Islamisme – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Wed, 01 Feb 2023 10:22:32 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 «La radicalité islamiste est souvent liée à un historique qui a dégénéré» /alma-georges/articles/2023/la-radicalite-islamiste-est-souvent-liee-a-un-historique-qui-a-degenere /alma-georges/articles/2023/la-radicalite-islamiste-est-souvent-liee-a-un-historique-qui-a-degenere#respond Tue, 17 Jan 2023 14:01:45 +0000 /alma-georges?p=17367 Dans son dernier livre, Anne-Clémentine Larroque met en lien l’extrémisme islamiste avec une transmission incomplète de l’identité culturelle chez les descendant·e·s d’immigré·e·s. L’historienne française exposera sa thèse au public le 27 janvier à l’Unifr.

«J’vous l’jure sur le Coran de la Mecque!» Cette expression populaire, Anne-Clémentine Larroque l’a entendue à maintes reprises alors qu’elle enseignait dans un lycée français fréquenté par des élèves issus de territoires défavorisés. A chaque fois, elle a été interpelée par ce vernis religieux censé légitimer les propos de leurs auteurs·trices. Cet exemple, qui concernait certes des jeunes non-fondamentalistes, a fait prendre conscience à l’historienne à quel point l’islam peut servir de refuge. Il est au cœur d’un travail d’analyse qui a débouché sur le livre Le trou identitaire: sur la mémoire refoulée des mercenaires de l’Islam, paru en 2021 aux Presses universitaires de France.

Le 27 janvier prochain, la spécialiste de l’idéologie islamiste, qui collabore notamment avec le Ministère français de la Justice, donnera une DzԴéԳ à l’Université de Fribourg intitulée «Le trou identitaire: les ressorts de la radicalité islamiste, de la Syrie aux tribunaux français». Ouvert au public, cet évènement s’inscrit dans le cadre de la remise des diplômes de la deuxième volée du CAS «Prévenir les extrémismes. Idéologies, religions et violence(s)» (voir encadré), auquel Anne-Clémentine Larroque a participé en tant qu’intervenante.

D’où vient votre intérêt pour l’idéologie islamiste en particulier, et l’Islam en général?
J’ai attaqué mes études à Sciences Po Aix – une grande école dont l’un des axes est l’Islam et le monde arabe – juste après les attentats du 11 septembre 2001. A la base, je suis médiéviste et, très tôt, mes recherches ont porté sur l’Islam au Moyen Âge. Après mes études, j’ai d’abord travaillé deux ans comme chargée de mission pour la présidence de l’Institut du Monde arabe, à Paris. Ajoutez à cela les évènements géopolitiques liés au Printemps arabe dès 2011, ainsi que le fait que je viens d’une famille dans laquelle la décolonisation a été beaucoup thématisée, et vous comprendrez l’origine de ma spécialisation. A partir de là, les choses se sont en quelque sorte imposées à moi: chroniques sur France Inter, rédaction d’un «Que sais-je?» sur la géopolitique des islamismes, charge de cours à Sciences Po, poste auprès du Ministère de la Justice, etc.

Et votre livre sur la mémoire refoulée des mercenaires de l’Islam, dans quel contexte est-il né?
Cet ouvrage est le fruit de mon expérience dans les tribunaux français. J’ai commencé à travailler pour l’institution judiciaire en 2016, d’abord comme assistante spécialisée pour le Département anti-terroriste du Parquet général de la Cour d’appel de Paris, puis comme analyste-historienne pour le pôle anti-terroriste de l’instruction du Tribunal judiciaire de Paris. J’ai assisté à de nombreux interrogatoires et audiences, notamment à ceux – en criminel – liés à l’affaire Merah (ndlr: tueries de Toulouse et Montauban en 2012), à l’ex-cadre de Daech en Syrie Tyler Vilus et aux femmes de l’affaire dite «des bonbonnes de gaz». Ou à ceux – en correctionnel – du «logeur» des auteurs des attentats de Paris en 2015 et de nombreux retournés de Syrie. C’est cette place privilégiée d’observatrice qui a nourri mes recherches et m’a permis d’élaborer la thèse du «trou identitaire».

Dans quelle mesure le tribunal est-il un lieu privilégié d’observation?
Il existe un concept salafiste appelé «Al Wala Wal Bara», qui date du XIVe siècle et signifie «la théorie de l’alliance et du désaveu». Selon ce principe rigoriste, un musulman n’a le droit d’être loyal qu’envers ses coreligionnaires. Dans le même ordre d’idées, seule la justice de Dieu compte, tandis que la justice des hommes n’est pas digne de confiance. Lors du procès de ses actes en lien avec les attentats de Paris de 2015, Salah Abdeslam a clairement évoqué ce principe, même s’il a assisté aux audiences, ce qui n’est pas le cas de tous les djihadistes. Nombreux sont ceux qui ne viennent pas à leur procès ou refusent de parler. Bref, il se passe des tas de choses dans un tribunal, qui donnent des pistes de réflexion intéressantes.

Votre ouvrage est intitulé «Le trou identitaire»: qu’entendez-vous par là?
Le titre du livre est volontairement disgracieux. Ce trou fait référence à une chute brutale dans un mouvement idéologique dont on ne connaît pas tous les tenants et aboutissants. Il correspond, chez un individu, au rejaillissement barbare – sous la forme de la violence, du terrorisme – d’une mémoire datant de générations précédentes. Il concerne souvent des immigré·e·s de deuxième ou troisième génération qui n’ont pas fait l’objet d’une transmission saine ou complète de leur identité culturelle. Près de sept dossiers sur dix traités par les tribunaux français portent sur des personnes d’origine maghrébine. Le lien avec la décolonisation n’est donc pas anecdotique. Mon hypothèse, c’est qu’il s’est produit quelque chose au moment de l’immigration. Soit elle a été tue, soit elle n’a pas été bien expliquée. Dans tous les cas, elle continue à agir sur les générations suivantes, qui se sentent peu intégrées dans leur pays d’accueil tout en connaissant mal leurs racines.

Et la religion, dans tout ça?
Les individus concernés vont essayer de se fabriquer un lien à leurs racines en accordant une place exagérément grande à la religion, quitte à la transformer en idéologie. Leur identité musulmane devient leur seule vraie identité. Dans la foulée, ils entrevoient la possibilité de réparer leur trauma, de combler le trou. Cette idée est centrale. Et c’est elle que les mouvements extrémistes exploitent, même inconsciemment.

Y a-t-il des personnes davantage susceptibles que d’autres de tomber dans ce trou?
De nombreuses études ont cherché à savoir s’il existait un profil type du djihadiste. Leurs résultats invitent à se méfier des raccourcis: tous les individus qui ont recours à la violence au nom de l’Islam ne sont pas issus de familles-clichés à la Merah, où règnent délinquance et manque d’intégration. La réalité est plus nuancée. Il faut aller chercher du côté de l’héritage mal digéré, du rapport à la mémoire du pays d’origine, de l’inconscient collectif d’une civilisation arabo-musulmane en pleine transformation. A noter aussi que les moments de rupture – liés à un deuil, à un chagrin d’amour ou à une grave blessure sportive par exemple – sont propices à l’ouverture du trou.

Existe-t-il des outils de prévention efficaces?
En France, l’un des principaux champs d’action consiste en un travail de prévention et de détection dans les lieux potentiels de radicalisation: écoles, clubs sportifs, restaurants halal, etc. Il est important de connaître ces lieux, d’y sensibiliser et former le personnel et/ou d’y instaurer des référent·e·s laïcité et citoyenneté. Mais c’est une démarche relativement récente, puisqu’elle ne s’est mise en place qu’après les attentats de novembre 2015. Elle prendra du temps à déployer tous ses effets.

Vous avez évoqué un lien étroit entre radicalisation et décolonisation; peut-on partir du principe que d’ici quelques générations, lorsque l’ombre du passé colonial sera moins lourde, l’extrémisme diminuera de lui-même?
Ma thèse repose en effet sur l’idée qu’une partie importante de la radicalité islamiste est liée à un historique qui a dégénéré. Plus on s’éloigne de cet historique, plus le djihadisme devrait s’essouffler. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut se reposer sur ses lauriers et simplement «attendre que ça passe». D’autres radicalités sont toujours à l’affût et prêtes à s’immiscer. Je pense, par exemple, aux groupes identitaires d’ultra-droite ou aux mouvements excluant l’Autre de manière générale. Restons donc vigilants sans être méfiants!

Vos recherches sont logiquement axées sur la France. Vous avez néanmoins eu l’occasion d’observer la situation en Suisse…
L’un des éléments qui me frappe le plus en Suisse, c’est à quel point sa politique pénale antiterroriste diffère de celle de la France. La qualification d’association de malfaiteurs terroristes (AMT) n’a pas d’équivalent en Suisse, comme dans de nombreux pays d’Europe d’ailleurs. Et les peines demeurent en général beaucoup plus réduites qu’en France. Il faut dire que le contexte des menaces n’est pas le même dans les deux pays. D’une part, parce que la Suisse n’a pas un passé colonial en tant que tel. D’autre part, parce que contrairement à la France elle a jusqu’à présent été épargnée par des attentats d’ampleur liés à la mouvance islamiste. Le rapport au djihadisme y est donc indirect.

Indirect mais existant?
Oui. Notamment parce qu’il existe en Suisse un terreau idéologique assez fertile. On peut notamment citer les Frères musulmans très bien implantés à Genève ou le mouvement ahbache, moins connu, présent par exemple à Lausanne. Mais pour en revenir au terrorisme: un peu à l’image de la Belgique, la Suisse est un pays-passerelle, ne serait-ce qu’en raison de son système bancaire et ses possibilités d’incarner les bases arrières, notamment pour le financement. Et pour être honnête, je m’étonne que l’extrémisme religieux semble passer sous le radar en terre helvétique, voire ne pas être pris au sérieux.

Le CAS mis sur pied par l’Unifr, via son Centre suisse islam et société, va-t-il dans la bonne direction?
Absolument. Je trouve son ouverture internationale particulièrement intéressante. Celle-ci peut contribuer à créer une communauté d’acteurs engagés dans la prévention des extrémismes. Quitte à me répéter: ces idéologies, il faut les regarder en face. Mais c’est un travail de longue haleine, rendu d’autant plus délicat par le fait que nous vivons dans une société de l’immédiateté. Alors plus nombreux nous sommes à nous y atteler, plus les générations futures en tireront les bénéfices.

Un CAS pour contribuer à prévenir les extrémismes
Le CAS «Prévenir les extrémismes. Idéologies, religions et violence(s)», mis sur pied par le Centre suisse islam et société de l’Unifr, vise à former toute personne en Suisse romande qui souhaite être un interlocuteur de référence sur les phénomènes de radicalisation dans son contexte professionnel. Provenant de milieux sécuritaires, socio-éducatifs, judiciaires, carcéraux ou encore de la haute administration, les participant·e·s des deux premières volées ont pu bénéficier de l’expertise de conférenciers francophones, dotés de connaissances spécialisées dans le domaine des extrémismes et également au bénéfice d’une expérience pratique. Les travaux de diplôme des participant·e·s ont visé à développer des outils concrets pour améliorer leur pratique professionnelle dans le champ de la prévention de la radicalisation et des extrémismes violents en Suisse. La troisième volée aura lieu en présentiel de septembre 2023 à juin 2024, pour un total de 18 jours de formation. Les inscriptions sont ouvertes.

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Voyage chez les derniers chrétiens d’Irak /alma-georges/articles/2022/voyage-chez-les-derniers-chretiens-dirak /alma-georges/articles/2022/voyage-chez-les-derniers-chretiens-dirak#respond Tue, 29 Mar 2022 09:05:38 +0000 /alma-georges?p=15525 Franz Mali revient tout juste d’un voyage à Erbil, capitale du Kurdistan irakien. Le professeur de patristique y a donné un cours au Babel College for Philosophy & Theology, un institut qui a survécu aux horreurs de Daesh.

C’est un établissement dont on ne trouve presque aucune trace sur le web, mais dont l’existence, à défaut d’être virtuelle, est aussi réelle que miraculeuse. Fondé à Bagdad en 1991, alors que le pays émergeait à peine de la première guerre du Golfe, le Babel College for Philosophy & Theology est l’unique faculté de théologie de confession chrétienne du pays. Son histoire, bien que brève, a déjà connu de nombreux rebondissements. L’invasion de l’Irak par la coalition américaine en 2003, la chute de Saddam Hussein et le chaos qui ont suivi l’ont obligé à fuir Bagdad. «Al-Qaïda a tué l’un des portiers, explique Franz Mali, raison pour laquelle l’institution a déménagé du jour au lendemain à Erbil, dans le Kurdistan irakien, région moins dangereuse et qui abrite des communautés chrétiennes.»

Cathédrale de Mossoul cathédrale de Mossoul

Convention avec l’Université de Fribourg
Etabli depuis 2006 dans le quartier d’Ankawa dans la banlieue d’Erbil, le Babel College a perdu plus de la moitié de ses effectifs suite au conflit. «Lors de mon premier voyage, il y avait entre 150 et 200 étudiant·e·s, ils ne sont plus qu’une cinquantaine aujourd’hui», déplore Franz Mali. Dans les premiers temps, des sous-sols ont servi de salles de classe, tandis que les étudiant·e·s ont dû se débrouiller pour trouver des logements. Aujourd’hui, l’Institut est reconnu par l’Université pontificale urbanienne de Rome, spécialisée dans la formation du clergé et des étudiant·e·s, ce qui lui confère une reconnaissance internationale.
Une convention lie l’institution irakienne à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg. Celle-ci prévoit des échanges entre étudiant·e·s et enseignant·e·s. «C’est Lusia Shammas Markos qui en est l’instigatrice. A l’époque, alors qu’elle était doctorante chez nous, elle a appelé de ses vœux une collaboration entre les deux institutions, se remémore Franz Mali, plusieurs enseignant·e·s sont venus à Fribourg pour donner des DzԴéԳs, mais il n’y a eu encore aucun échange d’étudiant·e·s. » La collaboration s’avère toutefois difficile, en raison de la barrière de la langue. L’arabe est la langue d’enseignement du Babel College et rares sont les étudiant·e·s qui maîtrisent l’anglais.

Projets d’avenir
Sous l’impulsion de Bashar Warda, l’archevêque catholique chaldéen d’Erbil, une nouvelle université y a été fondé en 2016. Celle-ci compte 280 étudiant·e·s, aussi bien musulman·e·s que chrétien·ne·s. L’ambition est de voir ce nombre doubler lors de la prochaine rentrée. « Bashar Warda souhaite créer une université complète, dans laquelle serait intégré le Babel College. Je pense que, sous sa houlette, c’est un objectif réalisable. Cet archevêque est si énergique. Il est convaincu que l’éducation est le meilleur moyen pour combattre la radicalisation.»

Un optimisme indispensable tandis que, dans la région, les canons ne se sont pas complètement tus. La semaine dernière, plusieurs missiles iraniens se sont abattus sur le consulat américain d’Erbil. «Quelques jours auparavant, nous buvions un café à une centaine de mètres de là, s’émeut Franz Mali, c’est étrange.»

Champs de ruine
Suite aux guerres successives et aux persécutions de Daesh, l’Irak s’est vidée de plus de la moitié de ses chrétien·ne·s. Désormais établis en Europe ou aux Etats-Unis, peu parmi ces réfugiés envisagent un retour dans une contrée pareillement dévastée par le conflit. «J’ai visité des villes détruites, en particulier les localités chrétiennes, témoigne Franz Mali. Malgré le chômage endémique et l’instabilité politique, quelques familles issues de la diaspora y sont tout de même revenues et ont entrepris de reconstruire leur maison détruite. Ce retour requiert énormément de moyens financiers et de courage.» Il va sans dire qu’il faut aussi être bardé d’un optimisme inoxydable et d’une force de résilience hors du commun, dont les chrétien·ne·s d’Irak semblent être généreusement pourvus. Franz Mali en veut pour preuve la visite qu’il a effectuée à Mossoul en compagnie de l’archevêque chaldéen de la ville, Mons. Najeeb: «Il m’a montré son église en s’exclamant ‹Elle est belle, non?!›. Malgré sa destruction, elle est restée remarquable à ses yeux.»

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  • Photo de une: Babel College, © Jean-Jacques Meylan
  • Photos de l’église détruite dans la Plaine de Ninive et du prêtre chaldéen Ghazwan Shahara © Raphaël Zbinden/
  • Page de Franz Mali
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«La solution au jihadisme peut être locale» /alma-georges/articles/2020/la-solution-au-jihadisme-peut-etre-locale /alma-georges/articles/2020/la-solution-au-jihadisme-peut-etre-locale#respond Fri, 24 Jan 2020 08:44:48 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=10240 Cinq ans après les attentats de Charlie Hebdo, Hugo Micheron publie un ouvrage se penchant sur les racines du jihadisme français. En marge de sa DzԴéԳ du 23 janvier à l’Unifr, le spécialiste revient sur l’importance de s’attaquer à la radicalisation islamique au sein même des quartiers et des prisons européens.

Comment est né votre ouvrage?
Mon livre est le fruit d’une recherche de 5 ans effectuée dans le cadre de ma thèse de doctorat en sciences politiques à l’Ecole normale supérieure. Mon but était de partir du terrain pour décrire – et tenter d’expliquer – les importants départs vers la Syrie et l’Irak qui se sont produits entre 2012 et 2015, ainsi que les attentats ineffables qui se sont succédé en Europe ces dernières années. Après l’attaque de Charlie Hebdo, j’ai constaté un important paradoxe au niveau de la recherche: alors que de nombreux travaux sur le jihadisme avaient été publiés, rares étaient ceux qui reposaient sur une recherche de terrain approfondie. Bref, il y avait un décalage criant entre la prégnance du sujet dans la société et sa documentation. Je souhaitais à la fois pallier ce manque et créer un nouveau cadre théorique.

Votre travail se base notamment sur des dizaines d’entretiens conduits en prison avec des terroristes incarcérés, ainsi que sur des enquêtes menées dans leurs principaux fiefs (Toulouse, Paris, Nice ou encore Bruxelles-Molenbeek). Un terrain qu’on imagine peu aisé…
En effet, c’est un terrain difficile d’accès et non sans danger, ce qui pourrait d’ailleurs expliquer la réticence de certains autres chercheurs à s’y frotter. Le fait que je parle l’arabe et que j’ai vécu en Syrie avant la guerre m’a bien évidemment ouvert des portes. Reste que globalement, les détenus interrogés se sont exprimés plutôt librement. Il faut dire qu’en prison, tout est prétexte à sortir de sa cellule. J’ai probablement aussi bénéficié d’un certain mépris envers les chercheurs; en acceptant de me parler, mes interlocuteurs pensaient peut-être pouvoir m’instrumentaliser et/ou redorer l’image des jihadistes.

Plutôt que de vous pencher, comme d’autres chercheurs, sur les éléments exogènes du jihadisme, vous avez choisi d’explorer ce phénomène en Europe même. Pourquoi?
Cette thèse d’un terrorisme venu de l’extérieur, je l’ai immédiatement balayée. Les attentats en France ont été commis par des Français qui ont été socialisés dans l’Hexagone et sont passés par l’école de la République! Mon hypothèse s’est d’ailleurs confirmée lorsque j’ai fait du travail de terrain: j’ai découvert que dans certains quartiers, il y avait un nombre anormalement élevé de départs vers la Syrie ou l’Irak. Mon livre tente de montrer que la vague d’attentats initiée en 2015 n’est que l’aboutissement de phénomènes certes sourds, mais visibles à l’échelle de certains quartiers français et belges au moins depuis le 11 septembre 2001. Prenez l’exemple des frères Clain (ndlr: l’aîné, Fabien, avait prêté sa voix à la revendication par l’Etat islamique des attentats du 13 novembre à Paris). Depuis 15 ans déjà, ils s’adonnaient à du militantisme de base à Toulouse. Et pourtant, en 2015, tout le monde a été pris de court. La preuve que la radicalisation était mal documentée…

Vous évoquez des phénomènes sourds, mais visibles depuis longtemps. Pourquoi les autorités compétentes n’ont-elles pas pris des mesures?
Elles l’ont fait! Mais étant donné qu’elles ont mal interprété le fonctionnement des écosystèmes qui s’étaient développés dans certains quartiers – dans mon livre, je parle d’«enclaves» françaises et belges négligées –, elles ont concentré leur action sur des individus. La logique judiciaire n’était absolument pas adaptée pour faire face à cette machine de prédication. Depuis sa cellule, un jihadiste peut poursuivre son action, en faisant appel au reste du collectif. Pire, une fois en prison, les jihadistes toulousains faisaient la connaissance des jihadistes strasbourgeois ou parisiens, renforçant les liens entre les différents écosystèmes locaux.

Parallèlement aux quartiers, les prisons constituent justement votre autre axe de recherche…
Pour les activistes, la prison représente un espace intermédiaire entre l’Europe et le Levant: le processus de radicalisation les mène de leur quartier populaire au pseudo-califat de Daech, en passant souvent (avant, après, voire les deux) par la case prison. Ce qu’il est important de comprendre, c’est que la plupart des jihadistes considèrent le fait d’être derrière les barreaux comme une étape et non comme la fin de leur activisme. La question de la gestion des retours est donc un point stratégique, et l’un des plus grands défis de l’après-Daech. Jusqu’à présent, ils ont été mal anticipés. En 2016 par exemple, il y avait quelque 1’500 Français en Syrie. Lorsqu’ils ont commencé à rentrer en masse en raison de l’effondrement de l’Etat islamique, les prisons hexagonales sont devenues le premier lieu de reconstitution des mouvances jihadistes.

Dans ces conditions, comment bien négocier l’après-Deach?
C’est LE grand défi de la décennie! Bien sûr, on peut espérer que les erreurs de jugement commises ces vingt dernières années par les autorités et experts compétents ne seront pas réitérées. Reste que par rapport aux années 1990, les jihadistes sont actuellement cent fois plus nombreux en territoire francophone. Et ils essayent de former la relève, notamment en pratiquant l’endoctrinement à la source dans les écoles salafistes qu’ils tentent de mettre en place. On peut craindre qu’ils profitent d’un prochain bouleversement géopolitique au Moyen-Orient pour recommencer à agir.

Quelles pistes de lutte contre le jihadisme entrevoyez-vous?
Ce qui est sûr, c’est que la réponse ne peut pas uniquement être sécuritaire. Elle doit aussi être politique. Or, le débat public sur la question du jihadisme manque de sérieux. Il est polarisé entre deux positions certes opposées, mais toutes deux dramatiques: le déni et l’hystérisation. Selon les partisans du déni, les membres de l’Etat islamique sont des fous qui ne méritent pas qu’on leur accorde de l’attention. L’hystérisation, elle, entraîne la montée de l’extrémisme politique de droite. A mon avis, il faut revenir sur le terrain. Et davantage ancrer l’action à un niveau local. Contrairement à ce que l’on entend souvent dire, le jihad n’est pas un phénomène global. Pour exister, il ne peut être que local. De même, la solution peut être locale.

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  • Hugo Micheron,, Editions Gallimard, 2020
  • Le 23 janvier 2020, Hugo Micheron a donné une DzԴéԳ intitulée dans le cadre de la remise des premiers diplômes du CAS «Prévenir les extrémismes. Idéologies, religions et violence(s)» du Centre Suisse Islam et Société de l’Unifr.
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«La lutte contre l’extrémisme n’est ni de gauche ni de droite» /alma-georges/articles/2017/la-lutte-contre-lextremisme-nest-ni-de-gauche-ni-de-droite /alma-georges/articles/2017/la-lutte-contre-lextremisme-nest-ni-de-gauche-ni-de-droite#comments Mon, 04 Sep 2017 15:01:30 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=4760 Dans un contexte de fortes migrations, de guerres internationales et d’attentats terroristes en Europe, la Suisse n’est pas épargnée par les tensions sociales et politiques. Un colloque se penche sur la question de l’hostilité envers les musulmans en Suisse, du point de vue de la société, des médias et de la politique. Aperçu avec Martine Brunschwig Graf, présidente de la Commission fédérale contre le racisme.

Ce colloque inaugure une collaboration avec le Centre Suisse Islam et Société (CSIS). En quoi y a contribué la Commission fédérale contre le racisme (CFR)?
La CFR est l’initiatrice de ce colloque et en est co-organisatrice avec le Centre Suisse Islam  et Société et le Centre de recherche sur les religions de l’Université de Lucerne.

Qu’entend-on par «hostilité envers les musulmans»?
C’est l’un des buts du colloque de la définir. L’hostilité s’exprime à travers des sentiments tels que la peur, le rejet, la méfiance. Tous ces sentiments s’observent en Suisse comme à l’étranger.

Dans le contexte des attentats perpétrés par des djihadistes en Europe, ne craignez-vous pas que ce thème soulève une incompréhension?
Les attentats terroristes en Europe et ailleurs sont un facteur qui provoque l’hostilité à l’égard des musulmans en général. Il est d’autant plus important d’aborder clairement cette question de l’hostilité, car les musulmans n’ont pas à être rendus responsables ni collectivement, ni individuellement des actes commis par des terroristes.

Après chaque nouvel attentat djihadiste en Europe, on peut observer des réactions d’apaisement, des manifestations de résistance contre les amalgames, mais aussi l’inverse. Le colloque parlera-t-il des tensions sociales, voire des utilisations politiques, que les attentats semblent favoriser?
Bien des colloques ont déjà traité de ces questions. Pour la CFR, il s’agit avant tout de faire le point sur la situation en Suisse. Je ne peux pas préjuger par ailleurs de ce que les différents intervenants évoqueront concrètement dans leurs interventions.

Y a-t-il, inversement, une hostilité des musulmans fondamentalistes envers les Suisses? Le cas échéant, comment la CFR agit-elle sur cette autre face du problème?
Nous n’observons pas d’expressions hostiles récurrentes de la part d’extrémistes islamistes à l’égard des Suisses spécifiquement. Mais il faut rappeler ici qu’une telle hostilité mériterait d’être combattue au même titre que celle à l’égard des musulmans.

Une récente enquête du Blick affirme que la Suisse est, depuis des années, une «plaque tournante d’imams radicaux» financés par des fonds étrangers, qui «enseignent la haine à de jeunes musulmans» et «entretiennent l’hostilité envers les autres croyances». Ils sont «difficiles à contrôler par les autorités», car ils évoluent «dans un monde parallèle». Comment la CFR envisage-t-elle cette réalité?
La CFR est consciente du fait que la Suisse n’échappe pas au phénomène de radicalisation. Le discours de haine doit être combattu d’où qu’il vienne; et il s’agit, en Suisse aussi, de prévenir, de contrôler et de sanctionner.

Comment faire la part des choses entre un islam vecteur du djihadisme et un islam religieux encadré par la loi?
La réponse est dans la question! Chacun doit respecter la loi et l’Etat de droit. C’est ce qui garantit la liberté religieuse comme les autres libertés. En conséquence, si la loi est violée, si des discours de haine sont tenus dans des lieux religieux et ailleurs, leurs auteurs doivent être poursuivis. Il ne s’agit pas d’être complaisant.  Les moyens légaux existent, il est du devoir de chacun de veiller à ce que la loi soit appliquée.

Que pensez-vous de la prise de position de l’écrivain britannique Salman Rushdie, qui affirmait cette année dans le quotidien ’O (8.6.2017): «Il faut arrêter l’aveuglement stupide face au djihadisme qui consiste à dire que cela n’a rien à voir avec l’islam» et «Je suis en désaccord total avec ces gens de gauche qui font tout pour dissocier le fondamentalisme de l’islam»?
La lutte contre l’extrémisme n’est ni de gauche ni de droite. Il ne s’agit pas d’être aveugle, mais d’identifier les dangers sans pour autant rendre ni responsables ni coupables celles et ceux qui n’ont pas à l’être. Il faut se souvenir aussi que nombre de musulmans, dans le monde, sont aussi les victimes des extrémistes islamistes et de Daech en particulier.

Dans le même ordre d’idées, en Suisse, une femme comme Saïda Keller-Messahli, fondatrice du Forum pour un islam progressiste, dénonce dans la NZZ am Sonntag la «naïveté des autorités et des politiciens quand il s’agit d’identifier les liens entre les fanatiques islamistes en Suisse et à l’étranger». Selon elle, «les politiciens de gauche ignorent le problème des imams radicaux, à cause de leur priorité à protéger les minorités». Elle précise bien que «la plupart des musulmans ne s’identifient pas à l’idéologie radicale», mais elle assure que «la majorité des mosquées en Suisse sont conservatrices et leurs imams islamistes, à cause des financements étrangers».Face à ce processus de radicalisation, ne faudrait-il pas un peu plus d’action politique… à côté de la prévention?
La prévention est une action politique! Cela étant dit, ce sont nos institutions démocratiques, notre Etat de droit qui permettent de protéger tous les habitants de ce pays contre l’extrémisme, religieux en particulier.  Bien sûr qu’il faut reconnaître le problème, mais il faut aussi et surtout rappeler quelles sont les règles constitutionnelles et légales que chacun doit respecter. Le fédéralisme laisse aux cantons le soin de régler les rapports entre l’Etat et les communautés religieuses. Il existe des solutions qui permettent un meilleur contrôle lorsque c’est nécessaire. Par ailleurs, il est très important que les autorités puissent dialoguer avec des représentants des communautés musulmanes qui soient largement reconnues et représentatives de la population concernée, comme cela se pratique avec les autres religions présentes dans notre pays.

Que pensez-vous de l’idée que seuls les imams formés dans des universités suisses puissent être autorisés à précher en Suisse? Cela permettrait peut-être de rassurer la population et de prévenir l’hostilité envers les musulmans?
On peut saluer la démarche de mettre sur pied une formation pour les imans à l’Université de Genève. C’est  un pas important pour permettre aux imans de se former dans un cadre qui intègre les lois et les règles de l’Etat de droit.

Le colloque fribourgeois abordera la (re)présentation des musulmans dans les médias.  A votre avis, l’hostilité à l’encontre des musulmans passe-t-elle aussi par les médias ?
Nous prendrons connaissance avec intérêt, lors du colloque, de la façon dont les médias représentent les musulmans en Suisse. Bien sûr que ce qui est relaté dans la presse exerce une influence sur l’image des musulmans et les réactions que l’on peut avoir à leur égard. C’est un phénomène qui n’est pas propre à l’islam.

La collaboration de la CFR avec le Centre Suisse Islam et Société va-t-elle se poursuivre à l’avenir?
Nous l’espérons bien. Les connaissances scientifiques sont un élément important pour le travail de la CFR et ses actions de prévention. Nous aurons donc à nous intéresser dans le futur aussi aux travaux et aux réflexions du Centre.

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  • Hostilité envers les musulmans: société, médias, politique
    11 septembre 2017, 9h15 – 17h, Auditoire Joseph Deiss, Université de Fribourg.
    Colloque public organisé par la Commission fédérale contre le racisme CFR, en partenariat avec le Centre Suisse Islam et Société de l’Université de Fribourg (CSIS) et le Centre de recherche sur les religions de l’Université de Lucerne (ZRF). Programme complet .
  • Blick, «», 27.8.2017
  • ’O, «», 08.06.2017
  • NZZ am Sonntag, interview de Saïda Keller-Messahli, «», NZZamSonntag, 26.8.2017
  • La Liberté, «», 27.8.2017,
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Tareq Oubrou, imam atypique et serein /alma-georges/articles/2017/tareq-oubrou-imam-atypique-et-serein /alma-georges/articles/2017/tareq-oubrou-imam-atypique-et-serein#respond Tue, 28 Feb 2017 18:14:40 +0000 http://www3.unifr.ch/alma-georges/?p=3758 Tareq Oubrou, recteur de la Grande Mosquée de Bordeaux, est devenu imam par accident. Revendiquant une théologie de l’altérité, il veut repenser l’approche religieuse classique à la lumière du contexte européen contemporain. Une réflexion tout en nuance qu’il partage avec Alma&Georges lors de son passage à Fribourg, à l’invitation du Centre Suisse Islam et Société.

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  • Photo et vidéo: Christian Doninelli – Unicom
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Faire le djihad et mourir /alma-georges/articles/2016/faire-le-djihad-et-mourir /alma-georges/articles/2016/faire-le-djihad-et-mourir#respond Fri, 21 Oct 2016 07:54:07 +0000 http://www3.unifr.ch/alma-georges/?p=3133 Le politologue Olivier Roy a présenté son nouveau livre Le djihad et la mort en avant première à l’Université de Fribourg. Il y propose de nouvelles thèses sur les motivations des jeunes djihadistes occidentaux. Le spécialiste de l’islam en a débattu devant une salle comble et comblée, lors d’une DzԴéԳ organisée par l’Institut Religioscope et le Centre suisse islam et société (CSIS).

En évoquant le djihad, vous parlez de mort «inutile». Pourquoi ce terme?
Cette mort souhaitée s’inscrit dans un certain nihilisme, très fréquent chez les jeunes d’aujourd’hui et que l’on pourrait appeler le «nihilisme du no future». En bref, c’est penser qu’il n’y a plus rien d’intéressant dans la vie actuelle, perçue comme une espèce de vide. Seule la mort garantit un accès à la «vraie» vie, à savoir le paradis. En effet, au moment où ils se tuent, ces jeunes sont convaincus de son existence. L’imaginaire des djihadistes est un élément essentiel pour mieux les comprendre. En ce sens, on peut parler d’islamisation de la radicalité.

Vous identifiez deux formes de nihilisme: l’un générationnel et l’autre millénariste; qu’est-ce qui les distingue?
Le nihilisme générationnel signifie que ces jeunes radicalisés sont en rupture avec leurs parents. Ils ne sont pas forcément en guerre, mais ils considèrent qu’ils n’ont plus rien à apprendre d’eux. Un peu comme s’il n’y avait pas de généalogie qui les précède, uniquement le néant. Autre phénomène curieux: ils font des enfants, mais ne les élèvent pas. Il n’est pas rare que les jeunes radicaux aient un bébé dans la même année que celle où ils passent à l’acte en se faisant sauter… Rien avant et rien après. Quant au nihilisme millénariste, même si l’expression n’est pas des plus heureuses, elle s’applique bien à ceux qui pensent que leur mort personnelle est un signe avant-coureur de l’apocalypse. Ils réfutent l’idée de l’établissement d’une société islamique dans la durée. Leur action est donc considérée comme un des présages de la fin des temps.

Cette même configuration terroriste serait-elle possible dans une autre religion?
En ce moment, non. La situation est clairement liée au contexte social et géostratégique du Moyen-Orient. Si l’on prend un cadre différent, par exemple celui des évangéliques aux Etats-Unis, on voit très bien comment des têtes brûlées qui ont envie de faire la guerre deviennent pilotes dans l’US Air Force. Une autre possibilité leur est offerte. La réalité reste cependant complexe et il ne faut pas perdre de vue que le salafisme n’est pas forcément le sas d’entrée du terrorisme.

A la fin de votre ouvrage, vous posez la question «pourquoi Daech tient-il?», avez-vous une réponse à proposer?
Cela tient en peu de mots: chaque ennemi de Daech a un pire ennemi que Daech. Les acteurs sont paralysés parce qu’ils craignent que la disparition de Daech favorise leur autre ennemi. Tous considèrent également que Daech est un épiphénomène, mais que l’autre ennemi, lui, sera toujours là. Les Turcs pensent que les Kurdes sont un problème; les Kurdes sont convaincus que ce sont les Arabes; les Saoudiens prétendent que c’est l’Iran; pour l’Iran ce sont les Soviets, et ainsi de suite. On le voit bien avec Mossoul: pourquoi n’y a-t-il pas d’attaques? Depuis quelques années déjà, nous constatons l’émergence d’un djihad global, international, détaché de tout contexte national et principalement individuel. Grâce à une communication prônant l’esthétisme de la mort et la victoire de la terreur, Daech offre le cadre idéal à la concrétisation d’un tel imaginaire.

En Europe, qui sont ces jeunes et qu’est-ce qui les pousse à un choix aussi extrême ?
Même s’il faut tenir compte des variations entre les différentes nationalités, nous sommes actuellement en mesure d’établir le profil type du jeune radicalisé. En France, par exemple, on constate que, sur vingt ans, les profils sont restés très similaires: deuxième génération, bien intégrés, parcours de petits délinquants, radicalisation la plupart du temps en prison, passage à l’acte sous forme d’attentat, mort sous les coups de feu de la police, l’arme à la main ou dans l’explosion. Qu’ils soient musulmans d’origine ou convertis, presque tous les terroristes sont des born again, à savoir qu’après avoir connu une vie plutôt profane, voire dissolue, les jeunes retrouvent une pratique religieuse plus stricte. Il faut préciser que la plupart passent à l’acte après avoir donné des signes de radicalisation. Il n’est pas rare non plus que des frères, des amis, des cousins suivent le même parcours et agissent ensemble. La seule évolution notable est le nombre croissant de femmes djihadistes.

Existe-t-il des signes auxquels les familles et les proches devraient être attentifs?
Actuellement, des milliers de signalements arrivent à la police, preuve que les parents surveillent de près leurs enfants. Il existe pourtant une grande confusion entre radicalisation religieuse et terroriste. Dès que quelqu’un présente des signes d’entrée en religion, il est dénoncé comme potentiellement dangereux. Dans la réalité, ce n’est pas aussi simple. L’intensité de la pratique ou de la foi n’est pas un gage d’extrémisme.

La déradicalisation, vous y croyez? Avez-vous des pistes à proposer?
Il faut d’abord se poser la question de la nature de la radicalisation: est-elle psychologique, théologique ou relève-t-elle d’une incompatibilité entre islam et Occident? En fonction de la réponse, les solutions à envisager sont différentes. Pour moi, il n’en existe pas un nombre infini. Une possibilité serait l’isolement des radicaux du reste de la société, à commencer par la société musulmane. Il faudrait faire en sorte que les frustrations ne se canalisent pas vers le terrorisme. L’inconvénient de centres comme ceux mis en place en France est qu’ils partent de l’idée que la radicalisation est une forme de pathologie et que les jeunes ne savent pas ce qu’ils veulent. C’est tout le contraire, ils sont fascinés par la radicalité, ils la cherchent. Comparer le djihadisme à l’alcoolisme me paraît complètement inutile. Il faut être conscient que la déradicalisation est plus un moyen d’aider les familles que les jeunes radicaux. Ce concept permet d’innocenter les parents en leur faisant comprendre qu’ils ne sont pour rien dans le choix de leurs enfants, que leur fils ou leur fille sont en fait malades et qu’ils vont être guéris.

Aux commentaires qui inondent les réseaux sociaux et qui proposent, comme solution au terrorisme, «la fosse commune» ou «une cartouche dans la tête», que répondez-vous?
Rien. Ces commentaires sont bêtes et méchants. Ils émanent souvent de gens cachés derrière des pseudonymes. Malheureusement, la stupidité est incontournable.

Qu’aimeriez-vous dire à ceux qui vous accusent de ne «jamais avoir approché un djihadiste»?
C’est complètement faux. Ceux qui prétendent le contraire sont d’une puérilité étonnante. J’ai vécu avec des djihadistes. Je connais bien le milieu des radicalisés et pas uniquement d’un point de vue théorique.

Pensez-vous que le CSIS de l’Université de Fribourg pourrait apporter des solutions à la radicalisation?
C’est un peu prématuré pour le dire, mais j’estime qu’il est nécessaire qu’il y ait, en Europe, des lieux de formation et de pensée théologiques qui s’ouvrent dans un cadre non étatique. Il faut avant tout reconsidérer la place du religieux dans l’espace public. L’islam doit occuper le champ du spirituel. La formation des imams est importante, mais elle doit rester théologique et non pas laïque, comme on le propose en France ou dans d’autres pays européens. L’idéal serait un institut associé, mais relié à des institutions de théologie autres que musulmane, essentiellement chrétienne, évidemment. Nous retrouvons un peu le contexte qui a permis la création du CSIS. Fribourg est le lieu parfait pour un tel centre parce qu’on y trouve une vie théologique très forte.

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  • Photo de Une: © Thomas Jammet
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Vom «orientalischen Anderen» zum «muslimischen Fremden» /alma-georges/articles/2016/vom-orientalischen-anderen-zum-muslimischen-fremden-2 /alma-georges/articles/2016/vom-orientalischen-anderen-zum-muslimischen-fremden-2#respond Tue, 18 Oct 2016 06:50:23 +0000 http://www3.unifr.ch/alma-georges/?p=3125 Der Umgang mit dem Islam animiert nicht erst seit gestern zu regen Diskussionen. Garantiert interessante Auseinandersetzungen zum Thema werden auch am 20. und 21. Oktober im Rahmen einer internationalen Konferenz zu Islamophobie und Orientalismus an der Universität Freiburg stattfinden. Unsere Experten Prof. Damir Skenderovic und Prof. Christina Späti erklären im Interview, worum es in dieser Debatte geht.

Was bedeuten die beiden Begriffe Islamophobie und Orientalismus?
Unter Islamophobie wird Diskriminierung und Ausgrenzung von Musliminnen und Muslimen verstanden, allein aufgrund des Umstands, dass sie einer Religion, in diesem Fall dem Islam, angehören. Orientalismus beschreibt ganz bestimmte Vorstellungen des «Orients», die lange Zeit in der westlichen Welt vorherrschend waren. Der «Orient» und seine Bevölkerung wurden darin als rückständig dargestellt. Man behauptete, dass die Menschen, die dort leben, sich seit Jahrhunderten nicht verändert hätten und aufgrund ihrer religiösen oder kulturellen Zugehörigkeit nicht zu einem modernen Leben fähig seien. Damit wurde ein scharfer Gegensatz zur westlichen Welt hergestellt.

Sind das nicht einfach Resultate von Klischees?
Vorurteile und Stereotype spielen in beiden Phänomenen eine wichtige Rolle. Es wird stark mit Pauschalisierungen und Verallgemeinerungen gearbeitet. Solche Stereotype können sehr langlebig sein und flexibel immer wieder an neue historische Situationen und gesellschaftliche Kontexte angepasst werden. Daher können sie eine grosse Wirkungskraft entfalten. Sie sind Teil von Deutungsmustern, die, wie im Falle des Orientalismus, über lange Zeit tradiert wurden. Dabei konnten, gerade im Orientalismus, die Stereotype auch romantisierend gestaltet sein und exotisierenden Phantasien entspringen.

Was waren die Herausforderungen der Vergangenheit?
Es dauerte bis in die 1960er/70er-Jahre, bis die im Westen vorherrschenden Ansichten über den «Orient» in die Kritik gerieten. Man stellte fest, dass sowohl die Wissenschaft über den «Orient», also die Orientalistik, wie auch die öffentliche Meinung über die Gebiete östlich von Europa und deren Bewohnerinnen und Bewohner stark von solchen Stereotypen und Vorurteilen geprägt waren. Die Orientalistik wurde in der Folge stark erneuert. Es kam beispielsweise die Frage auf, ob die abschätzigen Anschauungen über den «Orient» nicht kolonialen Ansprüchen auf das Gebiet geschuldet waren, die so leichter legitimiert werden konnten.

Wie sieht das heute aus?
Seit Beginn der 2000er-Jahre stellen wir einen starken Anstieg von anti-muslimischen Ressentiments in der öffentlichen Debatte fest. Nachdem in den 1990er-Jahren noch vor allem rechtspopulistische Parteien mit Vorurteilen und Klischees über Musliminnen und Muslime und Islam in den politischen Diskussionen operiert haben, sind solche Vorstellungen inzwischen in der Mitte der Gesellschaft angelangt. Vor dem Hintergrund globaler Entwicklungen wie Terrorismus, Migration und Flucht sind Pauschalisierungen, Bedrohungsszenarien und Feindbilder zum festen Bestandteil der Wahrnehmung und des Umgangs mit Musliminnen und Muslime geworden. In den Vorstellungen ihrer fundamentalen Andersartigkeit erhalten insbesondere Religion und Kultur eine herausragende Bedeutung und werden dabei «kulturalisiert». Mit anderen Worten, es wird davon ausgegangen, dass Musliminnen und Muslime eine homogene Gruppe bilden, die anders sei und sich nicht verändern könne: Es gebe den Muslimen, die islamische Religionsgemeinschaft oder den Islam und ihnen sei gemeinsam, dass sie keinerlei Entwicklungen und Wandlungen durchmachen.

Wie kann Islamophobie eine Weiterentwicklung von Orientalismus sein?
Im Vergleich zum Orientalismus sind von Islamophobie vor allem muslimische  Bevölkerungsgruppen betroffen, die in den europäischen und nordamerikanischen Gesellschaften leben. Zwischen dem Orientalismus des 19. und frühen 20. Jahrhunderts und dem Umgang mit Islam und muslimischer Migration bestehen jedoch zahlreiche historische und inhaltliche Kontinuitäten. Gerade die Vorstellungen und Deutungen des «orientalischen Anderen» oder eben des «muslimischen Fremden» erweisen sich aus einer Perspektive der longue durée als langlebig und zäh. Aber die Frage nach den Kontinuitäten wird in der Wissenschaft durchaus kontrovers diskutiert und sicher auch an der zu debattieren geben.

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  • Die findet am 20./21. Oktober statt
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Revue de presse – avril 2016 /alma-georges/articles/2016/revue-de-presse-avril-2016 /alma-georges/articles/2016/revue-de-presse-avril-2016#respond Fri, 13 May 2016 13:26:27 +0000 http://www3.unifr.ch/alma-georges/?p=2439 L’Université de Fribourg dans la presse du 31 mars au 30 avril 2016.

«Das Verhältnis der monotheistischen Religionen zur Gewalt ist schon immer ambivalent und widersprüchlich gewesen.»
, Leiter des Schweizerischen Zentrums für Islam und Gesellschaft, , 29.4.2016

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«Die rätoromanische Sprache ist kein Pflegefall.»
, Professor für Rätoromanisch, , 29.4.2016

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«La formation des imams en Suisse ou en Allemagne pourrait empêcher la radicalisation et rendre le financement plus transparent. Les imams pourraient étudier en Allemagne et suivre des formations continues en Suisse. En outre, il est du devoir des associations d’approfondir la formation pratique de leurs imams. Ce serait une contribution à la lutte contre la radicalisation et la coexistence constructive.» , directeur du Centre Suisse Islam et Société, , 28.04. 2016

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«A l’époque, nous pensions que les réseaux étaient destinés aux produits commerciaux. Mais les expériences des universités américaines nous ont convaincus de leur utilité pour une institution. Le site Internet joue certes un rôle important, mais les réseaux apportent une plus grande visibilité et un potentiel de communication énorme.»
– , co-responsable de la communciation à la Faculté des sciences économiques et sociales, , 20.04.2016

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«Il faut soigner cette voie-là [le gymnase], car l’université a un rôle culturel: c’est un espace de recul et de liberté pour l’auto-analyse de la société. Les jeunes qui y arrivent ont appris la manière d’approcher les problèmes, grâce aux mathématiques et à l’histoire par exemple. Dans la vie, on doit savoir prendre de la distance avant de prendre une décision. Il faut aussi avoir des connaissances de base auxquelles rattacher des événements et, lorsqu’on en a besoin, savoir où chercher.»
– , rectrice, , 25.04.2016

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«Die Schweiz ist reicher, als es diese Zahlen zeigen.»
– , Leiter des Seminars für Finanzwissenschaft, , 26.4.2016

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«L’Autriche est le seul pays en Europe qui a un parti – le FPÛ – qui n’a jamais rompu avec le nazisme.»
, professeur en Etudes Européennes, , 26.04.2016

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«Heimweh sollte nie ein Grund sein, einem Kind ein Lager vorzuenthalten.»
, Psychologin am Institut für Familienforschung und –beratung, , 25.4.2016

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«Es geht vielmehr um soziale und um Schweiz-spezifische Fragen. Dazu gibt es vonseiten muslimischer Verbände und Imame ein grosses Interesse.»
– , Leiter des Schweizerischen Zentrums für Islam und Gesellschaft, zum Weiterbildungsprogramm für Imame, , 24.4.2016

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«L’Union a été bâtie trop vite et de façon superficielle, ce qui la mène aujourd’hui au bord de l’éclatement – Grexit, Brexit. Elle se résume à une union monétaire, alors qu’il faudrait une union politique aussi pour qu’elle fonctionne.»
– , professeur au Département d’économie politique,, 23.04.2016

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«On ne peut pas parler de drogue, mais presque: recevoir un upvote, c’est comme un petit chocolat, ça booste, et on en veut à nouveau.»
Andreas Fahr, professeur au Département des sciences de la communication, à propos du réseau social Jodl, , 22.04.2016

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«La crise économique de l’Euroland ainsi que la crise des migrants et le terrorisme islamiste qui frappent l’Europe ne vont pas disparaître tant que l’idéologie dominante sera celle qui vise à réduire, sans solution de continuité, le ‹coût du travail› afin d’augmenter sans cesse le rendement du capital financier, ignorant les règles de la méritocratie au détriment de l’intérêt général. Tant que la radicalisation néolibérale de la pensée économique évitera coûte que coûte de considérer la cause finale de la situation de crise et de terreur en Europe, la haine autodestructrice mortelle l’emportera sur tout le reste. Asinus asinum fricat…»
–, professeur au Département d’économie politique, , 21.04.2016

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«Rappeler l’‹idéal› permet de poser les bonnes questions dans chaque contexte et de trouver quel est le ‹meilleur choix possible›. Mais le souverain pontife invite à valoriser tout ce que les autres types d’union et de famille comportent de vrai, de bon, de stable pour que chacun-e puisse se sentir intégré-e dans l’Eglise, reconnu-e et entendu-e dans sa liberté et sa responsabilité, et invité-e à poursuivre son chemin de conversion permanente. Sur cet arrière-fond, un discernement peut s’opérer. Distinguer les relations homosexuelles des mariages sacramentels entre une femme et un homme ne signifie pas rejeter les premières. Plutôt que le slogan du soi-disant ‹mariage pour tous›, François préférerait sans doute celui de ‹l’amour pour tous›.»
– , professeur au Département de théologie pratique, , 20.04.2016

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«Les stéréotypes nous permettent de pallier nos capacités mentales qui sont relativement limitées. C’est simplement que cela nous prendrait énormément de capacité pour traiter toute l’information qu’on a autour de nous. Donc on utilise des simplifications du monde qui nous permettent d’évoluer sans avoir tout le temps mal à la tête.»
– , lecteur au Département de psychologie, RTS La Première, , 20.04.2016

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«Bei einem Bau, der schon ewig lang steht, sollen die Behörden gemäss Verwaltungsrecht mit Augenmass handeln.»
Peter Hänni, Professor für Verwaltungsrecht, zur Berner Gemeinde, die nachträglich Baugesuche für kleine Hütten und Ställe forderte, , 19.4.2016

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«J’aimerais que l’Allemagne ait un jour son Coluche.»
– , professeur en Etudes Européennes, RTS la Première, , 18.04.2016

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«Bei Zwangsmassnahmen gibt es keine Erfolgsgarantien.»
Christof Riedo, Strafrechtsprofessor, zur Berner Strafverfolgung, , 18.4.2016

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«Les vidéos de propagande [de l’EI] sont systématiquement développées à l’intention d’un certain public. Celles qui s’adressent aux Français ne sont pas les même que celles qui s’adressent aux Néerlandais, aux Palestiniens ou aux Somaliens. Elles partent toujours des conditions structurelles à partir desquelles la personnes se sent exclue pour conforter son image de victime et lui proposer un autre projet de vie. Cela se passe essentiellement sur Internet. A ma connaissance, il n’y pas de prêches qui vont dans ce sens dans les mosquées.»
– , responsable de la recherche au CSIS, RTS LA Première, , 16.04.2016

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«Die Vorurteile nehmen zu.»
– , Soziologin, zu muslimischen Kindern im Schulzimmer, , 10.4.2016

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«L’adultère est courant dans les jeunes générations qui se caractérisent par un sérieux moins prononcé dans leur implication dans une relation.»
– , professeur au Département de psychologie, , 08.04.2016

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«Ganz klar, die Schweiz müsste bei der EU-Asylpolitik mitziehen.»
– , Professor für Europastudien, zum Verteilschlüssel für Asylbewerber, , 7.4.2016

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«Il sera nécessaire de développer une toujours plus grande compréhension de ce que l’informatique peut apporter aux métiers de la communication, et des changements que la révolution numérique induit, notamment au niveau de la régulation et de la protection des jeunes. Mais aussi de ce qu’elle implique comme changements pour les médias.»
Manuel Puppis, président du Département des sciences de la communication et des médias, , 07.04.2016

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«Avec le revenu de base, on libère des forces créatrices.»
– , professeur au Département d’économie politique, RTS1, , 06.04.2016

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«Gerade in einer Zeit der Informationsüberlastung bleiben neue Logos und Auftritte beim Kunden so oder so schlecht hängen.»
Prof. Silke Bambauer-Sachse, Inhaberin des Lehrstuhls für Marketing, zum Rebranding der Bank Valiant, , 6.4.2016

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«Le dialogue islamo-chrétien n’est donc pas une ‹branche à option› pour la Faculté de théologie et l’Université de Fribourg, mais une nécessité, selon le vœu-même du Magistère catholique. Afin de favoriser l’intégration effective dans la société suisse de nos frères et soeurs en humanité de tradition musulmane, et donc d’approfondir la connaissance mutuelle du christianisme et de l’islam. C’est pour cela que nous ne parlons pas d’un ‹Centre islam› de l’Université, mais d’un ‹Centre islam et société›.»
– , professeur au Département de théologie pratique, , 06.04.2016

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«Bei Zahlungen mit mobilen Geräten ist es unmöglich, vollumfängliche IT-Sicherheit zu garantieren.»
– , Professor für Makroökonomie und Geldwirtschaft, zur Relevanz von Bargeld, , 5.4.2016

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«Angesichts dieser Resultate beurteile ich die Thurgauer Pläne sehr skeptisch.»
– ,
Professor am Institut für Mehrsprachigkeit, zur Abschaffung des Frühfranzösisch im Thurgau, , 2.4.2016

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«L’insécurité dure trop longtemps. J’entends, par exemple, dire que des professeurs renoncent à venir travailler dans les universités suisses, car ils ne sont pas sûrs de pouvoir participer aux projets de recherche européens.»
– , rectrice, , 31.03.2016

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«II ne faut jamais oublier qu’à la fin de la chaîne d’innovation se trouvent des produits concrets! Pour parvenir à implémenter avec succès une idée dans un produit, il est essentiel que les partenaires académiques et industriels maintiennent un contact étroit.»
– , directeur associé de l’Institut Adolphe Merkle, , 31.03.2016

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Jihad au féminin /alma-georges/articles/2015/djihad-au-feminin /alma-georges/articles/2015/djihad-au-feminin#respond Thu, 05 Nov 2015 06:47:07 +0000 http://www3.unifr.ch/alma-georges/?p=1156 Le phénomène interroge et interpelle. Pour le comprendre, il faut impérativement dépasser les idées préconçues. La sociologue des religions Géraldine Casutt s’intéresse aux jeunes Européennes qui partent faire le jihad. Son travail propose des pistes concernant leurs motivations et des ébauches de solutions pour aider les familles. 

Le départ de certains jeunes, musulmans ou récemment convertis, est un phénomène relativement nouveau dans nos sociétés occidentales. L’islam, en passe de radicalisation, et la création d’un Etat islamique attirent des adolescents qui décident de participer au jihad, souvent à l’insu de leurs propres familles. Cette attraction dangereuse ne touche pas uniquement les garçons…

Dans sa thèse de doctorat en Science des religions, Géraldine Casutt, assistante à l’Université de Fribourg, se penche sur la question: «comment être jihadiste en tant que femme?». Elle s’intéresse, d’une part, aux filles qui quittent tout pour rejoindre les jihadistes et, d’autre part, au désarroi et à la souffrance des familles qui ne comprennent plus leur enfant. Via les réseaux sociaux, elle parvient à établir et à maintenir le contact avec quelques jeunes filles avant et après leur départ en Syrie; sa démarche scientifique, neutre et sans jugement, ainsi que le choix déontologique de ne pas masquer sa véritable identité, permet à la sociologue des religions d’instaurer un climat de confiance, précieux pour rassembler des témoignages et poser des questions sur leurs motivations. Le lien entre l’individu et le religieux apparaît alors très vite et sert de fil rouge à sa réflexion et à son analyse du phénomène.

Conférence sous surveillance

La radicalisation est un thème d’actualité et les termes «islam» et «jihad» sont à manier avec précaution. Afin d’éviter les étiquettes trop tenaces et les amalgames malheureux, le choix des mots et des définitions se révèle extrêmement important. C’est dans cette perspective que Géraldine Casutt est amenée à collaborer avec des spécialistes issus de différentes disciplines. Elle a récemment invité le journaliste David Thomson et l’expert du salafisme Samir Amghar à donner une DzԴéԳ commune, intitulée «La religion du jihad et le jihad comme religion: quelle place pour l’argument religieux dans les motivations des candidats au jihad en Syrie?», à l’Université de Fribourg. Devant un auditoire comble, discrètement surveillé par des policiers prêts à intervenir à tout moment, les conférenciers ont donné leur avis, entre autres, sur la justification religieuse du jihad et du départ en Syrie, du point de vue des acteurs. Dans une ambiance calme et respectueuse, ils ont ensuite répondu aux questions du public.

Une telle DzԴéԳ aurait difficilement pu être organisée en toute sérénité en France; paradoxalement, dans ce pays hyperlaïque, la question religieuse en lien avec l’intégration occupe le devant de la scène médiatique et politique de manière récurrente. Les Suisses, moins touchés que leurs voisins par les départs des jeunes en Syrie, se posent en observateurs, tout en cherchant des informations qui leur permettront de se forger une opinion. Car là réside toute l’ambigüité du phénomène: tout le monde, aussi bien spécialiste que citoyen lambda, a un avis sur l’islam, l’intégration des musulmans, la radicalisation, la montée au pouvoir de l’Etat islamique, le terrorisme ou le jihad, mais personne n’est capable de relativiser un débat compliqué et très émotionnel.

Le jihad: une affaire d’hommes?

Si, du côté de l’opinion publique, on parvient à établir un lien entre les hommes et le jihad, à travers le cliché bien ancré d’un masculin plus enclin à la violence et donc attiré par le combat, on n’envisage pas, en revanche, qu’une femme puisse volontairement choisir cette voie. Il est plus commode de penser qu’elles sont victimes, et non pas actrices et qu’elles ont forcément été manipulées par des hommes dans un contexte patriarcal propre à l’islam. Difficile de se représenter qu’une femme peut aussi être un facteur de radicalisation pour un homme. Le besoin, rassurant et acceptable, de considérer le départ des jeunes filles comme des cas particuliers et de réfléchir en termes de clichés, est bien présent. Impossible d’imaginer que le rapport à la violence illégale est le même pour les deux sexes et que seules la construction et la représentation distinguent les hommes des femmes. Leur rôle au sein du jihad est certes différent, mais la conviction reste la même. Epouses et mères, elles ne combattent pas; leur participation au jihad est perçue comme secondaire, mais pas leurs motivations. Précisons que certain-e-s considèrent l’immigration en terre de califat comme le sixième pilier de l’islam, tant cet acte est perçu comme important et nécessaire à la fois comme devoir religieux et pour son propre salut.

Phénomène religieux ou social?

Pour Géraldine Casutt, il convient de considérer les jihadistes avant tout comme des êtres humains et pas uniquement comme des terroristes; des personnes inscrites dans une société occidentale, la nôtre, qui leur fait miroiter des possibilités infinies, alors que la réalité est tout autre. La chercheuse est convaincue qu’on est en présence d’un phénomène social dans lequel l’aspect religieux joue un rôle explicatif important. Parler du départ pour le jihad dans la sphère publique permet donc de réaliser que ce choix est rationnel et ne tient pas uniquement du lavage de cerveau, comme le prétendent certains. En ce qui concerne les motivations de ces jeunes femmes, on peut citer, entre autres, un attrait général pour la discipline et une forme d’austérité, proposées dans l’islam radical, leur permettant de marquer leur opposition envers un monde occidental en perdition parce que trop laxiste. En se soumettant à des normes et des valeurs, reçues directement de Dieu, elles ont  l’impression de se rapprocher de leur spiritualité. Elles expriment aussi la volonté de participer à un nouveau type de société, considérée comme plus juste, puisque fondée sur des principes divins, et au sein de laquelle chaque sexe aurait une place et un rôle bien définis. La complémentarité y serait garante d’un ordre social et religieux équilibré. Finalement, elles évoquent fréquemment le désir fort de prendre part à un moment historique, à savoir la création du califat qui sera le théâtre de la fin des temps.

Face aux médias, en recherche de pathos et d’un spectacle parfois morbide, qui traitent ces départs pour la Syrie comme un phénomène de mode, et contre les clichés populaires qui ne voient dans l’islam que la violence et la non-intégration avec une tendance à l’ériger au statut d’ennemi de la liberté et de la paix, une réflexion scientifique, objective, neutre et dépourvue d’apriori favorise une prise de conscience sociale globale. Géraldine Casutt constate que ce choix fascine et interroge les citoyens occidentaux et que, si des DzԴéԳs sur cette thématique attirent autant de monde, c’est parce que les gens veulent comprendre pour prévenir ces départs. Ils s’inquiètent de savoir ce que ces jeunes vont faire sur place, quelle menace potentielle ils représentent pour l’Europe et, surtout, quelle sera leur situation dans la société à leur retour.

Loin des clichés

Afin de désamorcer des clichés tenaces, Géraldine Casutt a décidé de s’intéresser également aux parents de ces adolescentes et aux mères en particulier. Jugées par l’opinion publique comme mauvaises, puisqu’elles représentent l’échec dans l’éducation de leur enfant, elles sont sans cesse confrontées à des critiques, parfois très violentes, provoquant des dégâts majeurs dans ces familles déjà dévastées. Pour la sociologue des religions, le jihadisme n’est pas nécessairement la continuité d’un parcours délinquant préexistant et les parents ne sont que rarement responsables des départs de leurs enfants. Il faudrait plutôt les considérer comme des victimes, presque des dommages collatéraux. En France, par exemple, les accusations sont dirigées contre la cellule familiale, alors qu’on attribue à l’Etat un rôle de gendarme plutôt que celui d’un éducateur à l’esprit critique. Pourtant, la chercheuse constate que les écoles et les institutions ont également un rôle à jouer.

Pour faire face à cette détresse, des groupes de soutien s’organisent en France et en Belgique, mais ils sont le fruit d’initiatives personnelles, les structures officielles persistant à envisager et à traiter le jihadisme comme des cas de délinquance juvénile, pour lesquels les parents sont toujours tenus pour responsables. C’est en privé, mais aussi dans ces associations, mises en place par des parents démunis, que Géraldine Casutt peut entendre ce que les mères ont à dire. Elle est parvenue à gagner leur confiance et à recueillir leurs confidences, tout aussi précieuses que les témoignages des jeunes filles parties en Syrie. En Suisse, pays moins touché par ce phénomène, de telles structures de soutien peinent à s’organiser.

Un dernier cliché reste encore à désamorcer: celui de penser qu’il y a une recette miracle à la déradicalisation. Là encore, Géraldine Casutt estime que la panacée n’existe pas et qu’un travail ne pourra se faire qu’au cas par cas, en proposant des solutions individuelles et non pas globales.

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Link:

  • Communiqué de presse de l’Unifr présentant la thèse de Géraldine Casutt.
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