Jihad – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Mon, 16 Oct 2017 09:09:46 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 Djihadisme – modéliser pour comprendre /alma-georges/articles/2017/djihadisme-modeliser-pour-comprendre /alma-georges/articles/2017/djihadisme-modeliser-pour-comprendre#respond Mon, 09 Oct 2017 15:22:48 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=5016 Modéliser les raisons qui poussent au djihad pour mieux cerner d’éventuelles solutions? Yaël Mento, étudiante en gestion d’entreprise, partage ses impressions au sujet d’une conférence qui a eu lieu lors des Journées de l’économie à Lyon, les 8 et 9 novembre 2016.

Un sujet aussi proche de l’actualité m’a tout de suite interpellée. J’ai d’ailleurs pu constater tout au long de ces deux jours que c’est un thème récurrent et une grande préoccupation du peuple français.

Ce qui m’a d’abord surprise, c’est l’énorme quantité d’informations que le premier intervenant, le Professeur Diego Gambetta de l’European University Institute de Florence, a réussi à recueillir durant 10 ans sur les djihadistes enrôlés dans les pays musulmans mais également européens. De tels renseignements sont difficiles à récolter, car ces membres de groupes djihadistes ne collaborent pas facilement. Nous savons également que ces individus manipulent les informations qu’ils donnent à la population et aux médias. Il y a donc un risque énorme de biais sur ces données.

Cependant, les recherches du Professeur Gambetta permettent de renforcer une idée déjà présente dans les esprits en Europe: les individus recrutés dans nos pays sont principalement des hommes avec peu de formation et ce qu’on peut appeler des individus marginaux. Salah Abdeslam, le terroriste impliqué dans les attentats de Paris du 13 novembre 2015, en est l’archétype même.

Beaucoup d’informations et de nombreuses questions
Peu de surprises jusqu’ici. Cependant, une autre observation, d’autant plus alarmante, a été soulevée: il semblerait qu’il y ait une proportion plus élevée de recrues qui ont suivi des études secondaires dans les pays musulmans qu’en Europe. Les chiffres présentés par le Professeur Gambetta montrent qu’ils sont deux fois plus élevés que pour les recrues européens

Cela soulève un grand nombre de questions, notamment sur la manière dont cette organisation réussit à attirer ces deux extrêmes et, surtout, si nous devons nous attendre à un changement dans les profils des recrues européennes? Ou, peut-être, arrivera-t-on à limiter le recrutement de tout individu pour ne pas voir un tel phénomène se produire?

Des décisions rationnelles
Pour cette dernière question, le deuxième intervenant, le Professeur Jean-Paul Azam de l’Ecole d’économie de Toulouse, a réussi, grâce à un modèle qui explique les motivations des recrues de Daesh, à donner un élément de réponse assez pertinent.

Le modèle qu’il a créé essaye de montrer les choix rationnels des recrues de Daesh. Il se compose de trois valeurs primordiales: la première est celle de la valeur d’une attaque sanguinaire pour l’individu. Elle dépend d’un indice médiatique, c’est-à-dire que nous allons déterminer si l’individu ressent un plaisir pervers pour la violence sanguinaire qu’il perçoit via les réseaux sociaux ou d’autres plateformes médiatiques. Nous pouvons en effet facilement l’envisager, notamment avec les vidéos de décapitations d’otages qui ont été diffusées par l’Etat islamique ces dernières années.

La deuxième est la valeur de mourir maintenant sur les lieux décrits dans l’Apocalypse, qui est une fonction décroissante du temps qu’il reste avant la fin du monde. En d’autres termes, plus la fin du monde est proche, plus il est important pour les partisans du groupe de venir se faire tuer sur le lieu où va se produire l’ultime bataille entre les byzantins (qui représentent les USA et leurs alliés) et les musulmans, afin de se trouver au début de la «file» pour le jugement dernier.

La troisième est l’utilité de réservation, c’est-à-dire la valeur d’une vie tranquille loin du djihadisme et de la violence.

On en déduit qu’un individu rejoindra le djihad si la somme de l’utilité de la valeur d’une attaque sanguinaire et de la valeur de mourir maintenant sur les lieux décrits dans l’Apocalypse est supérieure à celle d’une vie tranquille loin du djihadisme.

Déplacer les curseurs
Ce modèle permet une avancée importante dans la perception du djihadisme car il permet de rationaliser une décision qui, pour nous, est totalement irrationnelle. Il est important de ne pas sous-estimer l’appel aux émotions de leaders comme ceux de Daesh. C’est en comprenant mieux leurs stratégies que nous pourrons mieux les combattre.

Il permet également de montrer que ces différentes valeurs ne sont pas fixes et qu’il y a un moyen de faire diminuer l’emprise des leaders de Daesh, par exemple, en discréditant leurs dires concernant la fin du monde. Ce qui aurait comme conséquence d’éloigner temporellement l’Apocalypse et donc la nécessité de se trouver proche du lieu de celle-ci.

Une autre façon de démotiver les individus de rejoindre l’Etat islamique est de faire augmenter la troisième valeur, qui est celle de rester tranquillement chez soi, loin de la violence et du djihadisme, en créant, par exemple, des emplois ou en améliorant les conditions de vie de la tranche de population la plus défavorisée. C’est probablement un des éléments sur lequel nous avons le plus de chance d’avoir un impact positif sur ces jeunes, mais c’est aussi un problème qui existe depuis longtemps et auquel nous n’avons toujours pas trouvé de solution.

Ce modèle qui m’a amenée à beaucoup réfléchir aux derniers événements en lien avec le terrorisme et à ce qui a été mis en œuvre jusqu’ici pour essayer de limiter le recrutement des jeunes. Malheureusement, nous voyons que c’est un sujet très complexe et qu’une solution unique n’existe pas. C’est pourquoi, il est important de ne pas se décourager et de voir que la clé n’est pas toujours la force militaire mais peut être une restructuration de notre économie.

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  • La organise un nouveau , du 6 au 9 novembre 2017, aux Journées de l’économie à Lyon. Les inscriptions sont complètes.
  • des Journées de l’économie
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Tareq Oubrou, imam atypique et serein /alma-georges/articles/2017/tareq-oubrou-imam-atypique-et-serein /alma-georges/articles/2017/tareq-oubrou-imam-atypique-et-serein#respond Tue, 28 Feb 2017 18:14:40 +0000 http://www3.unifr.ch/alma-georges/?p=3758 Tareq Oubrou, recteur de la Grande Mosquée de Bordeaux, est devenu imam par accident. Revendiquant une théologie de l’altérité, il veut repenser l’approche religieuse classique à la lumière du contexte européen contemporain. Une réflexion tout en nuance qu’il partage avec Alma&Georges lors de son passage à Fribourg, à l’invitation du Centre Suisse Islam et Société.

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  • Photo et vidéo: Christian Doninelli – Unicom
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Faire le djihad et mourir /alma-georges/articles/2016/faire-le-djihad-et-mourir /alma-georges/articles/2016/faire-le-djihad-et-mourir#respond Fri, 21 Oct 2016 07:54:07 +0000 http://www3.unifr.ch/alma-georges/?p=3133 Le politologue Olivier Roy a présenté son nouveau livre Le djihad et la mort en avant première à l’Université de Fribourg. Il y propose de nouvelles thèses sur les motivations des jeunes djihadistes occidentaux. Le spécialiste de l’islam en a débattu devant une salle comble et comblée, lors d’une conférence organisée par l’Institut Religioscope et le Centre suisse islam et société (CSIS).

En évoquant le djihad, vous parlez de mort «inutile». Pourquoi ce terme?
Cette mort souhaitée s’inscrit dans un certain nihilisme, très fréquent chez les jeunes d’aujourd’hui et que l’on pourrait appeler le «nihilisme du no future». En bref, c’est penser qu’il n’y a plus rien d’intéressant dans la vie actuelle, perçue comme une espèce de vide. Seule la mort garantit un accès à la «vraie» vie, à savoir le paradis. En effet, au moment où ils se tuent, ces jeunes sont convaincus de son existence. L’imaginaire des djihadistes est un élément essentiel pour mieux les comprendre. En ce sens, on peut parler d’islamisation de la radicalité.

Vous identifiez deux formes de nihilisme: l’un générationnel et l’autre millénariste; qu’est-ce qui les distingue?
Le nihilisme générationnel signifie que ces jeunes radicalisés sont en rupture avec leurs parents. Ils ne sont pas forcément en guerre, mais ils considèrent qu’ils n’ont plus rien à apprendre d’eux. Un peu comme s’il n’y avait pas de généalogie qui les précède, uniquement le néant. Autre phénomène curieux: ils font des enfants, mais ne les élèvent pas. Il n’est pas rare que les jeunes radicaux aient un bébé dans la même année que celle où ils passent à l’acte en se faisant sauter… Rien avant et rien après. Quant au nihilisme millénariste, même si l’expression n’est pas des plus heureuses, elle s’applique bien à ceux qui pensent que leur mort personnelle est un signe avant-coureur de l’apocalypse. Ils réfutent l’idée de l’établissement d’une société islamique dans la durée. Leur action est donc considérée comme un des présages de la fin des temps.

Cette même configuration terroriste serait-elle possible dans une autre religion?
En ce moment, non. La situation est clairement liée au contexte social et géostratégique du Moyen-Orient. Si l’on prend un cadre différent, par exemple celui des évangéliques aux Etats-Unis, on voit très bien comment des têtes brûlées qui ont envie de faire la guerre deviennent pilotes dans l’US Air Force. Une autre possibilité leur est offerte. La réalité reste cependant complexe et il ne faut pas perdre de vue que le salafisme n’est pas forcément le sas d’entrée du terrorisme.

A la fin de votre ouvrage, vous posez la question «pourquoi Daech tient-il?», avez-vous une réponse à proposer?
Cela tient en peu de mots: chaque ennemi de Daech a un pire ennemi que Daech. Les acteurs sont paralysés parce qu’ils craignent que la disparition de Daech favorise leur autre ennemi. Tous considèrent également que Daech est un épiphénomène, mais que l’autre ennemi, lui, sera toujours là. Les Turcs pensent que les Kurdes sont un problème; les Kurdes sont convaincus que ce sont les Arabes; les Saoudiens prétendent que c’est l’Iran; pour l’Iran ce sont les Soviets, et ainsi de suite. On le voit bien avec Mossoul: pourquoi n’y a-t-il pas d’attaques? Depuis quelques années déjà, nous constatons l’émergence d’un djihad global, international, détaché de tout contexte national et principalement individuel. Grâce à une communication prônant l’esthétisme de la mort et la victoire de la terreur, Daech offre le cadre idéal à la concrétisation d’un tel imaginaire.

En Europe, qui sont ces jeunes et qu’est-ce qui les pousse à un choix aussi extrême ?
Même s’il faut tenir compte des variations entre les différentes nationalités, nous sommes actuellement en mesure d’établir le profil type du jeune radicalisé. En France, par exemple, on constate que, sur vingt ans, les profils sont restés très similaires: deuxième génération, bien intégrés, parcours de petits délinquants, radicalisation la plupart du temps en prison, passage à l’acte sous forme d’attentat, mort sous les coups de feu de la police, l’arme à la main ou dans l’explosion. Qu’ils soient musulmans d’origine ou convertis, presque tous les terroristes sont des born again, à savoir qu’après avoir connu une vie plutôt profane, voire dissolue, les jeunes retrouvent une pratique religieuse plus stricte. Il faut préciser que la plupart passent à l’acte après avoir donné des signes de radicalisation. Il n’est pas rare non plus que des frères, des amis, des cousins suivent le même parcours et agissent ensemble. La seule évolution notable est le nombre croissant de femmes djihadistes.

Existe-t-il des signes auxquels les familles et les proches devraient être attentifs?
Actuellement, des milliers de signalements arrivent à la police, preuve que les parents surveillent de près leurs enfants. Il existe pourtant une grande confusion entre radicalisation religieuse et terroriste. Dès que quelqu’un présente des signes d’entrée en religion, il est dénoncé comme potentiellement dangereux. Dans la réalité, ce n’est pas aussi simple. L’intensité de la pratique ou de la foi n’est pas un gage d’extrémisme.

La déradicalisation, vous y croyez? Avez-vous des pistes à proposer?
Il faut d’abord se poser la question de la nature de la radicalisation: est-elle psychologique, théologique ou relève-t-elle d’une incompatibilité entre islam et Occident? En fonction de la réponse, les solutions à envisager sont différentes. Pour moi, il n’en existe pas un nombre infini. Une possibilité serait l’isolement des radicaux du reste de la société, à commencer par la société musulmane. Il faudrait faire en sorte que les frustrations ne se canalisent pas vers le terrorisme. L’inconvénient de centres comme ceux mis en place en France est qu’ils partent de l’idée que la radicalisation est une forme de pathologie et que les jeunes ne savent pas ce qu’ils veulent. C’est tout le contraire, ils sont fascinés par la radicalité, ils la cherchent. Comparer le djihadisme à l’alcoolisme me paraît complètement inutile. Il faut être conscient que la déradicalisation est plus un moyen d’aider les familles que les jeunes radicaux. Ce concept permet d’innocenter les parents en leur faisant comprendre qu’ils ne sont pour rien dans le choix de leurs enfants, que leur fils ou leur fille sont en fait malades et qu’ils vont être guéris.

Aux commentaires qui inondent les réseaux sociaux et qui proposent, comme solution au terrorisme, «la fosse commune» ou «une cartouche dans la tête», que répondez-vous?
Rien. Ces commentaires sont bêtes et méchants. Ils émanent souvent de gens cachés derrière des pseudonymes. Malheureusement, la stupidité est incontournable.

Qu’aimeriez-vous dire à ceux qui vous accusent de ne «jamais avoir approché un djihadiste»?
C’est complètement faux. Ceux qui prétendent le contraire sont d’une puérilité étonnante. J’ai vécu avec des djihadistes. Je connais bien le milieu des radicalisés et pas uniquement d’un point de vue théorique.

Pensez-vous que le CSIS de l’Université de Fribourg pourrait apporter des solutions à la radicalisation?
C’est un peu prématuré pour le dire, mais j’estime qu’il est nécessaire qu’il y ait, en Europe, des lieux de formation et de pensée théologiques qui s’ouvrent dans un cadre non étatique. Il faut avant tout reconsidérer la place du religieux dans l’espace public. L’islam doit occuper le champ du spirituel. La formation des imams est importante, mais elle doit rester théologique et non pas laïque, comme on le propose en France ou dans d’autres pays européens. L’idéal serait un institut associé, mais relié à des institutions de théologie autres que musulmane, essentiellement chrétienne, évidemment. Nous retrouvons un peu le contexte qui a permis la création du CSIS. Fribourg est le lieu parfait pour un tel centre parce qu’on y trouve une vie théologique très forte.

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  • Photo de Une: © Thomas Jammet
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Briser la spirale /alma-georges/articles/2016/briser-la-spirale /alma-georges/articles/2016/briser-la-spirale#respond Sun, 17 Apr 2016 10:30:35 +0000 http://www3.unifr.ch/alma-georges/?p=2215 Délinquance, récidive, prison et radicalisation: un engrenage qui effraie. Comment prévenir ce choix et préparer la réinsertion? Entretien avec Géraldine Duvanel Aouida, lectrice au Domaine de sociologie, politiques sociales et travail social.

Comment empêcher l’entrée dans la délinquance?
La délinquance traverse le temps; ce sont la place et la forme des délits, les parcours personnels, les contextes généraux qui changent. Nous disposons aujourd’hui de pistes concrètes et utiles: le sentiment d’incompétence, le manque de confiance et de prévisibilité au quotidien, l’absence de soutiens et d’engagements forment des contextes d’inquiétude et d’isolement. L’intervention peut travailler dans ce sens pour prévenir et atténuer la souffrance sociale dont certains chercheraient à sortir par des voies moins recevables. Le travail sur le décrochage scolaire est un début fondamental. Favoriser l’inclusion pour que le passage de l’adolescence à l’âge adulte ne soit pas vécu comme une déchirure.

Peut-on établir un lien entre délinquance juvénile et départs pour le djihad?
Il faut éviter les amalgames. Les jeunes en situation de délinquance en Suisse ne doivent pas être vus comme des candidats au djihad. Ce qui est intéressant, c’est de se pencher sur l’expérience de non considération et de vulnérabilité que font les jeunes délinquants. Dans une logique de survie, ils tentent de déjouer cette situation de souffrance en se transformant, en se dotant d’un certain pouvoir. Ils investissent la marge dans laquelle ils sont pris. L’accès à un statut de caïd doit leur permettre d’éprouver un sentiment de pouvoir et de contrôle. Il est envisagable que cette expérience de souffrance sociale et cette volonté de la déjouer soient communes. L’insertion durable dans la délinquance est une réponse à une souffrance  qu’on peut même qualifier d’expérience d’aliénation.

Une déradicalisation est-elle possible?
La déradicalisation est, à mon sens, une utopie politique. Il importe, avant tout, d’éviter la radicalisation, que l’on peine par ailleurs à définir,  en offrant mieux et plus tôt. Miser sur l’insertion sociale des plus vulnérables, permettre à la jeunesse contemporaine d’accéder à une forme d’autonomie et d’accomplissement minimal, éveiller l’espoir de trouver sa place. C’est autour de ce projet que les forces devraient se concentrer.

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Après avoir obtenu son diplôme en pédagogie spécialisée,  travaille en tant qu’éducatrice d’internat. Elle décroche sa licence, puis son doctorat en pédagogie spécialisée à l’Université de Fribourg. Sa thèse, «Rester pour s’en sortir. Logiques de récidive chez les jeunes en situation de délinquance» est récompensée par le Prix Vigener de la Faculté des lettres en 2015.

A lire:

  • «La spirale de la délinquance juvénile», un article sur sa thèse dans , mars 2016
  • , un article de Géraldine Duvanel Aouida paru dans la Revue d’information sociale REISO
  • Rester délinquant. Comprendre les parcours des jeunes récidivistes, le livre tiré de la thèse, à paraître au printemps 2016 aux

 

 

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Jihad au féminin /alma-georges/articles/2015/djihad-au-feminin /alma-georges/articles/2015/djihad-au-feminin#respond Thu, 05 Nov 2015 06:47:07 +0000 http://www3.unifr.ch/alma-georges/?p=1156 Le phénomène interroge et interpelle. Pour le comprendre, il faut impérativement dépasser les idées préconçues. La sociologue des religions Géraldine Casutt s’intéresse aux jeunes Européennes qui partent faire le jihad. Son travail propose des pistes concernant leurs motivations et des ébauches de solutions pour aider les familles. 

Le départ de certains jeunes, musulmans ou récemment convertis, est un phénomène relativement nouveau dans nos sociétés occidentales. L’islam, en passe de radicalisation, et la création d’un Etat islamique attirent des adolescents qui décident de participer au jihad, souvent à l’insu de leurs propres familles. Cette attraction dangereuse ne touche pas uniquement les garçons…

Dans sa thèse de doctorat en Science des religions, Géraldine Casutt, assistante à l’Université de Fribourg, se penche sur la question: «comment être jihadiste en tant que femme?». Elle s’intéresse, d’une part, aux filles qui quittent tout pour rejoindre les jihadistes et, d’autre part, au désarroi et à la souffrance des familles qui ne comprennent plus leur enfant. Via les réseaux sociaux, elle parvient à établir et à maintenir le contact avec quelques jeunes filles avant et après leur départ en Syrie; sa démarche scientifique, neutre et sans jugement, ainsi que le choix déontologique de ne pas masquer sa véritable identité, permet à la sociologue des religions d’instaurer un climat de confiance, précieux pour rassembler des témoignages et poser des questions sur leurs motivations. Le lien entre l’individu et le religieux apparaît alors très vite et sert de fil rouge à sa réflexion et à son analyse du phénomène.

Conférence sous surveillance

La radicalisation est un thème d’actualité et les termes «islam» et «jihad» sont à manier avec précaution. Afin d’éviter les étiquettes trop tenaces et les amalgames malheureux, le choix des mots et des définitions se révèle extrêmement important. C’est dans cette perspective que Géraldine Casutt est amenée à collaborer avec des spécialistes issus de différentes disciplines. Elle a récemment invité le journaliste David Thomson et l’expert du salafisme Samir Amghar à donner une conférence commune, intitulée «La religion du jihad et le jihad comme religion: quelle place pour l’argument religieux dans les motivations des candidats au jihad en Syrie?», à l’Université de Fribourg. Devant un auditoire comble, discrètement surveillé par des policiers prêts à intervenir à tout moment, les conférenciers ont donné leur avis, entre autres, sur la justification religieuse du jihad et du départ en Syrie, du point de vue des acteurs. Dans une ambiance calme et respectueuse, ils ont ensuite répondu aux questions du public.

Une telle conférence aurait difficilement pu être organisée en toute sérénité en France; paradoxalement, dans ce pays hyperlaïque, la question religieuse en lien avec l’intégration occupe le devant de la scène médiatique et politique de manière récurrente. Les Suisses, moins touchés que leurs voisins par les départs des jeunes en Syrie, se posent en observateurs, tout en cherchant des informations qui leur permettront de se forger une opinion. Car là réside toute l’ambigüité du phénomène: tout le monde, aussi bien spécialiste que citoyen lambda, a un avis sur l’islam, l’intégration des musulmans, la radicalisation, la montée au pouvoir de l’Etat islamique, le terrorisme ou le jihad, mais personne n’est capable de relativiser un débat compliqué et très émotionnel.

Le jihad: une affaire d’hommes?

Si, du côté de l’opinion publique, on parvient à établir un lien entre les hommes et le jihad, à travers le cliché bien ancré d’un masculin plus enclin à la violence et donc attiré par le combat, on n’envisage pas, en revanche, qu’une femme puisse volontairement choisir cette voie. Il est plus commode de penser qu’elles sont victimes, et non pas actrices et qu’elles ont forcément été manipulées par des hommes dans un contexte patriarcal propre à l’islam. Difficile de se représenter qu’une femme peut aussi être un facteur de radicalisation pour un homme. Le besoin, rassurant et acceptable, de considérer le départ des jeunes filles comme des cas particuliers et de réfléchir en termes de clichés, est bien présent. Impossible d’imaginer que le rapport à la violence illégale est le même pour les deux sexes et que seules la construction et la représentation distinguent les hommes des femmes. Leur rôle au sein du jihad est certes différent, mais la conviction reste la même. Epouses et mères, elles ne combattent pas; leur participation au jihad est perçue comme secondaire, mais pas leurs motivations. Précisons que certain-e-s considèrent l’immigration en terre de califat comme le sixième pilier de l’islam, tant cet acte est perçu comme important et nécessaire à la fois comme devoir religieux et pour son propre salut.

Phénomène religieux ou social?

Pour Géraldine Casutt, il convient de considérer les jihadistes avant tout comme des êtres humains et pas uniquement comme des terroristes; des personnes inscrites dans une société occidentale, la nôtre, qui leur fait miroiter des possibilités infinies, alors que la réalité est tout autre. La chercheuse est convaincue qu’on est en présence d’un phénomène social dans lequel l’aspect religieux joue un rôle explicatif important. Parler du départ pour le jihad dans la sphère publique permet donc de réaliser que ce choix est rationnel et ne tient pas uniquement du lavage de cerveau, comme le prétendent certains. En ce qui concerne les motivations de ces jeunes femmes, on peut citer, entre autres, un attrait général pour la discipline et une forme d’austérité, proposées dans l’islam radical, leur permettant de marquer leur opposition envers un monde occidental en perdition parce que trop laxiste. En se soumettant à des normes et des valeurs, reçues directement de Dieu, elles ont  l’impression de se rapprocher de leur spiritualité. Elles expriment aussi la volonté de participer à un nouveau type de société, considérée comme plus juste, puisque fondée sur des principes divins, et au sein de laquelle chaque sexe aurait une place et un rôle bien définis. La complémentarité y serait garante d’un ordre social et religieux équilibré. Finalement, elles évoquent fréquemment le désir fort de prendre part à un moment historique, à savoir la création du califat qui sera le théâtre de la fin des temps.

Face aux médias, en recherche de pathos et d’un spectacle parfois morbide, qui traitent ces départs pour la Syrie comme un phénomène de mode, et contre les clichés populaires qui ne voient dans l’islam que la violence et la non-intégration avec une tendance à l’ériger au statut d’ennemi de la liberté et de la paix, une réflexion scientifique, objective, neutre et dépourvue d’apriori favorise une prise de conscience sociale globale. Géraldine Casutt constate que ce choix fascine et interroge les citoyens occidentaux et que, si des conférences sur cette thématique attirent autant de monde, c’est parce que les gens veulent comprendre pour prévenir ces départs. Ils s’inquiètent de savoir ce que ces jeunes vont faire sur place, quelle menace potentielle ils représentent pour l’Europe et, surtout, quelle sera leur situation dans la société à leur retour.

Loin des clichés

Afin de désamorcer des clichés tenaces, Géraldine Casutt a décidé de s’intéresser également aux parents de ces adolescentes et aux mères en particulier. Jugées par l’opinion publique comme mauvaises, puisqu’elles représentent l’échec dans l’éducation de leur enfant, elles sont sans cesse confrontées à des critiques, parfois très violentes, provoquant des dégâts majeurs dans ces familles déjà dévastées. Pour la sociologue des religions, le jihadisme n’est pas nécessairement la continuité d’un parcours délinquant préexistant et les parents ne sont que rarement responsables des départs de leurs enfants. Il faudrait plutôt les considérer comme des victimes, presque des dommages collatéraux. En France, par exemple, les accusations sont dirigées contre la cellule familiale, alors qu’on attribue à l’Etat un rôle de gendarme plutôt que celui d’un éducateur à l’esprit critique. Pourtant, la chercheuse constate que les écoles et les institutions ont également un rôle à jouer.

Pour faire face à cette détresse, des groupes de soutien s’organisent en France et en Belgique, mais ils sont le fruit d’initiatives personnelles, les structures officielles persistant à envisager et à traiter le jihadisme comme des cas de délinquance juvénile, pour lesquels les parents sont toujours tenus pour responsables. C’est en privé, mais aussi dans ces associations, mises en place par des parents démunis, que Géraldine Casutt peut entendre ce que les mères ont à dire. Elle est parvenue à gagner leur confiance et à recueillir leurs confidences, tout aussi précieuses que les témoignages des jeunes filles parties en Syrie. En Suisse, pays moins touché par ce phénomène, de telles structures de soutien peinent à s’organiser.

Un dernier cliché reste encore à désamorcer: celui de penser qu’il y a une recette miracle à la déradicalisation. Là encore, Géraldine Casutt estime que la panacée n’existe pas et qu’un travail ne pourra se faire qu’au cas par cas, en proposant des solutions individuelles et non pas globales.

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Link:

  • Communiqué de presse de l’Unifr présentant la thèse de Géraldine Casutt.
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