histoire contemporaine – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Wed, 04 Dec 2024 08:51:33 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 L’utopie conservatrice du «Réarmement moral» /alma-georges/articles/2024/lutopie-conservatrice-du-rearmement-moral /alma-georges/articles/2024/lutopie-conservatrice-du-rearmement-moral#respond Tue, 03 Dec 2024 14:32:11 +0000 /alma-georges?p=21557 Par essence, les thèses de doctorat ne sont pas vouées à devenir des best-sellers. Pour publier le fruit de son travail aux éditions AlphiL, Audrey Bonvin, aujourd’hui postdoctorante FNS au Département d’histoire contemporaine de l’Université de Fribourg, a dû se livrer à un méticuleux travail de réécriture. Elle en présentera le résultat, un livre intitulé L’Utopie conservatrice du«Réarmement moral», ce jeudi 5 décembre à la libraire L’Art d’Aimer à Fribourg.

«Tout·e chercheur·euse est un·e détective en herbe». En effet, dans le projet de recherche FNS à la base de ce livre, il faut admettre que tous les ingrédients nécessaires à ceux d’une enquête policière étaient présents dès le début. Un palace grandiose surplombant la Riviera vaudoise en guise de décor; un corps à disséquer, celui d’un mouvement politico-religieux international nimbé d’une aura de mystère. En guise de preuves à récolter, de riches fonds d’archives de nature diverses à croiser, provenant de 25 institutions, éparpillées entre la Suisse, le Royaume-Uni, les Etats-Unis. Il s’agissait d’identifier et d’expliquer le profil comme les mobiles des protagonistes principaux, qu’il s’agisse de sympathisant·e·s occasionnel·le·s issu·e·s de milieux d’élites provenant du monde entier ayant fréquenté le palace entre les années 1960 et 2000, mais aussi de prêter une oreille attentive à 26 témoins, les bénévoles ayant consacré leur vie au mouvement, prêt·e·s à partager leur propre version de «l’affaire».

Si le «rapport final» de cette affaire prend cette forme, c’est aussi grâce aux «petites cellules grises» d’autres personnages: nombre de collègues issu·e·s de diverses disciplines qui ont commenté au fil des années mes chapitres se faisant rapports intermédiaires. Que l’on ne s’y trompe cependant pas: le corps en question, celui du Réarmement moral, est loin d’être moribond, puisqu’il fêtera ses 80 ans d’existence en 2026 à Caux: le mouvement a simplement adopté un autre nom en 2001, celui d’«Initiatives et Changement».

Dans votre ouvrage, vous mettez en lumière un mouvement peu connu du grand public. De quoi s’agit-il?
Le livre retrace l’histoire d’un mouvement conservateur international implanté en Suisse depuis 1946 appelé «Réarmement moral». Il répond aux questions suivantes: Qui formait la nébuleuse de ce cercle porté par un réseau de bénévoles consacrant leur vie à «changer le monde»? En quoi consistait le contenu et les formes de sa pensée conservatrice? Comment qualifier ce qui ne fut ni un nouveau mouvement religieux, ni une organisation politique? Quelles furent ses activités et comment expliquer sa pérennisation? La période au cœur du travail est marquée par les deux bornes suivantes: 1961, année de décès de son fondateur, un pasteur américain, et 2001, année de l’adoption de son nouveau nom, «Initiatives et Changement» sous l’égide de celui qui était alors l’ex-président du CICR Cornelio Sommaruga (2001). Le prologue remonte tout de même au début du XXe siècle pour comprendre les racines de ce mouvement et comment il arrive en Suisse depuis les campus d’Oxford et de Cambridge…

A qui s’adresse ce livre, avatar de votre thèse?
Qui n’a jamais levé les yeux et admiré la façade de ce palace en passant la région de Montreux? Le livre se destine donc tout d’abord aux esprits curieux intéressés de savoir ce qui s’est tramé dans ces tourelles depuis 1946. J’ajouterais que, jusqu’ici, l’histoire du mouvement a été principalement écrite par des «insiders», ce qui a contribué à véhiculer une mémoire mythifiée. Or, toutes langues confondues, il s’agit de la première publication sur ce mouvement émanant d’une historienne sur cette période des années 1960 à 2000, avec du matériel jamais exploité (les archives viennent de s’ouvrir) et prenant en compte la parole des bénévoles. Mon approche s’appuie sur une histoire croisée et mobilise l’interdisciplinarité. Ainsi d’une part, historien·ne·s de la guerre froide, politologues, sociologues des religions mais aussi philosophes y trouveront, je l’espère, un fil sur lequel tirer pour leurs propres recherches. D’autre part, des épisodes variés retiendront l’attention du lectorat selon le thème de prédilection: un apport théorique sur la pensée conservatrice et l’utopie, mais aussi la scène musicale d’une jeunesse occupée à contrer la contre-culture des années 1960; l’analyse de discours de femmes antiféministes, ou l’ex-URSS.

Appréhender ce mouvement comme une étude de cas m’a permis de proposer cette idée d’«utopie conservatrice» comme outil d’analyse des milieux de centre droit. Il faut savoir que dans le champ des études sur les courants conservateurs, la majorité des travaux portent sur l’extrême droite, mais encore peu d’attention est portée sur les milieux centristes se prétendant n’être «ni de gauche ni de droite», cette fameuse Troisième Voie; et encore moins à l’analyse de leur discours. A ce titre, le Réarmement moral consiste en une étude de cas fascinante pour analyser à la fois les paradoxes de ce positionnement, qui se montre intenable sur la longueur, et les moyens mis en œuvre qui s’avèrent faramineux.

Et à l’heure où l’on assiste à un retour en force de l’extrême droite ainsi que la banalisation de son vocabulaire dans la sphère publique, décrypter les effets de celles et ceux qui refuseraient de se voir attribuer l’étiquette de politique, tout en œuvrant dans les faits pour la catégorie des dominant·e·s, est crucial.

Finalement, le livre revient sur le rôle de la Suisse en période de guerre froide, qui s’est fait ainsi depuis 1946 le quartier général d’un mouvement d’ampleur mondiale. Ce dernier, bien que se métamorphosant au fil des décennies, se trouve être un cercle dont le noyau décisionnel est composé d’hommes blancs anglo-saxons protestants issus de classes sociales privilégiées, dont le but est de faire adopter au monde entier leur références et leurs valeurs, et qui ont bénéficié d’appui considérable…

Après avoir travaillé plusieurs années sur une thèse: quel est votre sentiment quand vous tenez ce livre entre vos mains?
Le retravail d’un manuscrit de thèse en un ouvrage accessible pour le grand public implique d’alléger et de retravailler le manuscrit initial, en publiant sous forme d’articles ce qui est délaissé, en sélectionnant seulement quelques illustrations, en ajoutant des parties de contextes, en approfondissant des passages théoriques, en intégrant de nouveaux documents ou en pensant particulièrement la communication – ici avec l’exemple du soin accordé à la couverture, qui a été réalisée par la graphiste de mon choix, Vanessa Cojocaru. Même si c’est tout un processus de deuil, je suis heureuse de pouvoir tenir un produit physique dans mes mains qui a été repensé par rapport à la première version et d’avoir eu l’occasion de travailler avec un éditeur si efficace et rapide qu’AlphiL. Le livre est plus léger que la thèse… mais plus lourd que les numéros rassemblant mes articles. Le fait que l’ouvrage soit mis en open access sur le site de l’éditeur grâce au FNS en plus du format physique est enfin une importante plus-value pour la diffusion des résultats.

Votre éditeur a organisé plusieurs dates de vernissage, dont celle du 5 décembre à Fribourg. Comment vous préparez-vous à ce contact avec le grand public?
En fait, le vernissage du 5 décembre est une initiative commune émanant de la postdoctorante Aurore Müller et moi-même. Ma consœur a en effet travaillé sur les enfants placés dans le cadre d’une thèse soutenue à l’Université de Fribourg et la publication de son aura lieu en même temps.
Notre démarche est caractérisée par la volonté commune de restituer au grand public les résultats de manière accessible, de sortir de la sphère académique pour inviter dans un cadre convivial un public curieux d’en apprendre davantage sur une histoire croisée qui dévoile des pans contrastés de l’histoire suisse récente. Nous avons choisi cette librairie L’Art d’Aimer, nouvellement installée à la rue des Epouses 5, en raison de sa sélection pointue et spécialisée dans la question des luttes sociales et des études genre qui font écho à nos travaux. La présentation des ouvrages comportera donc plutôt des anecdotes personnelles autour de la production de ces monographies, suivie d’une discussion où nous encourageons le public issu de divers horizons professionnels à échanger. C’est de plus l’occasion d’illustrer concrètement la vision de la recherche que nous défendons: celle qui valorise le travail d’équipe, tant au niveau académique qu’avec les institutions de médiation pour transmettre ce savoir dans la Cité.
La thèse de doctorat a pour cible un public de spécialistes mais les résultats d’une recherche scientifique ont vocation à être diffusés, sans quoi la recherche perd sa raison d’être. Sans les subsides institutionnels, une recherche de cette ampleur n’aurait pas pu être réalisée, ni le livre voir le jour mais sans le rôle crucial des maisons d’éditions, des médias, des librairies spécialisées et l’intérêt du lectorat, pas de diffusion de cette connaissance à large échelle. Nous avons donc prévu de visibiliser ces deux ouvrages dans différents cadres et sous différents format l’année à venir.

Après cela, votre texte vivra sa propre vie en quelque sorte. Et vous quels sont vos projets?
Le fil rouge de mes recherches reste la socio-histoire des mouvements conservateurs contemporains, avec une focale sur les organisations internationales chrétiennes dont j’approfondis les différentes facettes puisque, depuis 2023, je suis postdoctorante FNS dans le cadre du projet L’antiféminisme en Suisse, 1971-2001: discours, pratiques et circulations transnationales dirigé par la PD Dr Pauline Milani, dans le cadre duquel je me focalise sur l’essor des réseaux antiavortements en Suisse. Outre les articles ou colloques prévus, j’ai eu la chance d’échanger cette année par exemple avec des spécialistes de l’UQUAM et du Centre d’histoire de Science Po Paris.

De plus, la santé publique constitue mon second pôle de recherches, avec une charge de cours sur les addictions à l’Ecole de médecine (Université de Lausanne) et une affiliation à l’Institut des Humanités en médecine du CHUV. Or, ces thèmes sont plus que jamais d’actualité – qu’il s’agisse des récents débats sur les droits reproductifs, le succès des droites ou celui des campagnes contre l’abus d’alcool de type «Dry January». Il est certain qu’il reste beaucoup à faire – et à publier – sur ces thèmes passionnants.

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Tourisme dans les Rocheuses: des Suisses premiers de cordée /alma-georges/articles/2024/tourisme-dans-les-rocheuses-des-suisses-premiers-de-cordee /alma-georges/articles/2024/tourisme-dans-les-rocheuses-des-suisses-premiers-de-cordee#respond Tue, 29 Oct 2024 13:58:13 +0000 /alma-georges?p=21153 Il y a 125 ans, la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique a fait appel à des guides suisses, afin de développer le tourisme dans les montagnes Rocheuses. Leur présence sur près d’un demi-siècle dans la région de Golden a laissé de nombreux vestiges, tels que le village d’Edelweiss ou des Walliser Stube. En collaboration avec leurs homologues canadiens, des historien·n·es de l’Unifr se sont penché·e·s sur ce pan d’histoire méconnu de ce côté-ci de l’Atlantique.

Non, les sujets de sa gracieuse majesté n’ont pas été les seuls inventeurs et catalyseurs du tourisme alpin! En Colombie-Britannique, des guides suisses, recrutés au tournant du siècle précédent par la Compagnie Canadian Pacific Railway, y ont si bien joué le rôle d’«ouvreurs» que la région compte aujourd’hui quelques-unes des stations de ski les plus prestigieuses du monde.
Cette histoire, aussi fascinante que méconnue, implique plusieurs générations d’alpinistes suisses qui, aux côtés de leurs homologues originaires d’autres pays, ont diffusé, non seulement au Canada mais aussi en différents lieux de la planète, leur pratique et leur expertise de la montagne, qu’elle soit sportive, technique, scientifique ou entrepreneuriale.

Photo: RE/MAX of Golden

Selon Claude Hauser, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Fribourg, ces «faiseurs de montagne» ont largement contribué à donner de la Suisse une autre image que celle d’un pays exclusivement alpestre et replié sur lui-même: «L’histoire de l’ascensionnisme mondial examiné par le bout de la lorgnette helvétique est une histoire d’ouverture, de grands espaces, d’échanges réciproques, ainsi que le récit de la prise en compte progressive de paysages d’exception qui sont autant d’espaces non seulement à conquérir, mais aussi à préserver, partager ou protéger.»

Conférence dans le cadre des 125 ans de la présence des guides suisses à Golden

Le 5 octobre dernier à Golden en Colombie-Britannique, Claude Hauser et les doctorant·e·s Lucia Leoni et Maurizio Raselli, accompagné·e·s de collègues de l’Université d’Edmonton en Alberta, ont été convié·e·s à faire part de l’état de leurs investigations lors d’un événement organisé par la Fondation Edelweiss Village et le Consulat suisse de Vancouver pour célébrer les 125 ans de la présence des guides suisses.

Claude Hauser, professeur d’histoire contemporaine

Claude Hauser, comment diable le Canadian Pacific Railway a-t-il eu l’idée de faire appel à des guides suisses pour développer le tourisme dans les Rocheuses?
La Canadian Pacific Railway (CPR), compagnie ferroviaire qui venait de relier le Canada «from coast to coast» en 1885, rêvait de développer une économie touristique dans les Rocheuses. «Si nous ne pouvons pas déplacer le paysage, nous devons déplacer les touristes», avait proclamé William van Horne, dirigeant du CPR. Mais à la suite de quelques accidents de montagne, la nécessité d’assurer la sécurité de ces touristes, issus d’une élite sociale, s’est vite imposée. Pour cela, on est allé chercher dans les Alpes les guides suisses dont l’expertise était reconnue à la fin XIXe, puisqu’ils avaient accompagné les Britanniques passionnés par la conquête des sommets de l’Oberland et du Valais. Le CPR les a donc engagés, au départ une trentaine, pour assurer le développement d’un réseau ascensionniste organisé, sécuritaire et attractif pour les touristes dans les Rocheuses, qu’on vantait comme un environnement montagnard représentant «50 fois la Suisse»: de quoi attirer les voyageuses et voyageurs du continent américain, et même de plus loin!

Qui étaient ces guides et que reste-t-il de leur passage?
La majorité était originaire de l’Oberland bernois, des environs d’Interlaken ou en provenance des vallées montagnardes toutes proches. Les plus connus d’entre eux provenaient de la famille Feuz, dont plusieurs représentants sont restés célèbres et se sont succédé au fil des générations dans les Rocheuses. D’autres sont arrivés du Valais également, comme Walter Perren originaire de Zermatt, connu pour son expertise en matière de sauvetage en montagne, mais aussi du Tessin, à l’instar de Bruno Engler originaire de Lugano.

Ces échanges semblent être inscrits dans la durée, jusque dans les années 1950.
Absolument! La longévité de cette expérience, qui est une histoire migratoire, explique que l’empreinte helvétique a été forte et durable. Il est intéressant de noter que, au départ, l’établissement des guides était saisonnier: ils retournaient en Suisse à l’automne pour faire un nouveau voyage vers les Rocheuses à chaque printemps. Le CPR craignait de ne pas les voir revenir — le risque du Heimweh malgré les bonnes conditions offertes. C’est pourquoi, il a organisé la construction à Golden d’un village destiné à les accueillir plus durablement, eux et leurs famille. C’est l’origine d’Edelweiss Village, un lotissement de chalets «de style suisse», construit sur les hauteurs de Golden au-dessus de la gare où s’arrêtaient les trains du CPR. En descendant sur le quai, les touristes pouvaient d’emblée voir ce «village suisse» abritant leurs futurs guides vers les sommets, garants de leur sécurité. Une opération de marketing réussie, autant qu’une entreprise de transfert de savoir et de technologie ascensionnistes de grande envergure!

Pourtant, le village a dû être sauvé grâce à une fondation. Est-ce que cela veut dire que ce projet était un échec?
Pas vraiment un échec, mais une entreprise qui a été critiquée et a perdu sa raison d’être au fil des décennies. Les guides suisses et leurs familles trouvaient parfois que l’architecture et le confort de leurs «chalets» de Golden n’avaient pas grand-chose à voir avec leurs demeures de l’Oberland. Le site d’Edelweiss Village était aussi éloigné du centre du village, les tenant un peu à l’écart, surtout quand le très long et rigoureux hiver canadien compliquait les déplacements. Avec la fin de la politique d’engagement sur contrats menée par le CPR dans les années d’après-guerre, la filière suisse s’est poursuivie avec moins de force et de constance et les réseaux se sont diversifiés, y compris pour l’établissement des immigré·e·s. Peu à peu le village a perdu ses occupant·e·s, certains bâtiments n’ont plus été entretenus, etc. C’est au moment où la mémoire historique de ces lieux a pris de l’importance, notamment pour la communauté suisse de l’étranger établie en Colombie britannique, en quête de racines et d’héritage culturel, qu’un mouvement s’est créé pour conserver et restaurer le village menacé de destruction.

Edmonton Swiss Men’s Choir

Aujourd’hui, que reste-t-il de ce village?
Grâce à la Fondation Edelweiss village, les fameux chalets ont pu être préservés de la vente et de la destruction, restaurés et offerts comme nouveaux lieux de villégiature aux nombreux touristes du XXIe siècle. L’héritage culturel que représentent ces chalets est aujourd’hui très apprécié par les Nord-Américains avides de patrimoine.

Hormis ces chalets, existe-t-il d’autres vestiges de cette «histoire suisse»?
En visitant la région, les touristes découvrent des sommets baptisés du nom de plusieurs guides suisses qui en ont ouvert la voie, peuvent goûter des spécialités au fromage dans les Walliser Stube de différents hôtels de la région, comme le fameux Château Lake Louise, ou constater que la technique de plusieurs téléphériques installés pour rejoindre aisément certains sommets des Rocheuses et profiter des domaines skiables est aussi d’origine helvétique…

Photo: Whyte Museum of the Canadian Rockies

Est-ce que les sports d’hiver sont, comme chez nous, le moteur du développement touristique?
J’ai, en effet, pu découvrir que l’expertise ascensionniste helvétique, comme d’autres d’ailleurs, était fortement liée à la diffusion des sports d’hiver et du ski en particulier, autre domaine particulièrement développé, on le sait, dans les montagnes suisses. Ces «traces parallèles» du ski et de l’ascensionnisme peuvent être observées dans l’histoire des échanges sportifs et touristiques entre le Canada et la Suisse, particulièrement à l’époque du boom économique et touristique d’après-guerre.

Ce que j’ai pu constater également, c’est que les experts helvétiques étaient polyvalents (connaissance technique de la montagne, scientifique de la neige et des avalanches, économique des moyens d’exploiter les ressources liées au tourisme, depuis l’hôtellerie aux remontées mécaniques, en passant par le développement de l’Héliski…) et que leur terrain d’action ne se limitaient pas aux Rocheuses. Nombre d’entre eux traversaient tout le Canada pour accepter des contrats dans les Laurentides, au Québec, ou encore dans le Manitoba, au centre du pays. Migrants à l’origine, ils demeuraient très mobiles sur le continent nord-américain. Enfin, dernier élément original que j’ai pu soulever, c’est que leur origine n’était pas exclusivement des vallées alpines. Plusieurs d’entre eux provenaient notamment de la plus modeste chaîne jurassienne, à l’image d’Emile Cochand, originaire de La Sagne, qui débarque du bateau en 1911 à Halifax avec une centaine de paires de skis, six bobsleighs et une vingtaine de luges de compétition! Ce champion de sports d’hiver va être une cheville ouvrière du développement des stations de skis installés à partir des années 1920 au Nord de Montréal.

Lucia Leoni, doctorante en histoire contemporaine

Dans le cadre de sa thèse, Lucia Leoni s’est penchée sur l’histoire de la photographie et du cinéma de montagne, en Suisse et au Canada. Elle a vite remarqué que certains des experts suisses de la montagne qui avaient franchi l’Atlantique étaient bien plus que de simples conquérants de l’inutile.

Lucia Leoni, parlez-nous de Bruno Engler, ce Tessinois à la trajectoire exceptionnelle.
Bruno Engler est un exemple précieux de photographe et de cinéaste de montagne qui a marqué les Rocheuses canadiennes. Né en 1915 à Lugano, il a immigré à Banff en 1939 comme l’un des derniers guides suisses engagés par le Canadian Pacific Railway pour son expertise en matière d’alpinisme et de ski. Il a été recruté spécifiquement pour former les soldats canadiens aux défis potentiels dans les montagnes pendant la Seconde Guerre mondiale. Sa famille à Lugano possédait un magasin de photographie et il est donc arrivé à Banff avec l’amour et la connaissance des montagnes, de la photographie et du cinéma. Il a commencé sa carrière de photographe d’abord pour des raisons financières: il pouvait gagner un peu d’argent en prenant des photos pour les parcs nationaux canadiens et d’autres agences. Il en va de même pour les films: sa familiarité avec les tournages dans les zones montagneuses fait qu’il a été très demandé.

[Bruno Engler], 1969, Whyte Museum of the Canadian Rockies, Bruno Engler fonds (V190/I/F/3/NA-28), whyte.org.

A tel point qu’il va même faire une carrière internationale!
Diverses sociétés de production canadiennes et américaines vont engager Bruno Engler en tant que caméraman, photographe et même en tant qu’acteur. Il travaillera, entre autres, pour Disney et avec des acteurs hollywoodiens tels que Paul Newman et Michael J. Reynolds. Avec ses magnifiques photographies et les nombreux films qu’il a réalisés sur les différentes stations de montagne et de ski du parc national de Banff, il a certainement contribué à promouvoir l’alpinisme, le ski et l’escalade dans les Rocheuses canadiennes. Quant à savoir si Bruno Engler, comme d’autres, avait une vision spécifiquement «suisse», je n’en suis pas certaine. Je peux seulement dire que lui comme d’autres de ses compatriotes immigrés se sont installés définitivement au Canada, avec un amour «pur» pour ces montagnes. Cela se reflète certainement dans la qualité des images et dans tout ce qu’ils ont apporté à la région. Leur «regard suisse» était et est toujours très respecté par les locaux, qui considèrent ces Suisses comme fondamentaux dans le développement de leur territoire.

Dans le cadre de sa thèse, Maurizio Raselli dresse quant à lui le portrait d’André Roch, le Genevois à l’origine de la première piste de ski à Aspen, l’une des stations les plus huppées du monde.

Maurizio Raselli, aujourd’hui, Aspen est l’une des Mecques mondiales du ski. Peut-on dire qu’André Roch a été un visionnaire?
Le fait qu’il soit un visionnaire ou non est passablement discuté. Il a certainement anticipé le développement du ski en tant que sport de masse aux Etats-Unis et il a vu et su mettre en valeur le potentiel d’Aspen. Cependant, je pense que, étant donné le succès que le ski avait déjà en Europe et l’intérêt qu’il suscitait parmi l’élite américaine, plutôt que de façonner l’avenir avec des visions qui dépassaient son époque, André Roch a pu et su surfer sur la vague. Le développement du ski aux Etats-Unis était souhaité par beaucoup depuis longtemps, afin que «les 8’000 Américain·e·s qui allaient chaque année dépenser leur argent en Europe restent aux Etats-Unis». Cependant, pour des raisons techniques, ce n’était pas si facile à réaliser. D’autres protagonistes ont su voir le potentiel d’Aspen et ont également investi du temps et de l’argent dans ce projet. Dès le début, ils ont parlé de l’avenir glorieux de la ville. Eux étaient, je crois, les vrais visionnaires.

André Roch est-il passé à la postérité à Aspen?
La plupart des gens ne savent probablement pas qui il est. Mais celles et ceux qui s’intéressent un peu à l’histoire locale, et ils sont nombreux ici, le connaissent très bien. D’ailleurs, son nom se retrouve à plusieurs endroits d’Aspen: une chambre d’hôtel porte son nom, une course de ski, une piste également, et même dans des endroits isolés, il y a souvent son nom en raison de son activité à cet endroit. Je dirais donc que dans certains milieux, oui, André Roch est très connu et, paradoxalement, beaucoup mieux ici que dans la région de Genève où il a grandi et où il demeure, me semble-t-il, pratiquement inconnu. Nul n’est prophète en son pays!

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  • sur le village Edelweiss
  • La mondialisation des Alpes
  • Claude Hauser
  • Photos: Claude Hauser (sauf mention contraire)
  • Image de titre: RE/MAX of Golden
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Epilogue pour des trésors glanés sur les cinq continents /alma-georges/articles/2024/epilogue-pour-des-tresors-glanes-sur-les-cinq-continents /alma-georges/articles/2024/epilogue-pour-des-tresors-glanes-sur-les-cinq-continents#respond Tue, 18 Jun 2024 11:46:55 +0000 /alma-georges?p=20436 Chassés en mars des prisons de Bulle où ils avaient trouvé un havre temporaire, les 2000 objets ethnographiques glanés par les premiers anthropologues de l’Université de Fribourg, dans des circonstances et selon des modalités à éclairer, ont finalement pu trouver un nouveau foyer. Après une angoissante période d’incertitude, les membres de l’Association Pro Ethnographica ont déniché des locaux adaptés au Marly Innovation Center. Alors que l’emménagement est en cours, Milène C. Rossi, présidente de l’association, et Hans Werhonig, membre du comité, ne cachent pas leur soulagement.

En décembre, nous vous avions rencontrés presque désespérés car les 2000 objets de votre précieuse collection risquaient de se trouver à la rue.
Nous ne dirions pas désespérés mais plutôt «embêtés». Au sein de Pro Ethnographica, nous travaillons toutes et tous bénévolement et nos disponibilités sont donc limitées. Devoir gérer cette situation en marge de nos emplois respectifs n’était évidemment pas très confortable. Cela dit, nous n’avons même pas eu le temps de nous faire du souci. Peut-être que nous étions même dans le déni!

Comment avez-vous réussi à débloquer la situation?
Nous avons frappé à de nombreuses portes, principalement à Fribourg, d’où viennent les membres du comité, ce qui a permis d’établir des contacts et de visiter des locaux sur place. Nous avons eu de multiples échanges très intéressants avec beaucoup de personnes qui se sont montrées très solidaires et nous ont donné de nombreuses pistes. Qu’elles en soient chaleureusement remerciées!

Et j’imagine que, pour corser le tout, stocker cette précieuse collection requiert des conditions particulières?
Il est vrai que nous avons des exigences bien spécifiques: il nous faut de l’espace, une certaine sécurité afin d’éviter les vols, des pièces dont la température et le taux d’humidité soient sous contrôle et facilement accessibles de surcroît. Tout cela à un prix abordable, bien sûr.

C’est donc ainsi que vous avez jeté votre dévolu sur le Marly Innovation Center (MIC)?
C’est David Da Cruz, l’un de nos collègues fribourgeois, qui nous en a suggéré l’idée. Il s’est avéré qu’Anne Lachat, l’une des membres de notre comité, connaissait très bien Jean-Marc Métrailler, le directeur du MIC. Hans Werhonig, Thomas Merz, Anne Lachat et Ming Liu Baier ont visité les lieux et le contact humain a fait le reste.

Ces locaux qu’occupait auparavant l’entreprise Ilford conviennent-ils au stockage des objets de votre collection?
Nous avons évalué les risques potentiels avec Valentin Boissonnas de la Haute-Ecole ARC de Neuchâtel. Grâce à son expertise, nous avons pu neutraliser les possibles dangers, tels que l’excès de lumière et la présence d’insectes indésirables.

L’argent étant le nerf de la guerre, le loyer est-il abordable?
Il est tout à fait abordable pour le nombre de mètres carrés à disposition. Rien n’est gratuit cependant et il est clair que la responsabilité d’une telle collection ne saurait reposer éternellement sur les frêles épaules de bénévoles. Nous avons notamment pu bénéficier de l’aide financière de l’Office fédéral de la culture et de la Loterie Romande pour un projet, mais nous explorons plusieurs pistes, dont celle de l’Université de Fribourg, où ont été stockés ces objets durant des décennies. Nous verrions d’un bon œil un coup de pouce de la part de cette dernière en échange d’un accès total à notre collection. Quant à l’argent des contribuables, nous préférons ne pas y avoir recours ou ne l’utiliser qu’avec une extrême parcimonie.

Et y a-t-il une nouvelle date butoir à partir de laquelle vous devrez à repartir?
Nous avons signé un bail pour une durée de 10 ans, ce qui est long et nous permettra d’éviter de retraverser une phase d’incertitude comme celle que nous venons de connaître.

L’histoire coloniale a le vent en poupe, avez-vous pu créer des synergies avec des chercheuses et chercheurs, notamment de l’Université de Fribourg?
Nous avons eu la chance d’avoir été invités à l’après-midi de présentations qui précédait le . Des étudiant·e·s y ont exposé leurs recherches menées sur les collections de Pro Ethnographica. Il nous semble que l’intérêt est là. C’est un bon signe. Nous encourageons vivement le corps enseignant et les étudiant·e·s à prendre contact avec nous car la collection doit vivre et ne pas rester dans ses boîtes, même si elles sont très jolies.

Certains objets sont très beaux et ont une grande valeur ethnographique. Le public non initié pourra-t-il également en profiter?
Tout le monde est le bienvenu. Il suffit de faire une demande à Pro Ethnographica. Nous organisons des visites pour des groupes jusqu’à douze personnes. Cela dit, il faudrait que nous puissions mettre des objets en valeur, mais installer des vitrines prendrait de la place et s’avérerait dispendieux. En dehors de nos locaux, nous avons établi des contacts avec de potentiels lieux d’exposition grâce aux recherches de Sylvia Hobbs, qui a travaillé pour nous. Nous souhaiterions également beaucoup que des étudiant·e·s mettent sur pied une exposition. Cela constituerait une excellente préparation à la vie professionnelle, par exemple dans le cadre d’un module d’histoire de l’art, d’anthropologie, de science des religions, de muséologie ou autre.

Pour finir, ces écueils ne vous font-ils pas regretter de vous être embarqués dans la galère Pro Ethnographica?
Sur le plan humain, nous sommes une très bonne équipe, ce qui permet des échanges ouverts et, surtout, d’affronter sereinement les difficultés. Les quelques désagréments passagers ne rendent que plus belle l’aventure Pro Ethnographica!

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  • Photo: © Stéphane Schmutz /
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Un dictionnaire en ligne des figures féminines suisses /alma-georges/articles/2023/un-dictionnaire-en-ligne-des-figures-feminines-suisses /alma-georges/articles/2023/un-dictionnaire-en-ligne-des-figures-feminines-suisses#respond Thu, 16 Nov 2023 12:50:38 +0000 /alma-georges?p=19291 Parce que les femmes représentent près de 50% de la population, mais qu’elles n’apparaissent que de manière confidentielle dans le Dictionnaire historique de la Suisse, Pauline Milani et Raphaëlle Ruppen Coutaz ont décidé de rédiger un dictionnaire sur l’histoire des femmes en Suisse. Son vernissage aura lieu le 22 novembre prochain. Rencontre.

Pauline Milani, quand vous est venue cette idée de créer un dictionnaire sur l’histoire des femmes en Suisse?
L’idée du Dictionnaire est née à la suite du cinquantenaire du suffrage féminin en 2021. L’Association Hommage 2021 avait réuni sur Internet 180 notices biographiques de femmes de tous les cantons ayant œuvré à l’égalité. Ces notices ont ensuite été intégrées au Dictionnaire historique de la Suisse. Celui-ci ne compte que 5% d’entrées concernant des femmes. Malgré les efforts récents pour augmenter leur nombre, elles restent peu visibles dans l’immensité de l’œuvre. Avec ma collègue Raphaëlle Ruppen Coutaz (Unil), nous avons décidé de continuer ce travail en développant un dictionnaire spécifique permettant de les mettre en valeur. Nous y avons ajouté une section d’articles thématiques plus longs.

Selon quels critères les femmes qui ont le droit d’y figurer sont-elles sélectionnées et par qui?
Les portraits offrent un panorama de l’expérience des femmes en Suisse à travers l’histoire. Ils portent sur des personnes décédées, ayant eu une importance dans l’histoire des femmes en Suisse, comme des anonymes dont le parcours éclaire un pan de cette histoire, pour autant que cela puisse être documenté. On peut également envisager d’intégrer des personnalités qui ont eu peu de liens biographiques avec la Suisse, mais dont l’action a été déterminante pour l’histoire des femmes en Suisse. Par exemple, la poétesse Audre Lorde, qui a donné plusieurs conférences en Suisse entre 1984 et 1988, n’a qu’un lien ténu avec ce pays, mais a eu une importance capitale pour la constitution des premiers collectifs de femmes noires en Suisse. Une telle figure pourrait tout à fait faire l’objet d’une notice.

Vous avez pour ambition d’y intégrer les femmes depuis l’Antiquité. Qui est la plus ancienne femme présente dans votre dictionnaire?
Il s’agit d’Hortensia von Salis-Gugelberg von Moos (1659-1715), une lettrée des Grisons qui a écrit en faveur de l’éducation des femmes et de leur droit à vivre de manière indépendante. La notice est issue du projet Hommage 2021 et a été rédigée par Silke Margherita Redolfi. Nous attendons avec impatience des notices portant sur des périodes plus anciennes!

Le projet va-t-il se poursuivre dans le temps?
Il s’agit d’un projet évolutif, que nous aimerions voir se développer grâce à la collaboration de collègues de toutes les universités. Une de ses particularités réside dans notre volonté de faire appel aux étudiantes et étudiants. Il y a de nombreux travaux qui sont menés sur l’histoire des femmes, mais ils ne sont que rarement publiés. Nous aimerions valoriser la recherche et l’enseignement sur l’histoire des femmes et faire remonter ainsi ces travaux au public. L’aspect de médiation, par la présentation de sources en ligne, est également important. Le Dictionnaire rencontre déjà un grand succès, et nous devons désormais trouver des financements pour assurer la traduction des notices.

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  • du dictionnaire, 22.11.2023, 17h00, Salle MIS-10 01.13
  • Pauline Milani
  • sur l’histoire des femmes en Suisse
  • Photo: Hortensia Gugelberg von Moos

 

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Dépoussiérer nos histoires coloniales /alma-georges/articles/2022/depoussierer-nos-histoires-coloniales /alma-georges/articles/2022/depoussierer-nos-histoires-coloniales#respond Sun, 18 Sep 2022 07:50:21 +0000 /alma-georges?p=16407 La Suisse ne possédait pas de colonies. Mais la vie de ses habitant·e·s n’en a pas moins été marquée par le colonialisme. Projet de public history, Colonial-local.ch met en lumière les traces qu’on en trouve dans le Canton de Fribourg grâce à un site internet qu’il veut interactif.

Mercenaires, missionnaires, émigré·e·s… les Fribourgeois·e·s ont aussi participé à écrire l’histoire coloniale. Le site internet met en lumière certains épisodes, invitant le public à livrer ses propres témoignages. «Notre projet vise à susciter le débat au sein de la population et à mieux connaître ce passé colonial, longtemps nié ou caché», indique Linda Ratschiller, postdoctorante auprès du Département alémanique d’histoire contemporaine de l’Université de Fribourg.

Image tirée de: Raymond Bachollet, Négripub. L’image des Noirs dans la publicité, Paris, 1992 Le chocolat offre un bon exemple de la position unique de la Suisse dans le projet colonial. Au cours du XXe siècle, le langage visuel évolue: les thèmes exotiques disparaissent pour laisser place à l’iconographie d’une Suisse idéalisée symbolisant le chocolat au lait. Le produit exotique – indissociable de la traite des esclaves – devient symbole national…

Avec deux collègues, Barbara Miller et Simone Rees, elle a lancé colonial-local.ch, un projet privé de public history. «A l’origine, il y a eu un séminaire que nous avons proposé à des étudiant·e·s de bachelor, en 2019, explique Linda Ratschiller. Les recherches portaient sur les traces coloniales qu’on pouvait rencontrer à Fribourg. Avec un objectif: monter une expo.»

Celle-ci s’est tenue dans les couloirs de Miséricorde. «Nous espérions ensuite nous déplacer dans le Canton pour montrer nos travaux hors du sérail universitaire, mais le Covid l’a empêché», poursuit l’historienne. La pandémie a, en revanche, incité les chercheuses à trouver d’autres canaux pour rendre publique cette thématique.

Ouvrir un dialogue
«Un site internet nous a semblé idéal pour créer un dialogue et pouvoir ajouter des histoires à mesure de nos avancées.» Certains des thèmes proposés lors de l’exposition figurent parmi ceux qu’abordent colonial-local.ch, notamment le volet concernant la colonie de Nova Friburgo, celui des zoos humains ou encore des chocolats Villars et Cailler.

Si, jusqu’au début des années 2010, l’histoire coloniale de la Suisse demeure quasi confidentielle, elle est désormais reconnue et davantage étayée par des travaux. Une grande partie de ces recherches restent cependant inaperçue du grand public. Le site offre une entrée en matière, éclairée par des sources, des illustrations et des photos.

A l’aide d’un blog, les trois historiennes espèrent non seulement élargir les archives et les connaissances sur les liens entre Fribourg et le colonialisme, mais aussi recueillir les voix des personnes qui sont encore aujourd’hui touchées par ce passé colonial, sous forme de racisme notamment.

Cette image appartient à la collection de posters de la Zürcher Hochschule der Künste.

Des sujets délicats
Les sujets traités sur colonial-local.ch exigent du doigté, comme par exemple les expositions d’ethnographie coloniale. Lors de celles-ci, des personnes non européennes étaient exposées comme dans un zoo. Devenues un phénomène de masse au XIXe siècle à travers l’Europe, elles ont commencé à disparaître après la Deuxième Guerre mondiale. «En Suisse, ces expositions ont perduré jusque dans les années 1960, souligne Linda Ratschiller. Ce n’est pas si lointain! Il s’agit de réactiver notre mémoire collective et dépoussiérer notre passé colonial.»

Mais pas question pour les trois historiennes d’utiliser des images montrant des personnes exhibées dans ces zoos humains. «Nous n’allions pas créer le buzz avec des éléments que nous dénonçons. Nous avons, au contraire, choisi d’expliquer pourquoi nous avons renoncé à ces photos.» Pour guider les visiteuses et visiteurs et les emmener plus loin dans leurs réflexions, le site colonial-local.ch propose aussi un . «Cela nous permet d’expliciter pourquoi certains mots ou expressions sont historiquement chargés et restent blessants pour une partie de la population.»

Miroir tendu
En évoquant ces thèmes sur leur versant historique, le projet souhaite évidemment questionner notre société actuelle. «Que disent ces récits de l’image que nous nous faisons des autres et de nous-mêmes? Comment le passé colonial influence-t-il la politique Suisse et notre vie quotidienne? Que dire, par ailleurs, du tourisme qui propose de visiter des favelas au Brésil ou des villages préservés en Asie?»

Conscientes qu’un site internet ne deviendra pas interactif sans promotion, les trois historiennes s’attachent à faire parler de leur projet. Après un café scientifique mis sur pied par l’Unifr au mois d’avril (retrouvez ici la discussion en vidéo), elles ont animé une table ronde en mai à l’occasion de la mise en ligne officielle du site. Le projet est aussi présent sur les pour élargir le débat.

«Nous avons également activé le milieu pédagogique, relève Linda Ratschiller. Un intérêt pour cette matière existe de la part des collèges et des CO, mais les enseignant·e·s souhaitent du matériel pédagogique supplémentaire pour pouvoir utiliser le site dans leurs cours.» Les discussions sont ouvertes pour voir si un partenariat peut être trouvé. «D’autres cantons nous ont aussi fait part de leur intérêt.»

Lent réveil de Fribourg
La Suisse et ses cantons urbains ont pris conscience de leur implication dans le colonialisme depuis quelques années déjà. Dans les cantons ruraux, le réveil semble moins évident. «Dans le cas de Fribourg, les traces concrètes sont rares, souligne Linda Ratschiller. Le Canton comptait peu de grandes familles bourgeoises engagées dans le commerce des esclaves.» Des réseaux de commerce qui concernaient plutôt les cantons protestants.

«L’implication du Canton est, en revanche, très importante dans les missions catholiques. Fribourg, par son université, occupait une place particulière dans le paysage suisse et mondial.» Ainsi, durant l’ère post-colonialiste qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale, l’Eglise invitait des étudiant·e·s du monde entier à Fribourg pour les influencer. «L’objectif était de former un monde postcolonial anticommuniste, poursuit la chercheuse. On croit parfois que Fribourg n’a pas sa place dans la géopolitique mondiale, mais quand on y regarde de plus près, on se rend compte que c’est faux.»

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  • Linda Ratschiller s’intéresse à l’histoire coloniale et à ses conséquences depuis son travail de Master en histoire contemporaine et sciences politiques. Terminé en 2011, il a été réalisé pour une part à Fribourg et pour l’autre à Stellenbosch, en Afrique du Sud. La chercheuse rejoint ensuite l’Université de Cambridge pour un Master en histoire et philosophie des sciences. De retour à Fribourg, elle s’intéresse ensuite à la Mission de Bâle, notamment à ses aspects médicaux, dans le cadre de sa thèse qu’elle termine en 2020. De 2014 à 2021, elle était la coordinatrice du programme doctoral intitulé «Migration and Postcoloniality Meet Switzerland».
  • Consulter le site
  • Image de Une: Voyage vers Nova Friburgo, issue de: Nicoulin Martin, , Fribourg 1981.
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Guerre en Ukraine – Lettres de là-bas /alma-georges/articles/2022/guerre-en-ukraine-lettres-de-la-bas /alma-georges/articles/2022/guerre-en-ukraine-lettres-de-la-bas#respond Wed, 25 May 2022 15:05:51 +0000 /alma-georges?p=15839 Lors de conflits armés, on entend haut et fort les voix politiques et on parle beaucoup des réfugié·e·s, mais qui écoute celles et ceux qui restent? Une exposition, visible du 20 mai au 3 juin dans nos bâtiments du Boulevard de Pérolles 90, donne à lire et à comprendre le quotidien des Ukrainien·ne·s au cœur de la guerre. Nataliya Borys, doctorante au Global Volg Institute de l’Unige, propose cette exposition en collaboration avec le Département d’histoire contemporaine de l’Unifr. Elle nous explique cette démarche.

Nataliya Borys, en quelques mots: quelle est la thématique de cette exposition?
L’exposition nous entraine à la découverte de témoignages de guerre au travers de lettres écrites principalement par des Ukrainiennes. Elles ont pour sujet la guerre, leurs sentiments, leurs espoirs et leurs secrets. Au début du conflit, nombre de ces personnes ont senti la nécessité d’écrire pour comprendre la guerre et exprimer leurs émotions: elles ont alors commencé à tenir un journal, à écrire sur les réseaux sociaux et à leurs ami·e·s pour partager leur effroi et leurs attentes. J’ai moi-même été submergée par les lettres de mes amis. Ces lettres sont touchantes: parfois tristes, parfois joyeuses. C’est ainsi qu’est né ce projet: donner l’opportunité aux Ukrainien·ne·s d’exprimer leurs préoccupations.

Qu’avez-vous voulu montrer?
La plupart des articles et conférences sur l’Ukraine se concentrent sur les réfugié·e·s et les dirigeant·e·s politiques. Un président a dit ceci, un autre cela. Ce que pense Poutine, ce que dit Zelensky. L’idée de cette exposition est de déplacer le focus du discours politique vers les Ukrainien·ne·s ordinaires, pour montrer ce qu’elles et ils ressentent à propos de la guerre. Celle-ci est survenue de façon brutale, personne n’était prêt·e psychologiquement. Soudaine et «absurde», comme la définissent les auteur·e·s de ces lettres, elle a été perçue comme injuste et irrationnelle. Nous avons voulu faire passer ces émotions et réflexions, telles qu’elles sont, sans filtre et sans tri.

Concernant la publication de certaines lettres au contenu plus délicat, j’ai demandé conseil à l’un de mes co-organisateurs. Celui-ci m’a répondu de manière très juste: «Même si je ne suis pas d’accord avec certain·e·s auteur·e·s, nous ne sommes pas là pour faire du politiquement correct. Nous sommes en Suisse ici, en sécurité. Je pense nous n’avons pas le droit de faire le tri. Les Ukrainien·ne·s ressentent la guerre comme ça, on peut les comprendre et nous devons leur donner cette opportunité de s’exprimer. On pourra analyser ces lettres plus tard. Là, immédiatement, la meilleure chose à faire est de publier les lettres de gens qui sont là-bas.»

Comment ces lettres sont-elles été rassemblées?
La sélection des lettres n’était pas une tâche aisée tant elles étaient nombreuses, touchantes, pleines d’espérance et d’accablement. On a parfois pleuré en les lisant. Certaines restaient optimistes, malgré les tristes nouvelles. De toute évidence, les femmes écrivaient des lettres beaucoup plus touchantes et sincères, tandis que les hommes restaient et restent silencieux. On se pose la question: pourquoi les hommes n’écrivent pas de lettres? N’ont-ils pas le temps? Ont-ils du mal à s’exprimer? Au final, nous avons décidé de ne pas faire de sélection, même si certaines lettres étaient «politiquement incorrectes». Donc, nous les avons publiées telles qu’elles sont, non censurées.

Qui a participé au projet?
J’en suis à l’origine. L’exposition a été montée à l’Université de Genève, puis grâce au soutien de Département d’histoire de l’Université de Fribourg, notamment à Claude Hauser, professeur d’histoire contemporaine, qui croyait à ce projet. De surcroît, Antonina Skidanova, historienne ukrainienne, a aussi été accueillie à l’Unifr en tant que la boursière Scholar at Risk, le programme qui permet aux chercheuses et chercheurs de continuer leur recherche, interrompue par la guerre. Antonina a aussi écrit une lettre, grâce à laquelle est d’ailleurs née l’idée de la faire venir en Suisse. En concertation avec le Professeur Jean-François Fayet, j’ai déposé un dossier qui a été accepté. Il n’était pas évident pour Antonina de venir en Suisse: sous les bombes, fuyant sa ville d’origine Kharkiv et prise de panique, elle a laissé ses papiers d’identité dans son appartement. «Comment va-t-on faire?» s’est-t-elle demandé. Courageuse, elle est retournée en ville, profitant d’une accalmie entre deux bombardements, et a récupéré ses papiers, y compris son passeport. Elle est arrivée sonnée à Fribourg.

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  • L’exposition «Lettres d’Ukraine» est en accès libre également pour le grand public, du 20 mai au 3 juin 2022 au rez-de-chaussée du Boulevard de Pérolles 90 (PER 21).
  • Rencontre et échange autour de l’exposition, jeudi 2 juin de 12h00 à 17h00
  • Département d’histoire de l’Unifr

 

 

 

 

 

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«Breaking the Silence» – Israelische Soldat_innen packen aus! /alma-georges/articles/2022/breaking-the-silence-israelische-soldat_innen-packen-aus /alma-georges/articles/2022/breaking-the-silence-israelische-soldat_innen-packen-aus#respond Mon, 14 Mar 2022 16:16:51 +0000 /alma-georges?p=15425 Vertreter_innen von «Breaking the Silence», eine Organisation von Veteran_innen, die seit Beginn der Zweiten Intifada im israelischen Militär gedient haben, haben es sich zur Aufgabe gemacht, die Öffentlichkeit mit der Realität des Alltags in den besetzten palästinensischen Gebieten zu konfrontieren. Was sie im Rahmen einer Veranstaltung an der Unifr berichtet haben, lässt sprachlos zurück.

Becca Strober trägt eine dunkle Hose, ein helles Baumwollhemd unter dem bordeauxroten Pullover, eine feine Schmuckkette. Sie ist freundlich, sympathisch. Während sie vorne am Redepult steht, wirkt sie eher wie eine Uni-Dozentin als jemand, die mehrere Jahre in der israelischen Armee gedient hat. Wenn sie über die Taten während ihrer Dienstzeit in besetzten Gebieten wie Hebron, eine Stadt 30 km südlich von Jerusalem, berichtet, sind die Zuhörenden im Vorlesungssaal erstaunt.

Von der Armee in die Bildung
«Wir müssen alles in unserer Macht Stehende tun, um die Sicherheit jüdischer Menschen zu gewährleisten», war Becca in ihrer Jugend überzeugt. Im Kontext einer zionistischen Bewegung aufgewachsen, wanderte sie im Alter von 18 Jahren nach Israel ein und diente daraufhin der Armee. Ihre Aufgabe: Andere für den Krieg vorzubereiten, ihnen den Umfang mit Waffen und das Schiessen beibringen. «Es ist von Prävention die Rede – ein positiv konnotiertes Wort. Prävention heisst, Attacken zu verhindern, bevor sie passieren, Menschenleben retten!» Die Realität ist allerdings, so stellte Becca später im Westjordanland fest, eine andere. «In den besetzten Gebieten geht es grundsätzlich darum, die palästinensische Zivilbevölkerung in ihrem Alltag zu kontrollieren», erklärt Becca. Die Massnahmen zur Kontrolle wurden mit der Zeit immer grossflächiger und aggressiver. «Wir wollen das Schweigen brechen und über die Gewalt reden, die wir diesen Menschen angetan haben und immer noch antun.» Dafür sammeln Becca und ihre Crew von der Organisation Breaking the Silence tausende von Testimonials, Momentaufnahmen, die man auf der Webseite der Organisation nachlesen kann. Früher Soldatin, heute Bildungsverantwortliche, sieht Becca die israelische Besatzung als grundlegendes, internationales Problem. Deshalb sei es wichtig, dass auch Universitätsstudierende einer Schweizer Universität erfahren, was vor sich geht.

«What the fuck am I doing here?»
«Auf den Strassen spielen die Kinder Besetzer und Besetzte, so normal sind die Durchsuchungen auf den Strassen geworden», sagt Becca und zeigt ein Foto. Sie erzählt, wie sich die Soldat_innen insbesondere junge Männer dafür rauspicken. «So geben wir ihnen das Gefühl, minderwertig zu sein. Wir wollen, dass sie verunsichert sind und sich geduckt halten.» Wie sollen sonst ein paar tausend israelische Verteidigungskräfte in einem Gebiet, in welchem 400’000 Israeli und zwei Millionen Palästinenser_innen leben, die keine Besatzung wollen, die Kontrolle behalten? «Um Präsenz zu zeigen, haben israelische Soldat_innen ein paar Strategien». Beispielsweise sogenannte flying checkpoints, vorübergehende und unangekündigte provisorisches Hindernisse, die von der israelischen Armee eingerichtet werden, um die Kontrolle der palästinensischen Bevölkerung über ihren Alltag zu untergraben. «Wir haben vom Commander häufig den Befehl erhalten, Autos anzuhalten und zu durchsuchen. Den Auftrag, etwas Bestimmtes zu finden gab es nicht.» Manchmal hiess es, man solle einfach alle Wagen herauswinken, die eine bestimmte Ziffer im Kennzeichen haben, z.B. eine 3. «Wir liessen auch Lastwagenfahrer glauben, dass wir nach Drogen suchen. Dabei ging es gar nicht um die Drogen, sondern potenziellen Drogendealern zu zeigen, dass wir aufmerksam sind.»

«Ich habe so oft gedacht ‘What the fuck am I doing here’?», sagt Ori Givati, Direktor für Advocacy von Breaking the Sicence. Auch er hatte erst die Vorstellung, sein Land und seine Leute vor grossen Gefahren schützen zu müssen und nicht, Zivilist_innen zu kontrollieren. «Die Commander haben sich nicht einmal die Mühe gegeben, die sinnlosen Missionen als relevant wirken zu lassen», regt sich Ori auf. In den meisten Fällen wüssten nicht einmal die Befehlshaber_innen, was sie da eigentlich tun. Wie auch? Gibt es denn eine richtige oder moralische Art und Weise der Okkupation? Becca bringt weitere konkrete Beispiele aus dem irren Alltag: «Hauptstrategien der Unterdrückung sind Verhaftungen, Hausdurchsuchungen und Einsätze bei Proteste.»

Verhaftung von Kindern als Terrorprävention
«Es gibt die special force units und die reguläre Infanterie», erklärt Becca. Verhaftet die Infanterie eine Person, wird sie zu den special force units gebracht. Was danach passiert, ist nicht mehr Angelegenheit der einfachen Soldat_innen. «Die meisten Verhaftungen sind sogenannte snack arrests», also Verhaftungen von allen möglichen unwichtigen und ungefährlichen Personen, darunter auch Kinder. Ein hinreichender Grund kann der Klau von Kugelschreibern sein. Auf dem Stützpunkt werden einige dieser Menschen geohrfeigt und erniedrigt, indem man Fotos von ihnen macht. Auf Terrorgruppen wird Druck geübt, indem man ihre Verwandten abführt. «Bei Massenverhaftungen holt man z.B. alle Männer aus ihren Häusern – mitten in der Nacht, während sie in Pyjamas schlafen.» Dann bringt man diese Männer weg, führt sie in Handschellen in irgendeine Schule und lässt sie dort warten. Grund für einen solchen Befehl kann sein, dass jemand Steine geworfen hat – aber es werden alle bestraft. «Es gibt zudem die mock oder fake arrests.» In diesem Fall inszeniert man Aktionen in Häusern, in welchen niemand wohnt, oder man holt mitten in der Nacht die Menschen aus ihren Wohnungen, nur um sie wieder reinzuschubsen. «So üben die Soldat_innen zu verhaften und die Bevölkerung, wie man verhaftet wird.»

Becca Strober und Ori Givati, Breaking The Silence

Hausdurchsuchungen
Bei den Hausdurchsuchungen werden vier Arten unterschieden. 1) Das Konfiszieren von Waffen, Geld und andere Dinge, die suspekt erscheinen. 2) Das Konfiszieren von Häusern, weil sie sich wegen der Sicht als Kontrollpunkte eignen. 3) Das mapping. Bei dieser Prozedur betreten die Soldat_innen ein Haus, nehmen die Daten der Familie auf, bringen sie dann in einen Raum, wo zwei Soldaten sie bewachen, während die anderen das Haus durchsuchen, es vermessen und kartieren. Sie schreiben auf, was sich im Haus befindet, wie gross die Räume sind usw. Den Soldat_innen ist klar, dass diese ganzen Daten im Papierkorb landen. Sie wissen auch, dass niemand in irgendetwas Illegales verwickelt ist. Die ganzen Notizen werden nicht einmal mehr an den Kompaniechef weitergeleitet. «Die Leute sollen sich verfolgt fühlen, eingeschüchtert sein», sagt Becca. 4) die straw widows, sprich die vorübergehende Inbesitznahme von Häusern aus militärischen Gründen. Vorübergehend kann ein paar Stunden, Tage oder gar Jahre bedeuten.

Proteste
Demonstrationen im Besatzungsgebiet sind regelmässig und normal. Proteste bedeutet aber, dass die Leute das Haupt erheben. «Das gilt es zu verhindern», erklärt Becca. «Die Leute sollen auf den Strassen am Vorwärtskommen gehindert werden.» Auch hier sind Massenverhaftungen üblich. Der Commander kann beispielsweise befehlen, zwölf junge Menschen zu verhaften, die irgendwie mit den Protesten in Verbindung gebracht werden könnten. «Einmal wurde ein Soldat ins Gesicht geschlagen. Es ging im gut, aber der Commander liess daraufhin den Bruder des Angreifers verhaften. Er war praktisch noch ein Kind.»

Doppelte Schikane
Die Schikane kommt aber nicht nur von den Soldat_innen. Auch einige israelische Siedler_innen zeigen sich aggressiv. Wenn sie die Palästinenser_innen mit Steinen bewerfen, sie sonst wie physisch attackieren, ihre Scheiben einschlagen, einbrechen und ihre Bäume zerstören, passiert einfach nichts. «Unsere Aufgabe ist nicht, sie auch zu beschützen», behauptet Becca nüchtern. «Die Palästinenser_innen in ihren privaten Räumen anzugreifen, bewirkt, dass sie sich verziehen.»

50 Jahre sind nicht mehr «temporär»
«Ich stehe heute hier, weil das alles keinen Sinn ergibt. Es gibt keine moralische Art der Kontrolle. Ohne Gewalt lässt sich niemand kontrollieren, der nicht kontrolliert werden möchte», stellt Becca fest. «Die ganze Situation ist nicht gerecht. Es geht aber nicht darum, eine Lösung dafür zu finden, sondern Unrecht zu reparieren. Und darüber zu reden gehört dazu.» Nicht alle sind darüber glücklich, das Veteran_innen wie sie oder Ori das Schweigen brechen. Vor allem zwischen 2015 und 2017 wurde «Breaking the Silence» zum Angriffsziel. «Wir wurden als Lügner_innen, anti-israel und antisemitisch bezeichnet. Manche konnten aufgrund von Morddrohungen nicht mehr ohne Sicherheitsleute unterwegs sein. Sie bekamen Anrufe mit Aussagen wie ‘Wir kennen den Namen deiner Tochter. Wir kennen den Namen deines Hundes …’», berichtet Becca. Und Ori ergänzt: «Wir leben immer noch nicht in einer demokratischen Gesellschaft». Beide stellen klar, dass sie nicht per se gegen das Militär sind, sondern gegen die Besatzungspolicy.

Wie weiter?
«Viele junge israelische Menschen wissen nicht einmal, dass es sich um eine Besatzung handelt», meint Becca. Ihr sei bewusst, dass es absurd klinge. Das sei aber nun mal das Resultat einer gut geölten Maschinerie in Medien und Bildung. Breaking the Silence informiert deshalb nicht nur im Ausland, sondern führt vor allem in Israel selber zahlreiche Informationsanlässe. Becca und Ori haben am Ende ihres Berichts noch eine Bitte an die Anwesenden: «Ihr habt eine Stimme! Sie wird gehört!» Okkupation sei ein internationales Thema. Auch Studierende an Schweizer Unis können Druck ausüben, um diesen Irrsinn zu beenden, indem sie Projekte wie Breaking the Silence finanziell fördern. «Niemand ist neutral, auch nicht ein Land wie die Schweiz. Wer nichts sagt, unterstützt das Unrecht.»

Breaking the Silence wurde von Diplomassistentin und Doktorandin Dominique Lysser am Departement für Zeitgeschichte eingeladen. Ermöglicht wurde dieser Anlass durch die enge Zusammenarbeit mit dem Forum für Menschenrechte in Israel und Palästina. Das ist ein Zusammenschluss von zwölf Nichtregierungsorganisationen, die sich für einen menschenrechtsbasierten Ansatz im Nahostkonflikt einsetzen.

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«Des écoliers ont été fichés!» /alma-georges/articles/2021/des-ecoliers-ont-ete-fiches /alma-georges/articles/2021/des-ecoliers-ont-ete-fiches#respond Thu, 11 Mar 2021 13:07:07 +0000 /alma-georges?p=13267 Parce qu’ils adhéraient aux thèses maoïstes ou tout simplement parce qu’ils se passionnaient pour la Chine et sa culture, des Suisse·sse·s se sont retrouvé·e·s dans le collimateur de la police fédérale. Dans son ouvrage intitulé Au-delà du rideau de bambou. Relations culturelles et amitiés politiques sino-suisses (1949-1989), Cyril Cordoba éclaire un pan méconnu de la Guerre froide.

A quels types d’activités culturelles (ou de propagande) s’est livrée la Chine en Suisse?
Il s’agissait, dès les années 1950, de représentations de l’Opéra de Pékin, de la distribution de documentation sur la Chine (brochures politiques, magazines illustrés, livres pour enfants), de la diffusion de films, ou encore de rencontres sportives (tennis de table, badminton, hockey). En raison de la mise sous tutelle idéologique de l’art et de la culture en Chine maoïste, mais aussi en raison du profond anticommunisme helvétique, toutes ces manifestations ont été largement disqualifiées par la Suisse comme étant de la pure propagande sans aucun intérêt.

"Bienvenue à nos amis suisses!"

«Bienvenue à nos amis suisses!»

Qui en étaient les agents?
Compte tenu de la méfiance des élites politiques, économiques et culturelles suisses face à ces activités, ce sont des groupes de personnes lambdas, intéressées par la Chine pour des raisons culturelles, politiques ou commerciales, qui ont développé, jusqu’aux années 1980, des échanges avec la République Populaire de Chine (RPC). Ces individus ont fondé des «associations d’amitié avec la Chine», dont le but était de faire connaître et apprécier ce pays avec lequel nous entretenions des relations diplomatiques, mais dont nous nous tenions à distance. Formées dans les années 1960, ces organisations ont attiré un peu plus de 1’500 membres à la fin des années 1970.

Article de l’Hebdo à propos de quelques célèbres maoïstes suisses

Article de l’Hebdo à propos de quelques célèbres maoïstes suisses

Ces associations d’amitié sino-helvétiques n’étaient-elles qu’un paravent à des activités plus idéologiques?
Dans mon livre, je démontre que ces groupes n’étaient ni totalement contrôlés par Pékin, ni véritablement engagés dans une relation d’ «amitié» (au sens commun) avec leurs interlocuteurs·trice·s chinoises. La RPC parlait surtout d’échanges «de peuple à peuple» pour signifier qu’elle court-circuitait les réseaux diplomatiques traditionnels pour interagir directement avec des populations étrangères. Les relations des «ami·e·s de la RPC» avec l’appareil de propagande chinois étaient certes asymétriques, mais les inflexions données aux associations d’amitié venaient surtout de quelques dirigeant·e·s militant au sein du Parti communiste suisse / marxiste-léniniste (PCS/ml), unique parti reconnu par Pékin en Suisse (1964-1989).

Dans le fond, la culture chinoise n’a-t-elle pas fasciné les Occidentaux depuis le voyage de Marco Polo? Où est la frontière entre simple curiosité culturelle et propagande politique?
Il n’y avait en effet pas que des raisons idéologiques de s’intéresser à la Chine. Pourtant, jusqu’à la fin des années 1970, la Suisse considérait quiconque entretenant des relations avec ce pays comme hautement suspect. Or, ni les étudiant·e·s souhaitant apprendre le chinois, ni les simples touristes, et encore moins les hommes d’affaire ne pouvaient être taxé·e·s de prochinois. Cette suspicion généralisée est à replacer dans le contexte de la Guerre froide, mais aussi dans celui de la Défense nationale spirituelle, qui a profondément marqué la culture politique et la politique culturelle de notre pays.

couverture de l’ouvrage des journalistes anticommunistes Friedrich Schlomann et Paulette Friedlingstein à propos des groupes maoïstes en Europe (1970

Couverture de l’ouvrage des journalistes anticommunistes Friedrich Schlomann et Paulette Friedlingstein à propos des groupes maoïstes en Europe (1970

Le cas échéant, en quoi le maoïsme s’avérait-il plus séduisant que le marxisme-léninisme soviétique?
Après la rupture entre l’URSS et la Chine au début des années 1960, Pékin a voulu s’imposer comme une alternative à la tête du mouvement communiste international. Les militant·e·s prochinois·es désignaient Moscou comme une puissance «révisionniste» vieillissante, ayant trahi l’idéal socialiste, tandis que la RPC, en tant que pays «non-Blanc», victime d’ «un siècle d’humiliation» aux mains des puissances européennes, semblait pouvoir inspirer les luttes anti-coloniales et anti-impérialistes à travers le monde, surtout dans le contexte de la guerre d’Algérie puis de la guerre américaine au Vietnam. Lors de la Révolution culturelle (1966-1976), qui a été présentée au monde comme «une révolution dans la révolution», Pékin semblait véritablement lutter contre la bureaucratisation et l’embourgeoisement de son propre régime. De plus, les fameux «Gardes rouges» paraissaient mener une lutte qui résonnait avec les revendications des mouvements sociaux de la fin des années 1960 et du début des années 1970. Mais comme beaucoup de militant·e·s l’ont découvert par la suite, la réalité était plus complexe.

Panneau réalisé par l’association Connaissance de la Chine Lausanne

Panneau réalisé par l’association Connaissance de la Chine Lausanne

Vous avez rencontré une vingtaine de ces anciens membres d’associations prochinoises. Vous ont-ils volontiers parlé?
Généralement, ces (ex) ami·e·s de la Chine se sont montré·e·s très ouvert·e·s et heureux-ses de pouvoir parler de leur engagement politique et/ou culturel en faveur de la Chine. Certain·e·s m’ont même confié des archives très riches, telles que des cassettes audios qu’elles et ils avaient enregistrées lors de leurs rencontres avec des Chinois·e·s en RPC. D’autres se sont montré·e·s plus réservé·e·s, et ont essayé de sonder mes opinions politiques ou de tester mes connaissances sur la Chine…. Ce sont généralement les militant·e·s impliqué·e·s dans les groupes les plus radicaux qui ont le regard le plus critique sur leur passé. Le Parti maoïste suisse (PCS/ml) fonctionnait de manière assez sectaire et a adopté des positions qui semblent aujourd’hui assez étonnantes, en faveur de l’énergie nucléaire et du service militaire obligatoire par exemple.

Que dire des Suisses qui sont partis en Chine, tels des «voyageurs du maoïsme»? Les autorités suisses craignaient-elles qu’ils se muent en agents du communisme? Y ont-ils été endoctrinés?
Avant que les voyages en Chine ne deviennent monnaie courante, un certain nombre de Suisses·ses se sont rendu·e·s en RPC au début des années 1960 pour y travailler en tant qu’«expert·e·s étranger·e·s» (une vingtaine en 1966). Il s’agissait pour eux d’enseigner le français/l’allemand, ou alors de corriger des textes traduits du chinois pour des journaux tels que Pékin Information ou La Chine en construction, destinés à l’étranger. Parce que ces citoyen·ne·s helvétiques revenaient enchanté·e·s de leur séjour dans un pays communiste, les services de renseignement suisses craignaient qu’ils aient subi un «lavage de cerveau» sur place et qu’ils ne représentent un danger de «5e colonne». On retrouve parmi ces voyageur·se·s les premier·e·s membres de associations d’amitié avec la Chine, qui souhaitaient surtout faire contrepoids aux informations très négatives données par les médias occidentaux sur la RPC.

Ces personnes étaient surveillées de près par la police fédérale!
On trouve aux Archives fédérales de Berne de très nombreuses «fiches de surveillance» consacrées aux activités prochinoises en Suisse. Parmi celles-ci, plusieurs exemples risibles concernent des personnes entrées en contact avec l’ambassade chinoise afin d’obtenir de la décoration pour un repas asiatique, ou des élèves préparant un exposé sur la RPC. Comme ma recherche s’inscrivait dans un projet de recherche financé par le Fonds National Suisse, j’ai pu accéder à la plupart de ces documents grâce à des autorisations spéciales. Mais il reste un certain nombre de dossiers auxquels l’accès m’a été refusé, en vertu de la protection des données des personnes concernées, car je n’ai pas pu fournir de preuves de leur décès.

La police fédérale n’était-elle pas elle-même victime d’un biais idéologique, presque maccarthyste?
Il apparaît en effet que les méthodes de la police fédérale, guidées par un anticommunisme assumé, s’avéraient assez inefficaces pour comprendre les agissements de la Chine (et de ses soutiens) en Suisse. Plusieurs ancien·ne·s militant·e·s m’ont affirmé avoir été témoins d’infiltrations, de «planques» ou de filatures très peu discrètes. En vérité, ces documents nous renseignent davantage sur l’anticommunisme et la xénophobie helvétiques que sur le maoïsme. Par ailleurs, il apparaît que parmi les visiteurs réguliers de l’ambassade chinoise à Berne, on retrouve de nombreux patrons de l’industrie horlogère, ainsi que les enfants de certains politiciens conservateurs, ce qui n’a pas manqué de placer les agents de police dans l’embarras. Il faut enfin souligner que cette surveillance n’avait rien de comparable avec le traitement réservé aux groupements d’extrême droite.

Cyril Cordoba, chercheur postdoc, auteur de l’ouvrage Au-delà du Rideau de Bambou. Relations culturelles et amitiés politiques sino-suisses (1949-1989)

Cette propagande via la culture se poursuit-elles aujourd’hui chez nous, comme semble le démontrer la fermeture de l’Institut Confucius de l’Université de Bâle en septembre dernier?
Depuis quelques années, les polémiques entourant les Instituts Confucius se multiplient en effet à travers le monde. En Suisse, des partenariats comme celui tissé en 2007 entre la ville de Bâle et Shanghai se poursuivent toutefois. En termes d’influence, il est aussi intéressant de se pencher sur la manière dont la Chine parvient aujourd’hui à tirer profit du pouvoir de frappe hollywoodien. En coproduisant des blockbusters tels que Transformers, Mission Impossible ou Iron Man, la RPC offre à ses stars et à ses produits une audience internationale et se présente sous son jour le plus positif. Ces procédés ne sont cependant pas non plus épargnés par la controverse, comme l’a récemment démontré le film Mulan.

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Image de Une: Association d’amitié genevoise en Chine (années 1970)

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Une histoire de la Suisse «made in Asia» /alma-georges/articles/2020/une-histoire-de-la-suisse-made-in-asia /alma-georges/articles/2020/une-histoire-de-la-suisse-made-in-asia#respond Mon, 08 Jun 2020 08:58:46 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=11116 Les études sur les relations entre la Suisse et l’Asie de l’Est ne datent pas d’hier, mais elles n’ont porté, pour la plupart, que sur les missions chrétiennes et la diplomatie, toujours d’un point de vue helvéticocentrique. Afin d’élargir le champs de cette historiographie traditionnelle, plusieurs chercheuses et chercheurs du Département d’histoire contemporaine ont participé au dernier numéro de traverse qui s’intéresse à des acteurs non-étatiques tels que des hommes d’affaires et des journalistes. Cette approche nouvelle permet d’aller au-delà de l’histoire officielle, celle des relations entre Etats, et de découvrir quelques destins exceptionnels.

Matthieu Gillabert, à quand remontent les premiers contacts entre la Suisse et l’Asie de l’Est?
On retrouve des échanges entre la Suisse et l’Asie de l’Est à partir du 17e siècle. Des jésuites suisses se trouvent alors en Chine. Par la suite, des marchands et mercenaires accompagnent les compagnies de commerce étrangères. Ce sont aussi des jésuites qui rapportent les premières informations sur le Japon. Mais la densité des échanges ne s’affirme qu’à partir de la moitié du 19e siècle par le biais de missions religieuses, des marchands et du développement des relations diplomatiques. C’est en 1868 que la première délégation nippone visite la Suisse. C’est donc aussi à ce moment-là que se développent des représentations réciproques.

En 1864, la Suisse, pays sans flotte militaire, parvient à signer des traités commerciaux avec le Japon, au nez et à la barbe de grandes puissances coloniales européennes. Comment a-t-elle fait?
Ce n’est pas tout à fait exact. D’abord, le premier envoyé suisse en 1861, Rodolphe Lindau, n’obtient aucun accord du gouvernement shogunal. Ensuite, la Suisse n’agit pas à l’insu des grandes puissances (depuis 1853, les Occidentaux forcent le Japon à l’ouverture), mais profite plutôt du développement des relations commerciales entre l’Europe et l’Extrême-Orient. Le ministre plénipotentiaire suisse, Aimé Humbert, participe aux négociations sur l’ouverture des ports japonais aux Occidentaux: il joue sur plusieurs tableaux, au profit des horlogers, du Conseil fédéral, et des Occidentaux. Si cette histoire est déjà connue, l’apport de notre numéro réside dans l’intérêt porté aux partenaires asiatiques. La trajectoire du marchand suisse Hermann Siber Siber décrite par Alexis Schwarzenbach montre qu’on ne peut comprendre son succès commercial dans le domaine de la soie qu’en prenant en compte son insertion dans les milieux d’affaires japonais.

On voit que ce sont avant tout les industriels suisses qui ont poussé les autorités à créer des représentations diplomatiques au Japon. Quelle a été leur motivation?
Le réseau diplomatique suisse est très limité au 19e siècle et ce jusqu’à la moitié du 20e siècle, alors que l’industrie d’exportation est en pleine expansion. Les milieux économiques ont surtout intérêt à développer un réseau consulaire, c’est-à-dire des avant-postes capables de défendre les intérêts matériels des compagnies dans des territoires éloignés. Les consuls sont recrutés hors de la carrière diplomatique; ils appartiennent eux-mêmes aux commerçants intéressés par ces régions.

Est-ce que d’étudier les relations économiques entre la Suisse et l’Asie de l’Est permet de jeter un regard neuf sur l’articulation entre élites économiques et pouvoir politique en Suisse?
La politique étrangère de la Suisse en Asie au 19e siècle est presque exclusivement au service des intérêts commerciaux. En cela, la cohabitation du politique et de l’économique tend à l’union de fait. Je dirais que le nouveau regard de ce numéro de traverse porte plutôt sur les réseaux des Suisses sur place, les collaborations avec les puissances impériales et avec les autorités locales.

Cela dit, le volume des échanges commerciaux entre la Suisse et l’Asie de l’Est reste longtemps modeste, au moins jusqu’à la fin du XXe siècle.
Par rapport aux échanges avec nos voisins, l’Asie reste modeste. L’engagement suisse est plutôt précoce, ce qui s’explique par son industrialisation et son économie d’exportation, mais les volumes d’échanges sont faibles. Ils augmentent toutefois au tournant des années 1990, dans le contexte de la globalisation des échanges et de la division mondiale du travail. L’article de Pierre-Yves Donzé dans ce numéro sur Nestlé invite à ne pas regarder uniquement l’aspect quantitatif, mais aussi l’expérience que la multinationale helvétique fait au Japon. En particulier, sa capacité à localiser le développement de produits a été reproduite ailleurs: le Japon fonctionne ainsi comme un laboratoire de la globalisation de l’entreprise.

La présence suisse en Asie n’est d’ailleurs pas que d’ordre économique, un homme d’affaires suisse, Richard von der Crone, a connu un destin assez singulier à Shanghai.
Sa destinée est hors du commun, comme le montre Julian Wettengel. Richard von der Crone est un commerçant suisse qui devient membre du Conseil municipal de Shanghai en 1941 sous les autorités japonaises, et qui parvient à se maintenir sous les autorités chinoises, tout en collaborant avec le CICR. Ces intrications entre plusieurs activités et l’imperméabilité aux changements de régime posent des questions importantes sur la capacité d’élites coloniales à se rendre indispensables. Le fait d’être suisse semble apporter un atout supplémentaire pour participer à ces collaborations «transimpériales» avec des ressortissants d’autres puissances occidentales.

La relation entre la Suisse et l’Asie de l’Est n’est pas univoque. Les Japonais et les Chinois viennent aussi chez nous, en particulier pour des raisons touristiques.
C’est bien l’objectif de ce numéro, montrer qu’il n’y a pas une expansion occidentale vers l’Asie, ni des Suisses qui partent explorer ces régions exotiques, mais qu’il y a des échanges et des représentations sur la Suisse produites par les Asiatiques qui l’ont côtoyée. Au 19e siècle, des délégations japonaises se rendent en Suisse et leurs écrits montrent une certaine fascination pour la montagne. Elle se traduit par l’arrivée des premiers alpinistes nippons, comme Yuko Maki qui gravit le Cervin en 1921.

Le texte chinois dit: «Légende dans les Alpes. Neige, glace et vie de luxe». (Christoph Niermann, 2013. Tourismusorganisation Engadin St. Moritz.)

Au Japon, la figure de Heidi – le roman de Spyri est traduit en 1920 et l’héroïne est popularisée par le dessin animé d’Isao Takahata en 1974 – joue un rôle central dans l’imaginaire lié à la Suisse et dans la propagande touristique. En Chine, l’image de la Suisse «jardin du monde» domine, illustrée par des peintres traditionnels. Rappelons que, même si les Japonais viennent depuis les années 1950, comme le montre Laurent Tissot, et les Chinois depuis les années 1980, la Suisse reste souvent une étape de voyage sur le continent européen.

Vos recherches ont été publiées dans le dernier numéro de la revuetraverse.Qu’apportent-elles de nouveau sur ce que l’on sait des relations entre la Suisse et l’Asie de l’Est?
Cette publication montre la variété des acteurs et actrices suisses et asiatiques dans le développement de réseaux pendant la période contemporaine et permet donc de s’éloigner d’une histoire institutionnelle et helvético-centrée. Ces acteurs et actrices – marchands, reporters, missionnaires, diplomates, etc. – sont également au contact avec d’autres individus européens, ce qui permet de montrer que la Suisse participe pleinement à l’essor des échanges que l’on voit entre l’Europe et cette région à la fin du 19e siècle.
Enfin, nous démontrons que l’Asie a contribué à moderniser la Suisse: elle fonctionne comme un laboratoire qui a stimulé la globalisation du pays sur le plan culturel, diplomatique et commercial. L’article de Claude Hauser rappelle que, chez nous, la question environnementale est fortement influencée par des reportages sur l’Asie. Ce numéro est une tentative d’écrire l’histoire de la Suisse de l’extérieur, mais il a également pour ambition de stimuler de nouvelles recherches. Nous n’y avons que peu abordé la question du genre. Or, il faut se demander l’impact de l’interculturalité et les conditions de vie dans un pays lointain sur les rapports entre les sexes.

L’écueil des langues

D’emblée, on suppose que la langue est un écueil de taille pour les historiens qui souhaitent étudier les relations entre la Suisse et l’Asie de l’Est?
Oui, c’est clairement une difficulté qui doit faire réfléchir sur le potentiel, mais aussi les limites de l’histoire globale. Le risque est grand que l’histoire continue de s’écrire à partir des documents écrits dans des langues dominantes. A côté de la langue, l’accès aux archives est également un problème majeur.

On savait que le Département d’histoire contemporaine s’intéressait à la Russie et au Japon; depuis quand a-t-il élargi le champ de ses recherches à la Corée, à Taïwan et à la Chine?
En étudiant les relations internationales sous l’angle culturel et humanitaire, nous couvrons en effet des aires culturelles variées. L’intérêt pour l’Asie est apparu dans les projets liés à la diplomatie culturelle suisse, puis s’est concrétisé dans le projet FNS «Les relations sino-suisses au temps de la guerre froide: une ‹rupture impossible›? (1949-1989)» dirigé par le Professeur Claude Hauser et auquel ont collaboré deux éditeurs de ce numéro, Cyril Cordoba et Ariane Knüsel.

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«Ich finde das Manifest überhaupt nicht radikal» /alma-georges/articles/2019/ich-finde-das-manifest-uberhaupt-nicht-radikal /alma-georges/articles/2019/ich-finde-das-manifest-uberhaupt-nicht-radikal#respond Thu, 02 May 2019 13:12:18 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=8352 Am 14. Juni wird gestreikt – auch an den Schweizer Universitäten. Bereits heute haben Forscher_innen ein Manifest veröffentlicht.

Francesca Falk, warum kommt es am 14. Juni zu einem schweizweiten Frauenstreik?
Einen einzelnen Auslöser gibt es nicht. Der Streik wird auch nicht von einem zentralen Komitee organisiert – die Bewegung ist vielfältiger und speist sich aus dem Ärger vieler Einzelner. Anders gesagt: Viele Frauen haben offenbar einfach gerade genug. Es gibt zahlreiche Bereiche, in denen es seit Jahren nicht vorwärts geht – und andere, wo wir einen richtigen Backlash erleben. Besonders sichtbar ist der in den USA mit Donald Trump.

Und diesen Backlash gibt es auch in der Schweiz?
Absolut. Beispielsweise kommen die Genderstudies vermehrt unter Druck. Bereits Erreichtes wird wieder infrage gestellt. Dagegen wehren sich die Streikenden. Oder es gibt den erschreckenden Hass gegen Politikerinnen im Internet. Frauen, die sichtbar ihre Position vertreten, werden da massiv angegangen. Und das nicht nur, wenn sie polarisieren: Sogar die ausgesprochene Konsenspolitikerin Doris Leuthard hat sich kürzlich darüber beklagt, was sie alles an Beschimpfungen aushalten muss. Die Bekämpfung dieser «Hatespeech» ist darum auch eine der Forderungen des Streiks.

Was sind denn weitere Anliegen?
Unterschiedliche Frauen haben unterschiedliche Anliegen, dementsprechend breit sind auch die Forderungen. Viele ärgern sich beispielsweise über weiterhin bestehende Lohndifferenzen oder über die Unterschiede bei der unbezahlten Arbeit. Es gibt Studien, die zeigen, dass Männer und Frauen in der Schweiz ungefähr gleich viel arbeiten. Bloss übernehmen die Frauen viel mehr schlechter oder gar nicht bezahlte Arbeit. Das führt dazu, dass ihr durchschnittliches Einkommen am Ende nur etwas mehr als halb so gross ist, wie jenes der Männer.

Deshalb werden auch Sie am 14. Juni streiken.
Ja. Mir war von Anfang an klar, dass ich mich engagieren wollte, ich hatte aber ein Problem: Mein Streik wäre nicht automatisch sichtbar. Es sind Semesterferien und ob ich da arbeite oder nicht, merkt eigentlich niemand. Anderen Forscher_innen aus der ganzen Schweiz ging es genau gleich. Zugleich gibt es auch an der Uni einen grossen Handlungsbedarf. Und so beschlossen wir, ein nationales Manifest mit hochschulspezifischen Forderungen zu verfassen.

Und was steht da drin?
Insgesamt sind es . Dabei geht es beispielsweise um Schritte gegen die prekären Arbeitsbedingungen an den Universitäten oder darum, dass wir heute zwar mehr Studentinnen als Studenten, aber noch immer viel zu wenige Professorinnen haben.

Viele Massnahmen benötigen kein Geld, sondern die richtigen Entscheide. Nehmen wir Job-Sharing: In der Histoire contemporaine teilen sich bereits zwei Professoren ein Pensum. An den meisten anderen Instituten und Universitäten ist solches aber noch immer nicht möglich. Dabei würde Job-Sharing mehr Frauen eine Professur ermöglichen.

Andernorts ist es eine Frage, welche Form von Frauenförderung betrieben wird. Beim SNF wurde beispielsweise ein Förderinstrument für Frauen mit Familie durch ein Exzellenz-Instrument ersetzt, das nur Frauen ab der Post-Doc-Stufe offensteht.

Damit spricht man aber ein anderes Klientel an. Dass der Frauenanteil mit jedem akademischen Karriereschritt abnimmt hat ja Gründe. Die Arbeitsverhältnisse an den Universitäten verlangen eine hohe Mobilität und sind sehr oft prekär – also schlecht bezahlt, befristet oder beides. Dabei brauchen gerade Forschende, die eine Familie wollen, auch eine gewisse finanzielle Sicherheit und können nicht einfach so mobil sein. Wir fordern deshalb mehr unbefristete Stellen und dass die Mobilität keine Voraussetzung für eine akademische Karriere sein darf.

Und erreicht man es, dass es mehr Frauen ganz an die Spitze schaffen?
Indem die Universitäten mehr Professorinnen berufen. Bis da Ausgeglichenheit herrscht, fordern wir, mindestens 50 Prozent der Professuren mit Frauen* zu besetzen.

Eine 50%-Quote bei Neuberufungen!?
Warum denn nicht? Wir hätten auch mehr verlangen können. Ganz allgemein finde ich unser Manifest überhaupt nicht radikal. Was wir fordern ist vernünftig.

Manche Probleme lassen sich tatsächlich ändern, indem man die Spielregeln ändert. Anderem ist nicht einfach so mit einem neuen Reglement beizukommen.
Stimmt. Beispielsweise Belästigungen oder der alltägliche Sexismus. Als ich doktorierte, verglich ein Professor in einem Kolloquium den Google-Schlitz mit einer Vagina – man könne bei beiden alles Mögliche reinschieben. Es waren damals mehrere Professoren anwesend, aber keine Professorin – und niemand sagte etwas dazu, es wurde nur gelacht. Wir Doktorandinnen waren schlicht zu schockiert, um darauf adäquat reagieren zu können. Gibt es mehr Frauen in Machtpositionen, dann verschwinden solche Bemerkungen. Auch darum geht es uns mit unserem Manifest.

Wer kann das Manifest denn überhaupt unterzeichnen?
Da sind wir sehr offen. Der Text beginnt mit den Worten: «Wir sind Wissenschaftler*innen aus verschiedenen Disziplinen und werden am 14. Juni 2019 streiken.» Alle, die sich damit identifizieren − unabhängig von ihrem Geschlecht −, können das Manifest unterschreiben.

Was versprechen Sie sich denn vom Manifest? Die Forderungen werden ja wohl kaum eins zu eins umgesetzt.
Die Funktion des Manifestes ist es, eine Diskussion anzustossen und ein Bewusstsein für die Defizite zu schärfen. Als ich beispielsweise schwanger wurde, war klar, dass ich mich in den ersten Monaten um das Kind kümmern werde, weil nur ich Anspruch auf eine bezahlte Elternzeit hatte. Mein Partner hatte damals eine Woche Vaterschaftsurlaub und konnte zudem noch geblockt ein paar Ferienwochen beziehen und das Pensum später eine gewisse Zeit reduzieren, was bereits eine sehr privilegierte Situation war. Und trotzdem war das noch lange keine gleichberechtigte Aufteilung. Der Staat bestimmt von Anfang an die Rollenverteilung und das hat weitreichende Folgen. Er greift an einem extrem intimen Punkt in unsere Beziehung ein und bestimmt, wer was zu tun hat. Solche Fragen müssen gesellschaftlich diskutiert werden.

War denn der letzte Frauenstreik politisch ein Erfolg?
Ja. Kurzfristig sowieso: eine halbe Million Frauen hat mitgemacht. Damit war der Frauenstreik der grösste Streik seit dem Landesstreik (wobei auch unbezahlt arbeitende Frauen streikten; die fallen bei gängigen Streikdefinitionen durch die Maschen). Wichtiger aber war, dass der Streik der Frauenbewegung starken Auftrieb verliehen und dass der politische Druck unter anderem zum Gleichstellungsgesetz von 1996 und zur Wahl der zweiten Frau (Ruth Dreifuss) in den Bundesrat beigetragen hat.

Und können sich eigentlich auch Männer am Streik engagieren?
Natürlich! Solange sie sich nicht in den Vordergrund drängen. Beim letzten Frauenstreik 1991 haben Männer beispielsweise eine Streikküche betrieben, damit die Frauen streiken konnten. Bei unseren Sitzungen gibt es zudem gegenwärtig eine Gruppe von Männern, die jeweils die Kinderbetreuung übernimmt. Wir vergessen sowieso viel zu oft, dass feministische Anliegen, wie etwa die Elternzeit oder generell eine gerechtere Gesellschaft auch Anliegen von vielen Männern sind.

Und wenn man keine Zeit hat?
Das Mitmachen am Streik ist sehr niederschwellig. Wer nicht den ganzen Tag streiken kann, kann beispielsweise morgens um 11h mitmachen. Zu diesem Zeitpunkt finden in der ganzen Schweiz symbolische Aktionen statt. Wer gar keine Möglichkeit hat, die Arbeit niederzulegen, kann zudem etwa durch die Kleidung oder das Aufstellen von Schildern auf den Frauenstreik und seine Forderungen aufmerksam machen.

Was wird am 14.6. an den Unis stattfinden?
So genau kann ich das nicht sagen – es hängt von den Unis und den unzähligen Gruppierungen ab, die etwas auf die Beine stellen. Weil Semesterferien und die meisten Leute nicht da sind, werden die grossen Kundgebungen wohl eher anderswo stattfinden. Ich selbst werde in Bern sein, da ich dort im lokalen Streik-Komitee aktiv bin. In Freiburg spüren wir übrigens auch einen gewissen Support aus dem Rektorat: Astrid Epiney hat eine E-Mail geschrieben mit der Bitte, dass am 14.6. keine Prüfungen stattfinden sollen. So können sich auch alle Studierenden am Streik beteiligen. Zudem wird sie mit uns über das Manifest diskutieren. Dieser öffentliche Anlass findet zusammen mit anderen Mit-Diskutierenden am 15. Mai von 18.30 bis 20 Uhr in der Miséricorde statt – wir freuen uns sehr, wenn möglichst viele kommen – und natürlich auch unser Manifest unterschreiben!

Emanzipation und Migration.
Ein Blick in die Schweizer Geschichte zeigt, dass Migration viel dazu beigetragen hat, die Verhältnisse in der Arbeitswelt, Bildung und Politik zugunsten von Frauen zu verändern. Francesca Falks soeben veröffentlichtes Buch beleuchtet diese Zusammenhänge zum ersten Mal in einer Gesamtschau. Da heute Migration oft als Gefahr für die Gleichberechtigung gesehen wird, sind diese Befunde von besonderer Bedeutung und Brisanz. Gender Innovation and Migration in Switzerland. Cham: Springer International Publishing (Palgrave Volg in Migration History).
Open Access:

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  • Zum
  • Infos zum
  • Am Mittwoch, 15. Mai diskutiert unsere Rektorin Astrid Epiney gemeinsam mit Pascal Gygax (Psycholinguist), Niels Rebetez (Vertreter des CSWM im Fakultätsrat) sowie Francesca Falk (Mit-Initiantin Manifest) an einer öffentlichen Veranstaltung über die vorgebrachten Forderungen. Moderiert wird der Anlass von Sarah Baumann und Pauline Milani. 15.5. 2019, 18.30 Uhr, Miséricorde 11 salle Laure Dupraz 2.102
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