Neurosciences – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Wed, 07 Feb 2024 12:34:16 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 Sans cerveau, mais pas bête, la bête! /alma-georges/articles/2024/sans-cerveau-mais-pas-bete-la-bete /alma-georges/articles/2024/sans-cerveau-mais-pas-bete-la-bete#respond Wed, 07 Feb 2024 07:38:17 +0000 /alma-georges?p=19628 Christine Guzman serre encore les dents. Passer un premier hiver à Fribourg quand on vient des Philippines n’est pas une sinécure. En revanche, la biologiste de l’évolution a déjà pu prendre la température de sa nouvelle équipe, celle de Simon Sprecher, où elle étudie une anémone de mer qui, si elle ne décrochera jamais de prix Nobel, peut accomplir des tâches surprenantes pour un organisme dépourvu de… cerveau!

Le laboratoire où travaille Christine Guzman ressemble à tous les laboratoires du monde. On y trouve des microscopes en veux-tu en voilà, un fouillis d’éprouvettes et de pipettes, des hottes de sécurité biologique et des frigidaires dont on craint toujours d’ouvrir la porte. A l’intérieur de l’un d’eux, en lieu et place des habituelles boîtes de Pétri, on découvre des tupperwares remplis d’une eau claire légèrement salée où batifolent des créatures bizarres, des sortes de minuscules tubes coiffés de fins tentacules. «Ce sont des anémones de mer que je maintiens à une température de 18 degrés, explique Christine Guzman, quand je souhaite qu’elles se reproduisent, je les déplace dans un incubateur éclairé où il fait environ 26 degrés. Il leur suffit alors de douze heures pour libérer des œufs et du sperme.»

Nemostella Vectensis

Christine Guzman n’élève pas ces anémones de mer (Nematostella vectensis) pour le plaisir de les vendre ensuite à des aquariophiles. Cet animal, qui affectionne les estuaires, présente certaines spécificités qui en font un organisme modèle pour les biologistes.

L’anémone, cette lointaine cousine

Notre fierté dût-elle en souffrir, nous avons un ancêtre commun avec Nematostella vectensis, même si l’évolution a depuis fait son œuvre. L’anémone de mer, elle, est restée un organisme très primitif, doté de l’un des systèmes nerveux les plus simples qui soit, caractérisé par l’absence de cerveau. Tout le contraire de notre encéphale qui, lui, a évolué vers une complexité sans pareille. Mais aussi intelligents que nous soyons devenus, nous ne pouvons pas encore répondre à la question fondamentale suivante: comment diable tout cela s’est-il mis en place?

Capable de «réfléchir» sans cerveau
Ce qui fascine en particulier les biologistes chez les cnidaires, la branche à laquelle appartient l’anémone, c’est qu’ils sont capables de fuir un ennemi ou de capturer une proie alors qu’ils n’ont pas de cerveau, tout juste un réseau nerveux diffus. «Comment peuvent-ils adopter ces comportements relativement complexes alors qu’ils n’ont que quelques centaines de neurones?» s’émerveille Christine Guzman.

Christine Guzman

Christine Guzman

Des rives du Pacifique à celles de la Sarine
C’est précisément pour percer ce mystère que Christine Guzman a quitté le confort moite de l’Institut de science et technologie d’Okinawa, où elle a obtenu son doctorat après avoir décroché son bachelor à l’Université des Philippines. «Je m’intéressais en particulier aux coraux et aux éponges qui, comme les anémones, sont des formes de vie très primitives.» Pour se plonger dans cette recherche, la chercheuse a décroché un subside du Fonds national suisse (SNSF) d’un montant de 266’000francs . Quant à son arrivée à l’Université de Fribourg, pourtant si éloignée des eaux chères aux anémones, elle s’explique très simplement: rares sont les laboratoires qui étudient Nematostella Vectensis. «Sans oublier, précise-t-elle, que je savais qu’on utilisait ici des méthodes à la pointe de la recherche.»

Comme des coqs en pâte
Christine Guzman nourrit sa centaine de milliers de pensionnaires à l’aide d’une décoction à base de crevettes dont elle a le secret: «Prendre soin de mes pensionnaires occupe la moitié de mon temps, confie la chercheuse, à part les nourrir, je dois tous les trois jours préparer l’eau de mer, cultiver la nourriture, faire le ménage et, bien sûr, faire en sorte qu’ils se reproduisent. Ce n’est pas une mince affaire!»

Big brother is watching you
Une partie des observations se déroulent à l’aide d’un puissant microscope, tantôt à la lumière du jour, tantôt dans le noir. «Le comportement des anémones diffère en fonction de la luminosité, explique Christine Guzman, nous devons donc étudier les deux configurations». La chercheuse leur donne ensuite des proies que les anémones, bien qu’elles n’aient pas de véritables organes sensoriels comme les yeux, les oreilles ou le nez, perçoivent et attrapent à l’aide de leurs tentacules. «Elles doivent avoir une sorte de sens qui leur permet de détecter certaines substances chimiques.» Et, à en croire la chercheuse, les Nematostella font les mêmes caprices qu’un enfant devant une assiette d’épinards: «Nous avons remarqué qu’elles adorent les protéines, mais détestent les légumes. Quand elles sont affamées, elles se baffrent littéralement!» Pour suivre les faits et gestes de ses pensionnaires vingt-quatre heures sur vingt-quatre, Christine Guzman les filme, puis recourt à la méthode DeepLabCut, une technique qui lui permet de suivre avec grande précision la position des parties du corps des anémones qu’elle a filmées. Observer le comportement de Nemostella vectensis est une chose, savoir ce qui se passe au niveau de son système nerveux en est une autre, bien plus complexe.

Entrer dans le vif du sujet
La chercheuse essaie également d’implémenter des techniques qui ont faire leur preuve avec la mouche du vinaigre, sans doute l’animal le plus étudié en biologie du développement. «J’en suis encore aux balbutiements, concède-t-elle, car je ne suis à Fribourg que depuis le mois de septembre. Notre but est de voir, à l’aide d’imagerie calcique, quels sont les neurones qui s’activent quand les anémones détectent de la nourriture, un changement de température, de lumière ou des impulsions électriques.» En inhibant ensuite certains gènes, il sera alors possible de voir quel neurone commande l’ouverture de la bouche ou encore la rétractation des tentacules. La chercheuse doit encore peaufiner cette approche dont Simon Sprecher, son superviseur, est un fin spécialiste. «J’ai bon espoir d’obtenir des résultats intéressants dans les prochains mois», confie celle qui se réjouit au moins autant de voir le retour du printemps et des beaux jours.

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«La magie de la relation humaine peut réparer le monde» /alma-georges/articles/2023/la-magie-de-la-relation-humaine-peut-reparer-le-monde /alma-georges/articles/2023/la-magie-de-la-relation-humaine-peut-reparer-le-monde#respond Mon, 17 Jul 2023 14:03:42 +0000 /alma-georges?p=18608 Son intuition le lui chuchotait à l’oreille, le CAS en neurosciences de l’éducation de l’Unifr le lui a confirmé: il est possible de mettre en place des pédagogies capables de recréer des connexions neuronales chez des jeunes traumatisé·e·s. Fort de ce constat, Olivier Mottier a développé trois outils concrets.

Olivier Mottier en est convaincu, «le lien humain peut guérir les maux.» Le directeur du Foyer de Salvan ne va certainement pas se laisser démonter par celles et ceux qui trouvent sa vision de la pédagogie éducative naïve. Et encore moins par celles et ceux qui estiment que pour remettre les mineur·e·s placé·e·s en institution «sur les rails», il faut avoir recours à la discipline, à l’autorité verticale et à la soumission par principe de l’enfant à l’adulte. «Ce qu’il leur faut, à ces jeunes, c’est de l’amour!» Travailleur social et éducateur spécialisé de formation, il s’appuie sur les recherches récentes en sociologie, en psychologie, en pédagogie et en neurosciences pour l’affirmer haut et fort: «On a besoin de nouveaux modèles éducatifs capables d’apporter des limites bienveillantes, une protection qui assure la sécurité de l’enfance et des soins, dans le sens du care.»

Depuis qu’il a repris il y a onze ans la tête de la structure valaisanne qui peut accueillir une trentaine de jeunes résident·e·s, toute son action tend vers ce changement de modèle. «Chez moi, c’est une espèce de posture, je suis attiré par les gamin·e·s les plus abîmé·e·s; n’allez pas me dire qu’il faut garder ses distances avec les jeunes des foyers!» Celui qui, auparavant, a évolué dix ans dans les milieux de la protection de l’enfance, renchérit: «Je crois en la magie de la relation humaine, dans le fait qu’ensemble, on peut réparer le monde.»

Recréer des connexions neuronales
Est-ce pour asseoir scientifiquement cette conviction intuitive ou pour en dégager des outils concrets qu’Olivier Mottier a décidé de participer au CAS en neurosciences de l’éducation de l’Unifr, piloté par Cherine Fahim? «Un peu des deux, probablement», répond-il. «Et j’ai bien fait: les neurosciences apportent un éclairage extrêmement intéressant sur la traumatologie.» Il cite l’exemple de la neurogenèse, à savoir la capacité de faire naître de nouveaux neurones à tout âge de la vie. «Dans le cas d’un enfant ayant vécu des traumatismes, qui est altéré dans son développement cérébral, psychoaffectif et social, il est donc possible de mettre en place des pédagogies éducatives et scolaires capables de recréer des connexions neuronales.» Les connaissances en neurosciences accumulées dans le cadre de sa participation au CAS, le directeur du Foyer de Salvan a décidé de les croiser avec une approche qu’il a découverte dans les années 1990 et qui a fortement inspiré et orienté la suite de son parcours, à savoir l’ACP (approche centrée sur la personne). «Développée dans les années 1960 par Carl Rogers, qui a remis en question la psychanalyse classique, l’ACP est basée sur trois postures fondamentales de la relation d’aide: l’empathie, le regard inconditionnel positif et la congruence.» Olivier Mottier rapporte que «des études récentes ont démontré que cette approche a des impacts sur le cerveau: face à un travailleur social empathique, qui l’accueille de manière inconditionnelle et qui est capable de travailler sur ses résonnances, l’enfant voit augmenter sa neuroplasticité et de nouvelles connexions se créent». Fort de ses nouveaux apprentissages et de l’expérience accumulée sur le terrain, le participant au CAS a décidé de développer trois outils sur la base des neurosciences: un nouveau modèle de supervision favorisant la congruence des professionnels face aux enfants accueillis, un dossier pédagogique – basé sur les programmes TéCool et Go/noGo de Cherine Fahim – pour accompagner les jeunes dans leur développement social et psychoaffectif, ainsi qu’un conte interactif baptisé «Raconte-moi une histoire!». Ce dernier «plonge les participant·e·s au cÅ“ur du cerveau et de la mythologie de l’Egypte ancienne». Inspiré du théâtre-forum, une technique artistique visant la formation, l’animation et la prévention autour de thèmes sensibles, cet outil permet aux enfants d’aborder avec distance et recul les traumatismes et abandons vécus. «Narratif et ludique, il est capable de donner de l’information sur le fonctionnement de notre cerveau en lien avec les traumatismes tout en aidant à cheminer vers la guérison intérieure.»

Obligatoire pour les travailleuses et travailleurs sociaux
«Raconte-moi une histoire!» est centré sur un grand tableau présentant un plan du cerveau. «Les principales fonctions cérébrales sont symbolisées par des dieux égyptiens: Anubis pour les amygdales, Thot pour l’hippocampe, Hathor pour l’hypothalamus, Osiris pour le corps calleux et le thalamus, Maât pour le cortex cingulaire, Amon-Râ pour le cortex préfrontal; quant à Ammemet et à l’œil d’Horus, ils représentent respectivement le traumatisme et la résilience à travers les liens authentiques.» Cinq enfants âgés de 8 à 11 ans et cinq adolescent·e·s de 14 à 17 ans constituent les personnages principaux de cette histoire. Pour chacun d’entre eux, l’âge, la passion, la place dans le groupe et le degré de bonheur ont été définis. «Ensuite, c’est au narrateur-pédagogue de jouer: il est chargé d’inventer une histoire adaptée, d’échanger avec l’auditeur·trice afin d’établir des similitudes avec son propre vécu, de faire le lien avec le fonctionnement cognitif, de proposer des exercices spécifiques d’entraînement du cerveau et de s’impliquer afin d’accompagner le jeune dans son processus de résilience.» Cet outil vise à «sortir en douceur l’enfant du secret, à l’éclairer sur les conséquences cérébrales du traumatisme et bien sûr aussi à ouvrir la voie aux formidables capacités du cerveau à guérir et à s’adapter», résume Olivier Mottier.

Selon lui, justement, «toute avancée scientifique devrait être transformée en outils concrets». Le CAS de l’Unifr «nous force à le faire», se réjouit-il. Mais le spécialiste va plus loin: «Je trouve que cette approche basée sur les neurosciences devrait être obligatoire pour toutes les travailleuses et tous les travailleurs sociaux; il s’agit de personnes-clé, qui se doivent de s’appuyer sur de solides connaissances du fonctionnement du cerveau.» Et de conclure: «C’est seulement ainsi que nous parviendrons à arrêter de déléguer la médicalisation de notre travail.»

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  • Olivier Mottier sera présent àÌýÌý le 23.09.2023
  • ÌýCAS en neurosciences de l’éducation de l’Unifr
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Tout schuss dans le cerveau /alma-georges/articles/2023/tout-schuss-dans-le-cerveau /alma-georges/articles/2023/tout-schuss-dans-le-cerveau#respond Thu, 01 Jun 2023 07:25:52 +0000 /alma-georges?p=18283 Et si ton cerveau ressemblait à une station de ski? Dans le cadre du CAS en neurosciences de l’éducation de l’Unifr, Amandine Vuille a imaginé un jeu éducatif visant à faire connaître leur cerveau aux élèves de 7 à 10 ans. Allergiques à la glisse s’abstenir.

Les conditions sont optimales: la neige est abondante sans être lourde, la météo ensoleillée sans être caniculaire. Cerise sur le gâteau, la fréquentation de la station est relativement basse pour la saison, ce qui limite l’attente au départ des remonte-pentes. Depuis la télécabine, la jeune sportive de 9 ans a une vue d’ensemble sur le domaine skiable, de la zone freeride au snowpark, en passant par le jardin des neiges, le point de vue et le centre d’entraînement. En clignant des yeux, elle croit même apercevoir quelques animaux sauvages: aigle royal, bouquetin, chamois, lapin, marmotte, perdrix des neiges… A force de se concentrer, la fillette a l’impression que sa vision lui joue des tours: le plan des pistes de Zinal-Grimentz (VS) n’est-il pas en train de prendre la forme d’un cerveau? Non, la jeune skieuse ne se trouve pas dans les montagnes du val d’Anniviers mais dans une salle de son école. En compagnie de ses camarades de classe, elle participe à un atelier ludique imaginé par l’éducatrice sociale Amandine Vuille. S’il faut aux enfants une bonne dose d’imagination pour ressentir l’oscillation des remontées mécaniques bercées par le vent, le plan des pistes, lui, s’étale bel et bien devant leurs yeux. «Lorsque j’étais jeune adulte, j’ai fait plusieurs saisons en tant que monitrice de ski à Zinal, donc je connais très bien l’endroit.» C’est d’ailleurs sur place que lui est venue l’idée – alors qu’elle se trouvait sur un télésiège et qu’elle observait les autres amateurs de glisse qui dévalaient les pentes – d’utiliser la métaphore de la station de ski afin de faire découvrir le fonctionnement du cerveau aux écolier·ères de 7 à 10 ans.

Que se passe-t-il donc «là-haut»?
La création de ce support pédagogique neuroéducatif – ainsi que l’évaluation de sa pertinence – figurent au cÅ“ur du travail final d’Amandine Vuille en vue de l’obtention d’un CAS en neuroscience de l’éducation à l’Unifr. La trentenaire travaille comme éducatrice en milieu scolaire pour la commune de Val-de-Travers, dans le canton de Neuchâtel. Après avoir été en charge du soutien éducatif pour des élèves à besoins spécifiques, elle a intégré il y a quelques mois une structure de scolarité alternée. Cette dernière accueille des élèves avec ou sans trouble neurodéveloppemental, qui présentent de multiples difficultés socio-émotionnelles et/ou comportementales. «Auparavant, alors que je travaillais en milieu institutionnel, j’ai notamment accompagné un jeune autiste qui piquait de terribles colères, se mettait à tout casser; je me suis dit qu’il serait utile pour moi de savoir ce qui se déroulait à l’intérieur de son cerveau dans ces moments de crise.» C’est alors qu’elle découvre l’existence du CAS piloté par la docteure en neurosciences Cherine Fahim. Au moment de choisir le sujet de son travail final, Amandine Vuille a poussé la démarche encore plus loin. «Certes, il est important que le personnel socio-éducatif connaisse le fonctionnement cérébral; mais à mon avis, il est tout aussi important que les enfants eux-mêmes comprennent ce qui se passe «Ìýlà-hautÌý».» Elle poursuit: «Durant toute leur scolarité, les élèves utilisent leur cerveau, qui constitue en quelque sorte leur Formule 1; or, aurait-on l’idée de lancer un pilote de course sur le circuit s’il n’y connaît rien en mécanique automobile?» Habituée à utiliser les jeux éducatifs dans sa pratique professionnelle, c’est tout naturellement vers ce support pédagogique que s’est tournée la spécialiste.

Des associations ludiques
Concrètement, ce jeu de coopération repose sur un support physique cartonné au format A3, inspiré du plan des pistes de Zinal-Grimentz. Le domaine skiable a la forme d’un cerveau; les différentes parties de la station correspondent aux divers lobes (frontal, pariétal, temporal, occipital) et respectent les fonctions relatives telles qu’attention, langage, analyse visuelle ou encore traitement de l’information. «Chaque lobe peut être ouvert et contient un bref résumé de sa fonction; son association avec une partie distinctive de la station le rend plus facilement identifiable pour les enfants.» Amandine Vuille a par exemple associé le lobe occipital, impliqué dans la vision, au point de vue panoramique du domaine skiable. Des vidéos complètent le tout. Pour expliquer les trois réseaux neuronaux (réseau de saillance SN, réseau de mode par défaut DMN, réseau exécutif CEN), elle a choisi de les mettre en lien avec des éléments indispensables à la pratique du ski: accessoires (lunettes, casque, gants, etc.) pour le SN, équipement (skis, chaussures, bâtons) pour le CEN et préparation mentale pour le DMN. A chaque catégorie correspond un abonnement de ski sous forme de carte. Quant aux diverses régions cérébrales contenues dans les trois réseaux, elles sont associées à des animaux de la montagne: chamois pour l’amygdale, marmotte pour le thalamus, perdrix des neiges pour l’insula, aigle royal pour le cortex cingulaire antérieur, bouquetin pour le cortex orbitofrontal, etc. «Chamy est par exemple un chamois craintif qui s’alarme lorsqu’il a peur; face au danger, il réagit de trois manières différentes, fuir, combattre ou se figer sur place.»

Vers une diffusion à plus large échelle
Répartis en trois groupes, les élèves prennent connaissance – au travers de la personne chargée de l’animation – de toutes les informations théoriques et pratiques à disposition. Chaque équipe est garante d’un des types d’abonnement, c’est-à-dire qu’elle joue l’un des trois réseaux neuronaux. Les trois équipes doivent travailler ensemble afin que le skieur (leur enseignant) puisse se déplacer dans les différentes zones du domaine skiable, donc du cerveau. Tout au long de la partie, les participant·e·s sont testé·e·s grâce à des cartes-questions ou des questions-vidéo. Des jetons en bois figurant une dameuse – qui représente les expériences et les apprentissages – servent à récompenser les bonnes réponses. Des boules de neige en ouate symbolisant les erreurs pénalisent quant à elles les mauvaises réponses. A la fin du jeu, des médailles inspirées de celles de l’Ecole Suisse de Ski sont distribuées aux petits champions. Tout comme les erreurs sont nécessaires pour apprendre, il faut autant de jetons dameuse que de boules de neige aux participant·e·s pour gagner la meilleure des médailles. Une fois son support mis au point, Amandine Vuille l’a testé dans trois classes (de 4e, 5e et 6e Harmos) du cercle scolaire dans lequel elle travaille. «Afin de pouvoir évaluer l’impact du jeu, j’ai demandé aux élèves de dessiner leur cerveau avant et après l’atelier.» Dans la plupart des cas, la chercheuse a observé un net changement entre la première et la deuxième production, même chez les plus jeunes enfants. «Suite à cela, d’autres enseignant·e·s m’ont activement demandé s’il serait possible de venir « jouer » dans leur classe», se réjouit-elle. Un signal positif qui l’a encouragée à se lancer dans une amélioration du jeu – en collaboration avec Cherine Fahim – afin de pouvoir, dans un avenir proche, «envisager une diffusion à plus large échelle». Un pas dans cette direction a déjà été franchi, puisque l’éducatrice sociale a été invitée à présenter son jeu lors d’un colloque cantonal de la petite enfance.

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Les jeux vidéo à la rescousse des médicaments /alma-georges/articles/2022/les-jeux-video-a-la-rescousse-des-medicaments /alma-georges/articles/2022/les-jeux-video-a-la-rescousse-des-medicaments#respond Tue, 06 Dec 2022 08:18:56 +0000 /alma-georges?p=17207 Gamer serait mauvais pour la santé. Vraiment? Dans la foulée des serious games, une nouvelle génération de jeux vidéo à but thérapeutique voit le jour. Ils nourrissent les espoirs de certain·e·s patient·e·s désespéré·e·s, dont celles et ceux qui souffrent de douleurs chroniques.

Addiction, baisse de l’empathie, sécheresse oculaire, raideur au niveau de la nuque, surpoids: les jeux vidéo peuvent être à l’originaire d’une ribambelle d’affections. Depuis 2018, l’Organisation mondiale de la santé reconnaît même officiellement un «trouble du jeu vidéo». Il se caractérise notamment par une perte de contrôle sur le jeu ou la pratique croissante du gaming en dépit de répercussions dommageables. Des constatations qui interpellent d’autant plus que, fin 2019, près de 2,5 milliards de personnes étaient adeptes des jeux vidéo dans le monde, selon le magazine Wired.

Alors, le gaming, fléau du siècle? Pas si vite! Car, parallèlement, les jeux vidéo sont en mesure de contribuer efficacement à la lutte contre certains maux. Après celle des serious games (ou «jeux sérieux»), l’heure des jeux thérapeutiques a sonné. Dans Voracy Fish, l’un des pionniers du genre, le gamer contrôle un poisson affamé. But récréatif de ce jeu conçu par l’entreprise Genius Games? Faire grossir l’animal aquatique en avalant d’autres petits poissons. L’objectif thérapeutique, quant à lui, est la rééducation du membre supérieur – grâce aux mouvements exercés avec le joystick, la souris ou directement sur la tablette – pour les personnes victimes d’un accident vasculaire cérébral. Concentré·e·s sur cette activité ludique, les patient·e·s en oublient qu’ils font, en fait, des exercices classiques de rééducation fonctionnelle.

Le jeu Snow World, développé par des chercheurs de l’Université de Washington, est pour sa part destiné aux grand·e·s brûlé·e·s. Equipé·e d’un casque, la joueuse ou le joueur est virtuellement plongé·e dans un univers de glace, où elle ou il doit lancer des boules de neige sur un groupe de pingouins qui s’avance. En détournant l’attention des patient·e·s et en les immergeant dans un décor hivernal et froid, on fait baisser aussi bien leurs douleurs que leur anxiété, par exemple lors du changement des bandages. A noter que d’autres axes sont explorés par les thérapies vidéoludiques, notamment la stimulation des personnes atteintes de maladies neurodégénératives, afin d’en ralentir la progression.

Limite des médicaments
«Les jeux vidéo procurent du plaisir aux personnes qui s’adonnent à cette activité; or, lorsqu’on adhère à un traitement qui comporte cette dimension ludique et plaisante, il y a de fortes chances qu’il soit davantage couronné de succès», commente Joelle Chabwine, collaboratrice scientifique auprès du Département des neurosciences et des sciences du mouvement de l’Unifr. En outre, «la distraction engendrée par le gaming a une action directe sur les fonctions cognitives, car elle mobilise les ressources attentionnelles». Il ne faut donc pas sous-estimer ses effets, qui seraient «loin d’être périphériques», estime la neurologue.

En ce qui concerne spécifiquement l’utilisation des jeux vidéo chez des patient·e·s souffrant de douleurs, la médecin adjointe à l’HFR – qui participe à plusieurs recherches liées à la compréhension des mécanismes et à la gestion de la douleur – souligne qu’il s’agit d’une approche ayant un potentiel «vraiment intéressant». Et de rappeler qu’on «arrive gentiment à un plafond au niveau de ce qu’il est possible de faire dans ce domaine avec des médicaments». Dès lors, «à moins d’une découverte scientifique révolutionnaire, nous n’avons d’autre choix que d’explorer beaucoup plus intensivement d’autres solutions, notamment les approches non-médicamenteuses». Les spécialistes se tournent vers l’hypnose, la stimulation cérébrale par l’électricité et le champ magnétique ou encore l’acupuncture. «De plus en plus, l’idée est de cibler plusieurs mécanismes à la fois.»

Joelle Chabwine précise: «Longtemps, la douleur a été appréhendée comme un symptôme mais désormais, avec l’explosion des cas de douleurs chroniques et le progrès des connaissances, elle est considérée comme une maladie à part entière.» Un vrai changement de paradigme. «Le cerveau d’un patient qui souffre de douleurs chroniques semble fonctionner différemment de celui d’un individu sans douleur; les médicaments antidouleurs traditionnels, conçus pour traiter les symptômes dans un cerveau normal, atteignent donc leurs limites.» Le hic? «On ne sait pas encore précisément quels sont les mécanismes qui régissent le fonctionnement du cerveau d’un douloureux chronique.»

Suivi médical à distance
Selon la neurologue, «les jeux vidéo ont tout pour faire entièrement partie de la nouvelle approche». Elle regrette d’ailleurs que, à ce stade, ce soit surtout le côté distractif du gaming qui soit exploré, aussi efficace soit-il. «A mon avis, on peut aller beaucoup plus loin, cibler les mécanismes de la douleur.» Sans oublier les avantages d’ordre pratique, notamment le fait de pouvoir utiliser cet outil en groupe ou de permettre un suivi médical à distance.

Reste que le chemin est encore long et n’est pas dénué d’embûches. Sans surprise, l’aspect financier en est une. «Créer un jeu vidéo destiné à une utilisation thérapeutique spécifique coûte cher, comme l’a montré le lancement de Neuria. Lucas Spierer, le créateur de cette start-up fribourgeoise, est un collègue proche avec lequel je collabore étroitement, y compris dans le cadre de certains projets en lien avec la douleur.» Reste que «développer un jeu sera toujours meilleur marché que de développer un nouveau médicament…»

Autre obstacle? «Il faudrait que les concepteurs·trices de jeux et les médecins se parlent davantage.» Pour l’instant, un fossé sépare encore les mondes du gaming et de la santé. «Certains domaines, tels que la pédiatrie, la chirurgie ou l’anesthésie sont certes relativement ouverts à l’utilisation des jeux vidéo dans la pratique médicale», observe Joelle Chabwine. Mais dans de nombreux autres, «les thérapies alternatives sont déjà difficiles à faire passer, alors imaginez les jeux vidéo!» Cette réticence, la spécialiste la regrette d’autant plus que les patient·e·s atteint·e·s de douleurs chroniques «sont souvent désespéré·e·s et prêt·e·s à tout essayer pour soulager leur mal.»

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  • Joelle Chabwine est neurologue. Médecin adjointe au Service de neurologie de l’HFR, elle travaille par ailleurs en tant que chercheuse et enseignante auprès du Département des neurosciences et des sciences du mouvement de l’Unifr.
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Place à la nouvelle génération /alma-georges/articles/2022/place-a-la-nouvelle-generation /alma-georges/articles/2022/place-a-la-nouvelle-generation#respond Thu, 07 Jul 2022 12:28:38 +0000 /alma-georges?p=16195 La Société suisse pour les Neurosciences (SSN) a tenu son rendez-vous annuel le 11 juin 2022 à l’Université de Fribourg. Après une édition 2021 annulée et une édition 2022 reportée de février à juin, le congrès, organisé conjointement par l’Unifr et l’Università della Svizzera Italiana, a été l’occasion pour les neuroscientifiques suisses de se rencontrer, d’assister à des présentations scientifiques de grande qualité, et d’échanger sur leurs propres recherches.

Dès le vendredi, une quarantaine de jeunes chercheuses et chercheurs se sont réuni·e·s pour le «ySSN», ou «young» SSN meeting, un minicongrès organisé pour donner l’occasion aux jeunes générations de neuroscientifiques, essentiellement des doctorant·e·s, post-doctorant·e·s, et jeunes chef·fe·s de groupe d’échanger, de partager leur travail et de faire connaissance.

«Nous voulions permettre aux chercheuses et aux chercheurs en début de carrière d’exposer leur travail et de recevoir un retour», explique Samy Rima, post-doctorant au Département de Médecine de l’Unifr et organisateur de l’évènement. «Il n’est souvent pas facile d’assurer une place de présentation à la jeune génération lors du congrès principal. De plus, la pression est moindre, ce qui offre une atmosphère plus détendue et plus propice à la discussion entre pairs.» Les participant·e·s ont eu l’occasion de présenter leurs travaux lors de nombreuses conférences ou autour de posters exposant leurs derniers résultats. Pour clore la journée, les jeunes chercheurs·euses ont pu assister à une projection du film Cinq nouvelles du cerveau de Jean-Stéphane Bron, et échanger de manière informelle avec leurs collègues et des enseignant·e·s sur l’éducation, les méthodes didactiques et l’acquisition de connaissances.

Succès pour les neurosciences suisses malgré la covid
Cette année, les deux présentations principales ont été données par les Professeurs Wolfram Schultz, alumnus de l’Unifr, et Antonio Pisani, de l’Université de Pavie. Michael Schmid, professeur au Département de médecine et coorganisateur de l’évènement, est, comme un grand nombre de ses collègues, particulièrement fier de la venue du Professeur Wolfram Schultz: «Nous étions particulièrement enthousiastes à l’idée de le ‹ramener à la maison›. Il s’agit, en effet, d’un neuroscientifique de renommée mondiale, qui a été professeur de neurophysiologie à l’Unifr entre 1977 et 2001.»

Wolfram Schultz est l’un des pionniers de la recherche sur le système de récompense dans le cerveau. Alors qu’il travaillait sur le campus de Pérolles, il a découvert comment les neurones dits «dopaminergiques» de notre cerveau codent la valeur subjective des choses, la récompense, ou la surprise d’un évènement inattendu. Lors de son exposé, le Professeur Schultz est revenu sur les découvertes principales que lui et son équipe avaient faites à l’Unifr, des travaux qui ont ouvert la voie à la recherche sur les processus de récompense et d’apprentissage. Il a expliqué, ponctuant ses démonstrations d’exemples amusants et de références à son passage à Fribourg, comment le cerveau utilise chaque évènement qui provoque une émotion, ou chaque apprentissage, pour prendre des décisions et définir nos actions suivantes. Il a aussi tenu à rappeler aux jeunes chercheuses et chercheurs présent·e·s dans la salle, comme aux plus ancien·ne·s, l’importance de la liberté de poser des questions, et surtout de prendre plaisir à trouver des réponses sans subir une pression extérieure trop forte.

Après cette entrée en matière passionnante, et une occasion parfaite pour rappeler l’importance de l’Unifr dans la recherche en neurosciences depuis de nombreuses années, le congrès a pu aborder une grande variété d’autres thématiques, comme, par exemple, les nouveaux outils et méthodes de la branche, la neuro-inflammation, ou encore les mécanismes de la conscience et la neuro-réhabilitation.

Coup d’œil sur les organisatrices et organisateurs de l’Unifr
«La préparation de ce congrès dure depuis 2 ans et demi. Ce qui signifie que ce sera le congrès le mieux organisé que l’on n’ait jamais eu.» La présidente de la SSN, Anita Lüthi (Unil), a ouvert le congrès sur ces mots d’humour, avant de remercier spécialement les organisatrices et organisateurs, en particulier Michael Schmid, pour avoir organisé, puis réorganisé, le congrès, tout en parvenant à maintenir le programme et la logistique, malgré les difficultés liées à la pandémie. Une dizaine de professeur·e·s de l’Unifr et de l’Università della Svizzera Italiana lui ont prêté main forte.Michael Schmid se réjouit de la très bonne représentation et de la qualité de la recherche en neurosciences à l’Université de Fribourg: «Au moins la moitié des symposiums étaient organisés par nos scientifiques locaux, les Professeurs Mario Prsa, Juliane Britz et notre nouvelle collègue Patricia Boya.. De plus, les doctorant·e·s et post-doctorant·e·s de l’Unifr étaient très bien représentés dans la session interactive de posters.» Avec 28 présentations scientifiques, 95 posters et presque 300 participant·e·s sur les deux jours, les organisateurs s’accordent à dire que ce congrès a été un succès, et donnent rendez-vous à tous·tes les neuroscientifiques suisses l’an prochain à Lugano.
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  • de la Société suisse de neurosciences
  • de Michael Schmid
  • Photo de une: Samy Rima (organisateur ySSN), Wolfram Schultz et Michael Schmid; © Michael Schmid
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«Ce film est une quête sur la vie» /alma-georges/articles/2022/ce-film-est-une-quete-sur-la-vie /alma-georges/articles/2022/ce-film-est-une-quete-sur-la-vie#respond Tue, 07 Jun 2022 11:00:45 +0000 /alma-georges?p=15887 Le Département des neurosciences de l’Unifr présentera le dernier documentaire «The Brain – Cinq nouvelles du cerveau» du réalisateur lausannois Jean-Stéphane Bron à l’auditoire Joseph Deiss, Boulevard de Pérolles 90, le 10 juin 2022, comme pré-événement du congrès de la Swiss Society for Neuroscience (SSN) qui se déroulera le 11 juin à Fribourg.

Nommé par le Prix du cinéma suisse dans les catégories du meilleur film documentaire et de la meilleure musique, Cinq nouvelles du cerveau touche aux mystères du cerveau humain et aux stupéfiantes avancées scientifiques dans le développement de l’intelligence artificielle. Avec le sublime qui caractérise ses œuvres, Jean-Stéphane Bron a suivi cinq talentueux scientifiques dont les débats et les enjeux interpellent. Téléspectatrices et téléspectateurs en ressortent déstabilisé·e·s mais doté·e·s de nouvelles interrogations sur la nature de la vie et de l’espèce humaine.

Jean-Stéphane Bron a accepté de répondre à nos questions sur ce documentaire à la fois passionnant et déconcertant.

Votre film suscite plus de questions que de réponses, est-ce volontaire?
Oui, je voulais créer un monde qui puisse naître dans la tête des téléspectatrices et des téléspectateurs. L’idée est de leur donner un trajet à faire par leurs propres pensées, qu’elles et ils puissent aller d’une question à l’autre en se livrant à leurs réflexions et en s’ouvrant à un champ illimité au niveau de l’imaginaire. L’iconographie de l’intelligence artificielle est extrêmement pauvre et, plutôt que d’imposer des images stéréotypées, je voulais faire apparaître celles qui sont déjà en elles et eux.

C’est un pari réussi qui nous laisse tout de même un peu plus cartésien·ne qu’avant…
C’est vrai, c’est une bonne lecture! Il y a toute une série de questions que je ne m’étais jamais posées si frontalement. C’est pour cette raison que j’ai aimé commencer ce documentaire avec Alexandre Pouget et sa vision très fataliste de l’humanité. Selon lui, les machines sont en train de prendre un chemin qui va, à terme, nous dépasser. Cette première rencontre m’a totalement ébranlé.

Et changé vos convictions?
Un peu, sans doute. Cela m’a surtout permis de clarifier certaines choses. Ce qui m’a plu, en tant que scénariste, c’est de faire du film un objet qui échappe à mes propres certitudes et même, qui va au-delà: dans une pensée contre moi-même. C’est vrai que c’est un chemin de rationalité, mais dans ce chemin, il y a une sorte de quête très métaphysique sur la vie, telle que l’idée de chercher à comprendre son origine, d’expliquer l’univers ou de décoder le cerveau humain. La démarche scientifique est à la fois rationnelle et faite d’un imaginaire marqué par la fiction, nos fantasmes et nos angoisses millénaires. J’ai trouvé ces deux réalités complètement opposées très intéressantes.

Dans le récit de ces scientifiques, je vois une lecture neuronale de l’apocalypse, comme s’ils avaient remplacé un récit par un autre récit. Je trouve cela très humain, car nous n’arrivons pas à nous passer de ces histoires qui sont pleinement dans un champ de l’imaginaire.

Vous en êtes sûr ou vous l’espérez?
Sans vouloir généraliser, j’ai l’impression que les scientifiques n’échappent pas à leur propre histoire. On cherche souvent à l’endroit où on a une blessure. Je pense que le docteur en neurosciences David Rudrauf incarne bien cela. Dans son envie de maîtrise, il y a forcément une part très intime de lui-même qui cherche à se connecter aux autres, à s’en approcher. L’imaginaire de la science-fiction rencontre aujourd’hui le monde scientifique: il y a en effet des choses très lointaines – comme les robots qui supplantent l’être humain – mais aussi d’autres qui sont concrètes et réalistes, telles que l’implant cérébral qui pourrait moduler notre humeur de façon extrêmement précise. Un hacking généralisé paraît conspirationniste; cependant, les attentions malveillantes sont bien réelles.

On découvre avec le neuroscientifique Niels Birbaumer les histoires de Fabio et de Felix, tous deux atteints par le locked-in syndrome appelé aussi le syndrome d’enfermement. Quelle a été votre approche pour filmer ces moments?
Dans sa quête absolue de vouloir se connecter aux autres, Niels Birbaumer nous prouve ici quelque chose de profondément humain: pour se connecter aux autres, il faut pouvoir communiquer. Ce sont deux histoires extraordinaires, impressionnantes et finalement très contre-intuitives. La science nous apprend que nos intuitions émotionnelles ne sont parfois pas tout à fait les bonnes. La réaction première serait de se demander pour quelles raisons cette personne est encore vivante, pourquoi n’a-t-elle pas voulu être débranchée, a-t-elle envie de vivre ou de mourir? Entendre ces gens et écouter ce qu’ils désirent, c’est là toute la quête personnelle de Niels Birbaumer.

C’est très impressionnant de faire face à ces personnes, ces «gisant·e·s», en quelque sorte. Il faut déjà accepter l’image avant de pouvoir filmer une telle violence.

Vous dites avoir perdu beaucoup de neurones pour faire ce film. Pourquoi?
C’est vrai, je suis parti un peu inconsciemment dans ce documentaire. La première chose, c’était de trouver l’écho d’une histoire à l’autre qui va bien au-delà que de dresser un portrait pour chaque scientifique. Il fallait travailler à ce niveau mental, tout en gardant le film à un niveau cérébral, c’est-à-dire, de faire en sorte que la spectatrice et le spectateur soit submergé·e de questions et ébranlé·e dans ses convictions. J’aime bien l’idée de devoir face à une pensée que l’on a pas forcément envie d’entendre.

Qu’est-ce qui vous a personnellement le plus marqué dans vos rencontres avec les cinq scientifiques?
La première rencontre avec les scientifiques était émotionnellement très forte. J’ai essayé de garder cette émotion tout au long du cheminement avec elles et eux et de la traduire au mieux avec des images.

Ce qui m’a vraiment marqué, c’est d’arriver à connecter leur part intime, de créer un monde cohérent à partir d’elles et eux et de faire rencontrer l’imaginaire de la science-fiction au monde scientifique. C’était une sorte de voyage personnel qui m’a fait débuter par une affirmation d’Alexandre Pouget que l’on va tous disparaître, pour m’emmener très loin dans le futur avec David Rudrauf et ses robots et de finir par relativiser ce cheminement avec Aude Billard. Toutes et tous m’ont amené l’un vers l’autre.

C’était intentionnel de terminer sur une note d’espoir avec la physicienne Aude Billard?
L’idée que la technique va pouvoir tout remplacer et tout imiter du vivant est quelque chose de peu débattu. Je ne voulais pas opposer les scientifiques dans leur camp, car je trouve intéressant d’aller au fond d’une idée, de pouvoir la développer et la présenter. Oui, bien sûr, c’était voulu de terminer avec Aude Billard et son affirmation que le fait qu’un mécanisme puisse copier un organisme n’est pas du tout acquis.

Votre affiche de film pose une question essentielle: «Conscience es-tu là?». D’après vous et surtout après ce tournage, où se trouve-t-elle?
Nous devrions plutôt nous demander si nous sommes prêt·e·s à nous interroger sur ces questions-là qui sont des interrogations très politiques. Comment décide-t-on de définir notre rapport aux machines?

C’est à peu près sûr que nous avons une conscience, mais je ne sais pas si elle se trouve dans le cerveau. Et comment émerge-t-elle? C’est là toute la question…

A propos
Réalisateur et scénariste, Jean-Stéphane Bron est né en 1969 à Lausanne. Diplômé de l’Ecole cantonale d’Art de Lausanne (ECAL), il a été maintes fois récompensé. Il est notamment connu pour ses documentaires dramaturgiques proches de la fiction tels que Mais im Bundeshuus/Le Génie helvétique – 2003, Cleveland contre Wall Street – 2010 ou encore L’expérience Blocher – 2013». CinqÌý nouvelles du cerveau – 2021 a été nommé meilleur film documentaire et meilleure musique par le Prix du cinéma suisse. Plus d’infos sur la projection .
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Maladie d’Alzheimer: la Suisse frappée de plein fouet /alma-georges/articles/2020/maladie-alzheimer-la-suisse-frappee-de-plein-fouet /alma-georges/articles/2020/maladie-alzheimer-la-suisse-frappee-de-plein-fouet#respond Mon, 21 Sep 2020 08:17:38 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=11462 En Suisse, près de 154’000 personnes souffrent d’une forme de démence, un chiffre astronomique qui pourrait doubler d’ici à 2040. A l’occasion de la journée mondiale de la maladie d’Alzheimer, la Dre Lavinia Alberi Auber de l’Unifr et du Swiss Integrative Center for Human Health tire la sonnette d’alarme et en appelle à des investissements massifs dans la recherche pour contrecarrer cette épidémie!

La Suisse enregistre chaque année plus de 30’400 nouveaux cas de démence. Pourquoi?
C’est, bien sûr, dû au vieillissement général de la population, ce qui est en soi une bonne nouvelle. En ce qui concerne les causes mêmes de la maladie d’Alzheimer, les chercheuses et les chercheurs ont mis en évidence des facteurs héréditaires, mais aussi l’influence de l’hygiène de vie: pratiquer du sport régulièrement ou manger de manière saine diminuent les facteurs de risque. On a aussi remarqué que les infections herpétiques ou des traumatismes cérébraux peuvent jouer un rôle dans l’apparition de la maladie. Les causes sont donc multiples, ce qui explique qu’il n’existe, à ce jour, aucun traitement pour cette maladie.

Mais le temps presse!
En Suisse, la maladie d’Alzheimer provoque des coûts astronomiques, plus de 6,3 milliards de francs pour le système de santé et plus de 5,5 milliards de francs pour les familles! Je ne peux donc que m’étonner du faible soutien financier dont bénéficie la recherche. A cela s’ajoutent les conséquences sur les patient·e·s et leurs proches: les personnes atteintes d’Alzheimer souffrent de troubles du langage, éprouvent des difficultés à s’exprimer, à comprendre ce qu’on leur dit. Certaines familles feignent d’ignorer ces symptômes, ce qui, bien sûr, n’arrange rien à la situation et stigmatisent les malades. C’est pourquoi, nous voulons profiter de ce mois de septembre, décrété mois mondial de la maladie d’Alzheimer, pour lancer une campagne internationale visant à sensibiliser la population mondiale à la démence et à cette affection.

D’où votre idée de générer des synergies en créant Brainfit4Life, un groupe de travail basé à Fribourg?
Avec Brainfit4Life, nous nous sommes donné la mission d’explorer de nouvelles pistes thérapeutiques au profit des patient·e·s et de leur famille. Il s’agit d’une organisation à but non lucratif qui réunit des scientifiques, des clinicien·ne·s et des expert·e·s de Suisse et d’ailleurs. Nous mettons également l’accent sur la prévention et la sensibilisation. La population et les autorités doivent mieux connaître cette problématique.

Votre association souhaite aussi faire le pont entre la recherche fondamentale et l’industrie.
Absolument! Notre installation au facilite cet échange indispensable entre le monde académique et l’industrie. Il y a d’ailleurs parmi nous des représentant·e·s de l’industrie, ce qui favorise la collaboration entre les institutions publiques et privées. Nous nous sommes fixé quatre objectifs dans notre programme de recherche stratégique: établir un registre national de la santé cérébrale, mettre sur pied des programmes pour le diagnostic précoce, élaborer des thérapies personnalisées et, finalement, mettre sur pied cette fameuse campagne de sensibilisation pour éviter l’incompréhension, le malaise et la stigmatisation qu’engendre le vieillissement cérébral.

Photo: Lavinia Alberi Auber

Raison pour laquelle vous organisez, le 13 octobre prochain, un sur ce thème.
C’est un événement très important, soutenu d’ailleurs par le Fonds national suisse et Innosuisse, qui réunira des scientifiques et des clinicien·ne·s bien connus, suisses et étrangers. Nous pourrons notamment compter sur la présence de Matthew Baumgart, directeur général des affaires gouvernementales pour l’Association d’Alzheimer aux Etats-Unis et, accessoirement, ancien collaborateur de Joseph R. Biden, ainsi que sur celle de Manoj Pradhan, un spécialiste des questions macro-économiques et des marchés financiers. Leurs interventions nous permettront de trouver des solutions au fardeau socio-économique de la démence et des autres maladies neurologiques.

On sent que votre intérêt pour cette maladie va bien au-delà de la pure curiosité scientifique. Etes-vous personnellement concernée? D’où vous vient cet engagement?
Je ne suis pas inquiète pour moi mais, en tant que spécialistes du domaine, je ressens une sorte d’obligation morale envers les familles et les patient·e·s. Nous devons mieux faire et je suis convaincue que nous n’y parviendrons qu’en harmonisant les ressources et en créant un réseau solide, afin d’inspirer ainsi la nouvelle génération de neuroscientifiques et d’activistes. La Suisse est le pays de l’innovation, nous jouissons d’infrastructures et d’institutions formidables, mais nous ne pourrons faire la différence qu’en augmentant les investissements. Je tiens à relever qu’un traitement par anticorps développé en Suisse, l’Aducanumab, s’avère prometteur et qu’il est en cours d’évaluation par la Food and Drug Administration. Ce serait le premier médicament après 20 ans d’échecs d’essais cliniques.

Tout espoir n’est donc pas perdu?
Nous devons comprendre que le vieillissement pathologique du cerveau se développe lentement et insidieusement au cours d’une longue étape asymptomatique. Le diagnostic précoce, à un stade où les processus peuvent en effet encore être réversibles, faciliterait la mise en Å“uvre d’un programme thérapeutique ou de prévention et retarder l’apparition du déclin cognitif. Pour conclure, j’ajouterais que connaître les facteurs de risque peut contribuer à améliorer la vie de nombreuses personnes.

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Contacts:

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Soigner un cerveau lésé: risques et défis /alma-georges/articles/2019/soigner-un-cerveau-lese-risques-et-defis /alma-georges/articles/2019/soigner-un-cerveau-lese-risques-et-defis#respond Mon, 04 Mar 2019 18:36:40 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=7891 A l’occasion de la Semaine du cerveau, le Prof. Eric Rouiller propose une conférence qui se penche sur les succès, les échecs, les défis et les espoirs de cette sciences délicate qu’est la neuroréhabilitation.

Qu’est-ce exactement qu’uneÌýneuroréhabilitation?
Il s’agit d’une procédure médicale complexe visant à favoriser la récupération fonctionnelle suite à une lésion ou pathologie du système nerveux et/ou de minimiser/compenser les altérations fonctionnelles qui en découlent.

QuellesÌýapproches de traitementÌýont fait leurs preuves?
Les implants cochléaires en cas de surdité profonde ou encore la stimulation électrique cérébrale profonde en cas de maladie de Parkinson résistante au traitement pharmacologique sont des exemples qui ont montré de belles réussites.

Quels défis rencontrez-vous aujourd’hui?
L’élaboration et l’affinage des approches thérapeutiques pour récupérer de lésions du système nerveux central, telles que des lésion de la moelle épinière ou encore du cerveau, par exemple suite à un accident vasculaire cérébral, représente un défi important parmi d’autres. Il peut s’agir de stimulations électriques ou encore de stratégies visant à réparer les systèmes atteints.

L’accompagnement se termine-t-il avec la sortie de la clinique?​
Non, les thérapies nécessitent des ajustements par la suite.

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  • La conférence sera présentée par le Prof. Eric Rouiller le lundi 11 mars à l’Aula du Collège Saint-Michel à 19h00.
  • du Professeur Eric Rouiller
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Quand la vie vous laisse sans mot /alma-georges/articles/2018/quand-la-vie-vous-laisse-sans-mot /alma-georges/articles/2018/quand-la-vie-vous-laisse-sans-mot#respond Tue, 04 Dec 2018 15:32:53 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=7582 Un accident vasculaire cérébral peut conduire à une perte du langage. Comment récupérer ses capacités après un tel épisode? Quel est le rôle du médecin? Quelles sont les conséquences sur l’entourage? C’est ce que raconte Un homme pressé. Projeté le 6 décembre au Rex, le film sera suivi d’une discussion avec des spécialistes, dont Jean-Marie Annoni, professeur en neurosciences à l’Unifr.

Un homme pressé suit la convalescence d’Alain, un homme d’affaire, victime d’un accident vasculaire cérébral. Quelles en sont les conséquences pour lui?
Il présente une aphasie, c’est-à-dire une perte partielle de son langage. Difficultés à trouver les mots, à comprendre ce que les autres disent, à lire et écrire sont autant de symptômes que l’on retrouve régulièrement suite à une attaque cérébrale au niveau de l’hémisphère gauche. Les personnes aphasiques ont souvent des difficultés à s’exprimer spontanément. Certains ne parlent plus que par juxtaposition de syllabes, d’autres très lentement en peinant à construire des phrases. D’autres encore ne trouvent plus les bons mots. Enfin, il y a aussi des personnes aphasiques qui parlent de manière fluide, mais mélangent certains sons et certains mots, comme le personnage du film. La compréhension, lors d’une discussion en groupe, reste difficile même pour des personnes avec une aphasie plus légère.

Existe-t-il des statistiques sur les victimes de tels accidents?
A Bâle, le taux d’incidence d’un premier accident vasculaire cérébral est d’environ 1.39 pour 1000 personnes par an, avec une prévalence de 30% de troubles aphasiques; parmi ceux-ci, plus de la moitié étaient des aphasies d’importance moyenne à sévère. D’autres études européennes ont mis en évidence des données comparables. On estime le nombre d’aphasiques en Suisse à 3’000 par an et le nombre total de personnes aphasiques à 12’000. Moins souvent, les aphasies peuvent êtres liées à des maladies dégénératives du cerveau (aphasies progressives).

Neurologiquement quels sont les enjeux?
La régression de l’aphasie est liée à une réorganisation progressive du système langagier perturbé. Un rétablissement des fonctions langagières est possible dans les tissus temporairement endommagés aux abords immédiats de la lésion mais, le plus souvent, il subsiste une hypofonction de ces aires cérébrales. Chez la plupart des patients, les conséquences sont des perturbations fonctionnelles significatives du langage. Personne ne conteste que l’hémisphère droit ait des compétences pour traiter certaines informations langagières; son rôle joué est probablement un soutien, mais il n’est pas suffisant

A Fribourg, quelles sont les ressources vers lesquelles on peut se tourner dans de tels cas?
Les logopédistes installées dans le Canton et dans les hôpitaux fribourgeois sont les spécialistes qui accompagnent et soutiennent ce processus de récupération, qui peut prendre des années. Une thérapie du langage est indiquée dès la phase de récupération spontanée, c’est-à-dire pendant les premières semaines après l’accident vasculaire cérébral, mais reste également indiquée plus tard . Une thérapie,Ìýsuffisamment intensive, débutée pendant la phase aiguë permet de doubler les effets de la récupération. L’Université de Fribourg compte également une chaire et un programme de formation en logopédie qui aborde ces problèmes, en plus de tous les problèmes de langage développementaux (dyslexie, etc). Une association de personnes aphasiques est également active, l’.

Quels progrès promet encore la médecine?
Les enjeux futurs passent non seulement par l’optimisation des techniques de stimulation de la plasticité cérébrale par la neuromodulation, mais aussi, comme le montre le film, par le processus d’adaptation de la personne touchée par l’aphasie et de l’entourage. Cette problématique nécessite des connaissances biomédicales et des processus cognitifs, mais également un sens de l’accompagnement. A l’Université de Fribourg, nous avons mené plusieurs recherches sur ces processus sur des patients bilingues.

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  • le 6 décembre à 18h00, au cinéma Rex, bvd de Pérolles 5, 1700 Fribourg
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Une dernière étape encore souvent incontournable /alma-georges/articles/2018/une-derniere-etape-encore-souvent-incontournable /alma-georges/articles/2018/une-derniere-etape-encore-souvent-incontournable#respond Tue, 06 Feb 2018 10:34:43 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=5787 L’Université de Fribourg s’engage depuis plusieurs années dans la recherche sur les maladies nerveuses, dégénératives ou encore sur les dysfonctions suite à un traumatisme qui touchent le cerveau ou la moelle épinière, telles que le Parkinson ou la paraplégie. En dernier ressort, ces expérimentations nécessitent le recours à divers modèles animaux avant le passage aux essais cliniques. Explications du Professeur Eric Rouiller.

Le sujet est sensible et le débat éthique insoluble. Les conditions de l’expérimentation avec les animaux sont cependant extrêmement strictes et contrôlées en Suisse et les objectifs de chaque recherche approuvée très ciblés. La Plateforme de neurosciences translationnelles située à l’Unifr initie depuis un peu plus d’une année plusieurs projets de recherche sur les primates non-humains, visant à appliquer en clinique des principes thérapeutiques élaborés initialement sur des modèles de rongeurs, avant le passage aux essais cliniques. Cela concerne des traitements novateurs visant à favoriser la récupération fonctionnelle suite à une lésion spinale, par exemple, ou encore à tenter de traiter la toxicomanie.

Eric Rouiller, ce sujet est toujours très délicat. Comment décide-t-on d’entreprendre ce type de test?
Après avoir identifié une approche thérapeutique prometteuse, à partir d’expériences sur les rongeurs, et en vue de paver la voie vers les essais cliniques, le modèle du singe reste, dans de nombreux cas, incontournable, tant pour vérifier la pertinence du principe thérapeutique sur une espèce plus proche de l’humain que pour assurer la sécurité de ce dernier par rapport au traitement proposé. Afin d’assurer le financement de telles études, la valeur scientifique du projet doit être reconnue par les instances adéquates, comme leÌý Fonds national suisse de la recherche scientifique, par exemple. De plus, toutes les expériences que nous menons ont reçu une autorisation vétérinaire par la commission d’éthique ad-hoc, du vétérinaire cantonal et de l’OSAV (Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires). La Suisse est d’ailleurs un des pays les plus strictes au sujet de la protection des animaux et l’expérimentation animale.

Sur quoi portent ces différentes recherches exactement?
Ces travaux ont, pour la plupart, un point commun: il s’agit de reproduire des commandes motrices provenant du cerveau, interrompues suite à une lésion de la moelle épinière, en utilisant des stimulations électriques appliquées, par exemple, au niveau de la moelle épinière. Ils sont menés en étroite collaboration avec plusieurs laboratoires d’institutions partenaires en Suisse, qui ont ainsi accès au modèle du primate non-humain sur le site de Fribourg. La mise en forme adéquate de ces stimulations électriques a pour but de recréer des patrons de mouvements permettant des actions d’approche et de manipulation avec le membre antérieur ou encore la locomotion avec le membre postérieur chez des sujets paralysés, suite à une lésion spinale. Une autre étude a, par exemple,Ìý pour but de tester l’hypothèse que des stimulations électriques appliquées dans une zone spécifique profonde du cerveau seraient à même de traiter la toxicomanie. Cette technique de stimulation électrique est déjà utilisée couramment en clinique pour traiter des patients parkinsoniens.ÌýIl s’agit donc de s’assurer ici que cette approche pourrait également s’appliquer au traitement de la toxicomanie.

Vous allez vraiment injecter de la cocaïne à ces animaux?
En effet, les animaux seront exposés à cette substance. Mais il faut préciser les conditions exactes: les singes recevront des micro-doses de cocaïne, qui ne créent pas une dépendance, mais uniquement une préférence par rapport à un autre mode de renforcement, dans le cadre d’un essai comportemental. Ce peut être, par exemple de l’eau, du jus de fruit ou encore des morceaux de nourriture. La question qui se pose est: la stimulation électrique est-elle capable de renverser cette préférence?

Les animaux souffrent-ils durant ces expériences?
Il faut savoir qu’il n’y a pas de récepteur à la douleur dans le cerveau. Nos manipulations sont donc totalement indolores. Ainsi que je viens de le dire, les méthodes que nous appliquons sur les singes sont très proches de ce qui se fait déjà sur les êtres humains comme, par exemple, les stimulations électriques profondes dans le cerveau.

De manière générale, minimiser la douleur et éviter la souffrance des animaux de laboratoire est un impératif éthique, légal et scientifique. Les animaux de laboratoire sont traités de la même manière que les animaux dans une clinique vétérinaire. Pour leurs interventions chirurgicales, les chercheurs utilisent le même type d’anesthésie et les mêmes analgésiques que ceux utilisés pour les animaux de compagnie.

Il faut aussi relever que, dans nos expériences, les singes ne sont pas sujets à des restrictions de nourriture, ni de boisson. Ils ont accès à de l’eau à volonté, jour et nuit.

Comment décide-t-on d’autoriser ce type d’expérience?
C’est le rôle de la Commission cantonale d’éthique et de surveillance de l’expérimentation animale, qui effectue une pesée d’intérêts entre la souffrance des animaux et le progrès potentiel pour la santé humaine. Le scientifique qui soumet son projet de recherche doit développer lui-même les arguments qui sous-tendent cette pesée d’intérêts. Celle-ci est ensuite examinée et évaluée, voire modifiée, par la Commission d’éthique. La science doit s’engager dans ce débat et se conformer aux conditions cadres, qui,Ìýen Suisse, sont strictement règlementées et démocratiquement légitimées.

Avec toutes les nouvelles technologies développées ces dernières années, ne pourrait-on pas faire autrement?
Dans le mesure du possible on essaie de remplacer des expériences animales avec des technologie de plus en plus sophistiquées, par exemple avec les nouvelles techniques d’imagerie 3D, et grâce à une planification et des procédures précises. C’est le principe des 3 R: remplacer, réduire, raffiner. Malgré tout, ces méthodesÌýde remplacement ne suffisent pas à ce jour pour obtenir tous les résultats visés par par une telle recherche, orientée vers l’application clinique et qui nécessite donc une approche de l’organisme entier.

Nos projets de recherche sur les singes ont pour but de développer des thérapies visant à mieux récupérer de lésions cérébrales, comme les AVC, par exemple, des lésion de la moelle épinière; ou encore à se libérer de dépendances à des drogues. Ce sont des systèmes infiniment complexes qui requièrent le comportement de l’individu entier, donc pas remplaçable par des cultures de cellules ou des simulations informatiques.

A quel moment intervient cette étape sur les primates non-humains?
Cette série de projets ou d’expériences en cours dans la Plateforme de neurosciences translationnelles est la dernière étape avant le passage aux essais cliniques. Le but est de traiter les patients atteints de paralysie motrice, de dysfonctions nerveuses ou encore de toxicomanie. Cela répond donc en tous points à la mission de notre Plateforme qui est de permettre des applications cliniques, à partir de découvertes prometteuses sur les rongeurs, via le passage, le plus souvent obligé, du primate non-humain. A noter que les protocoles expérimentaux conduits sur nos singes sont, pour la plupart, utilisés par d’autres laboratoires dans le monde.Ìý Ils ont également faits l’objet de plusieurs publications validant ces modèles ou, s’ils sont originaux, ont été décrits dans le détail afin de permettre l’évaluation de leurs impacts sur l’animal par la Commission cantonale d’éthique.

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  • du Swiss Non-Human Primates Competence Center For Research
  • Interview du professeur Eric Rouiller dans universitas, le magazine scientifique de l’Unifr
  • , RTS, consacrée à l’expérimentation animale et tournée, entre autres, à l’Unifr.
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