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Dites-le avec des maths!

Dites-le avec des maths!

Emplies d’eau, les feuilles creuses de la Sarracénie pourpre constituent un piège mortel pour les insectes. Ceux-ci, attirés par des odeurs produites par la feuille, viennent accidentellement s’y noyer. C’est le point de départ d’une véritable chaîne alimentaire que des chercheurs de l’Université de Fribourg étudient à l’aide de modèles mathématiques.

Et pourquoi les fleurs ne raffoleraient-elles pas elles aussi d’un bon morceau de viande? Pas vĂ©gĂ©tarienne pour un sou, la SarracĂ©nie pourpre (Sarracenia purpurea) consomme, quand la mĂ©tĂ©o le permet, un bon cuissot de moustique. L’évolution l’a en effet dotĂ©e d’un piège d’autant plus diabolique qu’il semble inoffensif. Ses feuilles, en forme de trompettes dressĂ©es, lui permettent de recueillir ±ô’eau de pluie et de rosĂ©e. Par l’odeur de la plante allĂ©chĂ©s, quelques insectes s’y fourvoient et, fatalement, finissent par s’y noyer. Leur cadavre n’est pourtant perdu ni pour les micro-organismes qui s’en dĂ©lectent ni pour la science.

Les feuilles en forme d'urne de la sarracénie. Un piège mortel!
La sarracénie apprécie les sites humides.

Micro-cosmos
Dans ±ô’eau pullulent en effet très vite des bactĂ©ries qui, Ă  la façon des piranhas, vont attaquer les insectes noyĂ©s. La SarracĂ©nie, elle, va se nourrir du produit de cette dĂ©gradation. Mais Ă  vrai dire, plus que la plante elle-mĂŞme, c’est cet Ă©cosystème qui intĂ©resse l’équipe du Professeur Louis-FĂ©lix Bersier: «La moindre goutte recèle une vĂ©ritable chaĂ®ne trophique, s’exclame la post-doctorante Sarah Marie Gray, il y a des cadavres que mangent des bactĂ©ries qui, elles mĂŞmes, servent de nourriture Ă  des protistes, des organismes unicellulaires.»

±Ę°ůĂ©±ôè±ą±đłľ±đ˛ÔłŮ in situ et analyse en laboratoire
La SarracĂ©nie, plante introduite en Suisse Ă  la fin du XIXe siècle, apprĂ©cie particulièrement les lieux humides. Les biologistes de l’UniversitĂ© de Fribourg en ont repĂ©rĂ© cinq sites situĂ©s entre 600 et 1400 mètres d’altitude. Sur place, les pieds enfoncĂ©s dans la tourbe, ils prĂ©lèvent, Ă  l’aide de pipettes, ±ô’eau – le bouillon de culture, devrait-on dire – qui s’est accumulĂ©e dans les feuilles des sarracĂ©nies. Ce liquide est ensuite analysĂ© en laboratoire. Les yeux rivĂ©s sur le microscope, la doctorante Samantha Coinus identifie et compte les micro-organismes, un travail qui requiert une extrĂŞme minutie: «Je procède Ă  une dilution en cascade jusqu’à n’avoir plus qu’un seul organisme par goutte. Je place ensuite cette solution dans un incubateur.» Dans une prochaine Ă©tape, les chercheurs utiliseront ces Ă©chantillons pour crĂ©er de petites communautĂ©s – de minuscules Ă©cosystèmes, en somme – dont ils observeront l’évolution de la structure et de la dynamique dans le temps.


Sarah Marie Gray et Rachel Korn en train de prĂ©lever ±ô’eau de la sarracĂ©nie.

De la poésie de la prairie aux arabesques des mathématiques
Loin de coller les fleurs dans des herbiers, les «écologues» de l’UniversitĂ© de Fribourg Ă©tudient ensuite les interactions entre les organismes prĂ©sents dans ±ô’eau de la SarracĂ©nie. «A l’aide de modèles mathĂ©matiques dĂ©veloppĂ©s par mon collègue Rudolf Rohr, nous cherchons Ă  comprendre comment ces populations parviennent Ă  ‹cohabiter› sans que l’une ne fasse disparaĂ®tre l’autre par sa prĂ©dation ou sa compĂ©tition», explique Louis-FĂ©lix Bersier. Ces modĂ©lisations permettent Ă©galement de tester les effets de diffĂ©rents scĂ©narios climatiques en manipulant la tempĂ©rature. «Nous avons observĂ©, explique le Professeur Bersier, qu’un rĂ©chauffement influence nĂ©gativement la relation entre biodiversitĂ© et productivitĂ© de la biomasse.» Un constat qui pèse son poids de protistes après un Ă©tĂ© aussi caniculaire! «C’est ce qui est fascinant, conclut la biologiste Rachel Korn, une goutte d’eau prĂ©levĂ©e sur une SarracĂ©nie nous permet d’émettre des hypothèses sur des problĂ©matiques qui se posent Ă  l’échelle de la planète».

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Author

The long and winding road! Après un détour par l'archéologie, l'alpage, l'enseignement du français et le journalisme, Christian travaille depuis l'été 2015 dans notre belle Université. Son plaisir de rédacteur en ligne? Rencontrer, discuter, comprendre, vulgariser et par-ta-ger!

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