Manger – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Fri, 04 Dec 2020 12:03:34 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 Un petit goût de philosophie /alma-georges/articles/2020/un-petit-gout-de-philosophie /alma-georges/articles/2020/un-petit-gout-de-philosophie#respond Fri, 04 Dec 2020 08:08:16 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=12362 Le philosophe Patrik Engisch a toujours rêvé d’être cuisinier. En 2017, le chargé de cours de l’Unifr a co-fondé Culinary Mind, un centre de recherche international dédié à la philosophie de l’alimentation. Décryptage.

«J’ai fait de la cuisine bien avant de faire de la philosophie. D’ailleurs, j’ai toujours rêvé d’être cuisinier plutôt que philosophe, mais cela ne s’est pas fait», confie le chargé de cours au Département de philosophie de l’Unifr. A l’inverse, ce qui s’est «fait», c’est une rencontre qui a donné un nouveau visage à son parcours académique. «Lors d’un colloque en Italie, j’ai fait la connaissance du philosophe américano-italien Andrea Borghini, qui m’a parlé de ses travaux dans le domaine de la philosophy of food; cela a fait tilt!»

En 2017, les deux confrères ont fondé , un centre de recherche basé à l’Université de Milan. Son but? Mettre en réseau des académiciens, cuisiniers, auteurs et individus de plusieurs pays, dont les activités ont trait à la philosophy of food. En français, il n’existe pas de traduction officielle de ce terme. «La moins pire est probablement ‹philosophie de l’alimentation›», relève Patrik Engisch. Il précise qu’il a «quasiment fallu partir de zéro et démarrer une nouvelle discipline académique». Certes, ces dernières années, de nombreux travaux en philosophie se sont penchés sur la question de l’alimentation. Mais ils étaient généralement «orientés sur les aspects éthiques ou politiques: Avons-nous le droit de manger des animaux? Existe-t-il un droit à l’alimentation?, etc.» Le parti pris des recherches menées au sein de Culinary Mind est davantage théorique: Qu’est-ce que la nourriture? Qu’est-ce que la faim? Qu’est-ce qu’une recette? Qu’est-ce qu’une AOP?

Satisfaction de bas instincts
De tous temps, l’être humain s’est nourri. Alors pourquoi cet intérêt récent des philosophes pour l’alimentation? «Une combinaison de facteurs explique cela, souligne Patrik Engisch. Rappelons que manger ne relève pas seulement d’une nécessité biologique, mais aussi d’un plaisir sensoriel.» Or, avant le XXe siècle, «pour des questions religieuses entre autres, l’alimentation n’était pas considérée comme digne de recherche, puisqu’elle était associée à la satisfaction de bas instincts». Dans le même ordre d’idées, Thomas Reid, l’un des rares philosophes à avoir traité de l’olfaction au XVIIIe siècle, «estimait que celui-ci était le plus bas et le moins intéressant de nos sens». Le chercheur note, par ailleurs, que, longtemps, manger était un acte privé. «L’existence des restaurants, donc de la restauration comme bien public, ne date que de la fin de l’Ancien Régime.» Autre élément explicatif: depuis la seconde partie du XXe siècle, avec notamment le développement de l’industrie agro-alimentaire, l’alimentation est devenue omniprésente dans les discussions. «Ce que nous mangeons s’est mué en choix», relève le chargé de cours de l’Unifr. «Et dès l’instant où l’alimentation donne la possibilité d’un choix, elle devient un lieu de mise en avant de l’identité.»

Les nouvelles stars de la pop culture
«Actuellement, il y a un intérêt colossal pour la nourriture», constate Patrik Engisch. Sur les réseaux sociaux, on échange non seulement des images de plats (food porn), mais aussi des recettes. «La gastronomie a le même statut que la musique il y a quelques décennies et dans ce contexte les grands cuisiniers se sont mués en stars de la pop culture.» Or, plusieurs de ces cuisiniers stars véhiculent des idées visant un changement de société. Parmi les exemples les plus célèbres figurent le Danois René Redzepi (chef du Noma à Copenhague) et son concept d’alimentation de proximité ou encore l’Italien Massimo Bottura (chef de l’Osteria Francescana à Modène) et sa lutte contre le gaspillage alimentaire. «On pourrait parler dans leur cas de social gastro diplomacy», poursuit le philosophe. Patrik Engisch a consacré un article au processus créatif de l’équipe du Noma. «René Redzepi et ses adeptes s’évertuent à montrer qu’il est possible de trouver dans n’importe quel environnement de quoi élaborer des recettes de cuisine de première qualité.» Concrètement, les chefs de file de la New Nordic Cuisine «ont pris une carte et un compas et ont déterminé le rayon dans lequel il est acceptable d’aller chercher sa nourriture». Mais cette «valeur culinaire doit faire l’objet d’une médiation et c’est là que les recettes entrent en jeu». Or, «la capacité qu’ont les recettes à faire une médiation avec notre environnement est extrêmement intéressante». En se penchant sur le travail du chef danois, le chercheur a également été interpellé par «sa capacité à casser l’équation ‹produit à haute valeur ajoutée (par exemple le homard) = gastronomie› et à magnifier des aliments qui n’étaient auparavant pas considérés comme nobles».

Parmi les travaux en cours dans le domaine de la philosophie de l’alimentation, Patrik Engisch cite ceux autour de la définition de la faim («Est-ce un simple état corporel ou également une émotion?»), de la valeur culinaire («Quels en sont les éléments intrinsèques, au-delà du simple plaisir culinaire?») ou encore de l’appropriation culturelle («Sous quelles conditions est-il acceptable de qualifier une cuisine d’authentique, par exemple dans le cas d’un restaurant mexicain en Suisse?»). Le rapport entre alimentation et art intéresse également les chercheurs. Ou, plus concrètement, «la question de savoir si la gastronomie peut prétendre être une forme d’art». Sans oublier la notion de gastro-diplomatie, qui consiste à promouvoir un pays ou une région en s’appuyant sur sa cuisine. «Grâce aux émotions et à la nostalgie qu’elle véhicule, la cuisine est en effet un excellent facilitateur de relations culturelles.»

Hungry bodies et hungry souls
De l’avis de Patrik Engisch, les philosophes ont une vraie carte à jouer sur le terrain. «Une nouvelle discipline appelée conceptual engineering est en train d’émerger; elle est orientée sur la philosophie concrète, sur l’aide pratique.» Et de citer l’exemple des appellations AOP et AOC. «Lorsque l’on met en place ces appellations, on part du principe qu’un produit donné possède une identité qui doit être protégée.» Mais la nature de cette identité n’est pas forcément claire. «Est-elle liée à une recette? A un savoir-faire? A un profil gustatif?» Dans ce dernier cas, «et pour citer l’exemple du Vacherin fribourgeois, rappelons qu’il a un goût complètement différent d’une laiterie à l’autre». A l’inverse, «un jour, lorsque j’étais au marché, on m’a vendu un ‹pain de la Bénichon›» qui avait le goût de la cuchaule sans avoir le droit d’en porter le nom. «N’est-ce pas un peu pervers et que cherche-t-on exactement à protéger?» Selon le chercheur, «la philosophie a le pouvoir de clarifier et de corriger ce genre de problème».

Un autre champ d’intervention potentiel de la philosophy of food est celui des troubles alimentaires. «On parle de manière très générale de ‹troubles de la faim›.» Or, «la philosophie de l’alimentation peut notamment aider à distinguer entre plusieurs concepts de ‹faim›, par exemple celui qui touche à la dénutrition causée par une famine ou celui qui touche à la dénutrition des personnes qui souffrent d’anorexie.» En effet, «au-delà de la sous-nutrition – au sens médical et biologique du terme –, il n’est pas sûr que ces deux types d’états de faim extrême aient beaucoup en commun». Ainsi, «mon collègue Andrea Borghini distingue entre les hungry bodies et les hungry souls». En ce sens, «la philosophie de l’alimentation peut promouvoir des distinctions ainsi qu’un concept de ‹faim› plus ouvert et moins strictement médical ce qui, in fine, pourrait nous aider à avoir une meilleure compréhension des troubles alimentaires».

Les cinq coups de cœur culinaires de Patrik Engisch
Patrik Engisch est chargé de cours au Département de philosophie de l’Unifr et chercheur postdoctoral à l’Université de Lucerne. Passionné de cuisine, il a co-fondé en 2017 le réseau international Culinary Mind, consacré à la philosophie de l’alimentation. Il a par ailleurs co-édité une collection d’articles intitulée «Philosophy of Recipes: Making, Tasting, Valuing», qui paraîtra début 2021 aux éditions Bloomsbury. Ses recherches sur la philosophie de l’alimentation sont disponibles sur.

  • Le plat qu’il préfère manger: le risotto au feu de bois accompagné d’une saucisse sicilienne
  • Le plat qu’il préfère cuisiner: un filet de bÅ“uf en cuisson sous vide avec une sauce vin rouge miroir
  • Son produit local préféré: le Vacherin fribourgeois AOP de la laiterie de Marsens (si possible très corsé)
  • Son produit non travaillé préféré: la poire à Botzi («J’en ai quelques-unes dans mon jardin!»)
  • Son restaurant préféré: le Edinburgh Food Studio, à Edimbourg
]]>
/alma-georges/articles/2020/un-petit-gout-de-philosophie/feed 0
Avec ou sans viande, on n’est pas sorti de l’auberge /alma-georges/articles/2016/avec-ou-sans-viande-on-nest-pas-sorti-de-lauberge /alma-georges/articles/2016/avec-ou-sans-viande-on-nest-pas-sorti-de-lauberge#respond Thu, 20 Oct 2016 11:12:34 +0000 http://www3.unifr.ch/alma-georges/?p=3128 Le Café scientifique du 26 octobre nous invite à se pencher sur nos assiettes. Que mangeons-nous, comment et pourquoi? Loin d’être anodines, nos pratiques alimentaires sont étiquetées et nous renvoient à nos valeurs, notre éthiques et nos croyances. Entretien avec le sociologue Damien Krattinger.

Végétarisme, véganisme, flexitarisme… A quoi riment toutes ces étiquettes?
Si l’on veut comprendre l’apparition de ces néologismes, il faut d’abord distinguer les végétarismes préconisés par certains courants religieux ou philosophiques depuis des millénaires de ceux pratiqués par les «nouveaux végétariens». En effet, de multiples formes de végétarismes ont été expérimentées au cours de l’histoire, mais sous des noms et dans des contextes propres à leur culture d’émergence. Par exemple, celui préconisé par le jaïnisme – une religion proche de l’hindouisme – est l’un des plus anciens et des plus restrictifs. D’une manière générale, le christianisme, l’hindouisme, le judaïsme, le bouddhisme ou l’islam connaissent tous des mouvances prônant certaines formes de végétarisme ou le préconisent à certains moments de l’année.
Alors que ces pratiques se basaient sur des fondements religieux ou philosophiques, les végétarismes actuels reposent sur des fondements scientifiques. En effet, peu à peu, des discours diététiques, nutritionnistes ou écologiques ont démontré que le végétarisme peut être bénéfique pour la santé et pour l’environnement. Suivant le mouvement de sécularisation de la société, ce qui était une question de croyance est ainsi devenu une question de science. Dans le monde occidental, nombre d’associations et des courants végétariens ont émergé au cours du XIXe, puis du XXe siècle. En sociologie, on a commencé à parler de «nouveaux végétariens» à partir des années 1970 en observant des individus, souvent jeunes, qui faisaient le choix de cette pratique, alors qu’ils étaient issus d’un environnement culturel et familial consommant régulièrement de la viande.
Précisons encore que le «véganisme» n’est pas une pratique alimentaire, mais un mode de vie qui cherche à exclure toute forme de consommation ou d’exploitation animale, impliquant donc une alimentation végétalienne.

Le rachat du Buffet de la Gare de Lausanne par la chaîne végétarienne Tibits a soulevé de nombreuses réactions négatives sur les réseaux sociaux. Certains ont dit craindre une vague, voire une forme de dictature végétarienne… Pourquoi le sujet est-il aussi sensible?
Plusieurs éléments peuvent expliquer la virulence de ces propos. Tout d’abord, le Buffet de la Gare représente un symbole du terroir vaudois, où la viande est présente à travers des produits connus au-delà de ses frontières. La reprise d’un tel établissement par une chaîne végétarienne, et zurichoise par-dessus le marché, pour en faire un fast-food ne pouvait se produire sans quelques grincements de dents! Cela montre bien à quel point l’alimentation participe de notre identité individuelle et collective.
Il y a ensuite ce sentiment que le végétarisme est de plus en plus présent et préconisé. Cette présence est exacerbée par un triple mouvement issu de la mondialisation de l’alimentation: la disparition de certaines particularités locales ou régionales; l’émergence de nouvelles formes alimentaires résultant de processus de métissage; la diffusion à l’échelle transculturelle de certains produits et formes alimentaires. En partant de ce constat, ce qui peut toucher certaines sensibilités, c’est aussi l’impression que le végétarisme bénéficie de davantage de crédit et de moyens, tandis qu’une partie des traditions culinaires locales ont tendance à disparaître ou du moins doivent s’organiser pour perdurer. Rappelons qu’en Suisse les bouchers peinent à trouver des apprentis et à rendre leur métier attractif. Sur ce point, les scandales alimentaires liés à l’industrie de la viande n’ont d’ailleurs pas aidé. Finalement, c’est aussi l’idée d’une forme de végétarisme liée à une  culture mondiale «bobo new age», encore mal définie, qui semble irriter certains. Ce qui est sûr, c’est que le végétarisme s’est démocratisé en même temps qu’il s’est diversifié. Il n’est plus seulement l’apanage de quelques originaux, comme dans les années 1980-1990.
Enfin, si l’on constate effectivement un accroissement de la visibilité du végétarisme d’un point de vue marketing et médiatique – avec notamment un choix plus large dans les supermarchés – l’amplitude d’une éventuelle vague végétarienne dans les habitudes culinaires reste à mesurer, à cause d’un manque d’études et du fait que manger végétarien est devenu une pratique non systématique chez un nombre considérable d’individus.

Le végétarisme semble souvent aller de pair avec un souci éthique et environnemental. Les végétariens sont-ils toujours cohérents?
A ma connaissance, aucune étude sociologique n’a été réalisée à ce sujet, mais je dirais que se nourrir est en soi un acte irrationnel et rempli de paradoxes.
Juger de la cohérence d’un acte implique de connaître le système de valeurs auquel il se réfère. S’il existe aujourd’hui une foule de raisons et de motivations pour devenir végétarien, deux d’entre elles ressortent dans les quelques études réalisées à ce sujet: l’éthique envers les animaux et la santé. Chez les nouveaux végétariens, les raisons religieuses, diététiques et éthiques peuvent coexister avec des raisons écologiques ou philosophiques. Dès lors, il n’est pas toujours facile de trouver une logique interne à des aspirations qui peuvent entrer en contradiction ou évoluer au fil des expériences. Pour être plus proche de la réalité, je pense qu’il faudrait plutôt parler de degré de cohérence.
Pour ma part, dans mon étude sur les consommateurs de plantes sauvages comestibles, où la plupart étaient «flexitariens», il s’agissait pour eux de gérer au mieux leur consommation de viande, selon les contextes sociaux notamment.  Le caractère commensal de l’acte de manger peut donc retenir certains individus de devenir complétement végétariens. Nous sommes, en effet, habitués à manger en compagnie d’un cercle de personnes qui détermine, dans une certaine mesure, nos pratiques alimentaires. C’est pourquoi, lors de certains repas de fête où la viande est au menu, ils s’autorisent parfois de s’écarter de leur ligne de conduite.
Enfin, manger est un acte fortement connoté de facteurs moraux. Il implique tout un ensemble de présupposés sociaux, qui incorporent le mangeur dans un système culinaire et donc dans le groupe qui le pratique. L’anthropologue Claude Fischler va même jusqu’à dire explicitement qu’à un système culinaire donné correspond une vision du monde, une cosmologie, où, malgré l’apparente augmentation et circulation des savoirs scientifiques, les formes de «pensée magique» sont plus que jamais présentes, c’est-à-dire des formes de pensée simplifiées qui font des liens qu’on qualifierait d’irrationnels. Il en existe plusieurs variantes qu’on retrouve tant chez les peuples «primitifs» que dans les sociétés «civilisées ». Quand on dit que «la viande saignante rend vigoureux» ou que «manger végétarien, c’est pour les oiseaux», on a recours à une forme de pensée magique. De nos jours, le fait de traiter certains aliments comme des poisons (le sucre, la viande, le gras) – au motif que, chez certains individus, à certaines doses, ils semblent présenter certains risques – de faire peser sur eux et ceux qui les mangent un jugement moral, tout cela met en jeu certains ressorts de la pensée magique.
Ainsi, les questions posées par la profusion moderne en matière d’alimentation susciteraient des réponses magiques. Qu’on les nomme idées fausses, mythes, superstitions ou croyances, ces raisonnements «biaisés» sont une caractéristique apparemment universelle du fonctionnement de l’esprit humain, d’autant plus en ce qui concerne l’alimentation moderne.

__________

]]>
/alma-georges/articles/2016/avec-ou-sans-viande-on-nest-pas-sorti-de-lauberge/feed 0
Leckerbissen zum Selberkochen /alma-georges/articles/2016/leckerbissen-zum-selberkochen /alma-georges/articles/2016/leckerbissen-zum-selberkochen#respond Fri, 01 Jul 2016 14:02:36 +0000 http://www3.unifr.ch/alma-georges/?p=2653 Können Sie sich ein Menü ohne Fleisch vorstellen? Lassen Sie sich inspirieren – dank den Rezept-Illustrationen von Jérôme Berbier können Sie Borsch, Chermoula, Okonomiyaki und Co.  jetzt sogar selbst kochen! Mehr zum Thema in der aktuellen Ausgabe unseres Wissenschaftsmagazins «³Ü²Ô¾±±¹±ð°ù²õ¾±³Ù²¹²õ», das sich dieses Mal mit dem Thema Vegetarismus befasst.
]]>
/alma-georges/articles/2016/leckerbissen-zum-selberkochen/feed 0