lettre – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Tue, 21 Mar 2023 17:01:21 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 Prix littéraire 2022: Tentate vicinanze /alma-georges/articles/2023/prix-litteraire-2022-tentate-vicinanze /alma-georges/articles/2023/prix-litteraire-2022-tentate-vicinanze#respond Tue, 21 Mar 2023 17:01:21 +0000 /alma-georges?p=17829 Le traditionnel concours littéraire de l’Université de Fribourg a lieu tous les deux ans. Sont récompensés des textes dans les langues représentées dans l’enseignement universitaire. Avec son recueil de poésies Tentate vicinanze, Estelle Vezzoli a remporté l’édition 2022 en langue italienne.

Félicitations pour votre prix. Qu’est-ce que cela représente pour vous? Pourquoi vous être présenté à ce concours?
C’est la première fois que je soumets un écrit à un concours, même si j’ai toujours partagé mes poèmes avec des personnes qui me sont proches. J’ai décidé de «briser le cercle» en envoyant Tentate vicinanze, parce que ce petit recueil est né, comme le titre l’indique, du désir d’établir un dialogue et, plus profondément, de la découverte fondamentale – biographique et poétique – de la nécessité d’aller «vers l’autre». L’écriture implique toujours un certain repli sur soi, et donc une certaine distance que nous identifions souvent comme une «séparation» du reste. Mais de même que la séparation présuppose – c’est ma conviction – une communion préalable, de même l’écriture, par sa propre essence, invoque «l’autre» et vit de la proximité qui se fait – et nous revenons ainsi aux raisons de ma participation – parmi et dans le dialogue. Peut-être ai-je compliqué inutilement les choses, mais ce que je veux vraiment dire, c’est que je me suis rendu compte que la poésie, du moins la mienne, trouve sa raison de vivre précisément dans le partage; j’ai donc simplement choisi d’essayer de la partager: le prix est pour moi un signe d’avoir d’une certaine façon raccourci une distance.

Qu’est-ce qui vous a poussé à rédiger ce texte? Sans divulgacher, de quoi s’agit-il?
Tentate vicinanze est, comme j’ai essayé de l’expliquer, peut-être de façon un peu énigmatique, la quête d’une réduction de la distance entre «je» et «tu». J’ai écrit ces dix poèmes dans un moment de distance (pas seulement géographique) qui empêchait un échange vraiment intime avec une personne importante dans ma vie: comme me l’a fait remarquer un cher ami, il semble que la raison même de ce recueil soit, précisément, la tentative de répondre, par le moyen de la poésie, à une voix qui, bien que lointaine, se fait entendre haut et fort. C’est le désir d’établir un dialogue entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés, entre ceux qui ont trouvé la vitalité et l’énergie pour parler et ceux qui, au contraire, se sentent réduits au silence dans leur immobilité (ou immobilisés dans leur silence). Partant donc d’une séparation très concrète et personnelle, la réflexion s’est articulée, je crois, pour inclure ce qui est le sens même de l’écriture, qui est toujours un reflet, d’une certaine façon, de notre manière d’être au monde: le besoin de proximité, d’être ensemble, comme un trait fondamental de l’être humain, comme une manière de devenir vraiment ce que l’on est.

Avez-vous une routine d’écriture?
Non, au contraire: je ne sais jamais quand je vais écrire et, souvent, je ne sais même pas pourquoi! Je crois que la poésie est une «présence» mystérieuse et silencieuse qui, pourtant, «ne délivre pas d’adieu». Il y a des moments dans la vie de chacun où la donnée expérientielle semble se connecter immédiatement à une sphère d’expérience plus large et plus originale: je crois que la poésie naît souvent de la conscience de ce lien intime qui s’allume entre ce qui est ressenti et le sentiment universel, entre ce qui est vu et ce qui est reçu. J’écris quand je suis poussée à le faire: c’est une tension amoureuse pour l’existence et l’existant, dont je pourrais certainement tenter une explication, mais que je me contente, pour l’instant, de suivre avec transport: le travail de pensée consciente et de correction ne vient que plus tard, et souvent avec un vrai effort.

Comment décririez-vous votre style d’écriture?
Etant si jeune dans l’art d’écrire, je crois que je n’ai pas encore un style bien à moi, et je ne suis pas sûre que cela arrivera jamais: c’est un constant devenir. Je remarque cependant des thèmes, des tons et des registres qui semblent persister avec plus de ténacité que d’autres dans mes écrits. La familiarité avec le médium poétique s’accompagne d’une réflexion progressive et plus fine sur les potentialités et les directions que peut prendre la poésie, que j’aimerais qu’elle puisse prendre: il me semble que, peu à peu, des traits spécifiques s’impriment ou, si l’on veut, une certaine «poétique» se dessine. J’aime penser à ma future poésie comme à une poésie de la gratitude, ouverte à ceux qui veulent la recevoir, même si je ne sais pas encore exactement ce que cela peut signifier ni quelle forme cela peut prendre!

Avez-vous des modèles d’écriture à suivre?
En étudiant la littérature, et plus exactement en étant lectrice, je crois inévitable de porter en soi des impressions et des souvenirs d’autres auteur·e·s, que ce soit conscient ou pas. Je suis même convaincue qu’il s’agit là d’un principe fondamental de l’existence  ce qui nous émeut, ce qui répond à un besoin intime, est absorbé et retravaillé en nous, allant jusqu’à tisser un réseau de liens qui traverse volontiers les frontières identitaires, géographiques et temporelles. D’une manière ou d’une autre, et nous revenons toujours au même point, je suis convaincue que le rapport d’échange avec les autres est fondamental pour être soi-même de la manière la plus sereine possible (et donc aussi pour être de bon·ne·s écrivain·e·s et de bon·ne·s lecteurs·trices): parmi les poètes qui m’apprennent à être moi-même, je dois sûrement citer Vittorio Sereni, Milo De Angelis et Mario Benedetti, qui ont produit en moi un écho florissant et lumineux. Le dialogue avec quelques amis, eux aussi fidèles amoureux de la poésie, est ensuite, sans aucun doute, l’une des sources les plus riches de compréhension et de transformation de ma façon d’écrire et – plus précieux encore – de lire.

Avez-vous d’autres projets en vue?
On peut formuler des projets poétiques, des «dessins littéraires», mais je ne pense pas que l’on puisse réellement concevoir un poème: il y a des «implantations» de recueils, des styles que j’aimerais explorer, mais je sais que, du moins pour moi, cela ne fonctionne pas ainsi pour l’instant: alors qui sait!

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  • Page du Concours littéraire
  • Lire l’article sur Alyna reading, gagnante 2022 en langue allemande
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Prix Genre 2020 – «Je voulais simplement faire revenir mes règles» /alma-georges/articles/2020/prix-genre-2020-je-voulais-simplement-faire-revenir-mes-regles /alma-georges/articles/2020/prix-genre-2020-je-voulais-simplement-faire-revenir-mes-regles#respond Tue, 24 Nov 2020 11:13:50 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=12153 L’avortement a été dépénalisé il y a moins de 20 ans en Suisse. Entre 1930 et 1970, de nombreuses Fribourgeoises ont été traînées devant les tribunaux pour avoir mis fin à une grossesse. Dans son travail de Master en histoire contemporaine récompensé par un Prix Genre, Morgane Pochon met en lumière le parcours de ces femmes.

Il y a à peine 20 ans, l’avortement était encore officiellement interdit en Suisse. «Ce n’est qu’avec l’entrée en vigueur, en 2002, d’une modification du code pénal que cette pratique a été décriminalisée», rappelle . Depuis 1942, l’interruption de grossesse était certes autorisée pour des raisons médicales et, au fil du temps, cette notion fut interprétée de manière de plus en plus large dans notre pays. Reste qu’«on revient de loin, surtout à Fribourg», l’un des cantons les plus conservateurs dans ce domaine, souligne la titulaire d’un Master en histoire contemporaine de l’Unifr.


Morgane Pochon est l’une des trois gagnantes du Prix genre 2020 de l’Université de Fribourg.
Soucieuse de comprendre pourquoi de nombreuses femmes de la génération de ses grands-mères avaient recours à l’interruption de grossesse, ce alors même que cet acte était condamné aussi bien parla loi que par la société et l’Eglise, la jeune Fribourgeoise a décidé de consacrer son travail de master à la question de l’avortement dans le canton entre les années 1930 et 1970. Ou, plus précisément, «à celle des femmes étant passées devant la justice fribourgeoise pour ce motif». Intitulé «Je voulais simplement faire revenir mes règles», son mémoire a été récompensé par un de l’Unifr.

Jeunes et mal informées
Durant de longs mois, Morgane Pochon a dépouillé un fonds d’archives consacré à toutes les affaires d’avortement traitées par le Tribunal de la Sarine. La chercheuse explique son choix de limiter le terrain d’exploration à la période 1930-1970: «C’est en 1924 qu’a été introduit un nouveau code pénal fribourgeois qui, à l’époque – en l’absence de code pénal suisse –, réglait la question de l’interruption de grossesse; et c’est à partir des années 1970 que la pilule contraceptive, qui a eu une influence majeure sur le recours à l’avortement, a été plus largement accessible dans notre pays.»

Lors de ses travaux de recherche préliminaires, l’historienne a constaté que la littérature scientifique sur l’avortement demeurait relativement pauvre en Suisse. Plus rares encore, les études centrées sur le point de vue des femmes. «J’ai donc choisi de laisser de côté les témoignages des juges, médecins, etc., et de me concentrer sur la parole des principales intéressées.» Qui sont-elles, justement, ces Fribourgeoises saisies par la justice? «La plupart d’entre elles sont des femmes d’une vingtaine d’années, célibataires, citadines et issues des classes populaires de la société», relève Morgane Pochon. D’une part, parce qu’il s’agit d’une catégorie de femmes «qui ont moins d’argent et doivent donc prendre plus de risques pour se faire avorter, ce qui les expose davantage»; d’autre part, elles sont «probablement moins bien informées sur la contraception».

Rôle central des hommes
Avant d’entrer dans le vif du sujet – à savoir l’analyse systématique des témoignages de femmes contenus dans les fonds d’archives – l’étudiante s’est attelée à «reconstituer le contexte de l’époque, au niveau légal et en matière d’accès à la contraception». Sur ce dernier point, elle a constaté qu’il existait peu d’informations à disposition de la population fribourgeoise. «D’une part en raison de la forte opposition de la société, des autorités et de l’Eglise, d’autre part parce que le code pénal cantonal interdisait la publicité autour des méthodes de contraception.» Dans les faits, le coït interrompu est l’une des seules méthodes mentionnées dans les témoignages à disposition.

Côté législation, Morgane Pochon explique que le code pénal fribourgeois de 1924 prévoyait jusqu’à 10 ans de prison aussi bien pour la personne qui se faisait avorter que pour celle qui l’aidait à interrompre sa grossesse. A noter que, parmi les femmes dont elle a consulté le dossier, aucune n’a été sanctionnée par plus de 8 mois de réclusion. Reste qu’à l’échelle nationale, Fribourg «était l’un des cantons les plus conservateurs en la matière». Près de 20 ans plus tard, lorsqu’entre en vigueur le Code pénal suisse, la règlementation s’assouplit quelque peu. «On assiste à un déplacement de la responsabilité vers l’avorteur et au passage de la réclusion à l’emprisonnement pour l’avortée.» Par ailleurs, cette nouvelle règlementation introduit la dépénalisation de l’avortement thérapeutique, «une notion qui est interprétée de façon assez différente selon les cantons».

«Lorsque j’ai débuté mes travaux, je m’attendais à observer un fort impact de ce changement législatif (entre 1924 et 1942) sur le parcours d’avortement des Fribourgeoises.» Or, – «et cela a été l’une des surprises de ma recherche» –, ce n’est pas le cas. Un statu quo que l’historienne explique ainsi: «Contrairement à la loi, ni le contexte moral, ni l’accès à la contraception n’ont vraiment évolué.» Autre surprise pour la chercheuse? «Vu les contraintes juridiques, religieuses et sociétales de l’époque, l’accès à l’avortement était beaucoup plus facile que ce que j’aurais pu imaginer.» Morgane Pochon se dit, en outre, étonnée de constater «à quel point les hommes sont présents dans les parcours d’avortement, que ce soit en tant qu’intermédiaires ou en tant qu’avorteurs». Dans les dossiers consultés, elle a d’ailleurs recensé davantage d’avorteurs que d’avorteuses.

Une sorte de «pilule du lendemain»
Reste que la conclusion la plus saillante à laquelle parvient la diplômée de l’Unifr, c’est celle du rôle central joué par le retard des règles dans le parcours d’avortement. «Il s’agit certes du seul indicateur d’une éventuelle grossesse, mais la représentation va beaucoup plus loin: en semblant nier la contraception et focaliser sur le retard de règles, les femmes donnent l’impression qu’on ne peut pas agir sur la fécondité, qu’on préfère une correction a posteriori.» Un paradoxe? Pas vraiment. Premièrement, «parce que ces femmes semblent mieux informées sur l’avortement que sur la contraception» et, deuxièmement, «parce que la grossesse est perçue comme une fatalité sur laquelle on n’a pas conscience de pouvoir agir».

Dans certains cas, Morgane Pochon observe que «la frontière est floue entre contraception et avortement, un peu comme si ce dernier constituait une espèce de ‹pilule du lendemain›». Elle cite l’exemple de femmes qui n’attendent pas le retard des règles pour avoir recours à des pratiques abortives, telles que des injections à l’eau savonneuse, «qui deviennent pratiquement un rituel après l’acte sexuel». Si plusieurs interprétations du focus sur le retard des règles sont possibles, voire coexistent, «ce qui est certain, c’est que la notion de ‹faire revenir les règles› plutôt que de ‹se faire avorter› permet à ces femmes de diminuer le coût psychologique de l’interruption de grossesse.»

Même si la généralisation de l’accès à la pilule contraceptive, ainsi que la décriminalisation de l’avortement, ont beaucoup fait évoluer le rapport de la société à l’interruption de grossesse, cette dernière n’en continue pas moins «de faire débat et d’être assortie de tabous», constate l’universitaire fribourgeoise. Preuve s’il en faut, un article de presse consacré au travail de master de Morgane Pochon, qui avait été affiché dans les locaux de l’Unifr, «a été déchiré et tagué». Reste que, généralement, aborder les thématiques liées au genre à travers le prisme de l’histoire a l’avantage «de donner un point de vue dépassionné». Le travail de la jeune femme, qui vient de faire l’objet d’une par la , «est une jolie manière pour moi d’apporter ma contribution à l’égalité dans une forme de militantisme qui me correspond».

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  • Le est remis à l’occasion du par le Service de l’égalité entre femmes et hommes. Cette année, en plus de Morgane Pochon, deux autres étudiantes ont été récompensées: Anna Maria Koukal pour sa thèse de doctorat «The Enfranchisement of Women and Foreigners in Switzerland. Lessons for Direct Democracy, Cultural Change and Integration » et Dominique Lysser pour son mémoire de master «(Un-)Sichtbarketi im Museum – ein Blick auf die Historisierung und Musealisierung der KZ-Bordelle und der Sex-Zwangsarbeit in den KZ-Gedenkstätten Neuengamme, Flossenbürg und Ravensbrück».
  • du Service de l’égalité entre femmes et hommes
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