Migrants – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Tue, 07 Jun 2022 08:33:51 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 VIH et migration, au-delà des stéréotypes /alma-georges/articles/2022/vih-et-migration-au-dela-des-stereotypes /alma-georges/articles/2022/vih-et-migration-au-dela-des-stereotypes#respond Mon, 21 Feb 2022 14:24:52 +0000 /alma-georges?p=15365 La Professeure en sociologie Francesca Poglia Mileti et la chercheuse Laura Mellini ont étudié les représentations et dynamiques autour de la santé sexuelle et du VIH/sida dans le contexte migratoire. Elles en appellent à une approche inclusive, tenant compte des identités multiples de la personne.

Fléau de la fin du XXe siècle, le VIH (virus de l’immunodéficience humaine) continue de sévir, même si les chiffres d’ONUSida montrent que, dans le monde, les nouvelles infections ont diminué de 52% par rapport au pic de 1997. Une baisse en partie due à la prévention et au progrès dans le traitement de la maladie, qui permet aux personnes séropositives de mener aujourd’hui une existence presque «normale». Sur le plan médical du moins, car cette maladie sexuellement transmissible nourrit encore des stéréotypes tenaces.

Les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) restent les plus exposés face à la maladie. Alors que la Suisse recense 290 nouvelles infections en 2020, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) indique que les relations HSH demeurent la voie d’infection la plus souvent indiquée à 50,8%, contre 26,5% par voie hétérosexuelle. Dans ce second cas, les femmes sont les plus touchées. Parmi elles, une majorité est issue de régions considérées à «haute prévalence du VIH» par ONUSida et l’Organisation mondiale de la santé, notamment l’Afrique subsaharienne.

Visions différentes de la sexualité
Comment les femmes migrantes d’origine subsaharienne atteintes du VIH gèrent-elles socialement l’information autour de leur maladie? Quelles sont les pratiques et les représentations des jeunes migrant·e·s provenant de ces mêmes régions en matière de sexualité et de VIH?

Sociologues à l’Université de Fribourg, la Professeure Francesca Poglia Mileti et la chercheuse Laura Mellini se sont penchées sur ces questions via trois enquêtes qualitatives depuis 2016: les femmes migrantes d’origine subsaharienne et le VIH (FEMIS), les jeunes migrant·e·s d’Afrique subsaharienne et la santé sexuelle (JASS) ainsi que la migration et les vulnérabilités au VIH et autres infections sexuellement transmissibles en Suisse (Mi.STI).

Des terrains sensibles. L’écueil du stéréotype n’est jamais loin et Laura Mellini prévient d’emblée du risque de réduire les personnes à l’étiquette de «migrant∙e∙s». «Dans ce contexte aussi, les identités sont multiples, liées au genre, à l’orientation sexuelle, à l’origine, au statut social, économique ou juridique, aux expériences vécues, etc.» A priori, difficile en effet de comparer une personne précaire sans permis à une jeune fille de deuxième génération inscrite à l’université. Pour autant, le contexte migratoire joue bel et bien un rôle.

«Les jeunes personnes migrantes constatent des différences, lorsqu’elles se comparent à leurs camarades de classe non-migrant∙e∙s», rapporte Francesca Poglia Mileti. Ces jeunes, surtout les femmes, vivent souvent dans une tension entre des visions différentes de la sexualité, avec des distinctions de genre plus marquées et des attentes de la part des parents. Ici, le souci de l’image dépasse souvent les impératifs médicaux.

«La plupart des jeunes connaissent les risques, continue Francesca Poglia Mileti. Mais leurs comportements sont liés à la manière dont ils et elles se représentent la maladie et à leur position dans le couple. Le regard des filles par rapport aux garçons ne sera pas le même que dans les couples non-migrants. Pour elles, faire valoir sa position et ses droits, y compris ses droits sexuels, est souvent plus difficile».

«Certaines jeunes filles affichent une volonté de vivre une sexualité épanouie et assumée, d’autres ne se permettent pas de sortir avec un préservatif, craignant d’être considérées comme des ‹filles faciles›», souligne la professeure. L’exemple montre à quel point les comportements dits «à risque» ne découlent pas seulement de l’accès à l’information médicale, mais relèvent de dynamiques et de représentations sociales complexes.

Interprétariat et précarité
Les communautés auxquelles appartiennent les enquêté·e·s entretiennent parfois des tabous sur la sexualité et ont des représentations morales et religieuses différentes de celles du pays d’accueil. Se pose ici la question sensible de l’interprétariat communautaire. D’un côté, on trouve l’avantage de la langue et de représentations communes, mais d’un autre, l’interprète ne va parfois pas oser traduire certaines choses afin de ménager la personne.

Le problème est crucial pour les requérant·e·s d’asile déposant une demande en raison d’orientation sexuelle ou d’identité de genre. «Ces personnes doivent exprimer quelque chose qu’elles ont appris à cacher dans leur pays pour fuir les persécutions, et doivent le faire devant un·e interprète qui peut avoir une vision normative de la sexualité et être amené·e à traduire ce qu’il/elle ne veut ou ne peut pas entendre», précise Laura Mellini.

L’enquête Mi.STI montre l’influence de la précarité dans laquelle peuvent se trouver certain·e·s migrant·e·s. En situation de précarité socio-économique et juridique, la priorité est d’obtenir un permis de séjour, un logement, de la nourriture. Difficile, dans ce contexte, de penser à la prévention ou au préservatif. Des situations de dépendance et de jeu de pouvoir peuvent aussi s’instaurer au sein des couples et rendre difficile, voire impossible, la négociation du préservatif.

Connaître le vécu et les stratégies des personnes est d’autant plus important en matière de prévention pour les deux sociologues. Elles en appellent à une démarche inclusive. «Il s’agit de partager les informations à toutes et tous et de ne pas simplement aborder la prévention en termes de catégories comme personnes ‹migrantes› ou ‹homosexuelles›, sans pour autant oublier que des spécificités existent», résume Francesca Poglia Mileti.

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«Barça ou Barsakh» /alma-georges/articles/2016/barca-ou-barsakh /alma-georges/articles/2016/barca-ou-barsakh#comments Fri, 15 Apr 2016 08:27:56 +0000 http://www3.unifr.ch/alma-georges/?p=2262 «Rejoindre Barcelone ou périr», voilà la nouvelle devise de la jeunesse de Dakar. Avec un taux de chômage proche de 25%, les jeunes Sénégalais n’ont que deux choix: les petits boulots ou l’émigration. Explications du Professeur Babacar Fall de passage à Fribourg pour une conférence.

Durant votre conférence «Les jeunes vulnérables: entre l’étau de la crise de l’emploi et l’émigration clandestine», vous parlez du chômage qui frappe le Sénégal. Connaît-on l’origine de cette crise?
Pour bien comprendre, il faut revenir brièvement sur l’histoire du travail au Sénégal. Le premier changement capital se produit avec l’établissement des colonies, l’avènement des cultures commerciales, notamment l’arachide et plus tard le coton. Jadis valorisées dans les sociétés d’économie de subsistance, les activités manuelles et agricoles sont davantage perçues comme dégradantes et c’est encore le cas aujourd’hui. De plus, l’agriculture est plus orientée vers des fins commerciales au détriment des besoins de nourrir les communautés. A partir de 1946, le développement industriel est sans précédent jusqu’en 1960, faisant du secteur privé le premier employeur du pays. Entre 1964 et 1990, c’est l’Etat qui devient le premier fournisseur d’emplois, mais, avec la politique d’ajustement structurel adoptée suite à la crise économique des années 1980, l’embauche étatique se réduit de manière drastique. Parallèlement, entre 1970 et 2013, la population du Sénégal triple. Les jeunes des groupes d’âge 15-35 ans (34,9% de la population totale et 57,1% de la population active) sont le plus touchés par le chômage. Dans les années 90, l’émigration vers l’Europe débute, d’abord par voie terrestre, puis maritime, via les Canaries.

L’Europe représente-t-elle un Eldorado?
C’est ce que pensent les jeunes Sénégalais. Cette image est renforcée par la réussite affichée par quelques migrants qui reviennent avec suffisamment d’argent pour construire une grande villa et acheter une voiture. Ce n’est plus l’éducation qui symbolise le succès, mais l’émigration. Il ne faut pourtant pas se leurrer: les success-stories sont rares et les conditions de travail tiennent plus de la survie que du luxe. D’un salaire d’environ 1000 euros mensuels pour une besogne harassante, ils gardent 200 euros pour «vivre» et envoient le reste à leur famille.

L’émigration clandestine représente donc un vrai problème…
Oui. L’Europe tente de limiter ce flux, mais tant qu’elle aura besoin de main-d’œuvre bon marché dans les secteurs agricoles et touristiques, il y aura toujours des jeunes prêts à braver tous les dangers pour assurer une petite rentrée d’argent à leurs proches restés au pays. La décision de partir n’est pas individuelle, mais familiale; elle implique un sacrifice important, émotionnel d’un côté et financier de l’autre, pour payer le voyage. De nombreux propriétaires et capitaines de bateaux ont d’ailleurs rapidement compris que ces transports clandestins pouvaient être un véritable business. De marins, ils sont devenus passeurs, en particulier dès les années 80, quand l’industrie de la pêche s’est écroulée.

C’est l’occasion qui fait le larron?
La nécessité surtout. Face à une situation de crise, on se débrouille comme on peut. C’est sur ce terreau que se développe le secteur «informel», composé de petits boulots et de menus services rendus en milieu urbain principalement. C’est le refuge de 85% des jeunes. Le système LMD «licence – maîtrise – doctorat» est détourné en «lutte – musique – danse», révélant le renversement des valeurs. Les études n’assurant plus la sécurité d’un emploi, la jeunesse désœuvrée n’a pas d’autre choix que d’entrer dans la marginalisation: les gagne-pains précaires ou l’émigration, qui représente parfois l’«option du désespoir».

Que faire pour freiner l’émigration?
Du côté européen, on doit s’engager à assouplir les conditions d’immigration, afin de garantir officiellement une mobilité plus fluide, un va-et-vient entre les deux continents. Le durcissement des modalités d’accès à L’Europe n’est pas une solution viable. En effet, tant que certains pays auront besoin de travailleurs sous-payés parce qu’illégaux, les plus courageux ou les plus désespérés entreprendront l’odyssée. Actuellement, quand un clandestin arrive en Europe, il travaille et se cache pour rester le plus longtemps possible. Pas question de rentrer au Sénégal sans l’assurance de pouvoir revenir.

Y a-t-il des solutions pour combattre le chômage?
Tout est question d’équilibre. Premièrement, les programmes en faveur des jeunes, proposés dans le cadre de l’accompagnement aux pays en voie de développement, doivent être augmentés. Deuxièmement, une redéfinition du système éducatif est indispensable. Actuellement, l’apprentissage technique n’est absolument pas valorisé. Les adolescents apprennent un métier «sur le tas», sans qualification. Une formation aux normes leur permettrait d’offrir des services professionnels compétitifs. Enfin, il faudrait faciliter l’accès aux crédits et aux terres pour les jeunes entrepreneurs, qui deviendraient des «créateurs de richesse». Une telle option contribuerait largement à promouvoir les secteurs agricoles et industriels au détriment du secteur informel.

Avez-vous proposé ces idées à votre gouvernement?
Avec des enseignants des Universités suisses de Fribourg et de Lausanne, des chercheurs résidents de l’IEA de Nantes et d’universités au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Mali, nous préparons un projet de recherche sur l’emploi, la formation professionnelle et le développement durable en Afrique occidentale francophone. Ce projet sera soumis à la Fondation nationale suisse des Sciences (Swiss National Science Foundation). Nous sommes quelques-uns à penser que l’investissement consenti dans la politique publique n’est pas en phase avec les priorités économiques. Il y a une certaine débauche de ressources pour une moindre efficacité: l’enseignement supérieur ne correspond pas aux exigences du marché de l’emploi et l’importance donnée à la formation professionnelle est trop faible. Il faut donc valoriser et mettre en place des apprentissages techniques. Le but de ce projet multidisciplinaire est de convaincre les décideurs de modifier l’orientation du système éducatif pour freiner le chômage et l’émigration.

Qu’est-ce qui vous motive à poursuivre le combat?
Tout d’abord, je suis persuadé que l’éducation représente l’unique alternative permettant de créer une masse critique en phase avec les besoins et les défis de l’économie durable. Ensuite – et surtout – parce que la jeunesse est au cœur de tous les enjeux des sociétés actuelles.

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Babacar Fall est directeur du Centre de recherche sur les métiers et la mémoire en Afrique de l’ de Dakar, Sénégal. En 2008, il est nommé docteur Honoris Causa de l’ et obtient pour son habilitation le titre de PH.D à l’en 2010. Spécialiste de l’histoire du travail en Afrique de l’ouest francophone, il conduit des recherches sur les migrations, les innovations pédagogiques et les réformes en éducation.

est aussi chercheur résident de l’(IEA), avec lequel l’Université de Fribourg a conclu un en décembre 2013, sous le patronage du (SEFRI). Dans ce cadre, l’Unifr et l’IEA développent une collaboration sur les cadres institutionnels de la vie en société (droit, langue, religion), la notion d’humanisme et son rôle dans le paysage scientifique actuel, ainsi que l’interdisciplinarité en sciences humaines et sociales.

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La politique d’asile à l’épreuve du phénomène migratoire /alma-georges/articles/2015/la-politique-dasile-a-lepreuve-du-phenomene-migratoire /alma-georges/articles/2015/la-politique-dasile-a-lepreuve-du-phenomene-migratoire#comments Wed, 16 Dec 2015 12:26:19 +0000 http://www3.unifr.ch/alma-georges/?p=1680 Confrontées à une arrivée de migrants d’une ampleur jamais vue depuis la seconde guerre mondiale, l’Union européenne et la Suisse explorent plusieurs options pour gérer le phénomène, au risque parfois, selon deux expertes de l’Université de Fribourg, d’écorner les droits humains.

Un migrant enregistré en Grèce comme demandeur d’asile serait-il l’un des assaillants de l’attaque terroriste du 13 novembre dernier à Paris ? Un passeport syrien retrouvé près du corps de l’un des assaillants le laisse présumer. Les flux migratoires, qui jusqu’alors soulevaient avant tout des questions logistiques, ravivent de manière plus aiguë encore des inquiétudes sécuritaires. Première conséquence: le rétablissement des contrôles aux frontières entre Etats, à l’intérieur même de l’Espace Schengen, n’est plus tabou. Quant à l’externalisation de l’accueil des réfugiés, projet sur toutes les bouches depuis des mois, elle est plus que jamais d’actualité. Ces deux pistes soulèvent pourtant d’importantes questions politico-juridiques.

Des frontières toujours plus surveillées

Jusqu’à présent, les Etats de l’Espace Schengen ont progressé en ordre dispersé. Face à l’arrivée importante des migrants, l’Allemagne, l’Autriche, la Slovénie et, dernièrement, la Suède, ont décidé de renforcer le dispositif policier à leurs frontières. Une mesure qui, selon certains médias, sonne le glas de l’Espace Schengen. Spécialiste en droit européen et en droit des migrations à l’Université de Fribourg, Sarah Progin-Theuerkauf nuance cette assertion: «En cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, un Etat membre de Schengen peut exceptionnellement réintroduire des contrôles à ses frontières intérieures durant une période limitée d’une durée maximale de trente jours. La Commission européenne estime que cette clause peut actuellement être appliquée».

 

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20 septembre 2015; des réfugiés syriens discutent avec un traducteur à Bregana, à la frontière entre la Croatie et la Slovénie. Ils attendent que les autorités ouvrent les barrières pour pouvoir poursuivre leur chemin.

En revanche, le mur de barbelés de 175 kilomètres que la Hongrie de Viktor Orban a décidé d’ériger à sa frontière avec la Serbie transgresse clairement le droit international en vigueur: «En vertu du principe de non-refoulement, consacré par la Convention de Genève sur le statut des réfugiés et la Convention européenne des droits de l’homme, on doit permettre aux migrants de déposer une demande d’asile. S’ils prétendent avoir besoin d’une protection internationale, il faut leur ouvrir la frontière, afin de pouvoir faire les vérifications nécessaires», explique Sarah Progin-Theuerkauf. Or, de manière évidente et assumée, cette structure sert à refouler les migrants, plutôt qu’à gérer leur afflux.

Cristina Del Biaggio, géographe à l’Université de Fribourg, connaît bien la thématique des migrations, elle qui a commencé à les étudier sur le terrain en 2012, suite à la construction du premier mur entre la Grèce et la Turquie. La chercheuse est convaincue que les politiques nationales de plusieurs pays portent atteinte aux Conventions de Genève: «Aujourd’hui, c’est au tour de l’Autriche de construire une barrière frontalière pour trier les migrants. Or, le droit international oblige les Etats à accueillir les réfugiés!».

Les Etats disposent donc d’une certaine marge de manœuvre: ils peuvent contrôler les flux de migrants pour des raisons logistiques ou sécuritaires, à tout le moins pour une période déterminée. En revanche, s’ils rendent leurs frontières si hermétiques qu’elles empêchent les migrants de déposer une demande d’asile, ils contreviennent au droit international en vigueur.

Externalisation de la prise en charge des réfugiés

«Externaliser». Ce terme, qu’on avait l’habitude de rencontrer dans le domaine de la micro-économie plutôt que de la migration, fait florès. Parmi les stratégies évoquées pour gérer les flux de migrants – hormis le contrôle aux frontières – le traitement des demandes d’asile dans les pays d’Afrique du Nord ou en Turquie constitue l’une des options privilégiées.

Pour Cristina Del Biaggio, c’est une façon pour l’Europe de continuer de se laver les mains et de rejeter toute responsabilité sur les pays tiers, et de citer l’exemple du Liban: «Là-bas, un tiers de la population est constituée de réfugiés syriens. Le pays est au bord de l’asphyxie».

«L’externalisation? Soupire Sarah Progin-Theuerkauf. Il faudrait d’abord trouver des pays ‹sûrs›, prêts à loger des camps de migrants. De surcroît, s’il s’agit de la Libye ou de la Turquie, on peut émettre des doutes quant au respect des droits de l’homme», et de citer pour preuve, l’Italie qui, en vertu d’un pacte d’amitié, remettait ses immigrants à la Libye: «Cette pratique a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en 2012. Il n’y avait aucune garantie de sauvegarde des droits humains», explique Sarah Progin-Theuerkauf.

Faute de pouvoir garantir le respect des droits fondamentaux des migrants, l’externalisation n’enchante donc guère ces deux spécialistes. Cristina Del Biaggio y voit même une tare rédhibitoire: «Externalisation pourrait rimer avec privatisation. Il n’y a qu’une poignée de firmes qui gèrent les centres de détention administrative. Des firmes privées qui se remplissent les poches».

Se proclamant «chercheuse engagée», Christina Del Biaggio considère que les migrations font partie de l’histoire d’une civilisation et estime que le présent phénomène constitue une opportunité démographique : « C’est une nécessité pour notre civilisation vieillissante».

Syrian refugees
24 septembre 2015; des réfugiés syriens traversent la frontière serbo-croate à travers champs, près de Tovarnik.

La crise migratoire en quelques chiffres:

De janvier à octobre 2015, selon le Secrétariat d’Etat à la Migration, la Suisse a reçu 24’212 demandes d’asile, une légère augmentation par rapport à l’année précédente (23’765). En ce qui concerne les demandes d’asile dans l’Union européenne, celles-ci s’élèvent à 213’200 lors du deuxième trimestre 2015, soit 85% de plus que lors de la même période de l’année précédente, selon Eurostat.

Face à cette avalanche de chiffres, Sarah Progin-Theuerkauf, encore une fois, se veut sereine: «C’est vrai qu’il y a un afflux, mais cela ne signifie pas forcément que l’on se trouve dans une ‹crise migratoire›. Ce n’est pas la première fois que l’Europe connaît des vagues de réfugiés. Par contre, il est important que les pays de l’Union européenne décident d’une clé de répartition équitable. Ce n’est pas conforme à l’esprit européen que certains accueillent généreusement les demandeurs d’asile, tandis que d’autres ferment leurs frontières.» Actuellement, un Syrien qui dépose une demande d’asile en Allemagne a près de 95% de chances d’obtenir une protection (dans la majorité des cas, le statut de réfugié), alors que dans d’autres pays de l’Union, ses chances de se voir attribuer un statut sont proches de zéro. Afin d’y remédier, Sarah Progin-Theurkauf appelle de ses vœux la création d’une agence européenne qui examinerait tous les dossiers sur la même base pour éviter les déséquilibres. La répartition des réfugiés, entre pays de l’Union européenne, pourrait ensuite se faire selon plusieurs critères: PIB, taux de réfugiés déjà accueillis, taux de chômage.

Au-delà des considérations juridiques, Cristina Del Biaggio, qui est aussi chargée de projet pour Vivre Ensemble, association romande sans but lucratif active dans la défense du droit d’asile et des réfugiés, s’inquiète de la situation humanitaire et sanitaire des migrants: «Il est urgent que l’Europe ouvre ses portes, car l’hiver arrive! Il faut permettre aux enfants d’aller à l’école, ce qui n’est pas le cas dans la majorité des camps de réfugiés des pays limitrophes de la Syrie. Les migrants doivent pouvoir manger, trouver du travail et commencer une nouvelle vie».

Two Syrian boys on railway tracks
17 septembre 2015, Duego Selo, Croatie; deux jeunes réfugiés syriens attendent sur les rails l’arrivée du bus qui leur permettra de poursuivre leur route.
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Images: Thinkstock

Contacts:

Sarah Progin-Theuerkauf, Département de droit international et droit commercial, sarah.progin-theuerkauf@unifr.ch
Cristina Del Biaggio, Département de géosciences, cristina.delbiaggio@unifr.ch

 

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