Histoire contemporaire – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Mon, 30 Sep 2024 16:33:57 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 La Francophonie, ça vous parle? /alma-georges/articles/2024/la-francophonie-ca-vous-parle /alma-georges/articles/2024/la-francophonie-ca-vous-parle#respond Wed, 04 Sep 2024 11:29:18 +0000 /alma-georges?p=20775 Le prix du Centre suisse d’études sur le Québec et la Francophonie (CEQF) «La francophonie en débat» lance sa 3e édition. But: nourrir la réflexion sur les échanges et les relations à l’intérieur de cet espace qui est bien plus qu’une simple communauté de langue. Appel à candidatures jusqu’au 15 novembre 2024.

La francophonie, c’est un monde en soi, un espace aux frontières mouvantes, invisibles mais bien réelles que dessine une langue: le français. C’est aussi un terrain d’observation privilégié. «Présent partout dans le monde, le français offre par exemple un regard particulier sur la globalisation. Il permet de porter une réflexion sur l’héritage colonial, les métissages culturels», explique Matthieu Gillabert, professeur ordinaire au é貹ٱ𳾱Գ d’histoire contemporaine de l’Université de Fribourg.

Matthieu Gillabert et son collègue Claude Hauser, lui aussi professeur ordinaire dans le même département, codirigent le Centre suisse d’études sur le Québec et la Francophonie (CEQF). Depuis 2010, celui-ci fédère et stimule études et recherches portant sur les relations entre la Suisse et le Québec dans le cadre plus large de la francophonie. Un intérêt suscité et nourri entre autres par le Prix CEQF «La francophonie en débat» qui vit cette année sa 3e édition.

Ouverts à tous formats
Remise en partenariat avec la République et Canton du Jura et avec le soutien de l’entreprise horlogère Richard Mille, cette distinction CEQF récompense le lauréat ou la lauréate d’un montant de 10’000 francs. Elle a pour but de soutenir la production et la diffusion d’œuvres en langue française, artistiques ou académiques, de jeunes artistes ou chercheur·euses (de 18 à 35 ans) domicilié·es dans un pays membre de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF).

Les candidat·es ont jusqu’au 15 novembre 2024 pour soumettre leur dossier. Aspect intéressant de la démarche du CEQF: ce prix ne se borne pas aux seules recherches universitaires. Les travaux peuvent se décliner dans une perspective artistique: poésie, sculpture, etc. «Ce qui est important, c’est que l’œuvre questionne cette notion d’espace francophone de manière critique», souligne Matthieu Gillabert.

Qu’ils s’agissent de thèses ou de créations artistiques, il précise que les œuvres doivent être présentées de façon accessible à un large public. Une capsule vidéo est d’ailleurs demandée pour les œuvres écrites (travaux scientifiques ou recueil de poèmes) comme pour les œuvres artistiques. Pour les deux co-directeurs du CEQF, le prix entend élargir à l’échelle de la francophonie, l’étude et les réflexions entre la Suisse et le Québec qui ont inspiré la création du centre en 2010.

Un stimulant objet de réflexion
«Si l’étude de la francophonie a longtemps été l’apanage des littéraires, historiens et politologues se sont désormais emparés du sujet», explique Claude Hauser, précisant que les recherches menées sur la francophonie dans le domaine des relations internationales sont également très stimulantes. Qu’est-ce que la francophonie? Quelles sont ses frontières? Ces questions sont au cœur des travaux des lauréats des deux premières éditions.

D’une analyse de l’œuvre de l’auteur antillais Patrick Chamoiseau (Eva Baehler, lauréate 2023), à l’étude du langage parmi les militant·e·s afrodescendant·e·s d’origine camerounaise à Paris (Suzie Telep, lauréate 2021), en passant par le travail sur la littérature orale haïtienne de Sara del Rossi, chercheuse italienne résidant en Pologne: la francophonie semble en effet être un inépuisable champ d’étude et de réflexion.

Le ou la gagnant·e sera invité·e à présenter son travail dans le Jura et à Québec (un montant en plus du prix sera prévu à cet effet), devant l’horloge réalisée par Richard Mille et offerte par la République et canton du Jura à l’occasion du 400e anniversaire de la ville canadienne. Un lieu symbolique entre deux régions sœurs, unies par les revendications indépendantistes qui ont marqué leur histoire récente.

Regard par la périphérie
La Francophonie est ainsi un lieu où se nouent et se dénouent les enjeux culturels. Et porter un regard sur elle depuis la Suisse ou le Québec n’est pas anodin. «Cela permet d’aborder cette notion par la périphérie, alors qu’elle est souvent abordée à travers le tropisme français», fait remarquer Matthieu Gillabert. Les deux historiens rappellent que le dynamisme de cet espace mouvant n’est pas toujours venu de Paris. Loin de là. Dans les années 1960, des pays africains ont ainsi été à la base d’institutions francophones comme l’agence de coopération culturelle et technique, ancêtre de l’Organisation internationale de la Francophonie.

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  • Photos: L’auteur antillais Patrick Chamoiseau dont l’oeuvre a été analysée par Eva Baehler, lauréate 2023.
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Dessiner les contours d’un paysage culturel romand /alma-georges/articles/2023/dessiner-les-contours-dun-paysage-culturel-romand /alma-georges/articles/2023/dessiner-les-contours-dun-paysage-culturel-romand#respond Thu, 02 Nov 2023 11:22:54 +0000 /alma-georges?p=19147 Peut-on créer un espace culturel romand? A travers l’histoire de la Conférence des déléguées et délégués cantonaux aux affaires culturelles (CDAC) se dessinent les enjeux d’un domaine souvent peu considéré des politiques et de l’administration. Naviguant parfois à vue dans les eaux complexes du fédéralisme, la CDAC a su poser les bases et dessiner les contours d’un nouveau paysage culturel.

«La Suisse n’existe pas», clamait l’artiste helvétique Ben en 1992. Que dire alors de sa culture et, a fortiori, des contours d’une culture romande distincte des autres régions? Anticipant son trentième anniversaire, la (CDAC) a confié au é貹ٱ𳾱Գ d’histoire contemporaine de l’Université de Fribourg la mission de se plonger dans ses archives pour retracer le chemin parcouru. Une rencontre célébrait la fin de ce travail le 11 octobre dernier.

«Ensemble, mais en respectant les spécificités régionales», résume dans son introduction la Conseillère d’Etat Sylvie Bonvin-Sansonnens. Fondée en 1993, la CDAC réunit les chefs des services de la culture des cantons romands, de la partie francophone du Canton de Berne et le Tessin en tant qu’invité, dans le but d’organiser une coordination culturelle à l’échelle de la Suisse romande. Leur travail? C’est «un métier récent qui a évolué ces dernières années avec les politiques culturelles cantonales. A la fois managers, concepteurs, fins tacticiens et traducteurs, ces chef·fe·s de service se trouvent à l’interface tant des besoins des acteurs et actrices culturel·le·s que des priorités des collectivités», explique Philippe Trinchan, chef du Service de la culture de l’Etat de Fribourg.

«Romandisme culturel»
L’histoire de la CDAC s’inscrit dans l’histoire culturelle nationale. Le domaine occupe la Confédération depuis sa création en 1848. «Longtemps étroitement lié aux valeurs de la défense nationale spirituelle, ce n’est que dans les années 1960 – 1970 qu’on assiste à un découplage de cette idéologie nationaliste et des milieux culturels de plus en plus critiques, poussés vers le changement par une nouvelle génération de créateurs·trices et de médiateurs·trices», explique le Professeur en histoire contemporaine Claude Hauser. Dans les années 1960, le mouvement contestataire place la culture au centre de son projet et l’on voit émerger de nouvelles institutions comme la Cinémathèque suisse, menée par Freddy Buache, ou le Festival de Locarno. Ces changements touchent en particulier le paysage romand à la pointe de cette restructuration de la politique culturelle. Claude Hauser n’hésite pas à qualifier les années 1970 d’«âge d’or du romandisme culturel». La politique qui l’accompagne reste cependant celle des petits pas. Comparant cette période avec celle de l’émergence de la Francophonie, le Professeur précise que ce renouvellement est principalement porté par les acteurs·trices et médiateurs·trices culturel·le·s, sans quoi le concept resterait «une simple coquille vide».


Claude Hauser, professeur en histoire contemporaine 

Certes, en 1975, la Commission Clottu publiait un rapport dressant un inventaire de l’offre et de la politique culturelle en Suisse. En écho à ces travaux, on assiste, au niveau de l’administration fédérale, à des tentatives de développer des activités culturelles et des structures pour soutenir la culture. Le débat public accueille quant à lui plutôt froidement les tentatives d’accorder plus de moyens aux politiques culturelles. Claude Hauser énumère: «Roland Ruffieux, par exemple, directeur de Pro Helvetia, s’est battu pour qu’on consacre un pourcent des recettes fédérales à la culture en 1986 – l’initiative est rejetée. En 1994, le peuple refuse d’inscrire un article qui donnerait des compétences culturelles à l’Etat dans la Constitution…» Bref, il faut attendre la révision de 1999 pour que la Confédération reçoive enfin la base constitutionnelle pour mener des politiques culturelles. «Dans la pratique cependant, regrette Claude Hauser, on aboutit à des politiques plurielles. Les critiques soulignent très vite le manque de coordination dû au fédéralisme, la multiplication des acteurs et une politique de soutien souvent qualifiée de l’arrosoir.» Si l’ancrage régional est salué, le système reste donc en partie insatisfaisant.

Subtile mécanique
C’est dans ce contexte de démocratisation du domaine qu’émergent les premiers contours encore flous d’un paysage romand de la culture et que la CDAC fait ses premiers pas «entre théorie et pratique, identité et territoire, concrétisation et frustration». Faustine Pochon, étudiante en histoire contemporaine, a consacré son travail de Master aux «mécanismes de cette Conférence qui se débat dans un pays fédéraliste où la culture est rarement synonyme de priorité». Ce niveau intercantonal vient se glisser entre le niveau cantonal et le niveau fédéral. La CDAC n’est d’ailleurs pas seule, puisqu’il existe quatre conférences intercantonales en Suisse qui se rejoignent au sein de la KBK (Konferenz der kantonalen Kulturbeauftragten) ou CDAC-CH (Suisse).


Faustine Pochon, étudiante en histoire contemporaine

La CDAC occupe rapidement un rôle de pont entre les différents acteurs – Office fédéral de la culture, Loterie romande, Conférence intercantonale de l’instruction publique de Suisse romande et du Tessin (CIIP)… – avec deux projets principaux: la construction d’un espace culturel romand et la professionnalisation des arts de la scène. Pas facile cependant de trouver sa place lorsqu’on représente deux minorités: la culture et la Romandie. Dans cette structure naissante, «certain·e·s directeurs·trices doivent pratiquement créer leur poste et se sentent parfois tiraillé·e·s entre politique et culture», explique Faustine Pochon. Et déjà, comme l’évoquait Philippe Trinchan, elles et ils doivent s’insérer dans une «mécanique de précision et d’imprécision, où tout est à construire en prenant en compte des revendications et des réticences».

Si l’obtention des moyens financiers représente toujours le plus grand obstacle, la CDAC doit cependant aussi jouer de diplomatie sur d’autres plans. Un exemple: la Loterie romande et Pro Helvetia se montrent des alliés financiers de taille. Leur présence dans de nombreux projets montre leur apport considérable. S’éveille alors la crainte des cantons et des milieux culturels de perdre leurs subventions au profit d’autres cantons ou d’autres disciplines artistiques.

La crise covid en révélateur
Peu à peu, la CDAC assoit son rôle en politique culturelle. Sa réaction face à la pandémie démontre sa volonté d’action. En 2020, elle augmente drastiquement le nombre de ses séances, passant de cinq réunions par année à une hebdomadaire. L’urgence fait sauter quelques barrières au niveau politique. La gestion mise en place «prouve l’importance d’une politique intercantonale qui sache tirer profit du fédéralisme tout en contrecarrant les obstacles qu’il suscite», relève Faustine Pochon. La période se révèle étonnamment productive pour l’avancée de la professionnalisation des arts de la scène. Visibiliser des problèmes force les autorités à se confronter aux difficultés du métier culturel et à trouver des solutions. Après avoir répondu financièrement aux difficultés de l’arrêt des activités culturelles, la CDAC et ses partenaires réfléchissent aux lendemains de la crise en amenant sur la table des projets de transformation et des sujets comme le portage salarial, l’insertion professionnelle ou encore la création de l’Observatoire romand de la culture. «Reste à espérer que la mémoire ne soit pas courte et que les arts de la scène en ressortiront plus forts».

L’étudiante souligne encore: «La lutte pour la légitimité renforce la CDAC qui, de toutes les conférences, semble être la plus dynamique. L’aspect social y est très important, ce qui lui donne l’image d’une Conférence solidaire». Il ne s’agit cependant pas d’un syndicat. Les services culturels ne peuvent pas créer la réalité artistique. Il est donc important que les milieux culturels se fédèrent pour ne pas tomber dans une approche trop top down.

Alors existe-t-il une identité culturelle romande? Bien que les cantons soient soudés, Faustine Pochon constate que la «cantonalité» reste très importante «avec une volonté de garder ses spécificités parfois plus forte que celle de faire rayonner une sorte de «super-culture romande». Donc, bien plus que d’une identité, on peut parler d’un espace culturel romand dans lequel évoluent les projets intercantonaux.

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Patrick Boucheron: un historien sous les feux de la rampe /alma-georges/articles/2023/patrick-boucheron-un-historien-sous-les-feux-de-la-rampe /alma-georges/articles/2023/patrick-boucheron-un-historien-sous-les-feux-de-la-rampe#respond Tue, 04 Apr 2023 07:12:20 +0000 /alma-georges?p=17968 Animateur radio sur France Inter et France Culture, intervenant dans la série documentaire Quand l’histoire fait date sur Arte, Patrick Boucheron est un personnage connu du paysage médiatique français. Il a dirigé la rédaction de l’Histoire mondiale de la France, un livre qui a suscité de vives crispations identitaire dans l’Hexagone. Invité par Matthieu Gillabert du é貹ٱ𳾱Գ d’histoire contemporaine, il était de passage à l’Université de Fribourg la semaine dernière.

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Finlande: les soubresauts de la Guerre froide /alma-georges/articles/2022/finlande-les-soubresauts-de-la-guerre-froide /alma-georges/articles/2022/finlande-les-soubresauts-de-la-guerre-froide#respond Wed, 02 Nov 2022 08:50:19 +0000 /alma-georges?p=16691 Décision historique, la Finlande renonce aujourd’hui à sa neutralité et se tourne vers l’OTAN. Les accords d’Helsinki avaient pourtant jeté les bases d’un dialogue entre les blocs de l’Est et de l’Ouest durant la Guerre froide. Un pan d’histoire parmi d’autres au menu de la «Semaine finlandaise», du 7 au 11 novembre à Fribourg.  

Si le conflit ukrainien renvoie aux heures sombres de la Guerre froide, il constitue un tournant majeur dans l’histoire de la Finlande. Ce pays nordique, qui partage 1340 kilomètres de frontière avec la Russie, a tourné le dos à sa neutralité avec sa demande d’adhésion à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Un renversement sans précédent pour cet Etat qui a longtemps constitué un pont entre l’Est et l’Ouest.

C’est dans la capitale de ce pays neutre qu’ont en effet été posées les premières pierres de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), plateforme de discussions Est-Ouest issue de la Guerre froide qui compte aujourd’hui 57 Etats membres, et qui reste l’un des rares espaces à réunir diplomates russes et ukrainien·ne·s.

Aujourd’hui souvent ignorée, voire mésestimée face à des institutions comme l’OTAN ou l’Union européenne, l’OSCE a pourtant joué un rôle important jusque dans les années 1990. A l’origine, il s’agissait de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), dont la phase préparatoire a commencé en novembre 1972 à Helsinki pour aboutir à un Acte final en août 1975.

Stéphanie Roulin | © Stéphane Schmutz / STEMUTZ.COM

Le premier pas de l’URSS
«Ces pourparlers interviennent dans une phase de détente entre les deux blocs», souligne l’historienne Stéphanie Roulin. Lectrice au é貹ٱ𳾱Գ d’histoire contemporaine de l’Université de Fribourg, elle organise avec le Professeur Matthieu Gillabert une «Semaine finlandaise» à l’occasion du 50e anniversaire des accords de la Conférence d’Helsinki.

Du 7 au 11 novembre 2022, plusieurs manifestations reviendront sur l’histoire de la Finlande, sur la neutralité, ainsi que sur le rôle des organisations non gouvernementales à la fin de la Guerre froide. Une histoire méconnue qu’il convient de relire à l’aune des récents événements en Ukraine, au moment où les fronts se durcissent entre Moscou, l’Europe et l’Alliance atlantique.

Au tournant des années 1970, c’est pourtant de l’URSS qu’est venue l’initiative d’une conférence avec les pays d’Europe de l’Ouest. «Moscou souhaite si ardemment que les frontières issues de la Seconde Guerre mondiale soient reconnues, qu’elle accepte la présence des Nord-Américains dans les négociations», précise Stéphanie Roulin.

Les trois «corbeilles»
A l’ouest du rideau de fer, en revanche, les préoccupations portaient surtout sur les libertés individuelles et les droits humains. Sur la possibilité, par exemple, pour un·e Allemand·e de l’Est d’être réuni·e avec sa famille en RFA, ou pour un·e croyant·e soviétique d’inculquer sa foi à ses enfants. Un souci partagé par la Suisse qui, comme le Saint-Siège, a intégré la CSCE dès le départ. L’historienne relève que «la Suisse souhaitait surtout voir le principe de neutralité inscrit dans les accords».

Il s’agissait de faire reconnaître cette posture politique sur la scène internationale de l’après-guerre, celle d’une Suisse «neutre» et «solidaire», celle «des bons offices». «Les accords d’Helsinki ont joué un grand rôle dans l’intégration de la Suisse au niveau international. C’était la première conférence paneuropéenne à laquelle elle prenait part de plein droit après 1945. Cela lui a permis d’être partie prenante aux conférences de suivi qui ont eu lieu jusqu’à la fin de la Guerre froide.»

Non contraignants, les accords d’Helsinki constituent une déclaration de dix principes, une feuille de route que les pays signataires n’ont pour la plupart pas toujours respecté. Ce «décalogue» se déclinait en trois thèmes, ou «corbeilles». A savoir les dimensions politique et sécuritaire, économique et de coopération et enfin, la dimension humaine.

Les ONG, caisses de résonance à l’Ouest
Moscou était loin de l’imaginer alors, mais cette dernière dimension des accords, celle des libertés individuelles, sera l’un des facteurs qui conduiront à la fin de l’URSS. Car dans les pays de l’Ouest, des organisations non gouvernementales œuvraient à relater et dénoncer les difficultés des dissident·e·s au régime communiste derrière le rideau de fer.

«Parmi ces organisations, certaines étaient ancrées religieusement et beaucoup étaient estampillées comme anticommunistes», explique Stéphanie Roulin. «Elles cherchaient à documenter scientifiquement et à dénoncer d’abord le sort des croyant·e·s, puis d’autres dissident·e·s dans les pays communistes.»

Des ONG comme Glaube in der zweiten Welt (G2W), basée à Zurich et toujours active, ou le Centre for study of religion and communism, à Londres, connu dès 1973 sous le nom de Keston College, collectaient, traduisaient et diffusaient des «samizdats», des écrits clandestins censurés à l’Est.

Fondée en 1977 par G2W avec le concours de l’ancien conseiller fédéral Rudolf Friedrich, la Schweizerische Helsinki Vereinigung (SHV) s’attachait au monitorage de la troisième corbeille des accords. Comme d’autres «groupes d’Helsinki» à l’Ouest, elle pouvait compter sur des appuis politiques à l’échelon national et des relais diplomatiques au sein de la CSCE. Ces groupes ont représenté une importante caisse de résonance des dissident·e·s de l’Est vers l’Ouest.

Pour l’historienne, il faut se garder d’une lecture binaire. «Ces groupes et ONG étaient sincères, mais certains étaient aveugles sur les contradictions dans les pays de l’Ouest. Ainsi, la Suisse défenseuse des libertés a pratiqué les placements administratifs jusqu’en 1981 – et que dire du traitement de minorités comme les Yéniches ou celui des objecteurs de conscience?»

Le temps des désillusions
Reste que ce travail des ONG dans les coulisses de la politique internationale a participé à la fin du bloc soviétique. «Les facteurs principaux de l’effondrement étaient économiques, avec des pénuries devenues endémiques à l’Est, mais les garanties en matière de libertés de penser et d’écrire devenaient importantes. Pour Moscou, c’était une question d’image face à l’extérieur.»

La chute du mur et ses suites conduiront à de grandes désillusions, à commencer par la guerre en Yougoslavie, précise encore l’historienne. Autre constat décevant, celui de l’incapacité de l’OSCE à prévenir l’escalade du conflit qui a conduit à l’agression de l’Ukraine par la Russie, celui de la faillite de la voie du dialogue, même si des échanges se poursuivent.

Guy Vinet, ancien fonctionnaire international de l’OSCE, relève qu’en attaquant son voisin, la Russie viole sept des dix principes des accords d’Helsinki: «le respect des droits liés à la souveraineté, la limitation de l’usage de la force, l’intangibilité des frontières, l’intégrité territoriale des Etats, le règlement pacifique des conflits, la non-intervention dans les affaires intérieures, la coopération entre les Etats et la libre détermination des peuples».

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Une maison des Amériques à Châtel-Saint-Denis /alma-georges/articles/2022/une-maison-des-ameriques-a-chatel-saint-denis /alma-georges/articles/2022/une-maison-des-ameriques-a-chatel-saint-denis#respond Mon, 17 Oct 2022 11:52:44 +0000 /alma-georges?p=16657 Une institution consacrée à la migration verra le jour dans le chef-lieu de la Veveyse en 2025. Celle-ci servira de lieu de mémoire à toutes celles et ceux touché·e·s ou intéressé·e·s par la migration, depuis la Suisse ou vers la Suisse. Entretien avec Claude Hauser, l’une des chevilles-ouvrières de ce projet et professeur d’histoire contemporaine à l’Unifr.

Claude Hauser, on connaît l’épopée de ces Fribourgeois·e·s partis en 1819 au Brésil pour y fonder la colonie de Nova Friburgo. Est-la raison pour laquelle vous souhaitez créer, presque 200 ans plus tard, une Maison des Amériques à Châtel-St-Denis?
Bien sûr, l’épopée de Nova Friburgo est un fait important dans l’histoire de l’émigration fribourgeoise outre-Atlantique, c’est un événement déterminant, et il reste fortement présent dans la mémoire collective des Fribourgeois·e·s. Martin Nicoulin et l’Association Nova Friburgo ont beaucoup œuvré pour cela. Mais la Maison des Amériques se veut grande, vivante et inclusive. Dans l’esprit de ses promoteurs, il s’agit d’un lieu-carrefour et d’un lieu de mémoire, ouvert à toutes celles et à tous ceux pour qui la migration, à l’exemple de celle vers les Amériques, fait résonner quelque chose: une expérience familiale, un écho répercuté par de lointains cousins, un questionnement sur le sens du départ définitif, de l’accueil, de l’échange et du métissage des cultures. En regardant par les fenêtres de cette maison, on distinguera aussi Baradero en Argentine, Punta Arenas au Chili, et tant d’autres lieux que des femmes et des hommes de Fribourg ont espéré comme des terres où vivre mieux, à défaut d’être des terres promises. Cela nous renverra aussi aux espérances de tant de migrant·e·s qui, aujourd’hui, peuvent voir en Fribourg et la Suisse une certaine idée de l’Amérique, entre Eldorado et havre de paix. C’est tout cela qui motive à créer une Maison des Amériques dans ce canton, ici et maintenant: un lieu tourné vers l’ailleurs et le futur, qu’alimente un riche passé!

Mais pourquoi Châtel-St-Denis et pas un lieu plus central?
Je serais tenté de répondre qu’en matière de migrations, il n’existe guère de centre ou de périphérie… Les déplacements de populations vers l’étranger amorcés dans le Canton de Fribourg dès le XVIe siècle, très nombreux outre-Atlantique au XIXe siècle, et encore effectifs jusqu’aux années 1970, se réalisent le plus souvent en réseaux, touchant des régions très variées et aboutissant dans certains cas à la création de nouveaux territoires, parfois créés ex nihilo. Sur le plan régional, il s’avère que la Veveyse, tout autant que la Gruyère ou la Glâne, a été le point de départ de plusieurs vagues de migrant·e·s de diverses conditions. Tournés vers l’horizon d’attente si lointain, mais si attractif, qu’ont pu représenter les Amériques, ces émigré·e·s se retrouvent dans chacune des communes de ce district. Quand on ajoute à cela que la Veveyse est le seul district du Canton de Fribourg ne comptant pas d’institution muséale, on comprend que l’implantation de la Maison des Amériques à Châtel-Saint-Denis apparaît comme une destination quasi naturelle…

L’Association Fribourg-Nova Friburgo, l’Association Baradero-Fribourg et les Amis suisses de Magellan sont impliqués dans le projet. C’est un focus très latino-américain, en somme?
Oui, la composante latino-américaine est importante, car elle réfère à trois vagues et destinations importantes de l’émigration fribourgeoise au XIXe siècle. Ce qui est aussi intéressant et motivant dans cette relation, c’est qu’elle a traversé des décennies et continue de vivre aujourd’hui au travers des associations mentionnées, mais aussi de nombreux parrainages, jumelages de formations et autres liens familiaux et de sociabilité qui mettent en contact des populations nombreuses. Ces échanges nourris par l’Histoire sont non seulement encore actuels, mais réciproques, ce qui en fait toute la richesse. Mais j’aimerais ajouter que l’Amérique du Nord, et le Canada en particulier, sont aussi concernés et appelés à habiter la future Maison. Au XIXe siècle, des Fribourgeois·e·s ont émigré par exemple vers le Manitoba, notamment à Notre-Dame de Lourdes où leur souvenir demeure vivace, sans compter les nombreux agriculteurs et agricultrices qui ont tenté leur chance sur les terres du Québec, à partir des années 1970. L’intérêt est fort au Canada pour cultiver ces liens historiques, comme le montre l’existence du réseau universitaire «Trois siècles de migrations francophones en Amérique du Nord», basé à l’Université Saint-Boniface de Winnipeg.

Plan de Nova Friburgo, archives du Canton de Vaud, Château de la Sarraz, Lettre de M. Langhans sur le Brésil

S’agira-t-il d’un musée? Que pourra-t-on y voir ou y faire?
La Maison souhaite avoir une dimension supplémentaire par rapport à un simple musée. Bien sûr, l’histoire des contacts et échanges entre Fribourg et les Amériques y trouvera une bonne place, qu’il s’agisse de documentation, d’objets, de recherches ou de rencontres internationales. Mais le lieu se veut un véritable carrefour culturel, qui permette aussi le dialogue continuel entre passé et présent. La Maison sera aménagée comme un endroit convivial, avec espaces intérieurs (salles à disposition et en location pour des formations, cafés, boutiques, places de jeux…) et extérieurs (jardins, espaces de rencontre, place des Amériques, etc.). La culture comme la gastronomie des différents pays concernés y seront mises en valeur, pour le grand bénéfice des visiteuses et visiteurs de divers horizons qu’on souhaite y accueillir.

Et au niveau académique, quelle est l’implication de l’Université de Fribourg?
L’histoire des migrant·e·s et des migrations s’inscrit dans le plus vaste domaine des relations culturelles internationales, une des spécialités de notre é貹ٱ𳾱Գ d’Histoire contemporaine. C’est dans ce sens que nous avons pu, l’an passé, travailler avec des étudiant·e·s à revisiter cette histoire de l’émigration fribourgeoise en Amérique latine sous l’angle de l’histoire des territorialités (pratiques et représentations du territoire), des études postcoloniales et de l’histoire environnementale. C’était très stimulant et les étudiant·e·s ont produit de très bons travaux assortis de posters synthétiques qui ont été exposés au public lors de cafés scientifiques. La recherche académique répond ainsi directement à la demande sociale autour de cette thématique. Elle est aussi interdisciplinaire et nous comptons bien organiser des conférences, ateliers et autres événements scientifiques avec d’autres collègues dans ce cadre nouveau de la Maison des Amériques, qui sera équipée pour les accueillir.

Est-ce que les étudiant·e·s pourront en profiter?
Nous y comptons bien: il est prévu que la Maison accueille de nombreux fonds d’archives et des ressources documentaires variées sur la thématique de la migration, tant vers les Amériques que plus largement. Du matériel plus facile d’accès qu’auparavant pour nos étudiant·e·s de l’Unifr, mais aussi pour des chercheuses et chercheurs d’autres pays, notamment d’outre-Atlantique, qui pourront y effectuer des séjours et y travailler, tout en présentant leurs travaux à un plus large public. Cette Maison se veut commune, ouverte à la réflexion et aux échanges culturels: cela devrait motiver les étudiant·e·s à la fréquenter!

Si tout va bien, quand est-ce qu’on pourra franchir les portes de cette Maison des Amériques?
La planification va bon train depuis une année: aujourd’hui se constitue à Châtel-Saint-Denis une Association La Maison des Amériques qui sera à même de porter le projet sur des fondations solides. Une étude de faisabilité a déjà été réalisée par Mégane Rime, conservatrice adjointe au Musée gruérien, durant l’année 2022, et l’idée rencontre l’intérêt et le soutien très souvent enthousiaste de divers milieux. C’est ce qui fait sa force. Les promoteurs de la Maison, regroupés autour de Christophe Mauron, directeur du Musée gruérien et initiateur du projet, envisagent une ouverture à l’horizon 2025. Il y a encore beaucoup d’énergie à déployer, mais la création d’un lieu de mémoire et d’échange vivant, ancré dans une région de Fribourg qui veut manifester son ouverture au monde est une motivation des plus stimulantes !

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  • Claude Hauser, professeur d’histoire contemporaine
  • é貹ٱ𳾱Գ d’histoire contemporaine
  • Sur le même thème: , café scientifique

Photo de une: Ancienne gare d’Helvécia dans l’Etat de Bahia, Brésil. © Christian Doninelli

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«Breaking the Silence» – Israelische Soldat_innen packen aus! /alma-georges/articles/2022/breaking-the-silence-israelische-soldat_innen-packen-aus /alma-georges/articles/2022/breaking-the-silence-israelische-soldat_innen-packen-aus#respond Mon, 14 Mar 2022 16:16:51 +0000 /alma-georges?p=15425 Vertreter_innen von «Breaking the Silence», eine Organisation von Veteran_innen, die seit Beginn der Zweiten Intifada im israelischen Militär gedient haben, haben es sich zur Aufgabe gemacht, die Öffentlichkeit mit der Realität des Alltags in den besetzten palästinensischen Gebieten zu konfrontieren. Was sie im Rahmen einer Veranstaltung an der Unifr berichtet haben, lässt sprachlos zurück.

Becca Strober trägt eine dunkle Hose, ein helles Baumwollhemd unter dem bordeauxroten Pullover, eine feine Schmuckkette. Sie ist freundlich, sympathisch. Während sie vorne am Redepult steht, wirkt sie eher wie eine Uni-Dozentin als jemand, die mehrere Jahre in der israelischen Armee gedient hat. Wenn sie über die Taten während ihrer Dienstzeit in besetzten Gebieten wie Hebron, eine Stadt 30 km südlich von Jerusalem, berichtet, sind die Zuhörenden im Vorlesungssaal erstaunt.

Von der Armee in die Bildung
«Wir müssen alles in unserer Macht Stehende tun, um die Sicherheit jüdischer Menschen zu gewährleisten», war Becca in ihrer Jugend überzeugt. Im Kontext einer zionistischen Bewegung aufgewachsen, wanderte sie im Alter von 18 Jahren nach Israel ein und diente daraufhin der Armee. Ihre Aufgabe: Andere für den Krieg vorzubereiten, ihnen den Umfang mit Waffen und das Schiessen beibringen. «Es ist von Prävention die Rede – ein positiv konnotiertes Wort. Prävention heisst, Attacken zu verhindern, bevor sie passieren, Menschenleben retten!» Die Realität ist allerdings, so stellte Becca später im Westjordanland fest, eine andere. «In den besetzten Gebieten geht es grundsätzlich darum, die palästinensische Zivilbevölkerung in ihrem Alltag zu kontrollieren», erklärt Becca. Die Massnahmen zur Kontrolle wurden mit der Zeit immer grossflächiger und aggressiver. «Wir wollen das Schweigen brechen und über die Gewalt reden, die wir diesen Menschen angetan haben und immer noch antun.» Dafür sammeln Becca und ihre Crew von der Organisation Breaking the Silence tausende von Testimonials, Momentaufnahmen, die man auf der Webseite der Organisation nachlesen kann. Früher Soldatin, heute Bildungsverantwortliche, sieht Becca die israelische Besatzung als grundlegendes, internationales Problem. Deshalb sei es wichtig, dass auch Universitätsstudierende einer Schweizer Universität erfahren, was vor sich geht.

«What the fuck am I doing here?»
«Auf den Strassen spielen die Kinder Besetzer und Besetzte, so normal sind die Durchsuchungen auf den Strassen geworden», sagt Becca und zeigt ein Foto. Sie erzählt, wie sich die Soldat_innen insbesondere junge Männer dafür rauspicken. «So geben wir ihnen das Gefühl, minderwertig zu sein. Wir wollen, dass sie verunsichert sind und sich geduckt halten.» Wie sollen sonst ein paar tausend israelische Verteidigungskräfte in einem Gebiet, in welchem 400’000 Israeli und zwei Millionen Palästinenser_innen leben, die keine Besatzung wollen, die Kontrolle behalten? «Um Präsenz zu zeigen, haben israelische Soldat_innen ein paar Strategien». Beispielsweise sogenannte flying checkpoints, vorübergehende und unangekündigte provisorisches Hindernisse, die von der israelischen Armee eingerichtet werden, um die Kontrolle der palästinensischen Bevölkerung über ihren Alltag zu untergraben. «Wir haben vom Commander häufig den Befehl erhalten, Autos anzuhalten und zu durchsuchen. Den Auftrag, etwas Bestimmtes zu finden gab es nicht.» Manchmal hiess es, man solle einfach alle Wagen herauswinken, die eine bestimmte Ziffer im Kennzeichen haben, z.B. eine 3. «Wir liessen auch Lastwagenfahrer glauben, dass wir nach Drogen suchen. Dabei ging es gar nicht um die Drogen, sondern potenziellen Drogendealern zu zeigen, dass wir aufmerksam sind.»

«Ich habe so oft gedacht ‘What the fuck am I doing here’?», sagt Ori Givati, Direktor für Advocacy von Breaking the Sicence. Auch er hatte erst die Vorstellung, sein Land und seine Leute vor grossen Gefahren schützen zu müssen und nicht, Zivilist_innen zu kontrollieren. «Die Commander haben sich nicht einmal die Mühe gegeben, die sinnlosen Missionen als relevant wirken zu lassen», regt sich Ori auf. In den meisten Fällen wüssten nicht einmal die Befehlshaber_innen, was sie da eigentlich tun. Wie auch? Gibt es denn eine richtige oder moralische Art und Weise der Okkupation? Becca bringt weitere konkrete Beispiele aus dem irren Alltag: «Hauptstrategien der Unterdrückung sind Verhaftungen, Hausdurchsuchungen und Einsätze bei Proteste.»

Verhaftung von Kindern als Terrorprävention
«Es gibt die special force units und die reguläre Infanterie», erklärt Becca. Verhaftet die Infanterie eine Person, wird sie zu den special force units gebracht. Was danach passiert, ist nicht mehr Angelegenheit der einfachen Soldat_innen. «Die meisten Verhaftungen sind sogenannte snack arrests», also Verhaftungen von allen möglichen unwichtigen und ungefährlichen Personen, darunter auch Kinder. Ein hinreichender Grund kann der Klau von Kugelschreibern sein. Auf dem Stützpunkt werden einige dieser Menschen geohrfeigt und erniedrigt, indem man Fotos von ihnen macht. Auf Terrorgruppen wird Druck geübt, indem man ihre Verwandten abführt. «Bei Massenverhaftungen holt man z.B. alle Männer aus ihren Häusern – mitten in der Nacht, während sie in Pyjamas schlafen.» Dann bringt man diese Männer weg, führt sie in Handschellen in irgendeine Schule und lässt sie dort warten. Grund für einen solchen Befehl kann sein, dass jemand Steine geworfen hat – aber es werden alle bestraft. «Es gibt zudem die mock oder fake arrests.» In diesem Fall inszeniert man Aktionen in Häusern, in welchen niemand wohnt, oder man holt mitten in der Nacht die Menschen aus ihren Wohnungen, nur um sie wieder reinzuschubsen. «So üben die Soldat_innen zu verhaften und die Bevölkerung, wie man verhaftet wird.»

Becca Strober und Ori Givati, Breaking The Silence

Hausdurchsuchungen
Bei den Hausdurchsuchungen werden vier Arten unterschieden. 1) Das Konfiszieren von Waffen, Geld und andere Dinge, die suspekt erscheinen. 2) Das Konfiszieren von Häusern, weil sie sich wegen der Sicht als Kontrollpunkte eignen. 3) Das mapping. Bei dieser Prozedur betreten die Soldat_innen ein Haus, nehmen die Daten der Familie auf, bringen sie dann in einen Raum, wo zwei Soldaten sie bewachen, während die anderen das Haus durchsuchen, es vermessen und kartieren. Sie schreiben auf, was sich im Haus befindet, wie gross die Räume sind usw. Den Soldat_innen ist klar, dass diese ganzen Daten im Papierkorb landen. Sie wissen auch, dass niemand in irgendetwas Illegales verwickelt ist. Die ganzen Notizen werden nicht einmal mehr an den Kompaniechef weitergeleitet. «Die Leute sollen sich verfolgt fühlen, eingeschüchtert sein», sagt Becca. 4) die straw widows, sprich die vorübergehende Inbesitznahme von Häusern aus militärischen Gründen. Vorübergehend kann ein paar Stunden, Tage oder gar Jahre bedeuten.

Proteste
Demonstrationen im Besatzungsgebiet sind regelmässig und normal. Proteste bedeutet aber, dass die Leute das Haupt erheben. «Das gilt es zu verhindern», erklärt Becca. «Die Leute sollen auf den Strassen am Vorwärtskommen gehindert werden.» Auch hier sind Massenverhaftungen üblich. Der Commander kann beispielsweise befehlen, zwölf junge Menschen zu verhaften, die irgendwie mit den Protesten in Verbindung gebracht werden könnten. «Einmal wurde ein Soldat ins Gesicht geschlagen. Es ging im gut, aber der Commander liess daraufhin den Bruder des Angreifers verhaften. Er war praktisch noch ein Kind.»

Doppelte Schikane
Die Schikane kommt aber nicht nur von den Soldat_innen. Auch einige israelische Siedler_innen zeigen sich aggressiv. Wenn sie die Palästinenser_innen mit Steinen bewerfen, sie sonst wie physisch attackieren, ihre Scheiben einschlagen, einbrechen und ihre Bäume zerstören, passiert einfach nichts. «Unsere Aufgabe ist nicht, sie auch zu beschützen», behauptet Becca nüchtern. «Die Palästinenser_innen in ihren privaten Räumen anzugreifen, bewirkt, dass sie sich verziehen.»

50 Jahre sind nicht mehr «temporär»
«Ich stehe heute hier, weil das alles keinen Sinn ergibt. Es gibt keine moralische Art der Kontrolle. Ohne Gewalt lässt sich niemand kontrollieren, der nicht kontrolliert werden möchte», stellt Becca fest. «Die ganze Situation ist nicht gerecht. Es geht aber nicht darum, eine Lösung dafür zu finden, sondern Unrecht zu reparieren. Und darüber zu reden gehört dazu.» Nicht alle sind darüber glücklich, das Veteran_innen wie sie oder Ori das Schweigen brechen. Vor allem zwischen 2015 und 2017 wurde «Breaking the Silence» zum Angriffsziel. «Wir wurden als Lügner_innen, anti-israel und antisemitisch bezeichnet. Manche konnten aufgrund von Morddrohungen nicht mehr ohne Sicherheitsleute unterwegs sein. Sie bekamen Anrufe mit Aussagen wie ‘Wir kennen den Namen deiner Tochter. Wir kennen den Namen deines Hundes …’», berichtet Becca. Und Ori ergänzt: «Wir leben immer noch nicht in einer demokratischen Gesellschaft». Beide stellen klar, dass sie nicht per se gegen das Militär sind, sondern gegen die Besatzungspolicy.

Wie weiter?
«Viele junge israelische Menschen wissen nicht einmal, dass es sich um eine Besatzung handelt», meint Becca. Ihr sei bewusst, dass es absurd klinge. Das sei aber nun mal das Resultat einer gut geölten Maschinerie in Medien und Bildung. Breaking the Silence informiert deshalb nicht nur im Ausland, sondern führt vor allem in Israel selber zahlreiche Informationsanlässe. Becca und Ori haben am Ende ihres Berichts noch eine Bitte an die Anwesenden: «Ihr habt eine Stimme! Sie wird gehört!» Okkupation sei ein internationales Thema. Auch Studierende an Schweizer Unis können Druck ausüben, um diesen Irrsinn zu beenden, indem sie Projekte wie Breaking the Silence finanziell fördern. «Niemand ist neutral, auch nicht ein Land wie die Schweiz. Wer nichts sagt, unterstützt das Unrecht.»

Breaking the Silence wurde von Diplomassistentin und Doktorandin Dominique Lysser am Departement für Zeitgeschichte eingeladen. Ermöglicht wurde dieser Anlass durch die enge Zusammenarbeit mit dem Forum für Menschenrechte in Israel und Palästina. Das ist ein Zusammenschluss von zwölf Nichtregierungsorganisationen, die sich für einen menschenrechtsbasierten Ansatz im Nahostkonflikt einsetzen.

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Auf Freiburgs kolonialen Spuren /alma-georges/articles/2020/auf-freiburgs-kolonialen-spuren /alma-georges/articles/2020/auf-freiburgs-kolonialen-spuren#respond Wed, 15 Apr 2020 08:17:07 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=10778 Drei junge Studentinnen erforschten kürzlich die koloniale Vergangenheit des Kantons Freiburg. Sie und Linda Ratschiller vom Departement für Zeitgeschichte erklären in unserer Reportage, warum uns das auch heute stark betrifft und die Diskussionen nicht aufhören dürfen. 

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«Ma place n’est pas ici!» /alma-georges/articles/2019/ma-place-nest-pas-ici /alma-georges/articles/2019/ma-place-nest-pas-ici#respond Wed, 12 Jun 2019 12:27:32 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=8830 Bellechasse fait partie des institutions helvétiques utilisées à des fins d’internements administratifs, un sombre pan de notre histoire nationale qui n’a pris fin qu’en 1981. Les centaines de lettres censurées retrouvées dans les archives de la prison fribourgeoise permettent de lever un coin du voile sur la vie des détenus.


«Je ne savais même pas qu’il s’agissait d’une prison. […] J’en savais moins qu’une criminelle.» Comme des milliers de personnes, l’auteure de ce commentaire a fait l’objet d’un enfermement administratif à la prison de Bellechasse. C’est-à-dire sans avoir commis de délit et sans autre forme de procès. L’établissement pénitentiaire fribourgeois fait partie des quelque 648 institutions utilisées en Suisse entre le milieu du XIXe siècle et 1981 pour interner des assistés, des rebelles, des prostituées, des alcooliques et autres mères célibataires. Afin de faire la lumière sur ce triste pan de l’histoire helvétique – qui n’a pris fin que dans la foulée de la ratification par la Suisse, en 1974, de la Convention européenne des droits de l’homme –, le Conseil fédéral a institué, en novembre 2014, la Commission indépendante d’experts (CIE) internements administratif, dont les travaux se sont achevés au printemps 2019.


En arrière plan, Anne-Françoise Praz écoutant la lecture des deux comédiens, Kaspar Locher et Anne Jenny.

Enfermées sans raison
«Le pire pour les personnes concernées, c’était de se retrouver enfermées alors qu’elles n’avaient commis aucun délit», explique Anne-Françoise Praz. La professeure en histoire contemporaine à l’Unifr et vice-présidente de la CIE s’exprimait devant un public venu en masse dans la salle du Nouveau Monde, à Fribourg, le 28 mai dernier, pour assister à la lecture par des acteurs de traces écrites d’internés. Celles-ci ont été retrouvées dans des procès-verbaux d’audition ou dans des lettres conservées dans les dossiers d’archives de Bellechasse. «‹Qu’as-tu fait pour atterrir ici?›, me demandent les autres», rapporte une victime d’enfermement abusif dans une missive, en ajoutant que ces «autres», eux, ont commis des crimes tels que des agressions sexuelles ou des actes de pyromanie. «Ma place n’est pas ici!», s’indigne-t-elle. Une fois internées à Bellechasse, ces personnes étaient à la merci du chef de l’établissement. «L’énorme pouvoir du directeur, c’est l’une des choses qui m’a le plus marquée à la lecture de ces lettres», commente Anne-Françoise Praz.

Lettres censurées
Dans le cadre de sa recherche sur Bellechasse, qui constitue en quelque sorte le volet fribourgeois des travaux de la CIE, la professeure de l’Unifr a eu accès à 1500 dossiers portant sur le XXe siècle. «Bellechasse est un cas intéressant, car il s’agissait d’un établissement multifonctionnel, qui accueillait également des détenus issus d’autres cantons. Par ailleurs, les archives y sont très bien conservées.» Les documents décortiqués dans le cadre de l’étude «sont des lettres censurées». Elles n’ont pas été expédiées à leur destinataire, parce qu’elles contenaient des éléments jugés problématiques, par exemple des critiques envers l’établissement. Ces missives permettent donc «d’écrire l’histoire de l’internement administratif du point de vue des internés» plutôt que de celui des autorités, relève l’historienne.

Décalage criant
Lors de l’événement organisé au Nouveau Monde, de généreux extraits de ces lettres ont été présentés au public dans leur langue originale, le français ou l’allemand. Parmi les thématiques récurrentes, on trouve la faim, évoquée par les détenus sur tous les tons, de l’ironie au désespoir. «Demander de la nourriture à la famille et aux proches était le but principal» de nombreuses missives, constate la vice-présidente de la CIE. Dans leurs courriers, les internés s’inquiètent aussi de leur état de santé. «Ma place, c’est à l’hôpital! […] Je suis malade», se désespère une détenue. «Je ne veux pas crever ainsi», écrit un homme enfermé pour alcoolisme à un médecin, précisant qu’il a contracté «une maladie dangereuse» à Bellechasse. «En guise de soins, je dois travailler 9 heures par jour avec une jambe raide. […] Il n’y a pas qu’à l’étranger qu’on se moque de la Convention européenne des droits de l’homme», s’offusque un autre détenu. Ce dernier n’est – de loin – pas le seul à pointer du doigt le labeur imposé aux internés: «La loi administrative est une exploitation de l’homme par le travail. […] On ne nous traite vraiment pas bien dans ce beau pays catholique», peut-on lire ailleurs. «Il y avait vraiment un décalage criant entre les buts affichés des internements administratifs et leurs effets réels», analyse Anne-Françoise Praz.

«J’attendais en pleurant»
Les détenus consacraient aussi une bonne partie de leur – maigre – ration de papier à l’être aimé. «J’attendais en pleurant ta réponse chaque jour. Que c’était long!», se plaint une personne. Une lamentation qui fait échos à des dizaines d’autres, les missives amoureuses faisant régulièrement l’objet de censure. «C’est l’une des constatations les plus marquantes issues de l’analyse des ego-documents de Bellechasse: la direction cherchait à contrôler les relations affectives des personnes enfermées, femmes en tête», rapporte l’historienne. Alors que certaines lettres particulièrement tendres ne parvenaient jamais à leur destinataire, d’autres, plus conflictuelles ou accusatrices, passaient entre les mailles du filet. «On tentait donc d’envenimer les relations avec le conjoint ou l’amoureux.»

Pas des victimes passives
Heureusement – et c’est l’une des autres conclusions principales des chercheurs –, les personnes en résidence forcée dans l’établissement pénitentiaire fribourgeois «n’étaient pas des victimes passives». Elles «utilisaient toutes sortes de stratégies pour se défendre, en jouant sur différents registres et en faisant appel à des réseaux parfois très denses», poursuit Anne-Françoise Praz. L’une de ces stratégies consistait à simuler la conformité. «Certaines détenues (enfermées pour liberté de mœurs, ndlr.) faisaient semblant d’accepter un mariage arrangé par la commune en échange de leur libération» et/ou de devenir de bonnes ménagères.» Quant aux hommes, ils promettaient de renoncer à l’alcool. D’autres encore tentaient de faire passer des missives vers l’extérieur malgré la censure et le manque de papier. «Nous avons notamment découvert une lettre écrite sur l’emballage d’une tablette de chocolat.» Un peu de douceur dans un monde de brutes bien mal récompensée: ce courrier n’a jamais atteint son destinataire.

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  • d’Anne-Françoise Praz
  • de l’événement
  • de la Commission indépendante d’experts (CIE)
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Le Printemps de Prague, 50 ans après /alma-georges/articles/2018/le-printemps-de-prague-50-ans-apres /alma-georges/articles/2018/le-printemps-de-prague-50-ans-apres#respond Thu, 24 May 2018 15:31:12 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=6479 Le Printemps tchécoslovaque a marqué l’histoire de l’Europe, de la Guerre froide et, plus encore, celle du communisme. Quelles en ont été les conséquences et quel est son héritage aujourd’hui? A-t-il sonné, vingt-et-un ans avant la chute du Mur de Berlin, le début de la fin du bloc soviétique? A l’occasion de leur venue à l’Unifr, Pavel Fischer, ambassadeur de la République tchèque, et Roman Krakovsky, historien de l’Europe centrale et orientale, enseignant à l’Université de Genève (Global Volg Institute), répondent aux questions d’Alma&Georges.

Le Printemps tchécoslovaque est généralement connu comme le Printemps de Prague, alors qu’Alexandre Dubček, qui en fut l’une des principales figures de proue, était slovaque. Comment interpréter cette ambiguïté?
Pavel Fischer: Les Tchèques habitent un espace de Kafka, célèbre écrivain pragois. Les langues importent, mais les références et la culture locale encore davantage. Cette ambiguïté n’a pas disparu. Elle est toujours la nôtre aujourd’hui: le Maire de Prague est une femme politique d’origine slovaque. Le Premier Ministre est slovaque d’origine lui aussi. Et l’homme de la rue a une raison de plus pour partager des blagues et faire face au quotidien.

Roman Krakovsky: En vérité, il ne s’agit pas d’une ambiguïté, mais d’une cohérence. Le Printemps de Prague est un mouvement de libéralisation qui concerne tous les domaines de la vie en société: on l’oublie parfois, mais ce mouvement a commencé par la prise de conscience de la nécessité de réformes économiques, au début des années 1960, alors que le pays était enfoncé dans une crise profonde. Les leaders communistes comprennent que pour améliorer le fonctionnement de l’économie, il faut d’abord pouvoir dire ce qui ne fonctionne pas: la première condition de la réforme économique est donc le relâchement de la censure, ce qui par contagion ouvre toute une série de sujets tabous (collaboration, shoah, transfert de près de 3 millions d’Allemands à la sortie de la guerre, procès politiques des années 1950 et stalinisme, etc.). La principale vertu de ce processus est que plus de liberté appelle toujours plus de liberté et que ce mouvement encourage la production artistique, activité qui sans liberté de penser serait condamnée à disparaître… Tout cela a un effet d’émulation sur toute la société, accélérant la libéralisation du Printemps de Prague. Un sujet qui remonte également à la surface à ce moment-là est  la question de la réorganisation des relations entre les Tchèques et les Slovaques dans un Etat commun. La nomination d’Alexander Dubček, un jeune Slovaque, au poste de Premier Secrétaire, en janvier 1968, est un signal politique fort indiquant que les relations tchéco-slovaques vont, elles aussi, être rediscutées.


Rue Obchodná (Bratislava, août 1968)

Dans notre esprit, 1968 demeure lié au mouvement étudiant et au changement de certains modes de vie et de rapports de pouvoir. Est-ce aussi le cas en République tchèque et en Slovaquie?
Pavel Fischer: Pas tout à fait. Les années 1960 ont porté un éthos de libération. La censure a cédé et a permis une expression plus libre. Les écrivains, les cinéastes ou encore le monde du théâtre et de la musique sont  alors devenus de puissants protagonistes des aspirations à une société plus humaine. Même s’il y avait toujours des victimes d’injustices et de représailles politiques. Malgré les ombres, au travers des dalles de béton, un espoir a pu percer. Cette quête s’est réalisée par opposition à un régime totalitaire. Or, le mouvement de mai 68 en France est né dans un contexte tout à fait distinct. A part le chiffre 68, il y a peu de similitudes.

Roman Krakovsky: En Europe occidentale, l’année 1968 entraîne des changements politiques et sociaux qui sont aux fondements de la modernisation des années 1970 (mouvement de libération des femmes et des gays, mouvement écolo, etc.) et qui inaugurent la période post-moderne, dans laquelle nous sommes encore aujourd’hui. Par ailleurs, il y a un lien direct entre 1968 et la suite. En Tchécoslovaquie, et plus largement en Europe centrale et orientale, 1968 est surtout une année de rupture, un véritable tournant dont les effets vont mettre plusieurs années à se manifester. L’écrasement du Printemps de Prague par les chars des armées du Pacte de Varsovie est une preuve ultime que le communisme est irréformable, car au moment précis où la nécessité de libéralisation économique et sociale entre en conflit avec la volonté de maintenir le contrôle politique, c’est le politique qui l’emporte. Cette prise de conscience prendra quelques années et sera proportionnelle au choc provoqué par l’intervention militaire des armées du Pacte de Varsovie. En 1978, le dissident polonais Adam Michnik résume la situation dans Le Nouvel évolutionnisme: «Au lieu de suggérer au pouvoir comment s’améliorer, […] un nouveau programme […] doit indiquer à la société comment agir.» Tout est dit: au lieu de réformer le communisme, il faut chercher la voie de sortie.


Discussion entre des protestataires et un conducteur de tank (Bratislava, août 1968)

L’échec militaire et politique du Printemps tchécoslovaque n’est-il pas aussi celui de la «troisième Ǿ», voire celui du «socialisme à visage humain»?
Pavel Fischer: Pour certains, c’est décidément le cas. Mais comme les fondamentaux n’ont pas été modifiés, la structure du bâtiment a subi les mêmes fissures structurelles. Humaniser un régime qui avait aspiré au communisme fut une illusion pure.

Roman Krakovsky: 1968 est une spectaculaire réussite militaire: l’arrêt, par une occupation armée et en quelques semaines seulement, d’un mouvement de réformes qui a mis près d’une décennie à naître. Mais c’est un échec politique pour les régimes communistes en place dont ils ne se remettront plus: le Printemps tchécoslovaque est écrasé par les «pays frères», alors que les populations de ces mêmes pays aspirent à la même libéralisation. Seules l’Albanie et la Roumanie refusent l’intervention, mais pas parce qu’elles soutiennent la réforme du communisme: en refusant de participer à l’opération militaire, elles souhaitent surtout affirmer leur souveraineté vis-à-vis de Moscou et développer leur «communisme national» qui, par certains côtés, est plus orthodoxe que celui de l’URSS. La convergence de ces échecs – le mouvement de réforme est arrêté en Pologne et en Hongrie, également au début des années 1970 – montre l’incapacité du communisme à se réformer, sous quelque modèle que ce soit. Il permet à ses adversaires et aux déçus dans les différents pays de l’Est de mieux s’identifier, de se retrouver autour du même constat d’échec et de commencer à réfléchir aux voies de sortie.


Officiers de l’armée soviétique

Quel fut l’impact du Printemps tchécoslovaque sur le mouvement communiste en général?
Pavel Fischer: Il faudrait demander à des membres du parti! Les chars d’assaut et les morts dans les rues ont bouleversé de nombreux communistes. Et quelle a été leur réaction? Soit ils sont restés fidèles aux idéaux et ils ont du prendre position pour rejeter l’invasion soviétique; soit, et ce fut le cas souvent en Tchécoslovaquie, ils ont compris que les temps ont changé et ils ont retourné leur veste, afin de pouvoir continuer à composer avec le régime et occuper des postes à responsabilité.

Roman Krakovsky: Dans le reste du monde, l’écrasement du Printemps de Prague montre, une ultime fois, que le socialisme est irréconciliable avec les libertés et que son refus de toute réforme lui laisse une seule voie à l’avenir, celle du déclin économique. Les grèves ouvrières du début des années 1970 en Pologne, contre la hausse des prix et la dégradation des conditions de vie au quotidien, soulignent l’incapacité du communisme à remplir sa principale promesse, celle de faire advenir des sociétés «plus justes et plus égalitaires». C’est même pire: il s’avère incapable d’assurer une vie décente aux populations. C’est la fin de la dernière grande idéologie moderne qui reposait sur l’idée de progrès. C’est aussi la fin du mouvement communiste en général et des partis communistes en particulier, à l’Est comme à l’Ouest de l’Europe. On entre désormais dans l’ère post-moderne, où l’avenir meilleur n’est plus un horizon d’attente. L’avenir, c’est le présent, voire le retour vers le passé, notamment avec la montée des populismes.


L’écrivain Dominik Tatarka (3e depuis la gauche) contestant avec d’autres opposants l’occupation de la Tchecoslovaquie sur le socle d’une ancienne statue de Staline (Bratislava, août 1968)

Peut-on affirmer, comme le font certains, que le Printemps tchécoslovaque a préparé la chute du Mur de Berlin ?
Pavel Fischer: Le Printemps de Prague n’a nullement été un événement unique. Faire le lien exclusif entre Prague 68 et Berlin 89 serait certainement beaucoup trop approximatif. Néanmoins, comme des protagonistes du Printemps de Prague ont eu des contacts avec, par exemple, Michaïl Gorbatchev, il y a effectivement une filiation à chercher. Mais elle n’est pas exclusive, à mon avis.

Roman Krakovsky: Oui, à condition d’inscrire le Printemps tchécoslovaque dans un mouvement plus large de délégitimation des régimes communistes, qui s’ouvre avec les premières manifestations de mécontentement, au début des années 1950: les révoltes agraires de 1950 à Bihać (Yougoslavie); les grèves ouvrières de 1953 à Plovdiv (Bulgarie), Plzeň (Tchécoslovaquie) et Berlin (RDA); les grèves polonaises de juin 1956 et la Révolution hongroise de la même année. Toutes ces remises en cause populaires des régimes communistes sont suivies de tentatives d’ajustement, suivant la chronologie et les spécificités nationales de chaque pays de l’Est. Mais toutes débouchent, au cours des années 1960, sur un compromis entre l’Etat et la société, une sorte de «contrat social» où le pouvoir s’engage à assurer aux populations une vie décente, voire une amélioration constante du niveau de vie en échange d’une complète indifférence politique. C’est alors que les pays de l’Est deviennent à la fois moins oppressifs et plus complexes. Le temps de l’élan «révolutionnaire» de la période stalinienne fait place au pragmatisme politique, mêlant adroitement le maintien du contrôle et son relâchement. Au passage, les pays centre-est européens affirment de nouveau leurs particularités nationales et défendent leurs intérêts propres, ce qui donne à cette période toute sa complexité.

En l’absence d’alternative et tant que l’Etat honore sa part du contrat et parvient, tant bien que mal, à assurer un quotidien supportable, les populations acceptent de remplir leur part du contrat et ne pas se mêler de la vie politique. La fin du cycle de croissance, à la fin des années 1960, et le refus de réformes, dont témoigne la suppression militaire du Printemps de Prague, brise ce fragile équilibre et provoque une sérieuse crise du contrat social dans les années 1970. Dans ce sens, le 1968 tchécoslovaque contribue à préparer la chute du Mur de Berlin, mais à condition de l’inscrire dans la valse des remises en cause et des ajustements au sein du bloc.


Soldat de l’armée du peuple tchécoslovaque (Bratislava, août 1968)

Existe-t-il un lien historique entre les événements de 1968 et la partition de la Tchécoslovaquie en deux, le 1er janvier 1993?
Pavel Fischer: Non, je ne le perçois pas. Mais comme l’avènement de la fédération tchécoslovaque a eu lieu en octobre 1968, l’émancipation de la Slovaquie était marquée par l’air du temps du Printemps de Prague. Comme la séparation a eu lieu 25 ans plus tard, il s’agissait d’une course de longue haleine.

Roman Krakovsky: La partition du pays, en 1993, se déroule dans un contexte complètement différent que les événements de 1968: le parti communiste n’a plus le monopole du pouvoir, les libertés sont rétablies et le pays s’est engagé sur la transition vers l’économie du marché. Pourtant, il y a un lien avec le Printemps de Prague. La fédéralisation du pays, introduite en 1969 sous la pression soviétique, est avant tout un outil de consolidation politique où le pouvoir cède aux demandes des Slovaques à plus d’autonomie en échange de leur acceptation du «rétablissement de l’ordre» qui suit la suppression du Printemps de Prague. Il s’agit d’une fédéralisation de façade, sans une réelle recomposition des relations entre les deux nations constitutives de l’Etat, assurant à chacune une participation égale à la gestion du pays. Lorsque le communisme tombe, le sujet de l’aménagement des relations tchéco-slovaques revient sur la table, mais, à ce moment, il manque des côtés tchèque et slovaque une volonté politique pour faire avancer les choses. Les deux leaders du moment, Václav Klaus et Vladimír Mečiar, décident de la scission pacifique du pays. Le fait que la dissolution de la fédération est actée sans consulter les populations (sous forme de référendum, par exemple) et surtout sans provoquer une vive réaction de leur part démontre que, puisque son introduction en 1969 n’était pas le résultat d’un compromis négocié entre les deux nations mais d’une décision pragmatique des hommes politiques de l’époque pour consolider leur pouvoir, elle pouvait être dissoute de la même manière: par en haut.


Devant la Faculté des lettres de la Comenius University dans la Rue Gondova (Bratislava, août 1968)

50 ans après, existe-t-il encore, en République tchèque et en Slovaquie, des «soixante-huitards», comme il en existe en Europe occidentale? Quel est l’héritage actuel du Printemps tchécoslovaque?
Pavel Fischer: L’idéal du 1968  praguois a été écrasé par les chars d’assaut. Ce traumatisme fut pénible à porter, car, ce faisant, le système soviétique a dévoilé sa nature cruelle. En parlant de «frères», il lamina à plusieurs reprises des mouvements d’émancipation vis-à-vis du Kremlin. Alors, oui, l’héritage resta pendant longtemps vibrant. Néanmoins, comme il y a un phénomène de renouvellement de génération, aujourd’hui, cela appartient beaucoup plus à l’histoire.

Roman Krakovsky: En Europe centrale et orientale, l’après 1968 est construit dans la rupture, voire dans l’opposition, au Printemps de Prague et aux autres tentatives de réformes qui l’ont précédé (notamment 1953 et 1956). Il n’y a donc pas de «soixante-huitards» comme il en existe en Europe occidentale. Les hommes politiques qui ont porté le mouvement de réforme tchécoslovaque des années 1960 sont écartés de la vie politique après 1969 et remplacés par une nouvelle garde d’opportunistes et de pragmatiques. Un processus d’épuration similaire se déroule également dans l’économie et la culture. Pendant la Révolution de velours de 1989, plusieurs figures de 1968 tentent de retourner à la vie politique. Alexander Dubček apparaît aux côtés de Václav Havel sur la place Venceslas à Prague, où il est accueilli par les applaudissements de la foule et comme un symbole de liberté démocratique. Mais lorsqu’il appelle les foules à poursuivre le travail entamé en 1968, il se trouve complètement en décalage par rapport aux attentes des manifestants qui ne sont plus, depuis au moins une décennie, dans la volonté de réforme du communisme, mais dans le désir d’en sortir.

S’il reste aujourd’hui un enseignement à tirer du Printemps tchécoslovaque, ce serait de se rappeler que l’amélioration du bien-être n’est possible qu’à condition de garantir la liberté d’expression, car il faut pouvoir critiquer les dysfonctionnements afin de les corriger. Il faut pouvoir dire les choses comme elles sont. Autrement dit, le langage de la vérité est indispensable pour avancer et cette vérité exige l’existence d’une liberté d’expression et d’un pluralisme, car c’est la meilleure façon de garantir le dialogue et la possibilité de s’associer les uns aux autres pour réinventer ensemble nos façons de vivre.

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  • La conférence , organisée par  , aura lieu le 29 mai à 10h15, au Boulevard de Pérolles 90, salle F 130.
  • Les photos – ©Ladislav Bielik  ont été mises à disposition par l’Ambassade de la République slovaque à Berne. l’image de une représente le négatif original de cette photographie emblématique.

 

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Etudes en terre inconnue /alma-georges/articles/2018/etudes-en-terre-inconnue /alma-georges/articles/2018/etudes-en-terre-inconnue#respond Thu, 29 Mar 2018 08:42:04 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=6140 L’Université de Fribourg et celle d’Osaka viennent de signer une convention d’échange. Afin de s’assurer que les étudiants japonais seront bien accueillis, la responsable des relations internationales de l’Université d’Osaka s’est fendue d’une furtive visite dans la cité des Zaehringen. Ses inquiétudes ont été balayées: chez nous, ses protégés seront comme des coqs en pâte!

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  • du Service de la mobilité internationale
  • de la Cité Saint-Justin
  • du Professeur Pierre-Yves Donzé
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