linguistique – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Wed, 08 Jan 2025 13:49:25 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 «Il faut aimer la langue et la vie, quoi qu’elles deviennent!» /alma-georges/articles/2025/il-faut-aimer-la-langue-et-la-vie-quoi-quelles-deviennent /alma-georges/articles/2025/il-faut-aimer-la-langue-et-la-vie-quoi-quelles-deviennent#respond Tue, 07 Jan 2025 15:09:35 +0000 /alma-georges?p=21867 A sa très grande surprise, Alizée Veron a remporté le concours littéraire 2024 de l’Université de Fribourg. Passionnée par les mots et le fonctionnement de la langue française, elle a participé au concours avec l’unique objectif de faire rire le jury. Pourtant, si l’on y prête garde, son texte recèle une profondeur et une gravité insoupçonnées.

(Spoiler alert: Si vous ne souhaitez pas que cette interview ne « divulgâche » le récit d’Alizée Veron, nous vous proposons de d’abord lire son œuvre que vous trouverez en bas de page)

Pour quelle raison avez-vous décidé de participer au Prix littéraire de l’Unifr?
Avec quelques ami·e·s de la Fachschaft de français, nous avons eu vent de ce concours et nous nous sommes dit que cela serait chouette de tenter l’expérience. J’y suis allée en mode «yolo», sans trop me prendre au sérieux.

Ecrivez-vous régulièrement?
Pas beaucoup, plutôt de manière ponctuelle et avec des ambitions modestes. Il peut se passer plusieurs années sans que je n’écrive une seule ligne. J’écris le plus souvent de la poésie sur la vie ou sur des pensées qui me viennent. Je trouve que ce genre littéraire convient aux «petites choses». Il m’arrive aussi d’écrire des histoires fantastiques.

Qui sont vos modèles en littérature?
J’aurais envie de citer beaucoup d’écrivain·e·s. J’en aime tellement. Je pourrais citer Daniel Pennac, qui n’est pas qu’un écrivain, mais aussi un enseignant, profession à laquelle je me destine. J’apprécie aussi Erik Orsenna, notamment son livre «La grammaire est une chanson douce», car il se livre à des jeux sur la langue.

Et quand l’envie vous prend, écrire est-il un calvaire ou l’inspiration jaillit-elle littéralement de votre plume?
En général, cela vient assez fluidement. Quand on écrit pour soi, on se censure moins et on rencontre donc moins de blocages. Pour ce concours, étant partie la fleur au fusil, cela s’est avéré plutôt aisé. Certaines personnes ont déjà leur texte en tête avant de le coucher sur le papier. Je ne fonctionne pas ainsi. Chez moi, les idées apparaissent au fur et à mesure de l’écriture.

Pourquoi avoir choisi d’aborder le thème des verbes et la langue française?
A ma grande surprise, le concours n’imposait aucune contrainte! Après réflexion, j’ai décidé de me ressaisir d’un vieux projet né lors d’un atelier créatif alors que j’étais gymnasienne. A l’époque, nous inspirant de l’OuLiPo, nous devions rédiger un texte en nous passant d’une lettre prédéfinie. Ayant mal compris la consigne, j’avais procédé en enlevant non pas une lettre mais un mot, en l’occurrence le verbe avoir! A cette erreur initiale, j’ai greffé la thématique de l’évolution de la langue française, sujet que nous évoquons souvent en cours et dans l’actualité.

Et en quoi cette évolution de la langue vous intéresse-t-elle?
La langue, c’est notre moyen de communication, notre identité, notre culture. Pourquoi dit-on que le français se perd, pourquoi dit-on que les jeunes ne savent plus parler? Ces questions me passionnent et n’ont rien d’anecdotique. Cela rejoint des questionnements plus personnels, plus identitaires, en particulier la manière d’aborder la maladie mentale. Tous ces aspects se sont mélangés et cela a donné cette espèce de texte expérimental.

Il y a des didascalies qui laissent penser qu’il s’agit d’un texte destiné à être joué.
Il s’agit en effet d’une mini pièce de théâtre mais je ne sais pas si ce serait possible de la jouer.. Il y a des jeux de mots et des rébus qu’on ne peut pas facilement rendre à l’oral. Je brise également souvent le quatrième mur. Si quelqu’un a envie de le mettre en scène, je serais très curieuse de connaître le résultat.

Prenez-vous position sur cette évolution inéluctable de la langue?
J’adopte le regard de la linguiste, ce que mon texte trahit d’ailleurs. Nous observons le fonctionnement de la langue de manière non prescriptive, hors de tout jugement. Alors qu’au quotidien nous avons parfois une image figée de ce qu’est la beauté d’une langue, comme une photo, un paroxysme, un âge d’or. Pour moi, la beauté de la langue repose sur son histoire, son évolution. Cela dit, j’insiste: ce texte ne parle pas que de la langue française, mais aussi de nous en tant qu’individus. Je jette un regard croisé bienveillant sur la langue, avec l’acceptation de son inéluctable évolution, mais aussi sur notre évolution en tant qu’individu.

Que voulez-vous dire exactement?
Nous devons accepter que, tout comme la langue française, nous évoluions, nous ainsi que nos proches. Je songe en particulier à certaines maladies mentales qui peuvent survenir dans notre existence, dans mon cas l’anorexie, qui était peut-être un rejet du changement, la peur de grandir. Il faut accepter de ne pas savoir ce qui va advenir, ne pas craindre de changer. Il faut aimer la langue, mais aussi la vie, quoi qu’elles deviennent! Tout change, rien n’est immuable et c’est cela qui est beau.

Mais ce message, dans votre texte, apparaît de manière assez subliminale.
Ce n’était pas l’objectif au moment d’entreprendre la rédaction de ce texte, mais c’est apparu en cours d’écriture. J’y fais d’ailleurs allusion quand je compare la langue française à une adolescente en crise. J’ai vécu un épisode très difficile de dépression en cours d’adolescence. Je ne pourrai jamais l’oublier même si ça va très bien aujourd’hui. Ce n’était pas prévu et je me suis même demandé, une fois le texte écrit, si j’allais le soumettre au jury. Puis j’y suis allée à l’instinct: Yolo!

Et quelle a été votre réaction quand vous avez su que vous aviez remporté le prix?
Je n’y ai pas cru et j’ai même songé à une erreur. Ce n’était pas véritablement un texte que je considère comme abouti. Je dois avouer que j’ai ressenti le syndrome de l’imposteur. Je me suis même demandé s’il n’y avait que peu de participant·e·s! Au fond de moi, cela dit, j’en suis très fière. Il y a tout de même un jury qui lit les textes, puis qui rend son verdict, ce qui signifie que ce que j’ai écrit a plu et su toucher des gens!

Qu’est-ce que ce prix changera?
Ça me motive à me replonger dans l’écriture. J’ai retrouvé du plaisir à prendre la plume.

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«Mon premier jeu de mots doit remonter à mes sept ans» /alma-georges/articles/2024/mon-premier-jeu-de-mots-doit-remonter-a-mes-sept-ans /alma-georges/articles/2024/mon-premier-jeu-de-mots-doit-remonter-a-mes-sept-ans#respond Mon, 16 Dec 2024 13:32:25 +0000 /alma-georges?p=21742 D’aussi loin qu’il s’en souvienne, Steve Oswald s’intéresse aux mots et au possibilités de jeu qu’ils offrent. Aujourd’hui professeur titulaire en linguistique anglaise, il se passionne pour la pragmatique, une sous-discipline de la linguistique. Pour partager sa passion, il a décidé d’en partager les fondamentaux dans trois vidéos intitulées « Questions de sens ».

La linguistique utilise des concepts assez abscons (et c’est un euphémisme). Avec ces podcasts, avez-vous essayé de la rendre accessible au plus grand nombre?
Comme toute science, la linguistique possède son jargon, mais dire que la sous-détermination sémantique est un corrélat de la nature inférentielle de la communication ne me semble pas forcément plus abscons que de parler de liaison covalente au niveau atomique.

Portrait de Steve Oswald, Maître d’enseignement et de recherche

Blague à part, je crois que l’un des avantages de la linguistique, prise comme objet de vulgarisation scientifique, réside dans le fait que, nous autres linguistes, nous nous intéressons à une pratique quotidienne, partagée par tout le monde, dont nous ne soupçonnons que très rarement la complexité. Si je vous réponds « j’ai 50 copies qui m’attendent sur mon bureau » quand vous me demandez si je veux aller prendre un café, vous comprendrez sans effort que je décline votre invitation. Or, on est bien d’accord, il n’y a aucun lien linguistique strict entre un énoncé qui dit qu’il y a des copies d’étudiant·e·s sur mon bureau et un énoncé qui dénote mon refus de prendre un café avec vous; on a littéralement deux états du monde bien distincts ici. On voit donc très bien qu’il y a quelque chose à expliquer là-derrière.


Mais pourquoi vouloir en parler au travers de vidéos?
Pendant le confinement lié à la pandémie de COVID, lorsque je devais donner des cours en ligne, j’avais essayé d’expérimenter un peu avec le format vidéo, en utilisant des musiques en relation avec les cours, en bricolant des petits montages un peu plus légers, voire amusants, afin de rendre l’enseignement à distance plus vivant et intéressant. Cela m’a permis d’expérimenter des choses un peu plus variées d’un point de vue pédagogique, et le support vidéo se prête assez bien à ce genre d’exercice, ce qui fait que j’avais envie de prolonger cette exploration. J’en ai parlé à Lou, un étudiant de Master chez nous au département d’anglais, qui avait des contacts dans l’audiovisuel et du savoir-faire en matière de montage. C’est ainsi que nous avons décidé de faire cette petite série. Le ton des vidéos est délibérément léger, sans toutefois tomber dans le pur divertissement, étant donné que nous voulions que l’intelligibilité du message prévale. En termes d’audience, nous espérions atteindre la communauté estudiantine, mais également n’importe quelle personne francophone susceptible d’être intéressée par la question du sens dans la communication.

Comment avez-vous procédé pour digérer la matière et la rendre digeste?
Pour rédiger le texte, je me suis basé sur mes années d’enseignement dans le domaine, qui m’ont, d’une part, demandé de développer une approche pédagogique à même de rendre accessibles des théories parfois complexes et, d’autre part, amené à travailler sur des exemples dont j’espère qu’ils illustrent le contenu de manière simple. C’est aussi la raison pour laquelle chaque vidéo commence par le même exemple de «mise en situation», susceptible d’être reconnu par tous les membres de la communauté universitaire ou par quiconque a une représentation ou un stéréotype du professeur d’université. J’ai rédigé le texte en réfléchissant à la manière dont j’allais le dire, et puis après, lors du tournage, j’ai pris quelques libertés par rapport à ce que j’avais écrit. Je n’ai donc pas préparé plusieurs scénarios, pour pouvoir ensuite choisir le meilleur. Le tournage s’est déroulé de manière plutôt improvisée, parce qu’il était aussi important pour moi de ne pas parler comme si je lisais – j’ai horreur des cours ou des conférences dans lesquelles la personne qui présente lit son texte. Un ton informel, conversationnel, était ce que je recherchais.

Bon, entre nous, qu’est-ce que la pragmatique, votre spécialité, et à quoi cela sert?
La pragmatique, c’est l’étude du sens en contexte. C’est la discipline qui vous explique pourquoi quand vous dites à votre enfant ‘ton pull traîne par terre’, il se plaint et vous répond qu’il le rangera plus tard, alors même que votre énoncé n’était, littéralement, qu’une observation quant à la localisation du pull. On communique donc bien davantage que ce que l’on dit littéralement. C’est une discipline qui a été développée depuis les années 1950-1960 par des philosophes dits ‘du langage ordinaire’, qui voulaient rendre compte de la communication humaine en tant que pratique et non en tant que système abstrait basé sur le langage. C’est une discipline qui permet d’expliquer beaucoup de choses: le sens implicite, les malentendus, l’humour, la manipulation, l’argumentation, la persuasion, l’effet du discours sur les gens, mais, surtout, le fait – qui devrait être troublant étant donné qu’on ne s’exprime jamais parfaitement explicitement – que nous nous comprenons lorsque nous communiquons. Son utilité est, somme toute, celle de toute science: elle permet de décrire et d’expliquer des phénomènes. Dans le cas présent, ce sont des phénomènes communicationnels complexes dont nous n’avons même pas conscience, même si nous les gérons spontanément de manière optimale.

Hormis à des fins de recherche fondamentale, à quoi sert la pragmatique?
La recherche sur le sens peut également être utilisée à des fins plus terre-à-terre, par exemple dans le discours journalistique, publicitaire, ou politique. Si on sait comment les gens vont traiter un message pour le comprendre, si on a une idée des différentes voies interprétatives qu’une formulation donnée va ouvrir ou fermer, alors il est possible de travailler sur un message pour qu’il favorise une représentation plutôt qu’une autre. On le voit, par exemple, dans le discours journalistique sur le féminicide: si on utilise des phrases à la voix active («Un homme a tué une femme pendant le concert de X»), l’attention est portée sur les actes de celui qui s’est rendu coupable, et donc sur la responsabilité de ce dernier; en revanche, si on utilise une phrase à la voix passive pour dénoter le même événement («Une femme a été tuée pendant le concert de X»), le texte oriente davantage l’attention sur la victime, étant donné que l’agent de l’action, c’est-à-dire le meurtrier, n’est même pas présent dans le texte. Attention, je ne suis pas en train de dire que ces deux phrases sont intrinsèquement stratégiques, qu’elles visent nécessairement à imposer des points de vue idéologiques différents, ou qu’elles ont des effets persuasifs nécessairement différents; cependant, il est indéniable que chacune donne à se représenter les mêmes faits d’une manière très différente, et qu’elles peuvent par conséquent avoir un impact différent sur le lectorat. L’utilité de la pragmatique est ainsi également flagrante dans le domaine de la diplomatie, dans lequel une formulation peut s’avérer lourde de conséquences – l’étude de la politesse et des rapports de préservation ou de perte de la face dans l’interaction s’inscrit du reste typiquement dans un cadre pragmatique.

Enfin, et pour prendre un exemple plus léger, on a besoin de pragmatique pour raconter des blagues! Beaucoup d’histoires drôles exploitent précisément ce mécanisme: une bonne blague est celle qui nous amène sur une voie interprétative qui nous éloigne du point de chute, et c’est uniquement lorsque nous entendons la chute que nous réinterprétons le texte pour voir qu’un autre sens était accessible dès le début. C’est bel et bien notre manière de traiter l’information qui est exploitée dans les blagues pour générer un effet de surprise et d’amusement, qui survient lorsque nous réalisons notre fausse route interprétative. En somme, et avant que j’oublie, pour répondre simplement à votre question: la pragmatique, c’est la vie!

Maintenant que vous avez réalisé trois vidéos pour vulgariser la pragmatique, avez-vous l’intention d’en produire d’autres?
Dans l’immédiat, j’ai plutôt trois articles pour des revues/ouvrages collectifs sur le feu, donc de futures vidéos ne sont pas prévues à court terme. Mais comme la réception des collègues et connaissances était plutôt bonne, même si ce sont loin d’être des vidéos virales, nous sommes en train de réfléchir, avec Lou, à des suites possibles, parce que c’est une expérience assez sympa, qui nous permet aussi d’approcher la recherche et le monde académique sous un jour plus décontracté, susceptible d’intéresser le grand public.

Et pour conclure, dans le fonds, comment diable en êtes-vous venu à vous intéresser aux rouages de la communication? Y a-t-il eu un événement déclencheur?
Depuis tout petit je me suis intéressé aux mots, à leur polysémie, ainsi qu’aux possibilités de jeu qu’ils offrent. Mon premier jeu de mots doit remonter à mes 7 ans, lorsque j’avais fièrement annoncé à mon père que quand l’idole des jeunes avait appris que son dernier album n’avait pas bien fonctionné, il en avait jauni à l’idée – ou quelque chose du genre… Je ne savais par contre pas que ce genre de phénomène pouvait être étudié, et ce n’est qu’en première année à l’Université de Genève que j’ai été exposé à la linguistique comme science. Au lieu de continuer en philosophie, comme je l’avais initialement prévu, j’ai bifurqué et me suis consacré à la linguistique, d’abord à travers un mémoire sur la manipulation dans les discours péronistes dans l’Argentine des années 1940-1950, puis par ma thèse de doctorat portant sur la communication non-coopérative et manipulatoire. A y regarder de plus près, je crois que ce qui m’a toujours attiré, ce sont les phénomènes un peu étranges ou difficiles à catégoriser, de même que ceux dans lesquels il y a un « truc » à expliquer, qui fait que les choses (en l’occurrence pour moi les mécanismes d’interprétation) n’ont pas l’air de se passer comme on pourrait s’y attendre. Je ne pense donc pas qu’il y ait véritablement d’événement déclencheur ; je mettrais plutôt mon intérêt pour la linguistique sur le compte des possibilités ludiques du langage et sur celui de ma curiosité naturelle. 

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  • Steve Oswald
  • °ä³ó²¹Ã®²Ô±ð @duauxlingaux
  • Vidéo produite avec l’aide de Lou Odermatt, étudiant de MA en anglais à l’Université de Fribourg

 

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