Philologie – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Fri, 02 Oct 2020 06:42:19 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 Les Romains pratiquaient la danse plutôt que la distanciation sociale /alma-georges/articles/2020/les-romains-pratiquaient-la-danse-plutot-que-la-distanciation-sociale /alma-georges/articles/2020/les-romains-pratiquaient-la-danse-plutot-que-la-distanciation-sociale#respond Fri, 02 Oct 2020 06:42:19 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=11554 Pour juguler le coronavirus, nous avons opté pour la distanciation sociale. Tout le contraire des Romains qui, il y a 2400 ans, ont pris le partie de danser pour conjurer une peste. Deux réactions différentes liées à deux modes d’interpretatio de la réalité. Les explications de Karin Schlapbach, directrice de l’Institut du monde antique et byzantin.

Karin Schlapbach, avant tout, qu’est-ce que l’interpretatio?
De manière générale, ce sont les techniques que tout un chacun met en place pour communiquer avec nos contemporain·e·s, notamment pour les comprendre. Plus notre interlocutrice ou interlocuteur sera différent·e de nous, plus nous y aurons recours. Dans notre domaine, la littérature grecque et latine, l’interpretatio consiste à traduire un texte d’une langue à une autre, à expliquer un papyrus ou à interpréter une inscription. Notre discipline aiguise notre aptitude à prêter attention aux mots et à leur pouvoir de donner un sens aux choses. Elle nous pousse au dialogue non seulement avec ce patrimoine d’une culture éloignée dans le temps, mais aussi avec une tradition séculaire d’interprétation. Cette dernière, riche et multiforme, nous montre que le savoir n’est pas un objet, mais une pratique ou, plutôt, que le savoir vit des pratiques que nous pouvons résumer sous le terme d’interpretatio.

Dans l’Antiquité, on avait donc aussi recours à l’interpretatio?
Absolument! On peut penser à son rôle dans la divination, que Cicéron explique comme «le pressentiment et la science des choses futures». Une épidémie, par exemple, était interprétée comme signe d’une rupture de la paix avec les dieux. Il fallait trouver des moyens pour rétablir cette paix. Parmi ces moyens, j’en relève un chez Tite-Live qui nous semble particulièrement surprenant après le confinement de ce printemps et les restrictions actuelles. Dans un passage fameux (Ab urbe condita 7.2), Tite-Live raconte comment, en l’année 364 avant notre ère, lors d’une peste qui durait déjà depuis deux ans, entre autres «moyens d’apaiser le courroux des dieux», on introduisit à Rome les jeux scéniques, une nouveauté pour les Romains qui, jusque-là, ne connaissaient que les amusements du cirque. On fit venir de l’Etrurie voisine des danseurs qui exécutaient des danses aux sons du chalumeau. Ces danses furent bientôt imitées par les jeunes gens de Rome, qui ajoutaient des vers et prenaient soin de bien accorder la voix avec les mouvements du corps. Selon ce récit, ces modestes débuts de la culture théâtrale romaine seraient donc dus à un accident sanitaire!

Donc la façon d’interpréter un événement, de se comporter face à lui, relève également de l’interpretatio?
Dans mon exemple, la réactionÌý des Romains à la pestilence va dans un autre sens que la distanciation sociale qui nous a été imposée. Elle nous étonne même. Pourtant, nous aussi, nous multiplions les interprétations de la pandémie du COVID-19. D’aucuns la considèrent comme une expression d’un déséquilibre fondamental qui s’est instauré entre l’être humain, le monde animal et l’environnement. Certes, ce n’est pas la pax deorum que nous recherchons aujourd’hui, mais nous ne nous bornons pas à chercher un vaccin, nous adaptons aussi notre comportement social en révisant la manière dont nous vivons ensemble et dans le monde.

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«On est très vulnérable si l’on ne connaît pas ses racines.» /alma-georges/articles/2019/on-est-tres-vulnerable-si-lon-ne-connait-pas-ses-racines /alma-georges/articles/2019/on-est-tres-vulnerable-si-lon-ne-connait-pas-ses-racines#respond Tue, 10 Sep 2019 15:21:11 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=9129 Après les manches fribourgeoise et suisse, Isabela Grigoraș remportera-t-elle la finale internationale du concours Ma thèse en 180 secondes au Sénégal? En attendant le grand événement agendé au 26 septembre, la doctorante en philologie classique de l’Unifr évoque sa thèse, ainsi que sa passion pour le latin…et la campagne.

Isabela Grigoraș, présentez-vous en 180 secondes!
Oh là là, c’est beaucoup plus difficile que de présenter ma thèse en 180 secondes! (rires) Je suis Roumaine et j’ai eu la chance de grandir à la campagne. Très jeune, j’ai été baignée dans les langues: à 3 ans déjà, mes parents m’ont fait apprendre l’anglais. Puis le français a suivi, à l’école cette fois. Quant au latin, il est entré dans ma vie au lycée, et n’en est jamais ressorti. Je suis une personne curieuse, qui aime savoir. Enfant et adolescente, j’avais l’impression de détenir une sorte de pouvoir lorsque je savais. C’est probablement ce trait de caractère qui m’a poussée à travailler avec assiduité à l’école, notamment dans l’apprentissage du latin. Au lycée, on m’a proposé de participer aux Olympiades de cette discipline, et j’ai obtenu de bons résultats, qui m’ont menée à deux reprises à des qualifications internationales. Lorsqu’il a fallu choisir une branche principale pour le bachelor, j’ai hésité: «si j’opte pour le latin, je risque de mourir de faim…». Mais finalement – et heureusement! –, j’ai écouté mon cœur et je me suis inscrite à l’Université en philologie classique. Ce fut la plus belle période de ma vie: pendant les pauses, les discussions étaient tellement intenses! Après cela, pour des raisons que je passerai sous silence afin de respecter vos 180 secondes (rires), j’ai entamé un triple cursus de master: en exégétique et herméneutique biblique, en traductologie et en études médiévales. Depuis 4 ans, je travaille sur un doctorat en philologie classique, selon un contrat de cotutelle signé entre les Universités de Bucarest et Fribourg.

Alors qu’on vous imagine plutôt assise dans une bibliothèque, le nez dans les livres, vous évoquez la chance d’avoir grandi à la campagne.
Selon un poète roumain, l’éternité est née à la campagne. Je pense qu’on y sent mieux la vie, et aussi la mort, qu’en ville. A Bucarest, on ne voit même pas les étoiles… Contrairement à beaucoup de mes collègues d’études, je me suis formée à la vie pratique, notamment en travaillant aux champs pendant mes congés. Figurez-vous que je sais traire une vache! En résumé, la campagne fait partie de moi tout autant que les livres. Et j’en suis fière. Je suis toujours attristée de constater que de nombreux Fribourgeois ont honte de leur côté campagnard. Ils ne devraient pas! Au contraire, ils ont la chance de vivre dans un canton qui offre tout: la ville (et ses livres) et la campagne. Justement, rien n’est dû au hasard: arrivée à Fribourg en 2017 pour un semestre financé par une bourse de l’Unifr, j’ai immédiatement adoré cet endroit. J’ai eu la possibilité d’y rester, grâce à une bourse d’excellence d’une année accordée par la Confédération, puis à un poste d’assistante diplômée à l’Institut du monde antique et byzantin.


Reste qu’en 2017, ce ne sont pas les champs fribourgeois qui vous ont motivée à postuler pour une bourse de l’Unifr…
Pas seulement! (rires) Plus sérieusement, en étant basée à Fribourg, je suis au centre de ce monde carolingien d’où émanent les manuscrits dont j’ai besoin pour ma thèse. J’ai également accès à tous les ouvrages nécessaires à la constitution de la bibliographie secondaire. En Roumanie, mes sujets de prédilection sont peu connus. Il ne faut pas oublier que sous le régime communiste, beaucoup d’auteurs «occidentaux» ont été interdits. En ce qui concerne le Moyen-Age, le contenu de nos bibliothèques se limitait aux auteurs «orientaux» (donc byzantins), une situation qui a des conséquences aujourd’hui encore.

Votre thèse porte sur l’Ars grammatica d’Alcuin, un manuel de grammaire latine rédigé au VIIIe siècle. Pourquoi ce choix?
En rédigeant une dissertation de master sur Alcuin (principal artisan de la Renaissance carolingienne et directeur de la plus grande école de l’Empire carolingien, ndlr.), j’avais constaté que peu de ses œuvres étaient éditées. Pour mon travail de thèse, je me suis mise à la recherche d’un texte à éditer qui ne soit ni trop long ni trop court, à ma portée d’étudiante et qui me fasse plaisir. Celui-ci convenait parfaitement: la grammaire est quelque chose qui me parle, contrairement à… euh… du Kafka par exemple (rires). Au début, c’était un peu ardu. Puis, j’ai réalisé à quel point ce texte est génial; il est écrit de façon très attrayante pour les étudiants, quelle que soit leur langue. Pour cela, Alcuin a recours au dialogue, au jeu et à la compétition entre deux personnages, qui sont des élèves. Il parvient à entretenir le suspense, à donner envie de continuer à lire, sans perdre de vue un objectif pédagogique très clair.


Quel est le but exact de votre travail?
A ce jour, il n’existe pas de traduction de l’Ars grammatica dans une langue moderne, ni d’édition critique fiable. La dernière édition, publiée au XIXe siècle, est basée sur trois manuscrits. Au total, une vingtaine de manuscrits ont transmis ce texte, dont l’original est perdu. La phase actuelle de mon travail consiste à comprendre les relations entre tous ces manuscrits – par exemple si une version y est basée sur une version x – puis à éliminer ceux qui sont le moins fidèles à Alcuin ou qui sont redondants. A partir des 6 ou 7 manuscrits restants, je constituerai un texte que je considèrerai comme le plus proche de celui écrit par Alcuin. Je le traduirai en anglais et l’assortirai de commentaires.

On le sent, le latin suscite en vous bien plus qu’un simple intérêt…
En effet, il s’agit d’une passion. Et comme toutes les passions, son origine est difficile à expliquer. Alors bien sûr, il y a des raisons objectives: j’aime le latin pour son côté mathématique, pour ses liens avec la culture antique, etc. Mais cela va plus loin. Lorsque je lis un texte en latin, je me sens accomplie. C’est de l’ordre de la vocation.

Une vocation pour l’enseignement du latin?
Oui, mon rêve est de fonder un lycée classique en Roumanie pour faire découvrir la richesse du latin et du grec. Il faut absolument continuer à susciter l’intérêt pour ces matières! Sinon, nous allons perdre notre identité. On est très vulnérable si l’on ne connaît pas ses racines…


Un sacré défi sachant que de nombreux jeunes considèrent les langues anciennes comme poussiéreuses et rébarbatives!
Comme ils ont tort! Le latin et le grec peuvent très bien être cool. Le problème, à mon avis, vient du fait que les enseignants eux-mêmes collent une étiquette de «sérieux» à ces langues. Au contraire, il faut mettre l’accent sur leurs aspects attrayants. Pour ne citer qu’un exemple, on peut utiliser une chanson à la mode et remplacer ses paroles par la conjugaison d’un verbe latin. Alcuin ne faisait rien d’autre: il avait recours aux blagues pour enseigner le latin. C’était un excellent prof!

Dans quelle mesure le concours Ma thèse en 180 secondes peut-il vous aider à réaliser votre rêve?
Je pense qu’il s’agit d’un excellent moyen de diffuser les valeurs auxquelles je suis attachée. Sans oublier deux effets collatéraux non négligeables. C’est seulement en préparant ce concours que j’ai pleinement compris les techniques pédagogiques d’Alcuin. Et que j’ai enfin pu faire comprendre à mes parents le sujet de ma thèse! (rires)


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  • est doctorante en philologie classique aux Universités de Fribourg et de Bucarest. Parallèlement à la rédaction de sa thèse baptisée «Alcuin, Ars grammatica. Translation and Philological Study» (sous la direction des Professeures Karin Schlapbach et Florica Bechet), elle travaille comme assistante diplômée à l’Institut du monde antique et byzantin de l’Unifr. Le 6 juin 2019, elle a remporté la finale suisse du concours francophone de vulgarisation et d’éloquence Ma thèse en 180 secondes. Le 26 septembre, elle représentera la Suisse lors de la finale internationale de la compétition, qui se déroulera à Dakar.
  • fribourgeois de Ma thèse en 180 secondes; l’histoire d’Isabela Grigoras vous inspire, n’hésitez pas à à l’édition 2020!
  • national MT180
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