en médecine du CHUV. Or, ces thèmes sont plus que jamais d’actualité – qu’il s’agisse des récents débats sur les droits reproductifs, le succès des droites ou celui des campagnes contre l’abus d’alcool de type «Dry January». Il est certain qu’il reste beaucoup à faire – et à publier – sur ces thèmes passionnants.

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Les procès en sorcellerie, miroirs de nos peurs /alma-georges/articles/2024/les-proces-en-sorcellerie-miroirs-de-nos-peurs /alma-georges/articles/2024/les-proces-en-sorcellerie-miroirs-de-nos-peurs#respond Tue, 13 Aug 2024 05:53:13 +0000 /alma-georges?p=20671 Du XVe au XVIIIe siècle à Fribourg, des dizaines de victimes des chasses aux sorcières et aux sorciers ont péri sur le bûcher. Des centaines de personnes ont été inquiétées, suspectées, torturées. Leur seul crime était le plus souvent de sortir de la norme, explique l’historien Lionel Dorthe. Conférence-débat le 19 septembre 2024.Ìý

A partir du XVe siècle, l’idée grandissait que des sectes d’adorateurs du diable se liguaient contre la Chrétienté, conduisant à travers l’Europe à de nombreuses vagues de chasses aux sorciers et aux sorcières. Suspicions et dénonciations culminèrent aux XVIe et XVIIe siècles. Du paysan prospère au vagabond, de la femme veuve ou sans mari à l’adolescent livré à lui-même, il en fallait alors peu pour tomber dans les griffes de la justice pour fait de sorcellerie.

Lionel Dorthe

On est loin de l’image d’Epinal de la sorcière au nez crochu, à califourchon sur un balai. «A l’exception des élites, l’ensemble de la population pouvait être inquiété. Même si le plus souvent, il s’agissait de personnes qui, à un moment donné et pour diverses raisons, se situaient hors des normes sociales», relève Lionel Dorthe. Responsable des fonds anciens et de la promotion du patrimoine documentaire aux Archives de l’Etat de Fribourg, il est l’auteur avec sa collègue Rita Binz-Wohlhauser de l’édition des procès en sorcellerie menés à Fribourg entre le XVe et le XVIIIe siècle.

Six années d’un éprouvant travail, sur le plan émotionnel, effectué dans le cadre d’un projet de la Fondation des sources du droit suisse. «En lisant les comptes-rendus d’interrogatoires et de jugements, j’ai souffert de toute cette souffrance», nous confie Lionel Dorthe, également chargé de cours en histoire médiévale à l’Université de Fribourg. Une page douloureuse de l’histoire fribourgeoise, mais un nécessaire travail de mémoire sur lequel reviendra l’historien, en compagnie du journaliste Cyril Dépraz, jeudi 19 septembre 2024, lors d’une conférence-débat du programme culturel MEMO de la ville de Fribourg. Collaboration qui s’inscrit dans la continuité du podcast Au terrible temps des sorcières.

La torture, un outil légal
Durant l’Ancien Régime, il n’existait pas de séparation des pouvoirs et la torture constituait un outil légal dont se servaient les juges pour arracher des aveux aux victimes. Aveux qui avaient force de preuves. On accusait les prétendus sorciers et sorcières, que l’on imaginait complices du Malin, de tuer bêtes et êtres humains, de rendre malade par l’usage d’onguents et de poudres diaboliques, de faire tomber la grêle ou encore de tarir les pis des vaches, d’être des «tireurs de laits» (Milch-Zieher en allemand). La mort attendait parfois les victimes à l’issue de la procédure. Les personnes condamnées étaient le plus souvent suppliciées par le feu sur la colline du Guintzet.

Sur les 360 procès conduits par le bras séculier de la «Ville et République de Fribourg» entre 1493 et 1741, environ un quart des instructions ont abouti à la mort des condamné·es. «Le bannissement était quant à lui prononcé par les juges dans près de la moitié des cas. Il pouvait être de deux ordres. Soit les personnes devaient quitter le territoire fribourgeois, soit elles se trouvaient cantonnées aux frontières de leur paroisse», explique Lionel Dorthe. Moins souvent, il arrivait que les juges lèvent les charges et relâchent les personnes. C’est d’ailleurs l’un des intérêts du travail de Lionel Dorthe et de Rita Binz-Wohlhauser d’avoir édité l’ensemble des procès menés pour sorcellerie, et pas seulement ceux aboutissant à une condamnation à mort. Ce qui permet de saisir le phénomène dans une perspective plus large.

Deux frères habiles
On découvre ainsi le cas des frères Georges et François Rimy, deux paysans de Charmey. Au milieu du XVIIe siècle, ceux-ci ont été suspectés d’être des Milch-Zieher. Une accusation courante dans cette région vivant de l’économie laitière. «Dès qu’un paysan subissait une baisse de production, il avait tôt fait d’accuser le voisin de lui voler le lait de manière surnaturelle», fait remarquer Lionel Dorthe. Or les deux frères Rimy, connus dans la région pour avoir fait les quatre cents coups, ont su défendre leur cause avec intelligence. Sans jamais avouer, ils se sont justifiés en expliquant aux juges de manière quasi scientifique pourquoi leurs bêtes donnaient plus de lait, disant par exemple ne choisir que des vaches de la race «Schwytzer» (réputées bonnes laitières) ou affourager de manière spécifique. Ce qui leur a valu d’être libérés, «malgré de très forts soupçons».

Un siècle plus tôt, en 1517, Christian Born a eu moins de chance. Accusé d’être lui aussi un «tireur de lait», il a été brûlé au Guintzet, tandis que sa femme Collette, poursuivie uniquement pour vols, s’est retrouvée au pilori. Plus rarement, des jeunes étaient inquiétés. Comme Claude Bernard en 1651, douze ans, exécuté pour sorcellerie au Belluard. On voit dans ces exemples que les procès ne visaient pas exclusivement les femmes, même si elles ont représenté environ deux tiers des personnes interpellées par les autorités fribourgeoises.

Dépasser l’idée d’une «guerre des sexes»
«Aujourd’hui, certain·es relisent ces procès dans la perspective d’une guerre des sexes. Ce qu’il convient de nuancer. L’accusation de sorcellerie touchait les hommes comme les femmes, même s’il est vrai qu’on observe une féminisation et une prolétarisation du profil des victimes au fil des siècles», indique Lionel Dorthe. Selon lui, cela s’expliquerait d’une part par l’évolution des pratiques judiciaires, face auxquelles les femmes, plus fragiles socio-économiquement, restaient davantage vulnérables. Et d’autre part, par la genèse des accusations faites au village, qui provenaient majoritairement de femmes contre d’autre femmes. Ce sont d’ailleurs les procès de deux sœurs de Villarvollard, Catherine et Marguerite Repond, qui marqueront la fin de cette terrible page de l’histoire. La première, connue sous le nom de Catillon, périra condamnée au bûcher en 1731, tandis que la seconde mourra en prison 10 ans plus tard, à nouveau inquiétée par la justice pour avoir enfreint son bannissement.

S’il est difficile d’expliquer la disparition du phénomène, il convient de l’appréhender dans une perspective sociale plus large. «La plupart des victimes venaient des campagnes, de régions comme la Singine ou la Gruyère», souligne Lionel Dorthe, précisant que des familles ont ainsi été persécutées sur plusieurs générations, comme les Python et les Meino. Dans la plupart des cas, les suspicions mêlaient croyances populaires et considérations démonologiques, dont les juges cherchaient la confirmation. Les dénonciations émergeaient le plus souvent de la base de la population, les autorités y étaient sensibles.

En proie aux épidémies et aux rigueurs du climat
On pourrait d’ailleurs voir dans ces accusations, une réponse aux temps difficiles que subissaient les gens de l’époque. C’est du moins l’une des hypothèses de Lionel Dorthe, qui s’interroge sur la raison des pics suivant les périodes. «Qu’est-ce qui peut expliquer l’augmentation des dénonciations que l’on observe à certains moments?» L’historien voit un début de réponse dans la vulnérabilité de ces populations rurales face au climat et aux épidémies. Une piste qui reste à explorer. «La désignation de boucs émissaires en période de crise ou d’instabilité est un motif récurrent dans l’histoire. Une réalité malheureusement toujours actuelle pour certaines minorités, qu’elles soient religieuses, culturelles ou de genre», dit-il. Raison pour laquelle il convient de ne pas jeter ces victimes de l’imaginaire de leur temps dans les oubliettes de l’histoire, mais qu’il est au contraire plus que jamais nécessaire de faire œuvre de mémoire et chercher à comprendre.

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  • (une très grande partie des instructions et jugements édités par Lionel Dorthe et Rita Binz-Wohlhauser sont consultables en ligne)
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Comme un air de déjà vu /alma-georges/articles/2024/comme-un-air-de-deja-vu /alma-georges/articles/2024/comme-un-air-de-deja-vu#respond Wed, 10 Jul 2024 12:05:41 +0000 /alma-georges?p=20556 Se pourrait-il que la musique se mette au diapason de l’époque dans laquelle elle s’inscrit? L’unifr accueillera en 2025 un colloque international, coorganisé par le professeur de musicologie Federico Lazzaro, dont l’objectif sera de cerner les interactions entre la musique et l’imaginaire politique dans les années 1930. L’appel à contributions vient d’être lancé.

Nous l’avons tous appris en cours d’histoire: le krach boursier de 1929 a eu des conséquences effroyables sur la marche du monde. L’effondrement des cours de la bourse a précipité des millions de personnes dans la pauvreté et fait vaciller les démocraties. L’onde de choc a été telle qu’on ne s’étonne guère que les différentes formes d’art s’en soient fait l’écho. Que l’on songe aux «Raisins de la colère» de John Steinbeck (1939) ou aux «Temps modernes» de Charlie Chaplin (1936). Depuis un peu plus d’une année, un groupe de recherche international veut s’interroger, avec la régularité d’un diapason, sur la façon dont la musique a contribué à façonner ou inversement à refléter l’imaginaire lié au champ politique durant cette période charnière. Après les rencontres de Paris en 2023, et celles de Leeds cette année, le séminaire itinérant fera escale à Fribourg du 15 au 16 mai 2025 en collaboration avec le Professeur Christopher Moore de l’Université d’Ottawa.

Aller au-delà de l’étude des politiques musicales
Jusqu’à présent, les liens entre la musique et la politique durant les années 1930 ont fait l’objet de nombreuses études, mais majoritairement au travers du prisme des régimes politiques. «Nous savons bien sûr que le régime nazi a décrété que le jazz était une musique dégénérée, de même que la musique atonale ou que les œuvres de compositeurs juifs», illustre Federico Lazzaro». Avec cet appel à contributions, l’ambition est toutefois différente, moins «top down». «Durant les années 1930, compose-t-on de la musique à des fins cathartiques, afin de rire de la crise? Dénonce-t-on la crise à travers des registres musicaux inédits?», s’interroge Federico Lazzaro. Et de brandir l’exemple d’un film datant de 1934 et intitulé «La crise est finie», comédie musicale relatant les difficultés d’une troupe de music-hall de province qui ne peut plus se produire du fait de la crise et qui s’ingénie à survivre. «Pour qui sait l’observer, on découvre dans cette œuvre toute une série de codes qui faisaient rire les gens de l’époque, ce que ne permet pas d’appréhender la lecture de documents d’une autre nature, tels qu’une revue musicale.»

Un champ d’investigation à explorer
Si de ce côté de l’Atlantique les études restent rares sur le sujet, aux Etats-Unis, il existe déjà des ouvrages sur l’influence du New Deal sur le langage musical. «On observe une récupération de l’imaginaire de l’Ouest américain, qui donnera naissance à une nouvelle musique américaine, explique Federico Lazzaro. Ce sera en quelque sorte la bande-son du New Deal, celle de la renaissance économique, avec de nouvelles instrumentations, des chants autochtones et des mélodies populaires.»

Pour le musicologue fribourgeois, il serait intéressant de voir si l’Europe connaît un phénomène similaire. «Il n’est pas farfelu de l’imaginer car on sait que de nombreux compositeurs américains viennent étudier sur le Vieux Continent. Amènent-ils cette idée de reconstruire une nouvelle musique d’après-crise? Nous l’ignorons et il faudra tâcher de trouver la réponse».
Aucun pays n’ayant échappé au krach de 1929 et à ses conséquences, la production musicale suisse n’est d’ailleurs pas en reste. En 1932, le poète vaudois Jean Villard Gilles a composé une chanson intitulée «», qui parle de la crise américaine.

De l’autre côté de l´Atlantique

Dans la fabuleuse Amérique

Brillait d’un éclat fantastique

Le dollar

Il f’sait rêver les gueux en loques

Les marchands d’soupe et les loufoques

Dont le cerveau bat la breloque

Le dollar

D’ailleurs, le séminaire ne s’intéressera pas qu’aux Å“uvres, mais aussi aux artistes et aux organisateurs d’événements culturels. Comment gèrent-ils le tarissement des financements? Raccourcissent-ils la saison des concerts? Cherchent-ils des manières alternatives de transmettre la musique? Valorise-t-on un genre par rapport un autre?

Approche pluridisciplinaire
Federico Lazzaro souhaite également que le séminaire fribougeois s’ouvre à d’autres disciplines. «J’appelle de mes vœux des communications à quatre mains, afin de porter un regard large sur le phénomène.» Et de rêver à de beaux duos entre musicologues et historien·n·es de l’art ou spécialistes de la littérature. «Je tiens à insister sur le fait que le séminaire est ouvert à toutes et à tous, même aux étudiant·e·s. Il ne faut pas craindre que cela soit trop technique. Il sera probablement peu question d’analyses musicales, mais de discours de la musique, d’utilisation de la musique et de paroles des chansons.»

Le présent, une simple reprise du passé?
A l’heure où les crises se multiplient au point de faire dire aux oiseaux de mauvais augure que nous serions au seuil d’une troisième guerre mondiale, il n’est pas inintéressant de se pencher sur une période où résonnait également le bruit des bottes. D’ailleurs, Federico Lazzaro l’avoue d’emblée, ses recherches ont toujours un lien avec le présent. «Je fais partie de ces historiens qui pensent que mieux connaître le passé permet de mieux comprendre le présent. Décrire les mécanismes de construction des imaginaires de l’époque permettrait de mieux appréhender la nôtre, de voir s’il y a des variantes ou des constantes. C’est donner aussi un but très concret à une recherche a priori moins utilitaire qu’une recherche en médecine, mais qui a le mérite de rappeler que réfléchir n’est jamais superflu.»
Même si l’histoire ne se répète jamais, se pourrait-il que, selon la conjoncture, elle imprime un style, un rythme ou des paroles? Et d’ailleurs, notre époque ne serait-elle qu’un bon vieux «sample» du passé?

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Terre sainte: cartographier le sacré au-delà des clivages /alma-georges/articles/2024/terre-sainte-cartographier-le-sacre-au-dela-des-clivages /alma-georges/articles/2024/terre-sainte-cartographier-le-sacre-au-dela-des-clivages#respond Fri, 07 Jun 2024 10:02:41 +0000 /alma-georges?p=20369 Porté par l’Université de Fribourg, le projet Holy Networks s’attelle à l’étude d’un corpus de 400 lieux saints en Palestine. Son but: faire dialoguer les traditions historiographiques et proposer un nouveau cadre interprétatif du sacré dans la région.

Bien qu’aujourd’hui traversée par les violences et les conflits, la Terre sainte n’en demeure pas moins le terreau d’une dévotion multiséculaire pour les fidèles des trois religions abrahamiques. Derrière les lignes de fractures: un réseau de lieux saints, objets de vénération parfois partagés entre juifs, musulmans et chrétiens. L’étude de ces loca sancta sont au cœur du projet de recherche Holy Networks, démarré en avril 2024 par l’Université de Fribourg, et qui réunira une dizaine de chercheurs et chercheuses et issu·e·s de différents horizons de recherche, culturels et temporels.

«Notre objectif, par l’étude d’un corpus de 400 lieux saints, consiste à faire dialoguer les différentes traditions historiographiques afin de proposer un cadre interprétatif renouvelé de la Terre sainte», résume Michele Bacci, professeur ordinaire d’histoire de l’art médiéval à l’Université de Fribourg. Coordinateur de cette recherche prévue sur cinq ans et financée par le Fonds national suisse (SNSF Advanced Grants), il relève le pont symbolique que permet ce projet, dans une région où les communautés sont aujourd’hui divisées.

Approche transversale
«Notre recherche s’intéresse notamment à la manière dont ces différentes cultures ont cohabité par le passé, dans une région investie de longue date sur les plans spirituel, culturel, mais aussi politique» Pour mener ses recherches, effectuées essentiellement depuis Fribourg, Michele Bacci et son équipe pourront compter sur les riches fonds d’institutions comme le Studium Biblicum Franciscanum ou l’Ecole biblique archéologique française à Jérusalem. Dans une Terre sainte déjà passablement labourée par les projets de recherches, Holy Networks se démarque par sa transversalité et sa volonté de mettre en lien des données nombreuses, mais qui demeurent souvent fragmentaires. Car c’est un paradoxe: les fouilles et descriptions réalisées au fil des siècles ont généré une importante masse de données, mais ces dernières se retrouvent aujourd’hui éparpillées entre différentes aires culturelles (juive, musulmane, chrétienne latine, grecque, arménienne, etc.).

Sept siècles sous la loupe
«Une telle recherche est facilitée par Internet, grâce à la consultation de manuscrits et livres rares en ligne», précise Michele Bacci. Si l’accès aux ressources est aisé, deux bornes temporelles baliseront le travail des chercheur·euses. «Nous nous pencherons sur la période islamique post-croisée, soit une durée de sept siècles qui va de la reconquête de Jérusalem par Salah ad-Din en 1187, à l’établissement du soi-disant statu quo par le sultan ottoman Abdülmecid en 1852», explique Michele Bacci. Ce qui rend cette période intéressante, c’est que les non-musulmans avaient alors l’interdiction d’ériger de l’architecture nouvelle et de restaurer ce qui existe. Michele Bacci s’intéresse particulièrement à la domination mamelouke, du milieu du XIIIe au début du XVIe siècle. «A ce moment, les lieux saints se multiplient, mais s’émancipent de l’architecture. Si dans les faits, il était interdit aux chrétiens et aux juifs de monumentaliser, ceux-ci pouvaient maintenir l’existant», fait remarquer le chercheur. On se met ainsi à vénérer une pierre sur laquelle la Vierge Marie se serait reposée lors de la Passion ou un arbre à l’ombre duquel la Sainte Famille se serait arrêtée. Autant de «portions de paysage», qui matérialisent le souvenir d’un épisode sacré.

Saintes au carrefour des traditions
Des sites, comme le tombeau de Rachel sur la route de Bethléem, sont vénérées par les trois religions abrahamiques. Il arrive que les différentes traditions réinvestissent ces lieux à leur manière. Michele Bacci cite l’exemple, sur le Mont des Oliviers, d’un tombeau attribué à trois femmes différentes. «Les juifs y vénèrent la prophétesse Hulda, mentionnée dans l’Ancien Testament au temps du roi Josué, là où les musulmans célèbrent Rabi’a al-Adawiya, figure soufie du VIIe siècle. Les chrétiens y prient quant à eux sainte Pélagie d’Antioche, prostituée, actrice et danseuse convertie au christianisme.»
Contrairement à la pratique en Occident, où l’on vénère habituellement des statues, des images ou des objets, la dévotion en Terre sainte se démarque par le fait que l’attention est dirigée vers des «morceaux» de sol ou de paysage: un trou dans un pavement, un rocher ou un arbre. «Comment ces lieux se distinguent-ils de ce qui les entoureÌý? C’est cette perspective anthropologique qui nous intéresse», relève Michele Bacci. Les chercheur·euses s’arrêteront sur les dispositifs d’encadrement qui indiquaient qu’il s’agissait d’un lieu saint.

Comment se vivait l’expérience du sacré?
Outre cette approche «en creux», par laquelle un lieu saint se donne à voir par ce qui l’entoure, une attention sera mise sur les stratégies déployées pour définir la nature sacrée de ces endroits (narrative, spatiale, performative, rituelle). Par exemple, concernant les dévotions, des prières étaient-elles lues de manière collective? «Il existe une quantité infinie de textes qui n’ont jamais été recueillis de manière systématique», souligne l’universitaire.

Ces morceaux de territoire sacralisés ne sont pas isolés les uns des autres. Des routes et des chemins qui relient les principaux sites émerge une topographie sacrée dynamique. «Dans l’expérience de ces lieux, il y a aussi, pour le pèlerin, le mouvement qui les relie», rappelle Michele Bacci. Dans certains cas, il s’agit d’une pratique mémorielle, à l’image du tracé Bethléem-Jérusalem qui permet de «revivre» le parcours de Marie, Joseph et l’Enfant Jésus.

Le mouvement, objet de dévotion
«Par la fatigue, l’effort, le mouvement devient lui-même un objet de dévotion», considère encore le chercheur. Le projet Holy Networks entend d’ailleurs reconstituer cette dimension du corps en déplacement, que ce soit à pied ou à cheval, par une simulation digitale qui permettra de se rendre compte de cette temporalité. «C’est un travail qui n’a jamais été fait!», insiste Michele Bacci. Une reconstitution d’autant plus précieuse que la localisation des loca sancta s’est compliquée par endroits, du fait de l’altération du paysage. C’est le cas du champ dit «de pois chiches pétrifiés», dont on raconte que la Vierge (ou le Christ selon les versions) y aurait transformé les pois chiches d’un cultivateur en cailloux. Ce champ aurait existé jusqu’à la première moitié du XXe siècle, pour finalement disparaître, traversé aujourd’hui par le mur de séparation.

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Conflit israélo-palestinien: Débattre pour mieux comprendre. /alma-georges/articles/2024/conflit-israelo-palestinien-debattre-pour-mieux-comprendre /alma-georges/articles/2024/conflit-israelo-palestinien-debattre-pour-mieux-comprendre#respond Tue, 02 Apr 2024 09:41:28 +0000 /alma-georges?p=19994 Au début de la seconde Intifada, Benoît Challand a vécu neuf mois en Palestine. Touché par l’intensité de la guerre qui secoue la région, le sociologue et historien viendra de New York à Fribourg pour nous livrer, le 8 avril prochain, les clés de lecture de cette tragédie sans fin.

Depuis le 7 octobre, est-il encore possible de débattre sereinement d’une question aussi brûlante que le conflit israélo-palestinien?
Le choc lié à la violence et à la brutalité des attaques du Hamas a vraiment changé la donne. Il était impossible de faire une analyse historique. Après quelques semaines, un espace de discussions a été créé, notamment dans le monde académique, mais cela varie beaucoup d’un pays à l’autre. Il est vraiment important que les médias et nos institutions organisent des débats et des séances d’information pour mieux comprendre pourquoi on en est arrivé à ce niveau sans précédent de violences et de destructions. Il est frappant de voir à quel point il est difficile de parler de colonisation pour Israël. C’est un fait avéré historiquement et juridiquement, mais de nombreux intellectuels qui ont employé ce terme ont été attaqués, souvent de manière virulente.

Vous avez effectué votre service civil et votre thèse en Palestine, comment est-ce que le conflit vous affecte?
Effectivement, par le biais de Médecins du Monde (MdM) Suisse, j’ai pu passer neuf mois à Ramallah, travaillant pour MdM et pour la plus grande ONG palestinienne active dans le secteur de la santé primaire. C’était au début de la seconde Intifada en 2001. Sachant comment le travail humanitaire et de santé de base est essentiel pour une population sous occupation militaire, la tragédie que l’on voit s’amplifier à Gaza me révolte. Comment peut-on empêcher l’arrivée de l’aide humanitaire dans de telles circonstances et mener une campagne de dénigrement contre l’UNRWA qui assure des services de base en dispensant éducation primaire et soins de base pour plus d’un million de Gazaouis? En tant que chercheur, je suis aussi effaré de voir la virulence envers les collègues qui se font attaquer pour avoir partagé leurs analyses ou par le fait que des chercheuses et des chercheurs israéliens ont perdu leur poste de travail pour avoir critiqué les décisions du gouvernement de Netanyahou.

A quoi sert l’approche historique qui est la vôtre pour comprendre le conflit?
Sans l’histoire, on tombe dans une caricature de la représentation du conflit qui ne serait que dû à des facteurs culturels ou civilisationnels. Non, c’est un conflit de nationalismes pour une terre commune qui a été alimenté par les tragédies propres à l’Europe (l’antisémitisme du 19e et 20e siècles qui a provoqué l’horreur nazie et la mort de six millions de Juifs européens). Lire les attaques du 7 octobre sans profondeur historique, comme si la violence n’avait commencé que ce jour funeste, équivaut à donner un blanc-seing à Netanyahou. Par contre, en relisant les temps longs du conflit, on comprend mieux les dimensions matérielles, symboliques et juridiques du conflit.

Le 26 janvier, la Cour internationale de justice a demandé à Israël d’empêcher des éventuels actes de génocide et de permettre la fourniture d’aide humanitaire à la population civile de Gaza. En vain?
Hélas la guerre contre Gaza continue. Mais la décision de la CIJ a déjà eu et aura des effets, car les motivations présentées par l’Afrique du Sud ont été en grande partie reconnues par la majorité des juges de La Haye. Concrètement, l’aide humanitaire n’arrive pas à Gaza, ou cela se fait au compte-gouttes, mais la coordination internationale pour casser le siège augmente de jour en jour, comme par exemple avec la résolution du Conseil de Sécurité du 25 mars.

Le droit international a-t-il encore son mot à dire?
Bien sûr. Comme l’histoire, c’est une boussole qui doit donner des cadres communs pour les acteurs internationaux. C’est d’ailleurs par crainte de plaintes que certains états ont commencé à être un tout petit peu plus critiques à l’égard d’Israël. Le droit international n’est pas parfait, mais il constitue un socle sur lequel bâtir des solutions plus justes, notamment le respect du droit humanitaire dans les conflits armés ou les cas d’occupation militaire.

Il y a un véritable fossé entre les pays du Sud et l’Occident dans le soutien à Israël? Comment l’expliquer?
On peut adopter une perspective historique pour expliquer ce fossé. Les pays du Sud n’ont pas oublié les dégâts faits par le colonialisme et la domination des pays du Nord. Ce n’est pas par hasard si c’est l’Afrique du Sud qui a porté le cas devant la CIJ. J’évoquais également la difficulté de reconnaître le caractère colonial des liens entre Israël et la Palestine: n’oublions pas que l’Afrique du Sud s’est aussi entourée, pour documenter le risque génocidaire à Gaza, d’avocats internationaux, dont une avocate irlandaise, Ní Ghrálaigh, qui a clôt la déposition auprès de la CIJ. Le passé colonial britannique en Irlande a donc pesé aussi, même si indirectement.

Peut-on imaginer une fin à ce conflit? Si oui, quelles seraient les solutions?
Il n’y aura pas de solution juste à ce conflit sans la fin de l’occupation militaire israélienne dans les Territoires palestiniens. Tout au plus trouvera-t-on des solutions provisoires, comme avec Oslo, dont le processus de paix était basé non sur le droit international et les résolutions du Conseil de Sécurité, mais sur un cadre ad hoc d’une reconnaissance asymétrique et de mesures incrémentales.

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  • Ìý, 08.04.2024, 17h39, MIS 03
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