Prison – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Fri, 01 Mar 2024 08:56:16 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 «Ces gens ont le droit que nous rapportions leur histoire!» /alma-georges/articles/2024/ces-gens-ont-le-droit-que-nous-rapportions-leur-histoire /alma-georges/articles/2024/ces-gens-ont-le-droit-que-nous-rapportions-leur-histoire#respond Tue, 20 Feb 2024 09:26:07 +0000 /alma-georges?p=19712 Engagée comme professeure en 2008 à l’Université de Fribourg, Anne-Françoise Praz y a amené une nouvelle façon de faire de l’histoire.  Ses recherches ont mis l’accent sur des thèmes brûlants: histoire sur les internements administratifs, histoire sur les politiques de placements d’enfants ou encore histoire des femmes et du genre. Alors que l’heure de la retraite a sonné, Alma&Georges revient sur son parcours au travers de cinq documents soigneusement choisis par ses collègues.

Couvertures de livres tirés de la collection La Mémoire du Siècle

Livre tirés de la collection de la  Mémoire du Siècle

Après mon master, j’ai travaillé durant une dizaine d’années aux éditions Eiselé à Lausanne où j’ai eu l’occasion de créer cette collection historique. C’était une petite maison où je devais tout faire: je cherchais la documentation, j’écrivais, je faisais la mise en page. J’ai dû apprendre tous les métiers! C’était assez chouette, d’autant plus que j’avais beaucoup de liberté. Au niveau éditorial, j’ai choisi de mettre l’accent sur l’histoire sociale, la vie quotidienne, plutôt que la politique.

Ce détour par l’édition n’est pas typique pour un·e professeur·e d’université?
Je ne le vois pas comme une rupture dans ma carrière. Par la suite, cela m’a été très utile pour l’enseignement car j’ai dû apprendre à travailler vite et à vulgariser. Aujourd’hui, les parcours académiques sont plus linéaires et l’on passe directement du master à la thèse.

Mais pourquoi être revenue au monde académique. Avez-vous subi des pressions familiales?
Bien au contraire! Mes parents m’envoyaient des offres d’emploi en Valais pour que je décroche un «vrai travail». Cela dit, j’ai tout de même été institutrice durant quatre années. Je suis ensuite revenue à l’Université avec la vague ambition d’enseigner au niveau secondaire mais, dans le fond, je ne souhaitais pas retourner en Valais. Je voulais vivre autre chose!

Des petites annonces sibyllines

De mystérieuses petites annonces fleurissent dans la presse locale

Il faut savoir que le titre «retard de règles» est un euphémisme pour parler d’une grossesse non désirée. J’avais trouvé ce document en faisant des recherches pour les éditions Eiselé. Il y avait aussi des annonces de sage-femmes qui disaient: «Madame reçoit des pensionnaires à toute époque, discrétion assurée», sous entendu à toute époque de la grossesse.

L’avortement était tabou?
L’avortement, la contraception, la sexualité en général. C’est précisément ce qui m’a incité à faire des recherches sur l’accès à la contraception qui, contrairement à ce que j’imaginais, était bien antérieur aux années 1970. Il s’agit en fait d’une revendication de militants néomalthusiens qui apparaît dès la fin du XIXe siècle. Le sujet reste peu étudié en Suisse. Les archives de la police fribourgeoise m’ont toutefois permis de réaliser que des conférences sur le sujet avaient été interdites, des brochures saisies dans les kiosques et des affiches arrachées. La répression nous donne des informations sur des activités qui, sans elle, ne seraient pas restées dans l’histoire.

Un sujet à creuser?
Effectivement, ça pourraît être un projet de rêve pour ma retraite! Je sais que Margarethe Faas-Hardegger, une militante néo-malthusienne, avait fait la promotion du contrôle des naissances dans le journal syndical ’eǾé. Même s’il fallait savoir lire entre les lignes pour comprendre de quoi il s’agissait, elle avait reçu 400 lettres d’ouvrières intéressées par le sujet. Si je pouvais les retrouver, ce serait génial!

Le Conseil fédéral s’attaque au travail des enfants

Il s’agit du fameux message du Conseil fédéral annonçant la loi sur les fabriques de 1877 qui va interdire le travail en fabrique des enfants en dessous de 14 ans. Il faut saluer le fait que la Suisse est assez pionnière en la matière. A l’époque, le Conseil fédéral doit s’opposer à la fois aux industriels, qui invoquent la liberté du commerce, et aux familles, qui ont besoin du travail des enfants pour survivre. Cela se ressent dans son argumentaire, pour le moins pragmatique. Selon lui, si les enfants sont exploités prématurément par l’industrie, leur santé va s’en ressentir et ils ne produiront que très peu par la suite. Nous sommes encore à mille lieues des droits de l’enfant tels qu’on les connaît de nos jours, mais on sent poindre une ère nouvelle, où la formation et la qualification du capital humain deviennent de plus en plus importantes. La question du travail des enfants reste d’actualité et dresser des parallèles entre la situation d’hier et d’aujourd’hui me semble riche d’enseignement: quels sont les mécanismes qui ont fait que, chez nous, nous avons pu nous en passer?

Quand avez-vous commencé à vous intéresser aux enfants placés, aux minorités ou aux groupes marginalisés?
Au cours des recherches dans le cadre de ma thèse, je suis tombée sur le phénomène de la «poutamisa», de la mise à l’envers des enfants. A l’auberge du port de Portalban, le 2 janvier de chaque année, il y avait des mises aux enchères d’enfants pauvres ou orphelins qui étaient à la charge de l’assistance publique. La famille qui avait le moins d’exigences financières emportait la mise.  Plus l’enfant était âgé, plus la pension était basse, car la famille se rattrapait sur la force de travail des enfants. C’est ce qui m’a amené à m’intéresser à la problématique des enfants placés.

Correspondances des interné·e·s de Bellechasse

Lettre d’une détenue à Bellechasse à son amoureux.

Il s’agit d’une lettre à laquelle était joint un mouchoir brodé qu’une internée administrative, incarcérée au pénitencier de Bellechasse, avait envoyée à son amoureux pour Noël. Avec ma collègue Lorraine Odier, nous avons ressenti une grande émotion en la découvrant. Nous avons remarqué que le directeur de Bellechasse laissait passer certaines lettres, celles où la femme détenue écrivait «Comment se fait-il que tu m’as oublié? Tu ne m’écris plus! Tu m’as déjà remplacée!» et ne lui remettait pas les lettres d’amour de son correspondant. Ce traitement, cette intrusion dans les relations personnelles m’apparaît comme une violence terrible! En tant qu’historien·ne, nous avons le pouvoir exorbitant d’entrer parfois dans l’intimité des gens. Nous nous demandons: «Mais qu’allons-nous faire de toutes ces souffrances?»

Et précisément, qu’en faites-vous?
Ces gens ont le droit que nous rapportions leur histoire, que l’on sache ce qu’ils ont vécu. C’est la raison pour laquelle, j’avais décidé de faire une lecture publique de ces lettres de Bellechasse.

Est-ce que cette recherche vous a marquée?
Ça a été passionnant même si pas toujours facile. Nombre de personnes sont encore en vie et voudraient que justice leur soit rendue, que les coupables soient punis. Ce n’est pas notre rôle. D’autres nous encouragent, nous remercient: «Plus vous en parlez, plus nous comprenons, plus nous savons que ce qui est arrivé n’est pas de notre faute, c’est un soulagement.»

Dans le fond êtes-vous une redresseuse de torts?
Non, je ne suis ni une redresseuse de torts, ni une thérapeute. Pour écrire cette histoire orale, il nous faut certes mener des entretiens avec des personnes qui ont vécu des choses très lourdes et qui se sont murées dans le silence durant des décennies. Certaines ont dû faire un effort immense pour oser demander des contributions de solidarité. Il leur fallait d’abord dévoiler à leur famille qu’elles avaient été victimes de placement. Je ne m’étais pas imaginée à quel point cette honte pesait sur ces gens

Et a contrario, est-ce que les institutions mises en cause, l’Etat, voire l’Eglise, vous ont freinée?
Non, même s’il y a peut-être une fixation sur certains problèmes. Il y avait, par exemple, un article de presse consacré à un mémoire sur l’avortement affiché sur le panneau à côté de mon bureau. A plusieurs reprises, des inconnus l’ont déchiré. Je suppose que c’était le fait de certains milieux conservateurs pour qui une nouvelle vision des rapports de sexe ou de la famille n’est tout simplement pas acceptable.

Hostilité grandissante envers les études du genre

Pamphlet intitulé «Non à la folie du genre» tirée du Journal de l’UDC

Il y a énormément de mécompréhension sur les études du genre. C’est un épouvantail que l’on utilise pour démonter un adversaire, la gauche rose-verte en l’occurrence. C’est une instrumentalisation très déplorable qui a débuté dans les années 2000. L’égalité salariale, le mariage pour tous, la lutte contre les violences domestiques sont des réformes qui suscitent des résistances dont l’exutoire est la théorie du genre.

Et pourquoi avoir décidé d’entamer des études dans ce domaine?
Alors que je travaillais aux éditions Eiselé, j’ai été menacée de licenciement durant la crise des années 1990. Comme mon temps de travail avait été réduit à 50%, j’ai décidé de commencer une thèse à l’Université de Fribourg sous la direction du Professeur Python. Parallèlement, j’ai vu que l’Université de Genève proposait un diplôme d’études approfondies en études de genre et je m’y suis inscrite.

Comment était-ce perçu à l’époque?
A la fin des années 1990, cela passait pour du militantisme, du féminisme. Il a fallu se battre pour montrer qu’il s’agissait d’une approche scientifique, déjà établie depuis les années 1970 dans le monde anglo-saxon. Depuis, elle s’est imposée comme incontournable en sciences sociales, alors même qu’elle fait l’objet de vives critiques dans l’espace public. C’est une instrumentalisation très déplorable qui a débuté dans les années 2000. Car les études genre ont stimulé des réformes politiques, l’égalité salariale, le mariage pour tous, la lutte contre les violences domestiques. Ces réformes ont suscité des résistances, qui se focalisent une prétendue «théorie du genre» comme un épouvantail, utilisé pour démonter un adversaire, la gauche rose-verte en l’occurrence.

Vous a-t-il ensuite été facile d’amener ces questionnements à Fribourg?
Etonnamment, oui! Il y avait au sein de l’Institut d’histoire contemporaine une grande ouverture, même si mes collègues n’étaient pas des spécialistes. Dès ma deuxième année, j’ai proposé au Professeur Python un cours sur l’histoire des masculinités. Il m’a regardé un peu interloqué, puis m’a répondu: «Mais oui, pourquoi pas?».

Et pourquoi ce thème de l’histoire de la masculinité?
Je suis fascinée par la manière dont cette construction de la masculinité se conjugue avec la grande histoire. Prenez la Première Guerre mondiale: comment les hommes ont-ils pu tenir dans l’horreur des tranchées. Il existe deux explications antagonistes, celle dite de l’école du consentement qui explique cette attitude par un patriotisme forcené; et l’autre, celle dite de l’école de la contrainte, qui soutient que les hommes n’avaient pas le choix, en cas de désertion ils risquaient le peloton d’exécution. Ces deux approches se sont longtemps affrontées, jusqu’à ce que les historien·ne·s intègrent la dimension du genre, notamment la socialisation des hommes, éduqués à ne pas pleurer, à ne pas être des «femelettes». Cela explique aussi pourquoi ils ont tenu.

On sent que vous avez encore le feu sacré. Qu’allez-vous faire de votre retraite?
Les cahiers au feu et la maîtresse au milieu (rires). Je vais continuer à travailler car, avec ma collègue Marta Roca de Lausanne, je me suis embarquée pour deux ans dans un projet Fonds national sur l’histoire du divorce en Suisse, toujours à partir des archives judiciaires.

Et comment envisagez-vous la retraite, cette nouvelle étape de vie?
Je vais regretter mes collègues, les étudiant·es et l’enseignement, car j’adore ça! J’espère qu’ils m’accepteront encore!

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  • Anne-Françoise Praz
  • , Café scientifique, 21 février 2024, 18h00 – 19h30
  • Comment prendre les acteurs·trices au sérieux ? Leçon d’adieu de la Prof. Anne-François Praz, 28.02.2024, 18h30
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«La solution au jihadisme peut être locale» /alma-georges/articles/2020/la-solution-au-jihadisme-peut-etre-locale /alma-georges/articles/2020/la-solution-au-jihadisme-peut-etre-locale#respond Fri, 24 Jan 2020 08:44:48 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=10240 Cinq ans après les attentats de Charlie Hebdo, Hugo Micheron publie un ouvrage se penchant sur les racines du jihadisme français. En marge de sa conférence du 23 janvier à l’Unifr, le spécialiste revient sur l’importance de s’attaquer à la radicalisation islamique au sein même des quartiers et des prisons européens.

Comment est né votre ouvrage?
Mon livre est le fruit d’une recherche de 5 ans effectuée dans le cadre de ma thèse de doctorat en sciences politiques à l’Ecole normale supérieure. Mon but était de partir du terrain pour décrire – et tenter d’expliquer – les importants départs vers la Syrie et l’Irak qui se sont produits entre 2012 et 2015, ainsi que les attentats ineffables qui se sont succédé en Europe ces dernières années. Après l’attaque de Charlie Hebdo, j’ai constaté un important paradoxe au niveau de la recherche: alors que de nombreux travaux sur le jihadisme avaient été publiés, rares étaient ceux qui reposaient sur une recherche de terrain approfondie. Bref, il y avait un décalage criant entre la prégnance du sujet dans la société et sa documentation. Je souhaitais à la fois pallier ce manque et créer un nouveau cadre théorique.

Votre travail se base notamment sur des dizaines d’entretiens conduits en prison avec des terroristes incarcérés, ainsi que sur des enquêtes menées dans leurs principaux fiefs (Toulouse, Paris, Nice ou encore Bruxelles-Molenbeek). Un terrain qu’on imagine peu aisé…
En effet, c’est un terrain difficile d’accès et non sans danger, ce qui pourrait d’ailleurs expliquer la réticence de certains autres chercheurs à s’y frotter. Le fait que je parle l’arabe et que j’ai vécu en Syrie avant la guerre m’a bien évidemment ouvert des portes. Reste que globalement, les détenus interrogés se sont exprimés plutôt librement. Il faut dire qu’en prison, tout est prétexte à sortir de sa cellule. J’ai probablement aussi bénéficié d’un certain mépris envers les chercheurs; en acceptant de me parler, mes interlocuteurs pensaient peut-être pouvoir m’instrumentaliser et/ou redorer l’image des jihadistes.

Plutôt que de vous pencher, comme d’autres chercheurs, sur les éléments exogènes du jihadisme, vous avez choisi d’explorer ce phénomène en Europe même. Pourquoi?
Cette thèse d’un terrorisme venu de l’extérieur, je l’ai immédiatement balayée. Les attentats en France ont été commis par des Français qui ont été socialisés dans l’Hexagone et sont passés par l’école de la République! Mon hypothèse s’est d’ailleurs confirmée lorsque j’ai fait du travail de terrain: j’ai découvert que dans certains quartiers, il y avait un nombre anormalement élevé de départs vers la Syrie ou l’Irak. Mon livre tente de montrer que la vague d’attentats initiée en 2015 n’est que l’aboutissement de phénomènes certes sourds, mais visibles à l’échelle de certains quartiers français et belges au moins depuis le 11 septembre 2001. Prenez l’exemple des frères Clain (ndlr: l’aîné, Fabien, avait prêté sa voix à la revendication par l’Etat islamique des attentats du 13 novembre à Paris). Depuis 15 ans déjà, ils s’adonnaient à du militantisme de base à Toulouse. Et pourtant, en 2015, tout le monde a été pris de court. La preuve que la radicalisation était mal documentée…

Vous évoquez des phénomènes sourds, mais visibles depuis longtemps. Pourquoi les autorités compétentes n’ont-elles pas pris des mesures?
Elles l’ont fait! Mais étant donné qu’elles ont mal interprété le fonctionnement des écosystèmes qui s’étaient développés dans certains quartiers – dans mon livre, je parle d’«enclaves» françaises et belges négligées –, elles ont concentré leur action sur des individus. La logique judiciaire n’était absolument pas adaptée pour faire face à cette machine de prédication. Depuis sa cellule, un jihadiste peut poursuivre son action, en faisant appel au reste du collectif. Pire, une fois en prison, les jihadistes toulousains faisaient la connaissance des jihadistes strasbourgeois ou parisiens, renforçant les liens entre les différents écosystèmes locaux.

Parallèlement aux quartiers, les prisons constituent justement votre autre axe de recherche…
Pour les activistes, la prison représente un espace intermédiaire entre l’Europe et le Levant: le processus de radicalisation les mène de leur quartier populaire au pseudo-califat de Daech, en passant souvent (avant, après, voire les deux) par la case prison. Ce qu’il est important de comprendre, c’est que la plupart des jihadistes considèrent le fait d’être derrière les barreaux comme une étape et non comme la fin de leur activisme. La question de la gestion des retours est donc un point stratégique, et l’un des plus grands défis de l’après-Daech. Jusqu’à présent, ils ont été mal anticipés. En 2016 par exemple, il y avait quelque 1’500 Français en Syrie. Lorsqu’ils ont commencé à rentrer en masse en raison de l’effondrement de l’Etat islamique, les prisons hexagonales sont devenues le premier lieu de reconstitution des mouvances jihadistes.

Dans ces conditions, comment bien négocier l’après-Deach?
C’est LE grand défi de la décennie! Bien sûr, on peut espérer que les erreurs de jugement commises ces vingt dernières années par les autorités et experts compétents ne seront pas réitérées. Reste que par rapport aux années 1990, les jihadistes sont actuellement cent fois plus nombreux en territoire francophone. Et ils essayent de former la relève, notamment en pratiquant l’endoctrinement à la source dans les écoles salafistes qu’ils tentent de mettre en place. On peut craindre qu’ils profitent d’un prochain bouleversement géopolitique au Moyen-Orient pour recommencer à agir.

Quelles pistes de lutte contre le jihadisme entrevoyez-vous?
Ce qui est sûr, c’est que la réponse ne peut pas uniquement être sécuritaire. Elle doit aussi être politique. Or, le débat public sur la question du jihadisme manque de sérieux. Il est polarisé entre deux positions certes opposées, mais toutes deux dramatiques: le déni et l’hystérisation. Selon les partisans du déni, les membres de l’Etat islamique sont des fous qui ne méritent pas qu’on leur accorde de l’attention. L’hystérisation, elle, entraîne la montée de l’extrémisme politique de droite. A mon avis, il faut revenir sur le terrain. Et davantage ancrer l’action à un niveau local. Contrairement à ce que l’on entend souvent dire, le jihad n’est pas un phénomène global. Pour exister, il ne peut être que local. De même, la solution peut être locale.

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  • Hugo Micheron,, Editions Gallimard, 2020
  • Le 23 janvier 2020, Hugo Micheron a donné une conférence intitulée dans le cadre de la remise des premiers diplômes du CAS «Prévenir les extrémismes. Idéologies, religions et violence(s)» du Centre Suisse Islam et Société de l’Unifr.
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«Ma place n’est pas ici!» /alma-georges/articles/2019/ma-place-nest-pas-ici /alma-georges/articles/2019/ma-place-nest-pas-ici#respond Wed, 12 Jun 2019 12:27:32 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=8830 Bellechasse fait partie des institutions helvétiques utilisées à des fins d’internements administratifs, un sombre pan de notre histoire nationale qui n’a pris fin qu’en 1981. Les centaines de lettres censurées retrouvées dans les archives de la prison fribourgeoise permettent de lever un coin du voile sur la vie des détenus.


«Je ne savais même pas qu’il s’agissait d’une prison. […] J’en savais moins qu’une criminelle.» Comme des milliers de personnes, l’auteure de ce commentaire a fait l’objet d’un enfermement administratif à la prison de Bellechasse. C’est-à-dire sans avoir commis de délit et sans autre forme de procès. L’établissement pénitentiaire fribourgeois fait partie des quelque 648 institutions utilisées en Suisse entre le milieu du XIXe siècle et 1981 pour interner des assistés, des rebelles, des prostituées, des alcooliques et autres mères célibataires. Afin de faire la lumière sur ce triste pan de l’histoire helvétique – qui n’a pris fin que dans la foulée de la ratification par la Suisse, en 1974, de la Convention européenne des droits de l’homme –, le Conseil fédéral a institué, en novembre 2014, la Commission indépendante d’experts (CIE) internements administratif, dont les travaux se sont achevés au printemps 2019.


En arrière plan, Anne-Françoise Praz écoutant la lecture des deux comédiens, Kaspar Locher et Anne Jenny.

Enfermées sans raison
«Le pire pour les personnes concernées, c’était de se retrouver enfermées alors qu’elles n’avaient commis aucun délit», explique Anne-Françoise Praz. La professeure en histoire contemporaine à l’Unifr et vice-présidente de la CIE s’exprimait devant un public venu en masse dans la salle du Nouveau Monde, à Fribourg, le 28 mai dernier, pour assister à la lecture par des acteurs de traces écrites d’internés. Celles-ci ont été retrouvées dans des procès-verbaux d’audition ou dans des lettres conservées dans les dossiers d’archives de Bellechasse. «‹Qu’as-tu fait pour atterrir ici?›, me demandent les autres», rapporte une victime d’enfermement abusif dans une missive, en ajoutant que ces «autres», eux, ont commis des crimes tels que des agressions sexuelles ou des actes de pyromanie. «Ma place n’est pas ici!», s’indigne-t-elle. Une fois internées à Bellechasse, ces personnes étaient à la merci du chef de l’établissement. «L’énorme pouvoir du directeur, c’est l’une des choses qui m’a le plus marquée à la lecture de ces lettres», commente Anne-Françoise Praz.

Lettres censurées
Dans le cadre de sa recherche sur Bellechasse, qui constitue en quelque sorte le volet fribourgeois des travaux de la CIE, la professeure de l’Unifr a eu accès à 1500 dossiers portant sur le XXe siècle. «Bellechasse est un cas intéressant, car il s’agissait d’un établissement multifonctionnel, qui accueillait également des détenus issus d’autres cantons. Par ailleurs, les archives y sont très bien conservées.» Les documents décortiqués dans le cadre de l’étude «sont des lettres censurées». Elles n’ont pas été expédiées à leur destinataire, parce qu’elles contenaient des éléments jugés problématiques, par exemple des critiques envers l’établissement. Ces missives permettent donc «d’écrire l’histoire de l’internement administratif du point de vue des internés» plutôt que de celui des autorités, relève l’historienne.

Décalage criant
Lors de l’événement organisé au Nouveau Monde, de généreux extraits de ces lettres ont été présentés au public dans leur langue originale, le français ou l’allemand. Parmi les thématiques récurrentes, on trouve la faim, évoquée par les détenus sur tous les tons, de l’ironie au désespoir. «Demander de la nourriture à la famille et aux proches était le but principal» de nombreuses missives, constate la vice-présidente de la CIE. Dans leurs courriers, les internés s’inquiètent aussi de leur état de santé. «Ma place, c’est à l’hôpital! […] Je suis malade», se désespère une détenue. «Je ne veux pas crever ainsi», écrit un homme enfermé pour alcoolisme à un médecin, précisant qu’il a contracté «une maladie dangereuse» à Bellechasse. «En guise de soins, je dois travailler 9 heures par jour avec une jambe raide. […] Il n’y a pas qu’à l’étranger qu’on se moque de la Convention européenne des droits de l’homme», s’offusque un autre détenu. Ce dernier n’est – de loin – pas le seul à pointer du doigt le labeur imposé aux internés: «La loi administrative est une exploitation de l’homme par le travail. […] On ne nous traite vraiment pas bien dans ce beau pays catholique», peut-on lire ailleurs. «Il y avait vraiment un décalage criant entre les buts affichés des internements administratifs et leurs effets réels», analyse Anne-Françoise Praz.

«J’attendais en pleurant»
Les détenus consacraient aussi une bonne partie de leur – maigre – ration de papier à l’être aimé. «J’attendais en pleurant ta réponse chaque jour. Que c’était long!», se plaint une personne. Une lamentation qui fait échos à des dizaines d’autres, les missives amoureuses faisant régulièrement l’objet de censure. «C’est l’une des constatations les plus marquantes issues de l’analyse des ego-documents de Bellechasse: la direction cherchait à contrôler les relations affectives des personnes enfermées, femmes en tête», rapporte l’historienne. Alors que certaines lettres particulièrement tendres ne parvenaient jamais à leur destinataire, d’autres, plus conflictuelles ou accusatrices, passaient entre les mailles du filet. «On tentait donc d’envenimer les relations avec le conjoint ou l’amoureux.»

Pas des victimes passives
Heureusement – et c’est l’une des autres conclusions principales des chercheurs –, les personnes en résidence forcée dans l’établissement pénitentiaire fribourgeois «n’étaient pas des victimes passives». Elles «utilisaient toutes sortes de stratégies pour se défendre, en jouant sur différents registres et en faisant appel à des réseaux parfois très denses», poursuit Anne-Françoise Praz. L’une de ces stratégies consistait à simuler la conformité. «Certaines détenues (enfermées pour liberté de mœurs, ndlr.) faisaient semblant d’accepter un mariage arrangé par la commune en échange de leur libération» et/ou de devenir de bonnes ménagères.» Quant aux hommes, ils promettaient de renoncer à l’alcool. D’autres encore tentaient de faire passer des missives vers l’extérieur malgré la censure et le manque de papier. «Nous avons notamment découvert une lettre écrite sur l’emballage d’une tablette de chocolat.» Un peu de douceur dans un monde de brutes bien mal récompensée: ce courrier n’a jamais atteint son destinataire.

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  • d’Anne-Françoise Praz
  • de l’événement
  • de la Commission indépendante d’experts (CIE)
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Sterben hinter Gittern /alma-georges/articles/2016/sterben-hinter-gittern /alma-georges/articles/2016/sterben-hinter-gittern#comments Tue, 12 Jul 2016 11:20:50 +0000 http://www3.unifr.ch/alma-georges/?p=2671 Immer mehr Gefangene altern und sterben im Strafvollzug. Dabei sind längst nicht alle Schweizer Gefängnisse dafür geeignet. Zu diesem Schluss kommt eine Studie des Nationalen Forschungsprogramms «Lebensende». Nicolas Queloz, Professor für Strafrecht und Kriminologie an der Universität Freiburg, erstellte den juristischen Rahmen für die Studie.

Es ist der letzte Wunsch des todkranken neunzigjährigen Straftäters: „Draussen“ in einem Hospiz sterben zu dürfen. Doch das Bundesgericht lehnt seinen Antrag auf Haftentlassung ab, mit der Begründung, der Betroffene stelle immer noch eine Gefahr für die öffentliche Sicherheit dar – obwohl dessen Mobilität auf 20 Schritte beschränkt ist. Der Mann stirbt kurz darauf im Gefängnis. Laut Prof. Nicolas Queloz, Inhaber des Lehrstuhls für Strafrecht und Kriminologie an der Universität Freiburg, leider kein Einzelfall. «In Fällen wie diesen wird die Menschenwürde klar verletzt, da in einem normalen Strafvollzug einem Insassen kein menschenwürdiges Lebensende garantiert werden kann.» Immer mehr Gefangene sterben im Freiheitsentzug und die Gefängnisse sind kaum darauf vorbereitet. Ein Forschungsteam der Universitäten Freiburg und Bern hat in der Studie «Lebensende im Gefängnis» des Nationalen Forschungsprogramms «Lebensende» (NFP 67) genau diese Problematik untersucht. Der Strafrechtler Nicolas Queloz und der Jurist Stefan Bérard haben den juristischen und kriminologischen Rahmen erstellt.

Zeit zum Handeln
Seit 2015 ist der Bevölkerungsanteil der über 65-Jährigen erstmals höher als der Anteil der 20-Jährigen. Diese Realität spiegelt sich auch in der Gefängnispopulation wieder: Die Gefangenengruppe der über 60-Jährigen wird stets grösser. In den letzten dreissig Jahren hat sich die Anzahl der betagten Straftäter in Schweizer Gefängnissen mehr als verdreifacht.  Strafrechtsprofessor Nicolas Queloz kennt die ausschlaggebenden Faktoren dafür: Die demographische Entwicklung der Bevölkerung und die Zunahme der Kriminalität in der Bevölkerungsgruppe der über 50-Jährigen. Ausserdem wurden mehr schwere Gewaltdelikte begangen und dafür härtere Strafen verhängt. «Die Gesetze sind strenger geworden. Genügt aus Sicht des Gerichts eine Freiheitsstrafe allein nicht und besteht ein besonderes Sicherungsbedürfnis, wird eine stationäre Behandlung oder eine Verwahrung als Massnahme ausgesprochen. Hier steht der Schutz der öffentlichen Sicherheit im Vordergrund. Heute werden deutlich mehr stationäre Massnahmen ausgesprochen als noch vor zehn Jahren und da ist es sehr wahrscheinlich, dass die Insassen ihr Lebensende im Gefängnis verbringen und dort sterben werden. Die Gefängnispopulation der über 50-, 60- und 70-Jährigen wird in Zukunft noch weiter zunehmen (verdreifacht für 2030 und mehr als verzehnfacht bis 2050). Es ist also unerlässlich, sich Gedanken über das Lebensende in Schweizer Gefängnissen zu machen», unterstreicht der Strafrechtsexperte.

Immer restriktivere Gesetzesauslegung
Im juristischen Rahmen informieren Nicolas Queloz und Stefan Bérard über das Schweizerische Recht: «Das schweizerische Strafrecht unterscheidet zwei Sanktionstypen, nämlich Strafen und Massnahmen. Im Schweizerischen Strafgesetzbuch existieren Strafnormen, die eine Aufhebung und eine Unterbrechung des Strafvollzugs erlauben, die aber aus «wichtigen Gründen» abgelehnt werden können. Was als «wichtige Gründe» gilt, wird im Strafgesetzbuch nicht erläutert, sondern von Strafvollzugsbehörden und Richtern ausgelegt. Seit fünfzehn Jahren werden «wichtige Gründe» immer restriktiver interpretiert, denn heute steht die öffentliche Sicherheit an erster Stelle.» Die Schweizerische Verfassung und die Europäische Menschenrechtskonvention nennen zwar Behandlungskonzepte für sterbende Gefangene, denen zufolge eine Behandlung nie unmenschlich und erniedrigend sein darf, aber es gebe keine einheitlichen Regeln für ein menschenwürdiges Lebensende im Gefängnis, da weder einheitliche Richtlinien noch juristische Normen existierten. Im Hinblick auf den Straf- und Massnahmenvollzug haben sich die Schweizer Kantone zu drei regionalen Konkordaten zusammengeschlossen: Strafvollzugskonkordate der Nordwest- und Innerschweiz, der Ostschweiz und der lateinischen Schweiz. Die Forschenden fordern, dass es in jedem dieser Konkordate mindestens eine Institution geben sollte, welche die Infrastrukturen sowie geschultes Personal für alternde, kranke und sterbende Insassen vorweisen kann.

Gefängnisse mit Modellcharakter
Die beiden Justizvollzugsanstalten Lenzburg (AG) und Pöschwies (ZH) sind derzeit die einzigen, die das Problem der Überalterung angehen. Dort untersuchte das Forschungsteam während drei Monaten das Leben hinter Gittern. Das Gefängnis Lenzburg etwa hat eine Abteilung «60 Plus» mit 12 Plätzen geschaffen. Hier wurde die Infrastruktur an die Bedürfnisse von betagten Menschen mit Mobilitätsschwierigkeiten und Krankheiten angepasst. «Genauso wichtig war die Vorbereitung und Schulung des Gefängnispersonals in Pflege und Begleitung, ähnlich wie in einem Pflege- oder Altersheim», betont Prof. Queloz. Die Justizvollzugsanstalt Pöschwies ist mit rund 450 Plätzen für straffällige Männer die grösste geschlossene Justizvollzugsanstalt der Schweiz. Pöschwies hat eine bedeutende Abteilung mit bis zu 50 verfügbaren Plätzen für Personen mit gesundheitlichen Problemen geschaffen, die auch jüngere Betroffene, die beispielsweise an HIV erkrankt oder schwer Drogensüchtig sind, aufnimmt. «Das Modell von Pöschwies finde ich sehr interessant, hier gibt es keine Altersbegrenzung, denn man vertritt die Ansicht, dass Menschen in Haft schneller altern als in Freiheit», unterstreicht der Strafrechtler. In den Gefängnissen der Westschweiz existieren gegenwärtig noch keine vergleichbaren Abteilungen; in den Kantonen Waadt und Genf sind aber zwei Projekte am Laufen. Nicolas Queloz erinnert sich gerne an den offenen und konstruktiven Dialog zwischen dem Forschungsteam und den Direktionen, dem Personal und den Ärzten der Gefängnisse während der Forschungsarbeit: «Das Ziel dieser wertvollen Zusammenarbeit ist ein klares Bewusstsein und die Sensibilisierung der Verantwortlichen aus Politik, Justiz und Sicherheit, damit sie künftig Massnahmen in die Wege leiten.»

Infrastruktur und Personal anpassen
Die Forschenden empfehlen konkrete Lösungsansätze: Erstens könnten bauliche Massnahmen getroffen werden, indem die Gefängnisse ihre Infrastruktur den Bedürfnissen der betagten Insassen anpassen, d.h. Zellen umbauen und ausrüsten, etwa mit altersgerechten Betten und Toiletten. Zweitens sollte das Personal entsprechend für die Spezialabteilungen ausgebildet werden. «Die Haftanstalten sollten auch Palliativpflege sowie eine gesicherte Alterspflege zur Verfügung stellen», betont Queloz und schlägt als dritte und vielleicht umstrittenste Massnahme die Möglichkeit des begleiteten Suizids vor. «Menschen, die todkrank und noch urteilsfähig sind, sollten das Recht auf Sterbehilfe in Anspruch nehmen dürfen. Die Richtlinien der Schweizerischen Akademie der Medizinischen Wissenschaften würde einen assistierten Suizid zwar erlauben, aber es braucht die Zustimmung der Kantone, dass in öffentlichen Räumen Sterbehilfe dank den Organisationen EXIT und Dignitas geleistet werden darf.» Viertens empfehlen die Forschenden die Schaffung einheitlicher Regeln für ein menschenwürdiges Lebensende im Gefängnis. «Das Strafgesetzbuch enthält Paragraphen, die alternative Vollzugsmassnahmen erlauben würden. Dieser Spielraum wird aber von den Gerichten kaum ausgenützt, sondern unterstützt eher eine Null-Risiko-Haltung», erläutert Prof. Queloz.

Es tut sich was
Bereits diesen Herbst sieht das Schweizerische Ausbildungszentrum für das Strafvollzugspersonal in Freiburg ein spezialisiertes Ausbildungsmodul zur Begleitung von betagten und kranken Personen im Gefängnis vor. Nicolas Queloz ist überzeugt, dass die Studienergebnisse eine soziale und politische Relevanz haben.

Projektleitung
Dr. Ueli Hostettler, Pädagogische Hochschule Bern
Dr. Marina Richter, Bereich Soziologie, Sozialpolitik und Sozialarbeit, Universität Freiburg
Prof. Dr. Nicolas Queloz, Rechtswissenschaftliche Fakultät Freiburg

Beginn / Ende: 01.09.2012 – 30.04.2016

Link zur Studie

Kontakt
Prof. Nicolas Queloz, Rechtswissenschaftliche Fakultät, Universität Freiburg, Av. de Beauregard 11, 1700 Freiburg, +41 26 300 80 75, nicolas.queloz@unifr.ch

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