Que ce soit celle d’un tyran ou d’un souverain bien-aimĂ©, la mort du roi ne laisse jamais indiffĂ©rent. Du 9 au 11 septembre 2019, un colloque de l’Institut d’Ă©tudes mĂ©diĂ©vales vous convie au chevet des souverains dĂ©cĂ©dĂ©s. Hugo O. Bizzarri, professeur de Philologie hispanique et d’Histoire de la langue, est notre maĂ®tre de cĂ©rĂ©monie funĂ©raire.
La mort du roi est à la fois un événement physique et symbolique, qu’elle en est la signification?
La mort du roi reprĂ©sentait pour la sociĂ©tĂ© du Moyen Ă‚ge un des moments les plus importants du royaume. Elle signifiait la fin d’une pĂ©riode et le dĂ©but d’une autre. Elle pouvait relancer des conflits de pouvoir ou cĂ©der la place Ă des pĂ©riodes de grande instabilitĂ© politique, surtout si le successeur n’avait pas atteint l’âge adulte. La thĂ©orie politique mĂ©diĂ©vale considĂ©rait que le roi avait un double corps, un physique et un symbolique. Au moment de sa mort, ces deux aspects de la figure royale Ă©taient clairement diffĂ©renciĂ©s: l’ĂŞtre humain Ă©tait mort, mais son corps symbolique continuait. C’est pourquoi une sĂ©rie de cĂ©rĂ©monies ont Ă©tĂ© mises sur pied pour prĂ©server la mĂ©moire du roi mort et assurer la continuitĂ© de son lignage après sa mort.
Les rois vivaient selon un protocole précis… Pouvaient-ils mourir «comme ils voulaient»?
Jusqu’au XIIe siècle, les cĂ©rĂ©monies funĂ©raires suivaient certaines règles, mais le roi pouvait choisir son lieu de sĂ©pulture, bien qu’il y ait des lieux de prĂ©dilection. Les plus frĂ©quentes Ă©taient de se reposer aux cĂ´tĂ©s d’un saint ou aux cĂ´tĂ©s des parents. A partir de la construction de l’Abbaye de Saint-Denis par l’AbbĂ© Suger, en la banlieue parisienne, un vĂ©ritable programme funĂ©raire pour la prĂ©servation de la mĂ©moire royale a commencĂ© Ă se dĂ©velopper en France. En Angleterre, Ă partir du XIIIe siècle, l’Abbaye de Westminster a jouĂ© le mĂŞme rĂ´le. L’Espagne, par contre, jamais a rĂ©ussi a mettre en place un programme funĂ©raire. En 1187 le Roi Alphonse VIII fonda le Monasterio de las Huelgas, Ă Burgos, pour servir de panthĂ©on aux rois, mais ce projet fut vite oubliĂ©e. A la mĂŞme Ă©poque, les cĂ©rĂ©monies sont devenues de plus en plus complexes et symboliques. Les tombes ont gagnĂ© en visibilitĂ©, elles sont devenues de vĂ©ritables Ĺ“uvres d’art, les processions sont devenues de plus en plus somptueuses, les aspects symboliques ont Ă©tĂ© exacerbĂ©s. Un roi devait se reposer dans un sĂ©pulcre en accord avec son importance. C’est pour cette raison que les monarques s’inquiĂ©taient de prĂ©voir leur lieu de repos.
Quels enjeux politiques un décès royal déclenchent-ils ? Les règles sont-elles claires ?
Philippe Aries a parlĂ© de deux formes de mort au Moyen Ă‚ge: la mort apprivoisĂ©e et la mort soudaine. La première Ă©tait une mort attendue, dans laquelle le dĂ©funt pouvait remplir toutes les conditions d’une «bonne mort»: choix de son lieu de repos, expression de ses dernières volontĂ©s, ratification de sa volontĂ© et, surtout, prĂ©paration de son âme, c’est-Ă -dire, se confesser, Ă©couter la messe, s’entourer de sa famille. La mort soudaine surprenait le monarque en le privant de toutes ces choses. Il pouvait s’agir d’une maladie soudaine ou d’un dĂ©cès par trahison. Cependant, il y avait une autre forme de mort du roi qui Ă©tait considĂ©rĂ©e comme nĂ©cessaire pour le royaume: celle dans laquelle le roi Ă©tait devenu un tyran et, par consĂ©quent, une punition pour le royaume. Jean de Salisbury dans son Policraticus a Ă©laborĂ© la thĂ©orie du tyranicide. Elle est devenue un lieu commun dans tous les traitĂ©s politiques jusqu’Ă la Renaissance. Le tyran Ă©tait considĂ©rĂ© comme une maladie qui devait ĂŞtre Ă©liminĂ©e du royaume.
Et pour le peuple, y a-t-il un réel impact?
Le vieux proverbe: «Le roi est mort, vive le roi» reflète l’impact que la mort d’un roi a eu sur la population du Moyen Ă‚ge. Le deuil du roi Ă©tait suivi de la joie du couronnement de son successeur. Les chroniques mĂ©diĂ©vales reflètent souvent la consternation du peuple Ă la mort d’un monarque. Que le roi ait Ă©tĂ© aimĂ© ou qu’il soit mort soudainement, c’est un moment qui plongeait le peuple dans une grande incertitude. Le nouveau monarque pourrait supprimer les privilèges et ordonnances accordĂ©s. Dans le cas de la mort du tyran, le peuple ressentait un grand soulagement Ă retrouver son calme. D’une manière ou d’une autre, le peuple n’Ă©tait pas indiffĂ©rent Ă cet Ă©vĂ©nement du royaume.
Vous consacrez un colloque Ă ce sujet du 9 au 11 septembre 2019. Quels en seront les highlights?
Le colloque, qui se tiendra Ă l’UniversitĂ© de Fribourg du 9 Ă 11 septembre, est entièrement consacrĂ© Ă ce moment crucial de la vie du roi et du royaume. Il entend se pencher sur trois aspects: les faits historiques (rĂ©alitĂ©), leur transformation en discours littĂ©raire (littĂ©rature) et leurs formes symboliques (reprĂ©sentation). Quinze spĂ©cialistes en la matière sont appelĂ©s Ă rĂ©flĂ©chir sur le sujet: la conservation du corps royal, les cĂ©rĂ©monies funĂ©raires, la bonne et la mauvaise mort des rois, le souci de l’au-delĂ , la mort des rois lĂ©gendaires, seront quelques-uns des axes du colloque. Il s’agit d’une manifestation interdisciplinaire oĂą se rencontrent diverses disciplines telles que l’histoire, l’histoire de l’art, la littĂ©rature et la religion. Bref, le colloque propose un moyen de connaĂ®tre les racines de la pensĂ©e politique moderne.
- En savoir plus sur le
- de l’Institut d’Ă©tudes mĂ©diĂ©vales
- du Professeur Hugo O. Bizzari
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