patristique – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Wed, 03 Apr 2024 06:08:59 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 «On me prenait pour une chercheuse ésotérique!» /alma-georges/articles/2024/on-me-prenait-pour-une-chercheuse-esoterique /alma-georges/articles/2024/on-me-prenait-pour-une-chercheuse-esoterique#respond Tue, 02 Apr 2024 11:20:01 +0000 /alma-georges?p=20019 A l’instar des célèbres sites mégalithiques de Stonehenge ou de Carnac, l’orientation de nombreuses églises répondrait à des critères astronomiques. Une hypothèse «iconoclaste» qu’Eva Spinazzè, chercheuse FNS à l’Université de Fribourg, s’évertue à démontrer.

Noël ne tombe pas un 25 décembre par hasard! La date choisie par les premier·ères chrétien·n·e·s pour célébrer la naissance du Christ correspond approximativement au solstice d’hiver, le point de l’année où, dans l’hémisphère nord, les jours se rallongent, «où l’espoir renaît», selon Eva Spinazzè. Il ne semble donc a priori pas tout à fait incongru de penser que les architectes des premières églises aient intégré certaines considérations astronomiques pour décider de l’orientation de celles-ci … et pourtant! Quand elle a osé émettre pour la première fois cette hypothèse, Eva Spinazzè est passée pour une «chercheuse ésotérique» aux yeux de certain·e·s de ses collègues: «Or, il n’en est rien, affirme-t-elle, en recourant à la trigonométrie et à des calculs astronomiques, je peux mesurer l’orientation de l’axe des églises et définir les jours où ils ont été le plus probablement tracés. Ce sont donc des observations objectives que je confronte à des sources historiques, ce qui me permet d’émettre des hypothèses sur les critères qui ont déterminé le choix de ces orientations.»

Trop chaotique pour être honnête
Eva Spinazzè est née à Zurich de parents artistes. «Mon père cherchait la lumière dans les couleurs, moi je la cherche dans les pierres», confie-t-elle poétiquement. Puis, c’est à Venise qu’elle décide d’aller étudier l’histoire, la philosophie, la littérature et l’archéologie. Quand elle évoque cette époque bénie, on voit des étoiles briller dans ses yeux: «C’était tout simplement la meilleure période de ma vie!» Presque fortuitement, en observant un plan de la Cité des Doges, elle note que chaque église présente une orientation différente. Elle se demande alors s’il y a une raison à cela, telle que l’orientation vers le soleil levant. Dans le cadre de son doctorat en archéologie, elle se met à creuser la question, mais la littérature scientifique reste peu ou prou muette sur le sujet, sauf en ce qui concerne l’architecture mégalithique. Elle décide alors de frapper à la porte d’Adriano Gaspani, un astrophysicien connu pour ses recherches en archéoastronomie, notamment sur les monuments mégalithiques et ses études celtiques. Loin d’être décontenancé par les intuitions d’Eva Spinazzèil l’encourage à poursuivre son analyse et à mesurer correctement l’azimut, l’angle indiquant la direction par rapport au nord astronomique.

Basilique Saint-Ambroise, Milan

Une recherche transdisciplinaire
Douée pour les mathématiques – discipline que ses enseignants l’encourageaient à embrasser – Eva Spinazzè mêle trigonométrie, calculs mathématiques et, surtout, sondages sur le terrain qu’elle complète avec des sources primaires et secondaires. «Souvent les chercheuses et chercheurs basent leurs études sur google earth. Or, une mesure imprécise de quelques degrés seulement peut complètement fausser les conclusions.» Et la chercheuse de prendre l’exemple d’une église dont l’axe avait été initialement mesuré à 90 degrés par rapport au nord astronomique, mesure qui laissait supposer une orientation en fonction de l’équinoxe. Des mesures plus précises ont toutefois montré que l’édifice était en fait orienté à 88 degrés, ce qui ne correspond plus à l’équinoxe astronomique, qui tombe aux environs du 21 mars et qui marque le début du printemps, mais au 25 mars. Et alors rétorquera-t-on? «Dans le calendrier liturgique, explique Eva Spinazzè, cette date correspond à la fête de l’Annonciation, quand l’Archange Gabriel annonce à Marie qu’elle sera mère de Jésus, le Fils de Dieu». Ce qui démontre que les églises n’ont pas été orientées au hasard ou uniquement en fonction des solstices ou des équinoxes, mais aussi en fonction de dates importantes pour les chrétien·n·e·s de l’époque.

 

Un travail de terrain par tous les temps
Se rendre sur le terrain est indispensable aux yeux d’Eva Spinazzè «Je dois impérativement prêter attention aux reliefs environnant l’édifice car leur distance et leur élévation déterminent le jour où le soleil ou la lune se lèvent ou se couchent.» Récemment, la chercheuse s’est rendue au fin fond de la Suisse, à Zillis, pour faire des mesures à l’église Saint-Martin. Le mercure y affichait -19°C, un froid si vif que son théodolite et son appareil photo ont très vite rendu l’âme. «Le temps de prendre trois clichés et il s’est malheureusement éteint, se remémore-t-elle» En revanche, quand elle inspecte une église située en milieu urbain, comme à Milan ou à Genève, la chercheuse doit se démener entre les trams, les bus et les camions pour trouver un point libre où poser sa mire et son théodolite.

Eglise de San Martino, Mendrisio

Ancrer les églises dans l’espace
Selon la chercheuse FNS, 98% des 250 églises qu’elle a étudiées présentent des alignements en fonction de critères astronomiques: «C’est très facile en fait. Pour aligner un édifice avec le soleil ou avec la lune, il suffit d’avoir deux bâtons et attendre le jour choisi et tracer une ligne. Il n’y a même pas besoin d’effectuer de calculs.» Dans la cité des Doges, elle estime que plus de la moitié des 80 églises médiévales présentent une orientation qui correspond aux saints en l’honneur desquels elles ont été érigées. «Même la célèbre basilique Saint-Marc est orientée en fonction de Saint Théodore, le premier saint à qui elle a été consacrée!» Quant à l’église San Gorgio, les bénédictins l’ont orientée de sorte à ce que le soleil s’y couche à la St-Georges (21 avril) et à l’Assomption (15 août) quand le soleil revient. «C’est fantastique, conclut Eva Spinazzè, symboliquement, la terre est connectée au ciel, les églises ne sont plus perdues dans l’espace mais elles sont connectées à Dieu!»

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  • Eva Spinazzè
  • le 17.04.2024, 17h15-18h45
  • Image de titre: Basilique Saint-Marc, Venise. Crédit: Peter Zelei Images
  • Crédit photos: Eva Spinazzé

 

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Voyage chez les derniers chrétiens d’Irak /alma-georges/articles/2022/voyage-chez-les-derniers-chretiens-dirak /alma-georges/articles/2022/voyage-chez-les-derniers-chretiens-dirak#respond Tue, 29 Mar 2022 09:05:38 +0000 /alma-georges?p=15525 Franz Mali revient tout juste d’un voyage à Erbil, capitale du Kurdistan irakien. Le professeur de patristique y a donné un cours au Babel College for Philosophy & Theology, un institut qui a survécu aux horreurs de Daesh.

C’est un établissement dont on ne trouve presque aucune trace sur le web, mais dont l’existence, à défaut d’être virtuelle, est aussi réelle que miraculeuse. Fondé à Bagdad en 1991, alors que le pays émergeait à peine de la première guerre du Golfe, le Babel College for Philosophy & Theology est l’unique faculté de théologie de confession chrétienne du pays. Son histoire, bien que brève, a déjà connu de nombreux rebondissements. L’invasion de l’Irak par la coalition américaine en 2003, la chute de Saddam Hussein et le chaos qui ont suivi l’ont obligé à fuir Bagdad. «Al-Qaïda a tué l’un des portiers, explique Franz Mali, raison pour laquelle l’institution a déménagé du jour au lendemain à Erbil, dans le Kurdistan irakien, région moins dangereuse et qui abrite des communautés chrétiennes.»

Cathédrale de Mossoul cathédrale de Mossoul

Convention avec l’Université de Fribourg
Etabli depuis 2006 dans le quartier d’Ankawa dans la banlieue d’Erbil, le Babel College a perdu plus de la moitié de ses effectifs suite au conflit. «Lors de mon premier voyage, il y avait entre 150 et 200 étudiant·e·s, ils ne sont plus qu’une cinquantaine aujourd’hui», déplore Franz Mali. Dans les premiers temps, des sous-sols ont servi de salles de classe, tandis que les étudiant·e·s ont dû se débrouiller pour trouver des logements. Aujourd’hui, l’Institut est reconnu par l’Université pontificale urbanienne de Rome, spécialisée dans la formation du clergé et des étudiant·e·s, ce qui lui confère une reconnaissance internationale.
Une convention lie l’institution irakienne à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg. Celle-ci prévoit des échanges entre étudiant·e·s et enseignant·e·s. «C’est Lusia Shammas Markos qui en est l’instigatrice. A l’époque, alors qu’elle était doctorante chez nous, elle a appelé de ses vœux une collaboration entre les deux institutions, se remémore Franz Mali, plusieurs enseignant·e·s sont venus à Fribourg pour donner des conférences, mais il n’y a eu encore aucun échange d’étudiant·e·s. » La collaboration s’avère toutefois difficile, en raison de la barrière de la langue. L’arabe est la langue d’enseignement du Babel College et rares sont les étudiant·e·s qui maîtrisent l’anglais.

Projets d’avenir
Sous l’impulsion de Bashar Warda, l’archevêque catholique chaldéen d’Erbil, une nouvelle université y a été fondé en 2016. Celle-ci compte 280 étudiant·e·s, aussi bien musulman·e·s que chrétien·ne·s. L’ambition est de voir ce nombre doubler lors de la prochaine rentrée. « Bashar Warda souhaite créer une université complète, dans laquelle serait intégré le Babel College. Je pense que, sous sa houlette, c’est un objectif réalisable. Cet archevêque est si énergique. Il est convaincu que l’éducation est le meilleur moyen pour combattre la radicalisation.»

Un optimisme indispensable tandis que, dans la région, les canons ne se sont pas complètement tus. La semaine dernière, plusieurs missiles iraniens se sont abattus sur le consulat américain d’Erbil. «Quelques jours auparavant, nous buvions un café à une centaine de mètres de là, s’émeut Franz Mali, c’est étrange.»

Champs de ruine
Suite aux guerres successives et aux persécutions de Daesh, l’Irak s’est vidée de plus de la moitié de ses chrétien·ne·s. Désormais établis en Europe ou aux Etats-Unis, peu parmi ces réfugiés envisagent un retour dans une contrée pareillement dévastée par le conflit. «J’ai visité des villes détruites, en particulier les localités chrétiennes, témoigne Franz Mali. Malgré le chômage endémique et l’instabilité politique, quelques familles issues de la diaspora y sont tout de même revenues et ont entrepris de reconstruire leur maison détruite. Ce retour requiert énormément de moyens financiers et de courage.» Il va sans dire qu’il faut aussi être bardé d’un optimisme inoxydable et d’une force de résilience hors du commun, dont les chrétien·ne·s d’Irak semblent être généreusement pourvus. Franz Mali en veut pour preuve la visite qu’il a effectuée à Mossoul en compagnie de l’archevêque chaldéen de la ville, Mons. Najeeb: «Il m’a montré son église en s’exclamant ‹Elle est belle, non?!›. Malgré sa destruction, elle est restée remarquable à ses yeux.»

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  • Photo de une: Babel College, © Jean-Jacques Meylan
  • Photos de l’église détruite dans la Plaine de Ninive et du prêtre chaldéen Ghazwan Shahara © Raphaël Zbinden/
  • Page de Franz Mali
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