Médecine – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Fri, 28 Mar 2025 09:50:47 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 «Derrière chaque chirurgien·ne, on trouve une personne» /alma-georges/articles/2025/derriere-chaque-chirurgien%c2%b7ne-on-trouve-une-personne /alma-georges/articles/2025/derriere-chaque-chirurgien%c2%b7ne-on-trouve-une-personne#respond Thu, 27 Mar 2025 11:02:51 +0000 /alma-georges?p=22119 Partager les connaissances chirurgicales et renforcer l’esprit de communauté pour améliorer la prise en charge des patient·es. C’est le but du congrès Colorectal THRIVE qui se tient du 30 mars au 2 avril à Fribourg. Nos questions à son organisateur Michel Adamina, médecin-chef du Service de chirurgie à l’HFR et professeur ordinaire en chirurgie générale à l’Université de Fribourg.

Comment vous sentez-vous au moment d’ouvrir cette édition 2025?
Serein et impatient. Le congrès est l’aboutissement de plusieurs mois d’efforts, consentis en plus du quotidien de la clinique et de l’université et portés par une vision. Il me tarde de lancer le partage d’idées et l’expérience conviviale qui sont au cœur de notre concept.

Qu’est-ce qui rend une telle rencontre si importante?
En 2024, la première édition de Colorectal THRIVE a dépassé nos attentes avec 759 participant·e·s, dont 548 présent·e·s sur site, venus de 5 continents. Ces chiffres confirment le besoin des chirurgien·ne·s de se retrouver dans un format qui favorise les échanges. Le congrès permet à des spécialistes d’apprendre ensemble de leurs expériences et des dernières innovations. Et avec plus de 36 heures et 70 présentations données, THRIVE a aussi une fonction de formation importante. Il permet de remplir près des trois quarts de notre formation continue annuelle, garante du maintien des compétences médicales.

En quoi Colorectal THRIVE 2025 se démarque-t-il d’autres congrès de ce type ?
Il se distingue par son côté humain, à savoir l’échange, l’ouverture et l’amitié. Cela au service d’une mission: promouvoir le partage des savoirs sans oublier tous les cœurs et les mains qui lui donnent vie. Des valeurs que vivent également nos orateurs et oratrices de renommée internationale. De plus, nous sommes organisés sur un modèle non-profit et nous réinvestissons nos revenus, par exemple pour faciliter la venue de chirurgien·ne·s des régions défavorisées. Le premier but, c’est d’évoluer comme communauté. D’où le mot thrive, qui invite à se mettre ensemble pour se développer. Le Covid a poussé universités et formations postgrades à mettre en place des prestations «à distance», mais le besoin de présentiel reste très net. On a besoin de ces échanges personnels.

La chirurgie colorectale attire-t-elle les spécialistes?
Oui, parce que c’est une chirurgie très polyvalente. Elle porte autant sur des maladies fonctionnelles banalisées, telles les hémorroïdes, que sur le cancer ou les fistules complexes. Le nombre de cancers et d’affections inflammatoires majeures comme la maladie de Crohn ou la colite ulcéreuse augmentent. Ces affections, qui sont liées à notre style de vie, demandent une prise en charge spécialisée pour optimiser les résultats. En termes de qualité, mais aussi de coûts.

Et pour le cancer?
Le cancer colorectal est le troisième à sévir le plus dans la population suisse, après celui du sein et du poumon. La bonne nouvelle, en revanche, c’est qu’aujourd’hui nous pouvons guérir la majorité des patient·e·s par une approche combinant chirurgie, oncologie médicale et radiothérapie: dans trois quarts des cas pour le rectum, et dans deux tiers pour le côlon.

Qu’est-ce qui explique cette amélioration?
L’oncologie médicale et chirurgicale a bien sûr connu des avancées, mais cela s’explique surtout par le fait que les prises en charge sont le plus souvent combinées et spécialisées, entre radiothérapie, chimiothérapie, immunothérapie et bien sûr la chirurgie. On opère aujourd’hui de manière plus personnalisée, parvenant bien mieux à enlever les tissus malades tout en préservant les tissus sains et les fonctions du corps. D’autre part, l’approche est aujourd’hui globale. Outre le ou la chirurgien·ne, la prise en charge réunit souvent un·e physiothérapeute, un·e nutrionniste et si nécessaire un·e travailleur·se social. Pour ma part, j’aime voir les chirurgien·ne·s comme des chef·fe·s d’orchestre, qui ne sont rien sans leurs musicien·ne·s.

Quelle évolution a connu la chirurgie colorectale ces 15 dernières années?
Depuis le début du 21e siècle, nous sommes passés d’une chirurgie abdominale qui laissait de grandes balafres à une approche qui ménage les fonctions en préférant de petites incisions. Cette chirurgie laparoscopique ou robotique a, lorsque combinée avec une mobilisation et une alimentation précoces, l’avantage de permettre un prompt rétablissement et donc un retour des patient·e·s plus rapide à la maison, et dans une meilleure forme. En moyenne, on compte quatre jours d’hospitalisation pour une intervention au côlon, et six jours pour le rectum. L’évolution technologique nous aide, mais elle ne fait pas tout.

Comment cela?
Le passage à la chirurgie minimalement invasive a permis le ménagement des corps, une meilleure vision et un geste opératoire plus précis. Mais au-delà des aspects techniques, l’approche globale a énormément évolué avec une prise en charge personnalisée, où nous prenons en compte les aspects humains et le chemin de vie des malades. Sur ce point également, le ou la praticien·ne est un élément majeur du succès d’une opération. Des études le montrent sans ambiguïté: le facteur humain est essentiel. Et justement, durant notre congrès, des présentations aborderont ce thème, tout comme celui de la résilience du ou de la chirurgien·ne.

Comment gère-t-on une telle pression au quotidien?
C’est une hygiène personnelle que chacun·e doit cultiver, même s’il est vrai qu’une idée prédomine encore malheureusement trop souvent: celle d’un ou d’une chirurgien·ne qui n’a pas besoin de se reposer, de manger ni de boire. A titre personnel, je me souviens d’une collaboratrice de salle d’opération qui s’était dite surprise que je prenne des pauses toutes les 3 ou 4 heures d’opération pendant des interventions complexes.

Votre congrès peut-il faire bouger les lignes sur ces questions?
Je le crois! Entre les différents impératifs du quotidien, les contraintes et les destins auxquels nous sommes confrontés, il en résulte souvent de la solitude pour le ou la praticien·ne. Face à cela, je vois notre congrès comme un remède, car le simple fait de se réunir et d’échanger dans un cadre ouvert et bienveillant est bénéfique. Il ne faut pas oublier que derrière chaque chirurgien·ne, on trouve une personne. Je le vois aussi dans la formation de la relève, un domaine qui me tient à cœur. Aujourd’hui, il s’agit de plus en plus de nous adapter au rythme de l’apprenant·e. Une vitesse d’apprentissage plus lente au départ ne préfigure en rien d’un échec de carrière. J’en sais quelque chose, si je songe à mes mauvaises moyennes de maths durant ma scolarité en comparaison avec mes titres académiques, notamment en biostatistique, 15 ans plus tard.

__________

 

]]>
/alma-georges/articles/2025/derriere-chaque-chirurgien%c2%b7ne-on-trouve-une-personne/feed 0
Gynäkologie – Warum unser Gesundheitssystem divers denken muss /alma-georges/articles/2025/gynaekologie-warum-unser-gesundheitssystem-divers-denken-muss /alma-georges/articles/2025/gynaekologie-warum-unser-gesundheitssystem-divers-denken-muss#respond Fri, 07 Feb 2025 12:08:26 +0000 /alma-georges?p=21969 Gynäkologische Praxen sind meist nur auf Frauen ausgerichtet – doch auch trans Männer und nicht-binäre Menschen brauchen diese medizinische Versorgung. Nina Schuler zeigt in ihrer Forschung, wie unser Gesundheitssystem diese Menschen oft ausschliesst und welche einfachen Massnahmen helfen könnten, das zu ändern. Für ihre Masterarbeit hat Schuler am Dies Academicus den Genderpreis erhalten.

Was hat Sie dazu motiviert, dieses Thema für Ihre Masterarbeit zu wählen? Gab es einen persönlichen oder gesellschaftlichen Anstoss?
Für mich war von Anfang an klar, dass ich mich einem Thema widmen möchte, welches mich nicht nur intellektuell fordert, sondern auch emotional berührt. Ein Thema, dass mir am Herzen liegt und mit dem ich auch etwas in der Gesellschaft auslösen kann. Geschlechterbasierte Diskriminierung ist leider immer noch Alltag in der Medizin. Umso extremer ist dies sichtbar, wenn Personen nicht den gesellschaftlichen Normen von Frau und Mann entsprechen. Trans Personen werden in der Gynäkologie noch immer stigmatisiert und oft übersehen – sei es durch einen Mangel an spezialisierten Fachärzt_innen oder durch die fehlende wissenschaftliche Auseinandersetzung mit ihren spezifischen Bedürfnissen. Mit meiner Forschung möchte ich dazu beitragen, dieses Tabu zu brechen, Sichtbarkeit zu schaffen und langfristig eine sensiblere, inklusivere Versorgung zu fördern.

Sie sprechen in Ihrer Arbeit über das binäre und cis-normative System im Gesundheitswesen. Was ist das?
Unser Gesundheitssystem in der Schweiz ist darauf ausgelegt, Menschen als entweder männlich oder weiblich einzuordnen. Das zeigt sich besonders in der Gynäkologie, die ausschliesslich für Frauen gedacht ist. Nicht-binäre Personen oder trans Männer müssen sich diesem System anpassen, um eine Behandlung zu bekommen. Oft bedeutet das, dass sie sich rechtfertigen müssen, damit die Krankenkasse beispielsweise die Kosten übernimmt. In dem aktuellen binären Versicherungssystem existieren nämlich noch immer keine Vorlagen, die es erlauben, eine gynäkologische Behandlung bei einem Mann abzurechnen.

Der Begriff cis-normativ bedeutet, dass es als selbstverständlich angesehen wird, dass alle Menschen sich mit dem Geschlecht identifizieren, das ihnen bei der Geburt zugewiesen wurde (also cisgeschlechtlich sind). Ein Beispiel für cis-normative Strukturen sind Formulare, die nur die Optionen «männlich» und«weiblich» anbieten, oder die Annahme, dass alle Frauen einen Uterus haben und alle Männer nicht. Personen, die nicht diesen gesellschaftlichen Vorstellungen von Mann und Frau entsprechen, werden systematisch ausgeschlossen und benachteiligt.

Wie sieht die Diskriminierung von trans Menschen bei der gynäkologischen Versorgung konkret aus? Haben Sie ein paar Beispiele?
Die Diskriminierung von trans Personen findet auf unterschiedlichsten Ebenen statt und betrifft zahlreiche Bereiche der medizinischen Versorgung. Sie beginnt schon vor der eigentlichen Konsultation. Stellen Sie sich vor, Sie sind ein trans Mann (also eine Person, welche bei Geburt das weibliche Geschlecht zugeordnet bekommen hat, sich aber als Mann identifiziert und von der Gesellschaft auch so gelesen wird). Sie haben weibliche Genitalien, nehmen jedoch männliche Hormone. Braucht es also noch gynäkologische Vorsorgeuntersuchungen? Auf der pink gestalteten Homepage der FRAUEN-Klinik gibt es nur Infos zu Vorsorgeuntersuchungen bei cis Frauen. Am Telefon müssen Sie sich erklären und rechtfertigen, wieso Sie als Mann einen Termin in der FRAUEN-Klinik wollen. Zusammen mit vier schwangeren Frauen sitzen Sie dann im ebenfalls rosa gestalteten Wartezimmer. An den Wänden hängen Poster von Weiblichkeit und Kinderwunsch. Die Urinprobe geben Sie auf dem Frauen-WC ab, bevor sie mit FRAU Müller aufgerufen werden und ins Konsultationszimmer gebracht werden. Der Arzt hat scheinbar noch nie mit einer trans Person gearbeitet und fragt Sie deshalb in einer übergriffigen Art und Weise über Ihren «exotischen» Zustand aus. Sie fühlen sich bei dieser Befragung nackter als kurz darauf auf dem Gynäkologiestuhl. Während der Untersuchung plagen Sie enorme Schmerzen und negative Gefühle, auf die nicht eingegangen werden. Mit einem mulmigen Gefühl gehen Sie aus der Praxis, Sie wissen nicht, ob Ihre Versicherung die Untersuchung zahlt, da Sie dort als Mann angemeldet sind.

Welche Rolle spielt die Ausbildung von medizinischem Fachpersonal in der Verbesserung der Versorgung von trans Menschen? Gibt es bereits positive Ansätze?
In diesem Bereich ist noch sehr viel zu tun. Ein fundiertes Fachwissen ist eine wichtige Grundlage für jede Behandlung. Oft ist es gar nicht so einfach, an dieses Fachwissen zu gelangen, da der Fokus in der Forschung aber auch in der Aus- und Weiterbildung von Ärzt_innen anders gesetzt wird. Umso wichtiger ist es also, dass man selbst Initiative und ein gewisses Engagement zeigt, sich fehlendes Wissen anzueignen. Dafür gibt es erfreulicherweise auch schon viele gute Angebote. An der Unifr hatten wir beispielsweise mehrmals Kurse zu diesem Thema und es wurden trans Personen für Gespräche eingeladen. Ausserdem gibt es zahlreiche Events und Kurse, die von diversen Organisationen und Vereine wie TGNS Schweiz durchgeführt werden. Ich glaube, es lohnt sich, mutig zu sein und seinen Horizont zu erweitern sowie mit den Menschen in Kontakt zu treten.

Inwiefern hat die Arbeit an diesem Thema Ihre eigene Perspektive auf Geschlechtsidentität und medizinische Versorgung verändert?
Ich glaube ich sehe die Welt nun mehr in Spektren und nicht mehr in Kategorien. Als Ärztin ist man sich daran gewöhnt, alles in gesund oder krank einzuteilen, in normal oder abnormal. Davon probiere ich mich immer mehr zu distanzieren. Und ich habe gemerkt, dass diese Denkweise auch sehr viele Vorteile für cis Menschen bringt. Es spielt weniger Wertung mit und die Leute fühlen sich mehr gesehen und angenommen.

Sie haben im Rahmen des Dies Academicus 2024 den Genderpreis erhalten. Welche Pläne haben Sie für die Verwendung des Preisgeldes?
Aktuell schreibe ich gerade meine Doktorarbeit in der Medizin, zum gleichen Thema. Das Preisgeld kann ich dort gut gebrauchen. Es wird also direkt wieder in neue Forschung investiert, die gegen geschlechtsbedingte Diskriminierung im Gesundheitswesen vorgehen soll.

Zum Schluss: Welche praktischen Empfehlungen könnten gynäkologische Praxen sofort umsetzen, um trans/nicht-binäre Menschen besser zu unterstützen?
Als erstes sollte einfach ein Bewusstsein dafür geschaffen werden, dass trans Personen zum Klientel der Gynäkologie gehören und nicht ausgeschlossen werden dürfen. Dafür lohnt es sich, seine eigenen Vorstellungen von Mann und Frau zu reflektieren. Welche – vielleicht auch unbewusste – Vorurteile hat man in diesem Bereich und wo fehlt es noch an Wissen? Kleine Veränderungen können schon viel bewirken, sei es geschlechtsneutrale Toiletten oder Infobroschüren, die sich nicht ausschliesslich an cis hetero Frauen mit Kinderwunsch richten. Eine inklusivere Auswahl an Pronomen bei Anmeldeformularen oder eine geschlechtsneutralere Gestaltung der Praxis oder Homepage kann ebenfalls helfen. Besonders wichtig finde ich dabei immer, dass man nicht vor dem Thema zurückschreckt. Trans Personen sind keine exotischen Wesen, welche auf eine Spezialbehandlung angewiesen sind und in Watte gepackt werden müssen. Was sie wirklich brauchen, das findet man am einfachsten heraus, wenn man mit diesen Menschen direkt in Kontakt tritt, sei es an einem Event, einer Fortbildung oder im Privatem. Natürlich immer in einem respektvollen und wohlwollendem Rahmen.

________

]]>
/alma-georges/articles/2025/gynaekologie-warum-unser-gesundheitssystem-divers-denken-muss/feed 0
Réquisitoire contre la science sans conscience. /alma-georges/articles/2025/requisitoire-contre-la-sciences-sans-conscience /alma-georges/articles/2025/requisitoire-contre-la-sciences-sans-conscience#respond Thu, 06 Feb 2025 09:16:15 +0000 /alma-georges?p=21957 Etudes trafiquées, résultats impossibles à reproduire, travaux plagiés. Csaba Szabo, l’un des scientifiques les plus cités au monde, dresse un tableau apocalyptique du monde de la recherche biomédicale. Fin connaisseur du milieu, le professeur de l’Université de Fribourg a profité de son année sabbatique pour rédiger Unreliable, un «J’accuse» sans fard, violent comme un pavé dans la mare.

Personne ne saurait décemment soupçonner Csaba Szabo de ne pas aimer la science, lui qui est littéralement tombé dedans quand il était petit. Dans sa Hongrie natale, derrière le Rideau de fer, son héros ne se nommait pas Ferenc Puskás, mais Albert Szent-Györgyi, un compatriote, inventeur de la vitamine C et lauréat du Prix Nobel. Avant même de devenir adolescent, il rêvait de comprendre le vivant, dans son fonctionnement le plus intime, que ce soit en médecine ou en biologie, et de venir en aide aux personnes malades. Un idéaliste, un vrai mais pas un utopiste car ses nombreuses lectures l’ont très vite purgé de toute naïveté. «J’ai eu entre les mains un ouvrage du chimiste Mihály Beck sur la fraude scientifique, se remémore-t-il dans son livre, celui-ci relatait l’histoire de l’homme de Piltdown (une célèbre mystification paléoanthropologique, ndlr.) ou les mystérieux tests de Piccardi (du nom d’un chimiste italien dont les hypothèses sur l’effet des cycles solaires sur certaines réactions chimiques sont controversées).»
Mais Csaba Szabo était certainement loin de s’imaginer qu’il allait un jour à son tour prendre la plume pour dénoncer les gravissimes dysfonctionnements du monde de la recherche: Trop de plagiat! Trop de fraudes! Il n’y tenait plus: il devait le dire, le dénoncer. Cela a donné Unreliable, un pamphlet au vitriol rédigé en quelques mois. Quand un chercheur, qui figure régulièrement dans le haut des classements des scientifiques les plus cités par ses pairs, donne un pareil coup de pied dans la fourmilière, il y a de quoi se faire du souci.

Je dois dire que l’on sort un peu groggy de votre livre. Le monde de la recherche semble être un marigot infect!
Ce que vous dites est vrai, mais cela ne signifie pas qu’il faut se taire en espérant que les problèmes vont se résoudre comme par magie. Si la situation était stabilisée, on pourrait se résigner en se disant que, ma foi, la science est faite par des humains et que ceux-ci ne sont pas parfaits. Hélas, la situation s’aggrave et je crains que cela ne devienne pire encore avec l’avènement de l’intelligence artificielle et du big data. Or, il n’est dans l’intérêt de personnes que le public se défie de la science. Surtout, ne venez pas dire que je suis antiscience, je suis profondément pro-science! Ce sont celles et ceux qui se taisent qui la desservent!

Cela fait 30 ans que vous êtes dans la recherche. Pourquoi dénoncer les dysfonctionnements maintenant?
Il n’y a pas eu un événement déclencheur précis, mais la magnitude du problème devient évidente. De nouveaux logiciels permettent de repérer les images frauduleusement manipulées dans les publications et de détecter le plagiat, dont on commence à se rendre compte de l’ampleur. Il y a aussi ce que l’on nomme les usines à publications, un business florissant de plusieurs milliards de dollars. Moyennant paiement, ces usines fournissent des articles créés de toutes pièces avec des données inventées ou manipulées. Cela devrait être l’un des plus grands scandales des sciences biomédicales.

Mais le fait que vous ayez vous-même été victime de plagiat ne vous a-t-il pas convaincu de prendre la plume?
Quand j’ai vu qu’un de mes articles avait été littéralement copié-collé de A à Z, j’ai pensé: «Mon Dieu! Ils ont vraiment aimé mon article!» Pire encore, ce premier plagiat a lui-même été plagié par d’autres personnes! A vrai dire, cet épisode aurait presque été comique si ce n’était pas si lamentable! J’ai encore une autre anecdote, mais plus grave cette fois-ci: une image de l’un de mes articles publiés il y a 25 ans, à Cincinnati, a été reprise mais en sens inverse. Il s’est avéré que c’était l’un de mes étudiants qui était à l’origine du plagiat et de l’erreur. Nous avons ensuite découvert que, au fil de sa carrière dans différents laboratoires, il s’est livré aux mêmes irrégularités. Il ne s’agissait donc pas simplement d’une erreur! J’ai ainsi compris que, même dans un laboratoire bien géré, ce type de méfait pouvait arriver. Cela dit, ce n’est pas le motif qui m’a poussé à écrire le livre, puisque cette affaire a éclaté alors que j’avais déjà entamé la rédaction. Non, la vraie raison, c’est que j’ai pu bénéficier d’une année sabbatique et que j’avais déjà beaucoup d’informations sous le coude. Et, je tiens à le souligner, le sujet ne concerne pas que la fraude, mais aussi la crise de la réplicabilité en sciences.

Précisément, selon une étude de Nature que vous citez, plus des deux tiers des scientifiques s’estimeraient incapables de reproduire les données publiées par des confrères et consœurs. C’est atterrant! Pourquoi personne n’en parle?
C’est difficile à croire, mais il n’y a pas beaucoup de bailleurs de fonds qui financent des études de réplication directe, pourtant si indispensables! Cette étape permet de reproduire une expérience scientifique en suivant les mêmes procédures et conditions que l’étude originale. C’est uniquement ainsi que l’on peut vérifier la fiabilité des résultats. Plus grave encore, il n’est parfois tout simplement pas possible d’entamer une étude de réplication directe faute de détails dans les publications. Les auteurs n’en fournissent pas suffisamment! Souvent, ils rechignent même à collaborer!

Pour quelle raison? De peur de trahir leurs secrets de fabrication?
Si l’étape de la vérification révèle des erreurs, il y a des conséquences: l’étude doit soit être corrigée, soit rétractée. En revanche, si l’étude ne peut pas être soumise à un examen de réplicabilité, faute d’informations, l’affaire est close. La diligence ne paie pas!

Ne pourrait-il pas y avoir une sorte d’institution faîtière, à l’image de l’agence mondiale antidopage, pour éviter ces abus?
Aux Etats-Unis, la recherche biomédicale est principalement financée par le National Institutes of Health (NIH). Une personne appartenant à cet institut avait proposé de répliquer certaines études indépendamment, mais son idée est restée lettre morte. Par ailleurs, si vous demandez un financement pour tenter de répliquer une recherche déjà existante, il y a fort à parier que vous ne recevrez pas un kopeck! Tout le monde est d’avis qu’il faut financer de nouvelles recherches, mais pas celles de réplication. Il n’y a donc ni argent, ni prestige en la matière. C’est très utile, mais sans glamour. Cela ne vous donnera jamais un Nobel.

Quelle solution préconisez-vous alors?
Une fois que les chercheuses et chercheurs terminent leur étude, ils pourraient mandater un laboratoire indépendant, neutre, avec lequel ils n’ont aucune connexion, afin que celui-ci réplique les résultats clés. Cette étude supplémentaire pourrait figurer en appendice de l’article. Les bailleurs de fonds pourraient financer cette étape.

Mais le nerf de la guerre, c’est l’argent!
Bien sûr, cette précaution éviterait de se fourvoyer dans des études irréplicables et donc de gaspiller de l’argent public! Sans compter que des résultats biaisés peuvent donner lieu à des essais cliniques ou à des médicaments administrés à des humains!

Est-ce déjà arrivé?
Absolument! Récemment, une société de biotechnologie californienne a produit un médicament à partir de données manipulées. Celui-ci a été administré à des patient·e·s victimes d’un accident vasculaire cérébral, avec des conséquences dramatiques: plusieurs sont décédé·e·s! On a vu les mêmes dégâts dans le domaine de la recherche sur la maladie d’Alzheimer.

Ne faudrait-il donc pas criminaliser la fraude?
Bien sûr! Cela devrait être sanctionné au pénal, parce que les fraudeurs et fraudeuses gaspillent de l’argent public. Il y a aussi toutes les chercheuses et chercheurs qui, se basant sur des données erronées, perdent du temps et de l’argent en s’engageant dans une fausse direction.

Vous dénoncez donc une certaine impunité?
Les tricheurs et tricheuses risquent de voir leur étude rétractée, mais rarement un licenciement. Cela n’a rien d’une punition. Dans certains cas, pourquoi ne pas tout simplement leur retirer leurs diplômes et leur demander le remboursement des fonds qu’ils ont touchés?

Au-delà des failles de la nature humaine, vous incriminez le système: l’hyper-compétition pour les financements et la culture du publish or perish.
Mon livre traite surtout du cas des Etats-Unis, où j’ai fait l’essentiel de ma carrière. Je ne dépends pas non plus de financements américains et il est donc également plus facile pour moi de prendre la parole. En Suisse, il me semble, le système reste plus humain, moins rude. L’Université y fournit un financement de base et des infrastructures, même si on doit bien sûr aussi chercher des financements externes. Aux Etats-Unis, c’est tout le contraire. Il y a des frais indirects immenses pour les scientifiques qui doivent donc impérativement trouver des sources de financement. C’est une pression colossale!

Et certaines personnes doivent de surcroît composer avec un statut précaire.
Effectivement, certains chercheur·euse·s ont un visa, le J-1 notamment, dont le maintien dépend des financements obtenus. Cela peut inciter à embellir des résultats.

Pour voir son étude publiée dans une revue, il faut soumettre ces résultats à un comité de pairs. Pour quelle raison, est-ce que cette instance ne suffit pas?
Les gens s’imaginent que d’être évalué par les pairs équivaut à une validation indépendante des résultats. Ce n’est pas cela du tout. Cela signifie uniquement que trois personnes jettent un œil aux données, en partant du principe qu’elles n’ont fait l’objet d’aucune manipulation et ont été obtenues dans les règles de l’art.

J’imagine que vous avez déjà été évaluateur?
Bien sûr. Et j’ai réalisé que, lorsque l’on refuse un article dans une revue, il y a de fortes chances qu’il se retrouve publié dans une revue moins regardante. L’ironie, c’est que l’évaluateur peut même devenir le complice involontaire d’une faute scientifique! Je m’explique: Si un membre d’un comité d’évaluation détecte un problème, voire des signes de fraude à l’image, et qu’il le signale aux auteurs, ces derniers peuvent effectuer les corrections et retenter une soumission ailleurs. Contre son gré, l’évaluateur aura contribué à maquiller un méfait!

Ne peignez-vous pas le diable sur les murailles? Les publications de Didier Raoult, pour prendre l’exemple le plus connu dans le monde francophone, ont été rétractées. N’est-ce pas la preuve que les garde-fous fonctionnent?
Le nombre de rétractions est d’ailleurs à un haut historique, en partie grâce à l’intelligence artificielle qui permet de repérer les fraudes et en partie grâce aux data detectives. Ces derniers utilisent des plateformes, notamment PubPeer, pour dénoncer les fraudes en sciences. Parfois, il faut attendre plusieurs années avant que les articles soient rétractés. Hélas, cela reste la pointe de l’iceberg. Ce que je trouve vraiment tragique, c’est que l’évaluation critique et le nettoyage de la littérature scientifique sont actuellement effectués par des détectives scientifiques, essentiellement des amateurs privés dévoués ! Elles ne sont pas effectuées par les organismes subventionnaires, les ministères de la santé ou les éditeurs qui publient les revues scientifiques.

Avec ce livre, ne craignez-vous pas d’amener de l’eau au moulin des complotistes?
On ne convaincra de toute manière jamais un platiste du bien-fondé de la science. Mon livre est destiné aux personnes qui s’intéressent et aiment la science. Gardons aussi à l’esprit que, sur les millions d’articles publiés chaque année, même si certains résultats ne sont pas réplicables, certains vont déboucher sur des avancées médicales qui sauveront des vies.

Allez-vous changer de carrière pour favoriser l’intégrité scientifique ou pour catalyser une réforme?
Non, je ne dispose d’aucune influence politique pour le faire. J’ai tout de même proposé la candidature d’Elizabeth Bik, l’une des plus importantes détectives scientifiques, et celle du site web Pubpeer pour les prix Einstein de l’année dernière. A ma plus grande joie, ils les ont d’ailleurs reçus. Je participerai également à une réunion à Oxford, axée sur l’intégrité scientifique et la réforme, organisée par Dorothy Bishop, une figure importante des efforts de reproductibilité. Je continuerai à faire de petites choses comme cela, mais mon objectif principal reste la recherche biomédicale.

_________

]]>
/alma-georges/articles/2025/requisitoire-contre-la-sciences-sans-conscience/feed 0
Vers une médecine plus intégrative: Le mode de vie au cœur de la santé (Episode 5) /alma-georges/articles/2024/vers-une-medecine-plus-integrative-le-mode-de-vie-au-coeur-de-la-sante-episode-5 /alma-georges/articles/2024/vers-une-medecine-plus-integrative-le-mode-de-vie-au-coeur-de-la-sante-episode-5#respond Wed, 04 Dec 2024 05:59:27 +0000 /alma-georges?p=21586 La médecine intégrative, trait d’union entre deux mondes de la santé trop longtemps dissociés, a une place privilégiée dans le cursus médical de l’Université de Fribourg. Au-delà des traitements conventionnels ou complémentaires, le mode de vie d’une personne contribue aussi à sa santé. Comment faire, en tant que médecin, pour inclure cette notion dans ses prises en charge comme dans son propre quotidien? C’est le sujet du troisième et dernier article de cette mini-série.

Diana Walther

Dans les sociétés occidentales modernes, les mœurs personnelles font rarement l’objet d’un suivi médical. Pourtant, elles influencent considérablement l’état de santé d’un individu, c’est pourquoi elles ont toute leur importance dans la médecine intégrative. Diana Walther, médecin spécialisée dans la prévention et la santé publique, est passionnée par la médecine du mode de vie. Cette discipline reconnaît la source comportementale de certaines affections et vise à les prévenir, gérer ou guérir en aidant les patient∙e∙s à mettre en place des changements durables dans leur quotidien. «C’est une approche holistique où l’accent est mis sur la santé et pas la maladie, explique la docteure. On ne s’arrête pas aux symptômes, comme cela peut malheureusement parfois être le cas en médecine conventionnelle.»

Pas aussi simple que ça en a l’air
S’il est bien connu qu’une alimentation saine, un sommeil régulier ou encore une activité physique suffisante favorisent notre bien-être, se débarrasser d’une mauvaise habitude ou adopter une bonne résolution peut s’avérer extrêmement difficile. «C’est là que le ou la médecin de famille peut jouer un rôle central en conseillant, voire en coachant son ou sa patient∙e», souligne la docteure Walther. Mais encore faut-il que le ou la clinicien·ne ait des connaissances dans ce domaine. «Nous ne sommes certainement pas assez formé∙e∙s à accompagner les patient∙e∙s dans leurs changements de mode de vie», explique Pierre-Yves Rodondi, directeur de l’Institut de médecine de famille (IMF). «Nous savons ce qui leur ferait du bien ou pas, mais cela reste difficile de trouver comment bien le leur transmettre», continue-t-il. En effet, un coaching adéquat en médecine du mode de vie requiert des connaissances en sciences du comportement, un savoir qui est étonnamment peu transmis dans la formation médicale classique.

Quand la société nuit à la santé
Pour ne rien arranger, le contexte sociétal moderne est loin de faciliter la transition vers un mode de vie plus sain, en particulier pour ce qui est de la consommation. «Il y a presque du sabotage de nos pratiques, déplore Olivier Pasche, vice-directeur de l’IMF, on autorise la publicité pour le sucre, le tabac, les boissons alcoolisées…». De surcroît, s’alimenter de manière saine et équilibrée coûte souvent plus cher que d’opter pour des produits flattant notre appétence pour les goûts sucrés ou salés. «Il y a quelque chose qui dysfonctionne au niveau de la société et, en tant que médecins, on est très impuissant∙e∙s parce qu’on arrive en bout de chaîne et on ne peut alors que constater les dégâts.»

Et justement, dans ce cadre culturel, modifier les routines individuelles et collectives est plus salvateur que jamais. «Nos modes de vie modernes causent énormément de souffrance et de maladies chroniques, dont un grand nombre est en fait réversible si on change notre mode de vie», reprend la docteure Walther. Bien que des efforts soient encore à faire dans la pratique, une prise de conscience semble heureusement vouloir opérer. «Il y a plein de petites mesures de santé publique qui ont été prises pour améliorer la santé de la population, relève le professeur Rodondi. Par exemple, beaucoup d’écoles ont changé les menus de midi en privilégiant des assiettes équilibrées.»

«Un style de vie, c’est une thérapie»
Parmi les habitudes de vie qui favorisent le bien-être, les hobbies ne doivent pas être sous-estimés. Au-delà des bienfaits physiques, de l’entraînement cérébral ou de la résilience au stress que peuvent engendrer différentes activités, l’aspect social des loisirs a ses propres vertus qui sont loin d’être négligeables.

Laurent Rochat, entraîneur de Taiji Quan

Laurent Rochat, entraîneur de Taiji Quan et d’autres arts martiaux chinois, parle ainsi de la philosophie sur laquelle est basée l’approche médicale chinoise: «Une personne qui est bien équilibrée a bien sûr une activité physique, mais elle a aussi un environnement social. Donc pouvoir sociabiliser au travers d’une activité comme le Taiji Quan, c’est très important. Et ce n’est pas juste une question psychologique puisque, en médecine chinoise, psychisme et corps ne font qu’un. Donc en travaillant sur sa socialisation, on peut améliorer certains aspects physiques.»

Mais pour cet altiste amoureux de culture chinoise, la pratique d’un art martial comme le Taiji va même plus loin que cela: il s’agit d’un mode de fonctionnement à appliquer à tous les instants de sa vie. «Un style de vie, c’est une thérapie, déclare-t-il. Quand on change de style de vie, on va mieux!»

Prendre soin de soi pour mieux soigner les autres
Dans le meilleur des mondes, cette notion devrait s’appliquer non seulement aux patient∙e∙s, mais également aux soignant∙e∙s. «Normalement, un bon médecin chinois pratique à côté de sa profession au moins un art interne», explique Laurent Rochat. «On sait qu’être médecin n’est pas un métier forcément facile, rebondit le professeur Rodondi. Il faut s’occuper des autres, mais il faut savoir s’occuper de soi-même.» C’est peut-être là l’ultime prise de conscience à laquelle il espère conduire les étudiant∙e∙s en leur proposant des cours pratiques en médecine intégrative. Le stage d’une semaine organisé chaque année par l’IMF, notamment, est une précieuse occasion d’introduire les jeunes médecins à des disciplines qui pourront les aider à avoir une bonne qualité de vie le jour où ils et elles exerceront auprès de leurs patient∙e∙s.

________

]]>
/alma-georges/articles/2024/vers-une-medecine-plus-integrative-le-mode-de-vie-au-coeur-de-la-sante-episode-5/feed 0
Les multiples facettes de la médecine intégrative – Rencontre avec la docteure Diana Walther, passionnée par la médecine du mode de vie (Episode 4) /alma-georges/articles/2024/les-multiples-facettes-de-la-medecine-integrative-rencontre-avec-la-docteure-diana-walther-passionnee-par-la-medecine-du-mode-de-vie /alma-georges/articles/2024/les-multiples-facettes-de-la-medecine-integrative-rencontre-avec-la-docteure-diana-walther-passionnee-par-la-medecine-du-mode-de-vie#respond Tue, 26 Nov 2024 14:17:10 +0000 /alma-georges?p=21510 Chaque année depuis 2020, l’Institut de médecine de famille de l’Université de Fribourg organise un stage d’une semaine dans le petit village de Bellegarde (Jaun), au cœur des Préalpes fribourgeoises. C’est l’occasion pour les étudiant∙e∙s du master en médecine de découvrir des pratiques thérapeutiques ou préventives qui sortent du cadre de la médecine conventionnelle. S’inscrivant dans le programme d’enseignement de la médecine intégrative, ce stage optionnel permet aux futur∙e∙s soignant∙e∙s de découvrir la diversité du métier de médecin de famille.

Diana Walther, médecin spécialisée en prévention et santé publique, y a donné cette année une introduction à la médecine du mode de vie. Elle explique que de nombreuses maladies modernes peuvent être évitées ou guéries en adoptant de meilleures habitudes de vie. Selon Diana Walther, les médecins de famille ont un rôle-clé à jouer en accompagnant leurs patient∙e∙s dans ce processus de changement.

________

]]>
/alma-georges/articles/2024/les-multiples-facettes-de-la-medecine-integrative-rencontre-avec-la-docteure-diana-walther-passionnee-par-la-medecine-du-mode-de-vie/feed 0
Vers une médecine plus intégrative: Transmettre l’ouverture d’esprit aux médecins de demain (Episode 3) /alma-georges/articles/2024/vers-une-medecine-plus-integrative-transmettre-louverture-desprit-aux-medecins-de-demain /alma-georges/articles/2024/vers-une-medecine-plus-integrative-transmettre-louverture-desprit-aux-medecins-de-demain#respond Tue, 19 Nov 2024 07:19:57 +0000 /alma-georges?p=21216 La médecine intégrative, trait d’union entre deux mondes de la santé trop longtemps dissociés, a une place privilégiée dans le cursus médical de l’Université de Fribourg. Le deuxième article de cette mini-série explore pourquoi et sous quelles formes les médecines complémentaires sont enseignées ici. À l’honneur: un camp hors du commun organisé chaque année par l’Institut de médecine de famille.

Une église désacralisée et une vieille bâtisse, nichées auprès d’une cascade légendairement guérisseuse; c’est là qu’a eu lieu, du 1er au 6 mai derniers, la quatrième édition du stage annuel de l’Institut de médecine de famille (IMF) de l’Université de Fribourg. Ce camp est une occasion rare pour les étudiant∙e∙s entamant leur dernière année de médecine de découvrir, par l’expérience, des pratiques qui ne sont que peu abordées dans leur cursus ordinaire, et ainsi d’élargir leurs perspectives en matière de médecine de famille. Shiatsu, phytothérapie, médecine chinoise ou encore baignade en eau froide figurent parmi les approches thérapeutiques ou prophylactiques qui leur sont présentées au cours de cette semaine. Mais alors, pourquoi introduire la médecine intégrative dans la formation des professionnel∙le∙s de la santé?

Une ancienne église transformée en salle de formation

Un programme pluridisciplinaire
Tout d’abord, parce que «c’est obligatoire selon la loi sur les professions médicales», explique Pierre-Yves Rodondi, médecin généraliste et directeur de l’IMF. Si cette loi ne définit aucune durée minimale pour les cours dédiés aux médecines complémentaires, le cursus de l’Université de Fribourg est plutôt visionnaire en la matière. Créé en 2019 par le professeur Rodondi et son équipe, le programme de médecine intégrative du nouveau master comprend plusieurs cours, répartis sur la durée, dans lesquels des vignettes cliniques sont abordées sous un angle pluridisciplinaire. «Il y a eu cette volonté, très rapidement, de collaborer entre les différentes spécialités», raconte le médecin. En effet, il est important pour lui que l’enseignement des thérapies complémentaires ne se fasse pas en marge des autres cours, comme cela a trop longtemps été le cas. Faire communiquer les disciplines plutôt que de les ranger dans des boîtes séparées permet aux étudiant∙e∙s de découvrir non seulement la polyvalence des médecines non-conventionnelles, mais surtout leur complémentarité avec les méthodes classiques.

Offrir une perspective plus large
L’objectif principal, en enseignant la médecine intégrative, c’est d’informer les étudiant∙e∙s du fait que la patientèle a fréquemment recours à des thérapies complémentaires, et ce, sans forcément en parler à son ou sa médecin de famille. «Juste de savoir de quoi on parle, cela peut déjà aider à dialoguer avec le ou la patient∙e», indique le professeur Rodondi. Une démarche essentielle pour accompagner la personne au mieux dans son parcours de soins, tout en garantissant sa sécurité.

Par ailleurs, l’immense intérêt d’inclure une perspective intégrative au cursus de médecine est d’inciter les étudiant∙e∙s à questionner les dogmes. «Classiquement, les études de médecine formatent les médecins à avoir une approche rigoureuse, scientifique», expose Olivier Pasche, vice-directeur de l’IMF, «mais il manque une ouverture à des référentiels qui sortent du cadre de la pensée dominante». En tant que responsable de l’enseignement, ce médecin de famille considère que les études se doivent d’offrir cette perspective aux soignant∙e∙s de demain. «Même dans l’ensemble de la médecine, ajoute le professeur Rodondi, la manière de traiter évolue.» Il est donc essentiel, selon ses mots, «d’amener les étudiant∙e∙s à cette compréhension que les choses changent, que les cultures, les visions évoluent et les données vont évoluer».

Cultiver les liens intergénérationnels
Tout en s’inscrivant dans cette démarche, le stage de l’IMF a des objectifs supplémentaires qui lui sont propres. L’un d’eux est de donner aux étudiant∙e∙s un aperçu de la diversité du métier de médecin de famille. Le temps d’un jour, le Cantorama – ancienne église délestée de ses attributs religieux – s’est transformée en salle de formation continue pour 17 médecins enseignant∙e∙s. Lors des jeux de rôles de l’après-midi, les étudiant∙e∙s ont pu se rendre compte du fait que chaque médecin a une manière unique de consulter. Par ailleurs, cette journée a aussi été l’occasion de «cultiver l’esprit de famille au sein de la médecine de famille», comme l’exprime le docteur Pasche, «en faisant découvrir aux étudiant∙e∙s qu’il s’agit aussi d’un environnement de gens qui se connaissent et qui ont du plaisir à être ensemble». Un objectif atteint, si l’on se fie à l’enthousiasme des jeunes médecins!

Etoffer ses compétences pour répondre à des besoins variés
Ce qui fait la richesse de la médecine de famille, c’est aussi l’éventail de spécialités qui peuvent y être intégrées. En découvrir quelques-unes dans leurs cours ou lors du camp de l’IMF peut donner envie aux étudiant∙e∙s d’étoffer leur pratique future dans le cas où ils ou elles deviendraient médecins généralistes. Et pour cause: en élargissant son champ de compétences, un∙e médecin de famille peut traiter toute une panoplie de maux directement au cabinet, et donc réduire le nombre de patient∙e∙s référé∙e∙s à des spécialistes.

L’une de ces spécialités, c’est la médecine manuelle, présentée lors du stage par le docteur Vincent Amstutz. «Les étudiant∙e∙s qui veulent faire de la médecine générale vont être confronté∙e∙s à une quantité énorme de problématiques douloureuses», explique-t-il. «Or, on ne nous apprend ni comment les traiter, ni comment rendre les gens autonomes.» Pour lui, il est donc important que les futur∙e∙s médecins entendent déjà parler de ce genre de techniques durant leurs études.

Diana Walther, médecin spécialisée en prévention et santé publique, abonde dans ce sens. Elle est venue présenter aux étudiant∙e∙s quelques stratégies issues de la médecine du mode de vie qui permettent d’aider les patient∙e∙s à mettre en place des changements durables dans leur quotidien. Que ce soit en cabinet ou en hôpital, cette approche demeure étonnamment marginale. Selon la docteure, cela s’explique par le fait que la médecine du mode de vie ne figure pas dans le cursus universitaire obligatoire. «Je pense qu’il est essentiel que chaque étudiant∙e en médecine entende parler de cela, affirme-t-elle, d’un côté parce que l’impact peut être majeur, et de l’autre côté parce que c’est la base de la santé, en fait!»

________

]]>
/alma-georges/articles/2024/vers-une-medecine-plus-integrative-transmettre-louverture-desprit-aux-medecins-de-demain/feed 0
Vers une médecine plus intégrative: Rencontre avec Vincent Amstutz, spécialiste de la médecine manuelle (Episode 2) /alma-georges/articles/2024/vers-une-medecine-plus-integrative-rencontre-avec-vincent-amstutz-specialiste-de-la-medecine-manuelle /alma-georges/articles/2024/vers-une-medecine-plus-integrative-rencontre-avec-vincent-amstutz-specialiste-de-la-medecine-manuelle#respond Tue, 12 Nov 2024 10:52:13 +0000 /alma-georges?p=21268 Chaque année depuis 2020, l’Institut de médecine de famille de l’Université de Fribourg organise un stage d’une semaine dans le petit village de Bellegarde (Jaun), au cœur des Préalpes fribourgeoises. C’est l’occasion pour les étudiant∙e∙s du master en médecine de découvrir des pratiques thérapeutiques ou préventives qui sortent du cadre de la médecine conventionnelle. 

S’inscrivant dans le programme d’enseignement de la médecine intégrative, ce stage optionnel permet aux futur∙e∙s soignant∙e∙s de découvrir la diversité du métier de médecin de famille. Cette année, le docteur Vincent Amstutz est venu présenter la médecine manuelle, une spécialisation qui enrichit sa pratique en tant que médecin de famille. Il raconte comment cette discipline permet de traiter toute une catégorie de douleurs d’origine musculosquelettique et dans quelle mesure son apprentissage peut être bénéfique aux étudiant∙e∙s se destinant à la médecine générale.

________

]]>
/alma-georges/articles/2024/vers-une-medecine-plus-integrative-rencontre-avec-vincent-amstutz-specialiste-de-la-medecine-manuelle/feed 0
Vers une médecine plus intégrative: Elargir le champ des options thérapeutiques (Episode 1) /alma-georges/articles/2024/vers-une-medecine-plus-integrative-elargir-le-champ-des-options-therapeutiques /alma-georges/articles/2024/vers-une-medecine-plus-integrative-elargir-le-champ-des-options-therapeutiques#respond Tue, 05 Nov 2024 13:24:05 +0000 /alma-georges?p=21208 La médecine intégrative, trait d’union entre deux mondes de la santé trop longtemps dissociés, a une place privilégiée dans le cursus médical de l’Université de Fribourg. Le premier article de cette mini-série met en lumière les avantages d’une consultation intégrative, aussi bien pour les patient∙e∙s que pour les soignant∙e∙s.

Le système de santé occidental est depuis longtemps clivé en deux camps qui ne communiquent guère, sinon pour se dévaloriser mutuellement. D’un côté, la médecine classique, fondée sur des faits mesurables et reproductibles, dont les méthodes d’intervention sont usuellement focalisées sur l’impact biochimique des médicaments ou le raccommodage chirurgical. De l’autre côté, les thérapies complémentaires, aux fondements empiriques et visant à rééquilibrer les processus vitaux en agissant non-seulement sur la physiologie, mais également sur les sphères psychique, énergétique ou même spirituelle de l’être humain.

Olivier Pasche et Pierre-Yves Rodondi

Prendre le meilleur des deux mondes
Depuis peu, le dialogue commence à s’établir entre ces deux mondes qui semblaient jusqu’ici opposés, et cela grâce à un concept développé aux Etats-Unis dans les années 1990: la médecine intégrative. «L’idée, c’est de prendre le meilleur de la médecine pour les patient∙e∙s, sans a priori», indique Pierre-Yves Rodondi, directeur de l’Institut de médecine de famille (IMF) de l’Université de Fribourg. Ce médecin généraliste, lui-même formé en homéopathie, considère que, tant qu’il est utile et ne présente pas de risque, tout traitement vaut la peine d’être envisagé. «Il s’agit de prendre le patient ou la patiente dans sa globalité, en tenant compte de ses propres valeurs, ce qui est un élément très important dans les choix thérapeutiques», ajoute-t-il.

Cette notion est particulièrement importante aux yeux d’Olivier Pasche, vice-directeur de l’IMF et également médecin de famille. Selon lui, il manque parfois aux praticien∙ne∙s en médecine classique la «perspective de l’anthropologue, c’est-à-dire un intérêt au référentiel de l’autre au travers d’un regard qui cherche à s’affranchir de ses propres conditionnements ». En plus d’amener à une meilleure compréhension de l’univers de ses patient∙e∙s, cette ouverture d’esprit permet de se rendre compte du champ des pratiques thérapeutiques existantes, qui dépasse largement celui de la médecine conventionnelle. Car la réalité, c’est qu’une majorité de la population a recours, de temps à autre, à un remède non-conventionnel, qu’il s’agisse d’une infusion de camomille ou d’une séance d’acupuncture. «Le corps médical a beaucoup plus séparé les médecines que la patientèle», souligne le Professeur Rodondi. Par conséquent, un médecin ayant une certaine connaissance des thérapies complémentaires est plus à même d’établir une relation de partage avec ses patient∙e∙s et ainsi de les aider à naviguer de manière optimale dans leur parcours de soins.

Agrandir sa boîte à outils
En cultivant cet état d’esprit dans son activité clinique, le Docteur Pasche a lui-même, petit à petit, développé un attrait pour certaines disciplines complémentaires telles que la médecine psychosomatique et la phytothérapie. Ainsi, une approche intégrative représente un réel atout non seulement pour la patientèle, mais également pour le ou la médecin qui enrichit sa pratique en ajoutant des cordes à son arc. «Dans certaines situations, la médecine conventionnelle n’a pas beaucoup de réponses», explique le Professeur Rodondi, il s’agit d’utiliser le bon outil au bon moment, dans les bonnes conditions et avec les bons thérapeutes.»

Quand la médecine classique donne sa langue au chat
Parmi les problématiques de santé auxquelles la médecine conventionnelle peine à faire face, on peut citer la vaste catégorie des troubles fonctionnels, qui comprend, par exemple, les maux de ventre, les maux de tête, les insomnies ou encore les douleurs musculosquelettiques. «On a très peu de connaissances dans ces domaines-là et, pourtant, c’est une énorme part de notre pratique», reconnaît le docteur Pasche. «On est souvent désemparés, poursuit-il. La tendance est de prescrire des médicaments par analogie avec d’autres pathologies, sans vraiment avoir une approche taillée sur mesure.»

Pour les douleurs de type fonctionnel, il existe pourtant une spécialité bien adaptée et reconnue par la FMH (Foederatio Medicorum Helveticorum, ou Fédération des médecins suisses): la médecine manuelle. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une thérapie complémentaire en tant que telle, son apprentissage nécessite une formation additionnelle, état de fait que Vincent Amstutz, spécialiste de cette discipline, regrette: «Je me bats plutôt pour que cela fasse partie de la formation des généralistes, car les problématiques fonctionnelles douloureuses sont si fréquentes que, selon moi, cela devrait relever d’une logique de médecine classique.»

Des autosoins qui soutiennent la guérison
Une autre force de la médecine intégrative, c’est qu’elle permet souvent «de redonner au ou à la patient∙e sa capacité à faire des choses pour sa santé par lui-même ou elle-même», comme l’explique le Professeur Rodondi. En effet, il est assez courant, notamment en médecine manuelle, de conseiller des mouvements spécifiques à faire chez soi pour améliorer la mobilité ou soulager la douleur. Dans la même idée, la prescription de certaines plantes s’est bien démocratisée depuis que leurs mécanismes d’action sont connus. Tout en rendant les patient∙e∙s plus autonomes, les autosoins de ce type permettent de diminuer la prise de médicaments, ce qui, au passage, réduit l’impact environnemental de la prise en charge. Si de telles mesures ne suffisent pas toujours à soigner une affection, elles peuvent se combiner avec un traitement classique afin d’en augmenter l’efficacité ou d’en réduire la durée.

________

]]>
/alma-georges/articles/2024/vers-une-medecine-plus-integrative-elargir-le-champ-des-options-therapeutiques/feed 0
Pas d’acharnement thérapeutique, mais… /alma-georges/articles/2024/pas-dacharnement-therapeutique-mais /alma-georges/articles/2024/pas-dacharnement-therapeutique-mais#respond Fri, 02 Aug 2024 06:59:36 +0000 /alma-georges?p=20626 Alors qu’elle figure au cœur des directives anticipées, dont le respect par le corps médical est obligatoire en Suisse depuis 2013, la notion d’acharnement thérapeutique recoupe des réalités très différentes selon les individus, au point de créer des malentendus. Le point avec Clara Podmore, de l’Institut de médecine de famille de l’Unifr. 

«En cas de maladie ou d’accident graves, surtout pas d’acharnement thérapeutique!» Cette phrase, de nombreuses personnes ou membres de la famille la prononcent. Or, lorsqu’elles sont réellement confrontées à une situation de fin de vie, il n’est pas rare qu’elles choisissent de se livrer à un combat acharné contre la mort. Quitte à opter pour des traitements invasifs dont le succès n’est de loin pas garanti, voire qui, à l’inverse, pourraient provoquer des dommages. Ne fonce-t-on pas alors droit sur l’acharnement thérapeutique qu’on voulait absolument éviter?

A l’origine de ce paradoxe figure une délicate question de définition. L’acharnement thérapeutique, au fond, quésaco? «Il n’y a pas de définition absolue», avertit Clara Podmore. «J’irais même plus loin: considéré hors de son contexte, ce terme ne veut rien dire du tout pour les médecins!» La maîtresse d’enseignement et de recherche à l’Institut de médecine de famille de l’Unifr prend deux exemples. D’une part, celui d’un homme de 85 ans particulièrement faible hospitalisé pour une pneumonie, qui fait un arrêt cardiaque. «Même s’il a clairement exprimé son désir d’aller à l’hôpital et de faire l’objet de soins, une réanimation pourrait – si elle est évaluée comme déraisonnable par le corps médical – être assimilée à de l’acharnement thérapeutique.» A l’inverse, le choix d’une personne de 35 ans, mère d’enfants en bas âge, souffrant d’un cancer particulièrement agressif de subir une opération «de la dernière chance», tout en sachant que cette intervention présente un bilan bénéfices/risques négatif, «serait probablement considéré aussi bien par ses proches que par les soignants comme ayant du sens, même si, d’un point de vue purement médical, cela pourrait être assimilé à de l’acharnement thérapeutique».

Un acte tout sauf banal
Selon Clara Podmore, qui officie également en tant que médecin de famille au sein d’un cabinet de la région lausannoise, tout n’est pas à jeter dans le terme «acharnement thérapeutique». Pour une personne atteinte d’une maladie grave et/ou d’un certain âge, «il s’agit d’un bon point de départ vers une réflexion en profondeur sur ses désirs de fin de vie, ainsi que vers une discussion ouverte et éclairée avec ses proches et son médecin.» La généraliste le sait par expérience: «Une fois qu’on explique aux personnes âgées en milieu hospitalier qui affirment vouloir ‘tout’ faire pour rester en vie en cas de problème ce que ce ‘tout’ implique, la majorité d’entre elles changent d’avis.»

On touche là à l’épineuse – et centrale – question de la réanimation, associée à de nombreux fantasmes et à tout autant d’idées erronées. «La réanimation, c’est la mesure extrême, celle consistant – comme son nom l’indique – à réanimer une personne dont le cœur a cessé de battre.» Le massage cardiaque, qui est effectué en profondeur au niveau de la poitrine, «est une pratique qui n’est pas anodine, provoquant fréquemment des fractures de côtes.» Quant au manque d’oxygène dû à l’arrêt cardiaque, il peut entraîner des séquelles neurologiques. En milieu hospitalier, la réanimation est d’ailleurs obligatoirement accompagnée d’un séjour au service de soins intensifs. «Une recherche intéressante a exploré le niveau de connaissances du grand public autour du succès de la réanimation et est arrivée à la conclusion qu’il est bas», rapporte Clara Podmore.

Nouvelles obligations légales
Si elle n’est pas nouvelle, la notion d’acharnement thérapeutique semble avoir gagné en importance – ou du moins en visibilité – en Suisse ces dernières années. Il faut dire qu’elle figure au cœur des directives anticipées, dont le respect est obligatoire depuis l’entrée en vigueur en janvier 2013 du nouveau droit fédéral de la protection de l’adulte. Pour mémoire, cette réglementation prévoit que les dispositions thérapeutiques rédigées par une personne – notamment au sujet des soins qu’elle souhaiterait recevoir ou pas en cas d’accident grave ou dans la phase terminale d’une maladie – doivent être suivies par le corps médical si cette personne est devenue incapable de discernement. Le cursus de Master en médecine de l’Unifr comporte d’ailleurs un enseignement introductif sur les directives anticipées.

Plus récemment encore, la crise de la Covid-19 est venue renforcer la sensibilité à ces questions. «Dans le cadre de la pandémie, une pratique s’est étendue en milieu hospitalier, celle de demander plus proactivement aux patient·e·s à leur arrivée s’ils souhaitaient, en cas de besoin, être intubé·e·s, être réanimé·e·s, etc.». La collaboratrice de l’Institut de médecine de famille explique: «L’état des personnes atteintes d’une infection à Sars-CoV-2 se détériorait tellement vite qu’on craignait ne pas pouvoir les interroger, ne serait-ce que quelques heures plus tard, sur leur volonté en matière de soins.» Malgré l’apaisement de la crise sanitaire, ce questionnement systématique est demeuré et a même gagné en importance.

Disposer de directives claires émanant des patient·e·s, de leur entourage ou de leur médecin de famille constitue certes un outil précieux pour les soignant·e·s confronté·e·s à la nécessité de prendre, parfois dans l’urgence, une décision thérapeutique radicale. Cela ne les dispense pas pour autant de procéder à une évaluation de l’équité et de la pertinence des mesures en question. Cela ne leur évite pas non plus de faire l’objet, dans certains cas, du courroux des proches des patient·e·s. Il y a trois ans, la veuve d’un homme soigné au CHUV s’est ainsi retournée contre l’hôpital pour ne pas avoir respecté les directives anticipées de son époux et procédé à ce qu’elle considérait comme de l’acharnement thérapeutique. Clara Podmore comprend bien la révolte de cette femme. «Mais il faut souligner que du côté des médecins, il y a toujours une peur qu’on leur reproche de ne pas en avoir fait assez, de ne pas avoir sauvé une personne.»

Projet de soins anticipé
Malgré la popularisation des directives anticipées dans notre pays, «à l’heure actuelle, les patient·e·s hospitalisé·e·s en ayant rédigé sont encore minoritaires», souligne la médecin. Encore plus minoritaires sont ceux «qui ont eu le courage de briser le tabou avec leurs familles, de partager clairement et en toute sérénité leur vision de l’acharnement thérapeutique». Mais aussi, plus largement, «leurs souhaits dans différents cas de figure, par exemple celui de décéder à la maison à tout prix ou de vivre le plus longtemps possible». On parle alors de «projet de soins anticipé».

Le scénario idéal, selon Clara Podmore? «Régler le plus de choses possibles en amont, lorsqu’on est encore en forme; réunir ses proches et son généraliste – qui sera en mesure de clarifier les notions médicales – autour d’un café, dans une ambiance conviviale, et parler de tout ça sereinement.» Alors que de nombreux EMS exigent désormais que leurs résident·e·s aient consigné des dispositions de fin de vie, ces dernières «sont souvent rédigées à la va-vite lors de l’entrée dans l’établissement, qui est déjà en soi un moment hyper compliqué pour les patient·e·s et leurs familles». Même si parler ouvertement de la mort peut être douloureux, la doctoresse en est convaincue: «Le fait d’avoir pu discuter à l’avance et suivre des directives anticipées aide les familles dans leur processus de deuil.»

_________

]]>
/alma-georges/articles/2024/pas-dacharnement-therapeutique-mais/feed 0
La tablette et le stéthoscope /alma-georges/articles/2024/la-tablette-et-le-stethoscope /alma-georges/articles/2024/la-tablette-et-le-stethoscope#respond Tue, 14 May 2024 13:02:43 +0000 /alma-georges?p=20211 Début 2024, la section Médecine de l’Unifr a procédé à un premier essai grandeur nature des examens en mode numérique. Sabine Morand, responsable du bureau des examens, évoque les avantages et les défis que représente la transposition des évaluations sur tablettes. Et en profite pour faire un appel du pied à ses homologues d’autres sections ou départements.

Malgré la centaine d’étudiant·e·s présent·e·s dans la salle, le nez collé à leur examen, il règne un calme olympien. Quelques éternuements et raclements de gorge mis à part, le silence est inhabituel. Presque étrange. Ce qu’il manque, ce sont deux bruits familiers, celui du grattement des stylos sur le papier et celui du froissement des feuilles que l’on retourne. Car au lieu des traditionnelles copies papier, les jeunes femmes et hommes se sont vu distribuer des tablettes tactiles, sur lesquelles ils et elles visionnent les questions et enregistrent leurs réponses.

Début 2024, la section Médecine de l’Unifr a testé pour la première fois un examen sous forme numérique à large échelle, c’est-à-dire sur une centaine d’étudiant·e·s et comprenant une soixantaine de questions. «Globalement, tout s’est bien passé», se réjouit Sabine Morand, en charge du bureau des examens des filières médicale et biomédicale. «Nous allons gentiment pouvoir commencer à généraliser cette pratique.»

Consortium basé en Allemagne
C’est en 2019, dans le cadre de l’introduction du Master en médecine à l’Unifr, que les responsables de la section ont commencé à s’intéresser de près à la numérisation des examens. En effet, «au niveau national, des tablettes sont utilisées pour les épreuves de l’examen fédéral, d’où ce besoin d’adaptation à Fribourg». L’alma mater faisait déjà partie depuis 2017 d’un consortium pour les examens basé en Allemagne, l’Umbrella Consortium for Assessment Networks, à laquelle sont notamment affiliées les Universités de Heidelberg, de Munich et de Göttingen, ou encore l’Université de Genève, la Haute école de santé Fribourg (domaine ostéopathie) et la Haute école spécialisée bernoise. Cette structure met à disposition divers outils personnalisables, parmi lesquels figure une application pour générer des examens écrits sur tablette.

Grâce au consortium, l’Unifr a notamment accès à une base de données permettant de créer des questionnaires à choix multiples (QCM) sur tablettes. Sabine Morand rappelle que les QCM constituent l’un des formats les plus utilisés lors des évaluations écrites en médecine et en sciences biomédicales. Les similitudes entre ces deux disciplines ne s’arrêtent d’ailleurs pas là: «Durant les deux premières années des cursus de Bachelor en Médecine humaine et en Sciences biomédicales, certains examens sont à 80%, voire à 90% identiques.» Une aubaine pour le bureau des examens, qui a ainsi eu accès à une cohorte d’utilisateur·trice·s bien étoffée lors des premiers examens numériques pilotes, qui se sont déroulés en 2021 et en 2022.

La particularité du bilinguisme
Outre le fait de profiter de l’expérience des autres hautes écoles membres, la participation au consortium présente un avantage de taille: «Nous bénéficions d’un développement quasi «à la carte» des outils dont nous avons besoin.» Car logiquement, chaque établissement étant différent, il n’existe pas de solution universelle convenant à chacun. «La principale spécificité de l’Unifr, c’est le bilinguisme», relève Sabine Morand. Il a donc fallu créer un programme permettant de sauter d’une langue à l’autre en temps réel, pour chaque question. «Cette contrainte de la langue a constitué un défi pour l’équipe technique du consortium mais le résultat proposé est simple et efficace pour les étudiant·e·s.»

Des atouts par rapport aux évaluations standard, les examens sur tablettes en ont d’autres. L’interface numérique permet de recourir à des formats de questions qui ne sont pas accessibles sur papier. «Dans le domaine médical, les questions Long Menu, qui comportent de très longues listes de réponses, sont par exemple fréquemment utilisées en pharmacologie. Les questions portant spécifiquement sur la radiologie ou l’histologie, elles, impliquent parfois que les futur·e·s médecins reconnaissent une structure montrée sur une image en l’indiquant directement sur l’écran. «Logiquement, la qualité et la précision des images numériques est nettement supérieure au rendu sur papier.»

A noter que le recours à des outils numériques dans le cadre des examens ne se limite pas uniquement au champ des QCM. «Dans le cadre de l’ECOS (ndlr: l’examen clinique objectif structuré (ECOS) est constitué de stations successives simulant une consultation médicale), la tablette permet de présenter le cas de façon plus réaliste et développée, en ayant notamment recours à des vidéos.»

Mutualiser les efforts
Si les examens sous forme numérique présentent des avantages certains, leur mise en place n’est pas sans défis. «Il faut engager ou former du personnel qui soit en mesure de gérer le support technique ainsi que les éventuels développements et adaptations des logiciels», souligne Sabine Morand. «Durant tout l’examen, un·e informaticien·ne doit se trouver dans la salle afin d’assurer le suivi.» Autre challenge d’ordre logistique, celui des locaux. «Jusqu’à présent, en cas de grandes cohortes, les évaluations se déroulaient à l’extérieur de l’Université, dans la Salle des fêtes.» Or, faire passer des examens sur tablette implique d’être sur le campus pour pouvoir se connecter aux serveurs de l’alma mater.

Une piste pour alléger ces problèmes serait de mutualiser les efforts au sein même de l’université. «Plus il y aura de départements qui proposent des examens sous une forme numérique, mieux nous serons armés pour envisager des solutions collectives.»

C’est donc un appel du pied à ses homologues d’autres sections et départements que fait la responsable du bureau des examens des filières médicale et biomédicale. «Même si je suis consciente que les formats d’examen et le type de questions peuvent être très différents d’une discipline à l’autre et que l’application que nous utilisons n’est pas adaptée à tous les domaines d’étude.»

__________

]]>
/alma-georges/articles/2024/la-tablette-et-le-stethoscope/feed 0