Islam – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Fri, 07 Jun 2024 11:36:27 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 Terre sainte: cartographier le sacré au-delà des clivages /alma-georges/articles/2024/terre-sainte-cartographier-le-sacre-au-dela-des-clivages /alma-georges/articles/2024/terre-sainte-cartographier-le-sacre-au-dela-des-clivages#respond Fri, 07 Jun 2024 10:02:41 +0000 /alma-georges?p=20369 Porté par l’Université de Fribourg, le projet Holy Networks s’attelle à l’étude d’un corpus de 400 lieux saints en Palestine. Son but: faire dialoguer les traditions historiographiques et proposer un nouveau cadre interprétatif du sacré dans la région.

Bien qu’aujourd’hui traversée par les violences et les conflits, la Terre sainte n’en demeure pas moins le terreau d’une dévotion multiséculaire pour les fidèles des trois religions abrahamiques. Derrière les lignes de fractures: un réseau de lieux saints, objets de vénération parfois partagés entre juifs, musulmans et chrétiens. L’étude de ces loca sancta sont au cœur du projet de recherche Holy Networks, démarré en avril 2024 par l’Université de Fribourg, et qui réunira une dizaine de chercheurs et chercheuses et issu·e·s de différents horizons de recherche, culturels et temporels.

«Notre objectif, par l’étude d’un corpus de 400 lieux saints, consiste à faire dialoguer les différentes traditions historiographiques afin de proposer un cadre interprétatif renouvelé de la Terre sainte», résume Michele Bacci, professeur ordinaire d’histoire de l’art médiéval à l’Université de Fribourg. Coordinateur de cette recherche prévue sur cinq ans et financée par le Fonds national suisse (SNSF Advanced Grants), il relève le pont symbolique que permet ce projet, dans une région où les communautés sont aujourd’hui divisées.

Approche transversale
«Notre recherche s’intéresse notamment à la manière dont ces différentes cultures ont cohabité par le passé, dans une région investie de longue date sur les plans spirituel, culturel, mais aussi politique» Pour mener ses recherches, effectuées essentiellement depuis Fribourg, Michele Bacci et son équipe pourront compter sur les riches fonds d’institutions comme le Studium Biblicum Franciscanum ou l’Ecole biblique archéologique française à Jérusalem. Dans une Terre sainte déjà passablement labourée par les projets de recherches, Holy Networks se démarque par sa transversalité et sa volonté de mettre en lien des données nombreuses, mais qui demeurent souvent fragmentaires. Car c’est un paradoxe: les fouilles et descriptions réalisées au fil des siècles ont généré une importante masse de données, mais ces dernières se retrouvent aujourd’hui éparpillées entre différentes aires culturelles (juive, musulmane, chrétienne latine, grecque, arménienne, etc.).

Sept siècles sous la loupe
«Une telle recherche est facilitée par Internet, grâce à la consultation de manuscrits et livres rares en ligne», précise Michele Bacci. Si l’accès aux ressources est aisé, deux bornes temporelles baliseront le travail des chercheur·euses. «Nous nous pencherons sur la période islamique post-croisée, soit une durée de sept siècles qui va de la reconquête de Jérusalem par Salah ad-Din en 1187, à l’établissement du soi-disant statu quo par le sultan ottoman Abdülmecid en 1852», explique Michele Bacci. Ce qui rend cette période intéressante, c’est que les non-musulmans avaient alors l’interdiction d’ériger de l’architecture nouvelle et de restaurer ce qui existe. Michele Bacci s’intéresse particulièrement à la domination mamelouke, du milieu du XIIIe au début du XVIe siècle. «A ce moment, les lieux saints se multiplient, mais s’émancipent de l’architecture. Si dans les faits, il était interdit aux chrétiens et aux juifs de monumentaliser, ceux-ci pouvaient maintenir l’existant», fait remarquer le chercheur. On se met ainsi à vénérer une pierre sur laquelle la Vierge Marie se serait reposée lors de la Passion ou un arbre à l’ombre duquel la Sainte Famille se serait arrêtée. Autant de «portions de paysage», qui matérialisent le souvenir d’un épisode sacré.

Saintes au carrefour des traditions
Des sites, comme le tombeau de Rachel sur la route de Bethléem, sont vénérées par les trois religions abrahamiques. Il arrive que les différentes traditions réinvestissent ces lieux à leur manière. Michele Bacci cite l’exemple, sur le Mont des Oliviers, d’un tombeau attribué à trois femmes différentes. «Les juifs y vénèrent la prophétesse Hulda, mentionnée dans l’Ancien Testament au temps du roi Josué, là où les musulmans célèbrent Rabi’a al-Adawiya, figure soufie du VIIe siècle. Les chrétiens y prient quant à eux sainte Pélagie d’Antioche, prostituée, actrice et danseuse convertie au christianisme.»
Contrairement à la pratique en Occident, où l’on vénère habituellement des statues, des images ou des objets, la dévotion en Terre sainte se démarque par le fait que l’attention est dirigée vers des «morceaux» de sol ou de paysage: un trou dans un pavement, un rocher ou un arbre. «Comment ces lieux se distinguent-ils de ce qui les entoure ? C’est cette perspective anthropologique qui nous intéresse», relève Michele Bacci. Les chercheur·euses s’arrêteront sur les dispositifs d’encadrement qui indiquaient qu’il s’agissait d’un lieu saint.

Comment se vivait l’expérience du sacré?
Outre cette approche «en creux», par laquelle un lieu saint se donne à voir par ce qui l’entoure, une attention sera mise sur les stratégies déployées pour définir la nature sacrée de ces endroits (narrative, spatiale, performative, rituelle). Par exemple, concernant les dévotions, des prières étaient-elles lues de manière collective? «Il existe une quantité infinie de textes qui n’ont jamais été recueillis de manière systématique», souligne l’universitaire.

Ces morceaux de territoire sacralisés ne sont pas isolés les uns des autres. Des routes et des chemins qui relient les principaux sites émerge une topographie sacrée dynamique. «Dans l’expérience de ces lieux, il y a aussi, pour le pèlerin, le mouvement qui les relie», rappelle Michele Bacci. Dans certains cas, il s’agit d’une pratique mémorielle, à l’image du tracé Bethléem-Jérusalem qui permet de «revivre» le parcours de Marie, Joseph et l’Enfant Jésus.

Le mouvement, objet de dévotion
«Par la fatigue, l’effort, le mouvement devient lui-même un objet de dévotion», considère encore le chercheur. Le projet Holy Networks entend d’ailleurs reconstituer cette dimension du corps en déplacement, que ce soit à pied ou à cheval, par une simulation digitale qui permettra de se rendre compte de cette temporalité. «C’est un travail qui n’a jamais été fait!», insiste Michele Bacci. Une reconstitution d’autant plus précieuse que la localisation des loca sancta s’est compliquée par endroits, du fait de l’altération du paysage. C’est le cas du champ dit «de pois chiches pétrifiés», dont on raconte que la Vierge (ou le Christ selon les versions) y aurait transformé les pois chiches d’un cultivateur en cailloux. Ce champ aurait existé jusqu’à la première moitié du XXe siècle, pour finalement disparaître, traversé aujourd’hui par le mur de séparation.

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Muslim_in sein in Zeiten der Superdiversität /alma-georges/articles/2023/muslim_in-sein-in-zeiten-von-superdiversitat /alma-georges/articles/2023/muslim_in-sein-in-zeiten-von-superdiversitat#respond Thu, 04 May 2023 13:34:15 +0000 /alma-georges?p=18149 Wie finden sich Muslim_innen in einer pluralistischen Gesellschaft zurecht? Das Schweizerische Zentrum für Islam und Gesellschaft (SZIG) der Universität Freiburg geht mit dem Projekt «Diversität und Orientierung» dieser Frage nach – und arbeitet Antworten heraus, die in den Bereichen Bildung und Seelsorge in der Praxis helfen können.

«Islam wird in der Regel nicht mit Diversität in Verbindung gebracht. Islamische Praktiken und Glaubensinhalte werden oft als unvereinbar mit gesellschaftlicher Pluralität dargestellt», sagt Dominik Müller. Er ist Teil eines jungen Projekts des SZIG, das genau das ändern will. Ein sechsköpfiges Team versucht unter dem Begriff «Diversität und Orientierung» aus einer sozialwissenschaftlichen, aber auch islamisch-theologischen Reflexion heraus Ressourcen für den Umgang mit Vielfalt in der Gegenwart herauszuarbeiten. Einerseits werden in dem Projekt konkrete Umgänge mit Diversität empirisch erforscht und andererseits Ressourcen aus muslimischen Traditionen systematisch erschlossen.

Ülappung von Identitäten
Es stellt sich als Erstes die Frage: Warum braucht es dieses Forschungsprojekt? Warum wird der Islam selten mit Diversität in Verbindung gebracht? «Religionen haben im Kern immer einen exklusiven Wahrheitsanspruch», sagt Professor Amir Dziri, der das Projekt leitet. «In der Praxis sind die Leute aber jeweils nicht nur Teil einer Religion, sondern auch einer Kultur, einer Sprachgemeinschaft, einer Ethnie usw. Diese Ülappung von Identitäten schafft einen Ausgleich zu dem exklusiven Wahrheitsanspruch.» Das gilt erst recht für säkulare Gemeinschaften wie der schweizerischen. «Wir leben in Zeiten von Superdiversität. Es ist deshalb interessant zu untersuchen, wie sich die Menschen in diesem Umfeld als Muslime definieren», sagt Sébastien Dupuis, der sich innerhalb des zweisprachigen Projekts mit der Romandie auseinandersetzt.

Projektleiter Prof. Amir Dziri / ©stemutz.ch

Kompromisse gehören zum islamischen Alltag
Nebst innermuslimischer Diversität steht deshalb das Aushandeln von Islamizität im Kontext des pluralen schweizerischen Gesellschaftsrahmens im Fokus. Dominik Müller nennt ein Beispiel, auf das er in seiner Dissertation gestossen war. Ein junger muslimischer Mann hatte ein Jobangebot von einer Zürcher Bar, in der natürlich auch Alkohol ausgeschenkt wurde – und stellte sich die Frage, ob er diesen Job annehmen dürfe. Er wandte sich mit der Frage an einen Theologen, der sich daraufhin eines islamrechtlichen Instrumentes bediente, um dem jungen Mann eine Rechtsauskunft zu erteilen. Der Gelehrte erklärte dem Mann, er dürfe angesichts seiner prekären finanziellen Situation den Job annehmen, weil es wichtig für die Familie sei, dass er seinen Lebensunterhalt bestreiten könne. «Das Beispiel zeigt, dass durchaus Ambiguitätstoleranz vorhanden ist. Diversität war immer schon Gegenstand muslimischen Alltagslebens und islamischer Gelehrtentradition.»

Engagiert und partizipativ
Bei dem Projekt, das von der Stiftung Mercator Schweiz gefördert wird, geht es deshalb nicht bloss darum, den Ist-Zustand zu beschreiben. Sich den grossen Fragen anzunähern wie: Was hält eine Gesellschaft zusammen? Ist Religion eine Ressource, um sich zurechtzufinden? Oder ein Hindernis? Schafft sie Integration? Oder Abgrenzung? Es geht auch darum, den Menschen, die in den Bereichen Bildung und Seelsorge arbeiten, Wissen und damit wichtige Werkzeuge für den Alltag zur Verfügung zu stellen. «Wir betreiben eine engagierte, partizipative Forschung. Wir gehen auch raus und sprechen mit Leuten, die einen normalen nicht-akademischen Alltag leben», sagt Amir Dziri. «Am Ende ist es ein intensiver Austausch, bei dem wir eine akademische Expertise anbieten, die im Alltag selbst Orientierung schafft. So übernehmen wir gesellschaftliche Verantwortung, indem wir die Diskussion mit abgesicherten Befunden von Leuten begleiten, die sich systematisch mit den jeweiligen Fragen auseinandergesetzt haben.»

Geschlechtliche und sexuelle Diversität ebenfalls Thema
Der Begriff Diversität ist derzeit in westlichen Gesellschaften oft in erster Linie mit sexueller- und geschlechtlicher Diversität konnotiert. Im Projekt des SZIG steht das Thema zwar nicht im Vordergrund, ist aber durchaus präsent. «Das Geschlecht ist eine wichtige Ressource im Orientierungsprozess. Gender und Transidentität sind Teil der Erfahrungen, die junge Muslime machen, und es ist deshalb wichtig zu verstehen, wie islamisch-theologische Ülegungen mit diesen Herausforderungen umgehen, ohne dass wir davon ausgehen, dass sie unvereinbar sind», erklärt Sébastien Dupuis.

«Die jungen Menschen müssen sich gegen viele Einflüsse wehren. Natürlich gibt es islamische Auslegungen, die restriktiv sind, bestimmte Idealliteratur, die von Ausschlüssen ausgeht, wenn es um die sexuelle Orientierung und das Muslimischsein geht», sagt Amir Dziri.  «Diversität und Hybridität sind Realitäten Jahrhunderte alter muslimischer Kulturgeschichte, und das ist auch heute nicht anders. Das gehört zu den wichtigen Grundannahmen innerhalb des Projekts.»

Ohne Scheuklappen
Es ist eine Herangehensweise ohne Scheuklappen. «Wir leben in Zeiten von Informationsüberfluss. Das gilt auch in Bezug auf islamische Orientierungsangebote. Im Internet gibt es sehr viele verschiedene Meinungen, dazu gehören auch autoritative Stimmen», sagt Dominik Müller. «Die vielen verschiedenen Blickwinkel können zu Üforderung führen. Diese Komplexität, sowie der mediale und politische Druck, der auf muslimischen Gemeinschaften in der Schweiz lastet, der auch mit Stigmatisierung und Vorverurteilung einhergeht, erhöhen die Wahrscheinlichkeit, dass die Gemeinschaft auf den Status quo zurückgreift.»

Dem will das Projekt, das noch bis 2026 läuft, entgegenwirken. Was möchten die Forschenden dannzumal rückblickend sagen können? «Dass wir mitgeholfen haben, die Diskussion weg von einer defizitzentrierten hin zu einer ressourcenorientierten Betrachtung zu führen», sagt Müller. Und Dupuis ergänzt: «Dass wir es geschafft haben, die Komplexität der Frage in den Vordergrund zu rücken.» Letztlich versucht das Projekt aufzuzeigen, was der Islam eben auch ist: divers!

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«La radicalité islamiste est souvent liée à un historique qui a dégénéré» /alma-georges/articles/2023/la-radicalite-islamiste-est-souvent-liee-a-un-historique-qui-a-degenere /alma-georges/articles/2023/la-radicalite-islamiste-est-souvent-liee-a-un-historique-qui-a-degenere#respond Tue, 17 Jan 2023 14:01:45 +0000 /alma-georges?p=17367 Dans son dernier livre, Anne-Clémentine Larroque met en lien l’extrémisme islamiste avec une transmission incomplète de l’identité culturelle chez les descendant·e·s d’immigré·e·s. L’historienne française exposera sa thèse au public le 27 janvier à l’Unifr.

«J’vous l’jure sur le Coran de la Mecque!» Cette expression populaire, Anne-Clémentine Larroque l’a entendue à maintes reprises alors qu’elle enseignait dans un lycée français fréquenté par des élèves issus de territoires défavorisés. A chaque fois, elle a été interpelée par ce vernis religieux censé légitimer les propos de leurs auteurs·trices. Cet exemple, qui concernait certes des jeunes non-fondamentalistes, a fait prendre conscience à l’historienne à quel point l’islam peut servir de refuge. Il est au cœur d’un travail d’analyse qui a débouché sur le livre Le trou identitaire: sur la mémoire refoulée des mercenaires de l’Islam, paru en 2021 aux Presses universitaires de France.

Le 27 janvier prochain, la spécialiste de l’idéologie islamiste, qui collabore notamment avec le Ministère français de la Justice, donnera une DzԴéԳ à l’Université de Fribourg intitulée «Le trou identitaire: les ressorts de la radicalité islamiste, de la Syrie aux tribunaux français». Ouvert au public, cet évènement s’inscrit dans le cadre de la remise des diplômes de la deuxième volée du CAS «Prévenir les extrémismes. Idéologies, religions et violence(s)» (voir encadré), auquel Anne-Clémentine Larroque a participé en tant qu’intervenante.

D’où vient votre intérêt pour l’idéologie islamiste en particulier, et l’Islam en général?
J’ai attaqué mes études à Sciences Po Aix – une grande école dont l’un des axes est l’Islam et le monde arabe – juste après les attentats du 11 septembre 2001. A la base, je suis médiéviste et, très tôt, mes recherches ont porté sur l’Islam au Moyen Âge. Après mes études, j’ai d’abord travaillé deux ans comme chargée de mission pour la présidence de l’Institut du Monde arabe, à Paris. Ajoutez à cela les évènements géopolitiques liés au Printemps arabe dès 2011, ainsi que le fait que je viens d’une famille dans laquelle la décolonisation a été beaucoup thématisée, et vous comprendrez l’origine de ma spécialisation. A partir de là, les choses se sont en quelque sorte imposées à moi: chroniques sur France Inter, rédaction d’un «Que sais-je?» sur la géopolitique des islamismes, charge de cours à Sciences Po, poste auprès du Ministère de la Justice, etc.

Et votre livre sur la mémoire refoulée des mercenaires de l’Islam, dans quel contexte est-il né?
Cet ouvrage est le fruit de mon expérience dans les tribunaux français. J’ai commencé à travailler pour l’institution judiciaire en 2016, d’abord comme assistante spécialisée pour le Département anti-terroriste du Parquet général de la Cour d’appel de Paris, puis comme analyste-historienne pour le pôle anti-terroriste de l’instruction du Tribunal judiciaire de Paris. J’ai assisté à de nombreux interrogatoires et audiences, notamment à ceux – en criminel – liés à l’affaire Merah (ndlr: tueries de Toulouse et Montauban en 2012), à l’ex-cadre de Daech en Syrie Tyler Vilus et aux femmes de l’affaire dite «des bonbonnes de gaz». Ou à ceux – en correctionnel – du «logeur» des auteurs des attentats de Paris en 2015 et de nombreux retournés de Syrie. C’est cette place privilégiée d’observatrice qui a nourri mes recherches et m’a permis d’élaborer la thèse du «trou identitaire».

Dans quelle mesure le tribunal est-il un lieu privilégié d’observation?
Il existe un concept salafiste appelé «Al Wala Wal Bara», qui date du XIVe siècle et signifie «la théorie de l’alliance et du désaveu». Selon ce principe rigoriste, un musulman n’a le droit d’être loyal qu’envers ses coreligionnaires. Dans le même ordre d’idées, seule la justice de Dieu compte, tandis que la justice des hommes n’est pas digne de confiance. Lors du procès de ses actes en lien avec les attentats de Paris de 2015, Salah Abdeslam a clairement évoqué ce principe, même s’il a assisté aux audiences, ce qui n’est pas le cas de tous les djihadistes. Nombreux sont ceux qui ne viennent pas à leur procès ou refusent de parler. Bref, il se passe des tas de choses dans un tribunal, qui donnent des pistes de réflexion intéressantes.

Votre ouvrage est intitulé «Le trou identitaire»: qu’entendez-vous par là?
Le titre du livre est volontairement disgracieux. Ce trou fait référence à une chute brutale dans un mouvement idéologique dont on ne connaît pas tous les tenants et aboutissants. Il correspond, chez un individu, au rejaillissement barbare – sous la forme de la violence, du terrorisme – d’une mémoire datant de générations précédentes. Il concerne souvent des immigré·e·s de deuxième ou troisième génération qui n’ont pas fait l’objet d’une transmission saine ou complète de leur identité culturelle. Près de sept dossiers sur dix traités par les tribunaux français portent sur des personnes d’origine maghrébine. Le lien avec la décolonisation n’est donc pas anecdotique. Mon hypothèse, c’est qu’il s’est produit quelque chose au moment de l’immigration. Soit elle a été tue, soit elle n’a pas été bien expliquée. Dans tous les cas, elle continue à agir sur les générations suivantes, qui se sentent peu intégrées dans leur pays d’accueil tout en connaissant mal leurs racines.

Et la religion, dans tout ça?
Les individus concernés vont essayer de se fabriquer un lien à leurs racines en accordant une place exagérément grande à la religion, quitte à la transformer en idéologie. Leur identité musulmane devient leur seule vraie identité. Dans la foulée, ils entrevoient la possibilité de réparer leur trauma, de combler le trou. Cette idée est centrale. Et c’est elle que les mouvements extrémistes exploitent, même inconsciemment.

Y a-t-il des personnes davantage susceptibles que d’autres de tomber dans ce trou?
De nombreuses études ont cherché à savoir s’il existait un profil type du djihadiste. Leurs résultats invitent à se méfier des raccourcis: tous les individus qui ont recours à la violence au nom de l’Islam ne sont pas issus de familles-clichés à la Merah, où règnent délinquance et manque d’intégration. La réalité est plus nuancée. Il faut aller chercher du côté de l’héritage mal digéré, du rapport à la mémoire du pays d’origine, de l’inconscient collectif d’une civilisation arabo-musulmane en pleine transformation. A noter aussi que les moments de rupture – liés à un deuil, à un chagrin d’amour ou à une grave blessure sportive par exemple – sont propices à l’ouverture du trou.

Existe-t-il des outils de prévention efficaces?
En France, l’un des principaux champs d’action consiste en un travail de prévention et de détection dans les lieux potentiels de radicalisation: écoles, clubs sportifs, restaurants halal, etc. Il est important de connaître ces lieux, d’y sensibiliser et former le personnel et/ou d’y instaurer des référent·e·s laïcité et citoyenneté. Mais c’est une démarche relativement récente, puisqu’elle ne s’est mise en place qu’après les attentats de novembre 2015. Elle prendra du temps à déployer tous ses effets.

Vous avez évoqué un lien étroit entre radicalisation et décolonisation; peut-on partir du principe que d’ici quelques générations, lorsque l’ombre du passé colonial sera moins lourde, l’extrémisme diminuera de lui-même?
Ma thèse repose en effet sur l’idée qu’une partie importante de la radicalité islamiste est liée à un historique qui a dégénéré. Plus on s’éloigne de cet historique, plus le djihadisme devrait s’essouffler. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut se reposer sur ses lauriers et simplement «attendre que ça passe». D’autres radicalités sont toujours à l’affût et prêtes à s’immiscer. Je pense, par exemple, aux groupes identitaires d’ultra-droite ou aux mouvements excluant l’Autre de manière générale. Restons donc vigilants sans être méfiants!

Vos recherches sont logiquement axées sur la France. Vous avez néanmoins eu l’occasion d’observer la situation en Suisse…
L’un des éléments qui me frappe le plus en Suisse, c’est à quel point sa politique pénale antiterroriste diffère de celle de la France. La qualification d’association de malfaiteurs terroristes (AMT) n’a pas d’équivalent en Suisse, comme dans de nombreux pays d’Europe d’ailleurs. Et les peines demeurent en général beaucoup plus réduites qu’en France. Il faut dire que le contexte des menaces n’est pas le même dans les deux pays. D’une part, parce que la Suisse n’a pas un passé colonial en tant que tel. D’autre part, parce que contrairement à la France elle a jusqu’à présent été épargnée par des attentats d’ampleur liés à la mouvance islamiste. Le rapport au djihadisme y est donc indirect.

Indirect mais existant?
Oui. Notamment parce qu’il existe en Suisse un terreau idéologique assez fertile. On peut notamment citer les Frères musulmans très bien implantés à Genève ou le mouvement ahbache, moins connu, présent par exemple à Lausanne. Mais pour en revenir au terrorisme: un peu à l’image de la Belgique, la Suisse est un pays-passerelle, ne serait-ce qu’en raison de son système bancaire et ses possibilités d’incarner les bases arrières, notamment pour le financement. Et pour être honnête, je m’étonne que l’extrémisme religieux semble passer sous le radar en terre helvétique, voire ne pas être pris au sérieux.

Le CAS mis sur pied par l’Unifr, via son Centre suisse islam et société, va-t-il dans la bonne direction?
Absolument. Je trouve son ouverture internationale particulièrement intéressante. Celle-ci peut contribuer à créer une communauté d’acteurs engagés dans la prévention des extrémismes. Quitte à me répéter: ces idéologies, il faut les regarder en face. Mais c’est un travail de longue haleine, rendu d’autant plus délicat par le fait que nous vivons dans une société de l’immédiateté. Alors plus nombreux nous sommes à nous y atteler, plus les générations futures en tireront les bénéfices.

Un CAS pour contribuer à prévenir les extrémismes
Le CAS «Prévenir les extrémismes. Idéologies, religions et violence(s)», mis sur pied par le Centre suisse islam et société de l’Unifr, vise à former toute personne en Suisse romande qui souhaite être un interlocuteur de référence sur les phénomènes de radicalisation dans son contexte professionnel. Provenant de milieux sécuritaires, socio-éducatifs, judiciaires, carcéraux ou encore de la haute administration, les participant·e·s des deux premières volées ont pu bénéficier de l’expertise de conférenciers francophones, dotés de connaissances spécialisées dans le domaine des extrémismes et également au bénéfice d’une expérience pratique. Les travaux de diplôme des participant·e·s ont visé à développer des outils concrets pour améliorer leur pratique professionnelle dans le champ de la prévention de la radicalisation et des extrémismes violents en Suisse. La troisième volée aura lieu en présentiel de septembre 2023 à juin 2024, pour un total de 18 jours de formation. Les inscriptions sont ouvertes.

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«Tout le monde devrait avoir un ami musulman!» /alma-georges/articles/2021/tout-le-monde-devrait-avoir-un-ami-musulman /alma-georges/articles/2021/tout-le-monde-devrait-avoir-un-ami-musulman#comments Tue, 23 Nov 2021 06:55:29 +0000 /alma-georges?p=14806 Pour Jean-Jacques Pérennès, on ne voit le monde musulman qu’à travers une sorte de «brouillard géopolitique», fait de djihadisme et de terrorisme.  Nouer une amitié avec un musulman permettrait, en revanche, de voir au-delà du prisme déformant de l’actualité.  Sa carrière et son engagement viennent de lui valoir le titre de docteur honoris causa de la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg.

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  •  du Dies academicus
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«Il faut enseigner la différence entre explication et manipulation de la doctrine religieuse» /alma-georges/articles/2020/il-faut-enseigner-la-difference-entre-explication-et-manipulation-de-la-doctrine-religieuse /alma-georges/articles/2020/il-faut-enseigner-la-difference-entre-explication-et-manipulation-de-la-doctrine-religieuse#respond Thu, 29 Oct 2020 09:42:00 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=11869 La réforme scolaire suisse oblige à repenser la manière d’enseigner le fait religieux et la diversité religieuse. En marge du colloque «L’Islam en classe» organisé par l’Unifr les 6 et 7 novembre, le spécialiste Yahya Pallavicini explique pourquoi l’éducation interconfessionnelle est une piste de travail prometteuse.

Monsieur Pallavicini, qu’est-ce que l’éducation interconfessionnelle?
Il s’agit d’une piste de travail favorisant un dialogue entre les divers courants religieux. Plus concrètement, l’éducation interconfessionnelle offre une alternative méthodologique aussi bien à l’éducation religieuse qu’à l’histoire des religions. Elle permet de sortir de la dichotomie entre un enseignement dispensé par des laïques et un autre dispensé par les membres des différentes communautés religieuses.

Pourquoi ces deux types d’enseignements «classiques» ne sont-ils plus adaptés?
L’histoire des religions permet certes de replacer ces dernières dans l’histoire sans pour autant faire du catéchisme. Mais elle laisse de côté le «goût du sacré», qui tout à la fois relie les diverses religions et les différencie. C’est un peu comme enseigner l’histoire des menus sans faire goûter des plats spécifiques! Quant à l’éducation confessionnelle, elle entre en conflit avec la notion de neutralité de l’école vis-à-vis de la question religieuse. En effet, il est souvent difficile de distinguer l’éducation religieuse du catéchisme.

Dans quel contexte le concept d’éducation interconfessionnelle a-t-il vu le jour?
Il fait partie intégrante du développement de l’éducation, dans un contexte de sécularisation de l’école. Deux constats encouragent la promotion de l’éducation interconfessionnelle. D’une part, la grande méconnaissance des différentes «grammaires» des religions. Cela entraîne des raccourcis. Pour reprendre la métaphore culinaire, c’est un peu comme si je vous disais «je n’aime pas la cuisine chinoise». Il faut absolument que les élèves et les étudiants aient toutes les cartes en main pour pouvoir distinguer et se familiariser avec les religions en tenant compte de leurs spécificités. Bref, reconnaître le goût de chaque religion sans tomber dans la superficialité. C’est seulement ainsi qu’on est en mesure de se faire un avis, de porter un jugement.

Quel est le deuxième constat?
Dans la société contemporaine, la doctrine religieuse a fait – et fait malheureusement encore – l’objet de manipulations qui nourrissent le fanatisme, la radicalisation, la violence, la haine ou les discriminations comme l’antisémitisme et l’islamophobie. En effet, sorti de son contexte, le sentiment religieux peut être facilement instrumentalisé au service d’une idéologie meurtrière. Il est dès lors essentiel d’enseigner la différence entre explication de la doctrine religieuse et manipulation de la doctrine religieuse.

Comment l’éducation interconfessionnelle peut-elle contribuer à prévenir la propagation du fanatisme, de la violence ou de la haine?
Globalement, il s’agit de mettre en évidence les moments de l’histoire où les crises se sont mélangées au fait religieux pour générer des conflits. Dans l’histoire récente, on trouve de nombreux cas de discrimination des minorités religieuses: outre celui – tristement célèbre – de la Shoah, on peut citer l’exemple des Rohingyas en Birmanie et des Ouïghours en Chine. A l’inverse, il est tout aussi important de reconnaître et de montrer les moments où l’interconfessionnalité a permis d’aller de l’avant, de nouer ou renouer le dialogue. Les jeunes Européens savent-ils que plusieurs pays arabes, dont le Maroc, ont offert la citoyenneté à de nombreuses familles juives? Au fil des siècles, il y a eu des guerres fratricides. Or, le problème n’est pas d’avoir un frère différent. Ce qui compte, c’est d’arriver à coopérer avec ce frère différent. La culture du dialogue est essentielle et elle doit servir de fil rouge à l’éducation interconfessionnelle.

Concrètement, quelle est la meilleure manière de faire de l’éducation interconfessionnelle?
L’éducation interconfessionnelle, c’est quelque chose qui doit être vécu! La visite d’un lieu de culte (synagogue, mosquée, temple bouddhiste) et la rencontre avec les dirigeants religieux sont autant de portes d’entrée faciles. Elles permettent d’appréhender les différentes religions à l’échelle même de la ville. A condition bien sûr que ces dirigeants religieux aient été préparés et qu’ils ne se laissent pas aller à faire un sermon. Les fêtes religieuses, telles que Noël ou la fête des lumières hindoue, sont un autre moyen de favoriser l’éducation par l’expérience. La musique et l’art sacré en sont d’autres encore.

Et les responsables de cet enseignement, quel est leur profil idéal?
Afin d’éviter toute confusion avec le catéchisme, il est important que les personnes en charge de l’éducation interconfessionnelle soient laïques. Le principe est donc celui d’une éducation de citoyen à citoyen, sans passer par l’institution religieuse. Le grand défi consiste à former ces enseignants, ou plus précisément à mettre en lien les différentes structures de formation laïques et religieuses. L’interdisciplinarité est au cœur de toute la démarche, elle fait figure de solution méthodologique. Si l’éducation prend pas en compte l’interdisciplinarité comme méthode à part entière, elle ne pourra pas former des citoyens du monde!

Quel est le principal obstacle à cette interdisciplinarité?
Disons qu’en Europe, on a plutôt tendance à passer sous silence la nécessité d’approfondir les connaissances générales sur le fait religieux.

Ailleurs, pouvez-vous citer de bons élèves?
Un exemple très intéressant est celui de l’Egypte. Suite à la rencontre historique entre le pape François et le grand imam d’Al-Azhar Ahmad Al-Tayeb à Abu Dhabi, les universités égyptiennes ont commencé à réorienter leurs enseignements de la religion dans le sens de la fraternité. Une autre expérience éducative appliquée et innovante, qui s’appuie sur des bases traditionnelles et religieuses, est celle d’Humanitarian Islam, portée par Nahdat al Ulama en Indonésie. Il s’agit d’un mouvement global qui remet la rahma (la miséricorde et l’amour universel) à sa juste place comme message premier de l’islam, et qui insiste sur la nécessité d’adapter les enseignements islamiques au contexte spatio-temporel. Il présente l’islam non pas comme une idéologie suprématiste ou conquérante, mais comme l’un des nombreux chemins par lesquels l’homme peut atteindre la perfection spirituelle.

La réforme scolaire suisse en est un exemple: on repense la manière d’enseigner le fait religieux et la diversité religieuse. Mais il reste encore beaucoup à faire. Quels sont les principaux défis en matière d’éducation interconfessionnelle?
Le principal défi, je l’ai déjà évoqué: c’est celui de structurer la formation des formateurs. Un autre obstacle à surmonter, c’est le fait que la complexité de l’univers religieux – ainsi que les nombreuses manipulations auxquels il est sujet – sert souvent d’excuse pour ne pas oser y toucher. Dans les écoles, on se «contente» trop souvent de faire de l’éducation à la citoyenneté. Or, la citoyenneté – et la paix! – impliquent forcément la reconnaissance des différences culturelles… et cultuelles. Ne pas aborder cet aspect de la réalité, c’est de la myopie intellectuelle! Pire: c’est former les générations du futur à la médiocrité.

Vous êtes musulman. Quelles sont les particularités de l’éducation interconfessionnelle en ce qui concerne l’islam?
Comme pour toutes les religions, il faut donner aux étudiants des pistes pour comprendre les spécificités liées à l’islam. Il est par ailleurs important d’évoquer les moments, à travers l’histoire, où cette religion a favorisé le dialogue et les relations – en résumé: la paix – et ne pas seulement évoquer les conflits ou la violence. Montrer que d’une clôture, on peut parvenir à une ouverture. Comme l’enseigne l’intellectuel musulman d’origine malaisienne Naquib al-Attas, l’islam a développé une «éducation à l’Homme universel», envisageant celui-ci dans son unité et avec toutes ses composantes (Esprit, âme et corps). C’est une vision globale reliant macrocosme et microcosme, au niveau métaphysique, spirituel et physique.

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  • est président de la (COREIS), l’une des principales organisations islamiques en Italie. Il est également membre du (ECRL). Le 6 novembre 2020, il interviendra lors d’une table ronde intitulée «L’islam en classe: la formation face à la diversité religieuse», qui se déroulera en ligne dans le cadre du colloque , organisé par le (CSIS).
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L’islam au musée, une thèse pour questionner nos pratiques culturelles /alma-georges/articles/2020/lislam-au-musee-une-these-pour-questionner-nos-pratiques-culturelles /alma-georges/articles/2020/lislam-au-musee-une-these-pour-questionner-nos-pratiques-culturelles#respond Wed, 23 Sep 2020 07:34:03 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=11486 La thèse de Diletta Guidi, consacrée au traitement de l’islam dans les musées, a obtenu le prix Vigener de la Faculté des lettres de l’Unifr. C’est le couronnement d’un travail très conséquent sur un sujet qui fait écho aux préoccupations de notre temps. Rencontre avec l’auteure.

«Arabesques, calligraphies, mosaïques, mosquées, tapis, odalisques, harems… l’imaginaire que suscite le terme d’art islamique est autant riche et varié qu’il paraît contradictoire. Si d’une part on pense aux contes Les Mille et une nuits de l’autre ce sont les interdits : l’iconoclasme, l’aniconisme, l’absence de figuration et les controverses qui l’accompagnent nous viennent à l’esprit. Un mélange de fantasmes et de réalités qui demandent à être clarifiés. Qu’entend-on par art islamique ?» C’est en ces termes que , maître-assistante en , présentera la vaste question de la représentation muséale de l’islam en Occident, dans le livre qu’elle tirera de sa thèse.

L’histoire des relations entre l’Occident et le monde musulman est faite de tensions et de fascination. Au cours des siècles, c’est bien souvent un Orient fantasmé, peuplé de barbares et de figures érotiques, qui nourrit l’imaginaire des artistes européens. Les musées conservent aussi une variété d’objets disparates, désignés un peu vite sous les termes «arts de l’islam». A partir de collections réunies au gré des circonstances, nos institutions réalisent des expositions qui, à leur tour, contribuent à transmettre une certaine image de «l’autre musulman». C’est ce processus que détaille Diletta Guidi, maître-assistante en Science des religions, dans sa thèse soutenue en 2019 à Paris, en cotutelle avec l’Université de Fribourg. Intitulée «», cette thèse transversale convoque à la fois l’histoire de l’art, la sociologie et la science des religions.

«Ծ»
Depuis la fin du siècle passé, plusieurs dizaines de musées partiellement ou entièrement consacrés à l’islam ont ouvert leurs portes dans diverses capitales du monde, constate Diletta Guidi. On assiste, selon elle, à une forme d’«islamania» muséale, où la France se distingue en particulier. Rien d’étonnant à cela, si on considère l’histoire coloniale et la présence des communautés musulmanes dans ce pays. Or, la place de l’islam dans les institutions culturelles françaises est au demeurant peu étudiée, observe l’auteure. Sa thèse comble une lacune, à une époque où les institutions s’interrogent de plus en plus sérieusement sur la place qu’elles réservent aux minorités. Les actualités relaient aussi maintes tentatives visant à «décoloniser» notre regard, à décentrer nos perspectives d’analyse, pour un traitement plus respectueux des différentes cultures.

Le Musée, ce lieu de pouvoir
Diletta Guidi s’est intéressée en particulier à ces deux «mastodontes» que sont le Louvre, avec son Département des Arts de l’Islam, et l’Institut du monde arabe. Le premier est l’institution d’Etat par excellence, fille de la Révolution française et des ambitions éducatives de la République. Le second est né à la fin de la décennie 1970 qui a vu émerger la crise du Moyen Orient, avec un certain nombre de conséquences diplomatiques et économiques. Il a été créé dans une tentative évidente d’apaisement, analyse l’auteure. Si leur pouvoir d’influence est limité, comparé à d’autres canaux de diffusion actuels, le crédit des musées d’Etat reste néanmoins élevé, ne serait-ce que par leur caractère officiel. Leur impact est d’autant plus significatif que les attentes sont fortes de la part du public, notamment des communautés concernées, désireuses d’en être les actrices, indique Diletta Guidi.

A la recherche de l’exposition idéale
Comment représenter l’autre ? Comment lui rendre justice, en l’évoquant de manière respectueuse et suffisamment nuancée? Même animée des meilleures intentions, la démarche n’a rien d’aisé, reconnaît l’auteure. Elle cite l’exemple du Louvre qui, à l’occasion d’expositions-événements, promeut l’image d’un islam particulièrement raffiné, via les chefs-d’œuvre produits dans des temps anciens. Or, cette façon de mettre en lumière un aspect défini à l’exclusion de tout autre n’est pas anodine, relève Diletta Guidi. Et ce, d’autant moins si un homme d’Etat vient corroborer cette vision à l’occasion de son discours d’inauguration. De plus, il faut noter que les musées évoluent à un rythme qui n’est pas celui des réseaux sociaux. Ils doivent composer avec des collections, des pratiques et des ressources déterminées. Pour bien saisir tous ces mécanismes, l’auteure s’est intéressée, en sus de la recherche sociohistorique et documentaire, à tous les rouages du musée et à tous ses intervenant·e·s : de la surveillance au conseil scientifique. De ces investigations, elle a tiré une synthèse imposante recouvrant plus de deux siècles: du moment où l’islam fait son entrée dans les grandes institutions culturelles à nos jours.

L’image de «l’autre musulman»
Pour développer sa problématique, l’auteure fait un choix formel audacieux. Elle se glisse dans la peau d’un visiteur et nous emmène à la découverte des lieux. Au visiteur «naïf» qui a franchi le seuil de l’exposition, l’auteure dévoile peu à peu les enjeux et les problèmes que soulèvent ces objets et la façon dont ils sont présentés. Derrière les vitrines se dissimule une sorte d’«agenda caché», fruit de réflexions politiques, diplomatiques, sociétales… L’exposition nous en apprend en réalité autant sur l’Etat et son rapport à l’altérité musulmane, que sur les communautés elles-mêmes.

Le prix d’un effort singulier
Ce prix Vigener n’est pas la récompense la plus connue, mais elle réjouit particulièrement la lauréate, «parce que Fribourg, c’est chez moi», affirme-t-elle. Romaine d’origine, Diletta Guidi a accompli son parcours scientifique entre Paris, Abou Dhabi et Montréal, avant de revenir enseigner à Fribourg. Elle s’y sent bien et elle est très reconnaissante à toute son équipe, ainsi qu’à son directeur de thèse, , des encouragements reçus. Ce qui lui tient à cœur dans ce prix, c’est aussi le fait qu’il sanctionne un effort de longue haleine, peu reconnu en dehors du monde académique. «Quand on raconte qu’on rédige une thèse en Lettres qui vous prend des années, on suscite plus souvent la perplexité que l’admiration: ‹ah, tu es encore aux études?›», sourit la chercheuse. Elle travaille actuellement à la publication de sa thèse, dont elle souhaite qu’elle soit «aussi belle à lire qu’à écrire». La parution est prévue pour 2021

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  • Le , institué en 1908 et doté d’au moins 1’000 francs, récompense des travaux de doctorat se distinguant par leur excellence. Le prix Vigener 2020 est remis cette année ex-aequo à Diletta Guidi et à , chargé de cours au Département de philosophie pour sa thèse intitulée «ldentidades múltiples – Hibridismo cultural y social en la narrativa hispanounidense de los siglos XX y XXI».
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L’action sociale musulmane en Suisse: un engagement désintéressé? /alma-georges/articles/2020/laction-sociale-musulmane-en-suisse-un-engagement-desinteresse /alma-georges/articles/2020/laction-sociale-musulmane-en-suisse-un-engagement-desinteresse#respond Tue, 07 Jul 2020 10:52:40 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=11207 Baptiste Brodard a passé l’action sociale musulmane en Suisse au crible de sa thèse. Là où certains croient discerner un agenda politique, voire une stratégie d’islamisation, lui note un engagement essentiellement altruiste. Rencontre.

Travailleur social en prison et dans les cités parisiennes, on peut sans peine affirmer que Baptiste Brodard a commencé sa carrière les mains dans le cambouis, qu’il connaît la réalité qu’il décrit, lui le musulman converti, arabophone de surcroît. On est loin, très loin du cliché du chercheur dans sa tour d’ivoire. A ce bagage empirique, Baptiste Brodard a ensuite ajouté une grosse malle de connaissances théoriques, celles que requiert toute carrière académique. Le Fribourgeois livre aujourd’hui une thèse de doctorat sur un sujet brûlant et potentiellement controversé: l’action sociale musulmane est-elle un cheval de Troie au service de l’islamisation de l’Europe ou vient-elle, au contraire, remplir, de manière désintéressée et citoyenne, un vide laissé par l’Etat?

Baptiste Brodard, depuis quand voit-on des associations musulmanes mener des actions caritatives sur le terrain?
En Suisse, le phénomène a commencé à la fin des années 2000, en particulier avec la création en 2009 du Service d’Aide Sociale Islamique de Genève, le SASI. Il y a eu depuis un foisonnement de petits projets, mais le phénomène reste de faible ampleur.

L’action sociale musulmane est apparue plus précocement aux Etats-Unis et en Grande Bretagne qu’en Europe continentale. Comment l’expliquer?
C’est dû plus à des facteurs contextuels qu’à des flux migratoires. Aux Etats-Unis, Nation of Islam, une organisation politico-religieuse fondée en 1930, avait depuis longtemps un volet social, notamment dans les quartiers défavorisés. Le multiculturalisme britannique, quant à lui, laisse une large place à l’action sociale communautaire. En revanche, en Europe continentale, les communautés musulmanes ont surtout été motivées par des logiques d’intégration, voire d’assimilation. Ce n’est que plus tard qu’un travail social identitaire a pu éclore, en particulier dans certains quartiers à forte composante musulmane.

Baptiste Brodard vient de présenter sa thèse de doctorat présentée à la Faculté de théologie

Baptiste Brodard soutiendra sa thèse en octobre 2020. Elle s’inscrit dans le cadre programme doctoral «Islam et société : études islamo-théologiques» du Centre Suisse Islam et Société, financé par la Fondation Mercator Suisse.

Et qu’est-ce qui a provoqué cette éclosion soudaine?
Face aux problèmes sociaux, notamment dans les cités françaises, certains acteurs religieux, au nom de leur foi, ont senti la nécessité de s’engager, en particulier là où l’Etat n’intervient pas ou pas assez. Cet engagement social s’inscrit aussi dans une logique de développement du militantisme musulman, militantisme compris au sens d’engagement communautaire au nom de l’islam.

La question qui fâche: s’agit-il d’un engagement à des fins prosélytiques, voire politiques?
Plus aujourd’hui, selon moi. Bien sûr, des groupes proches des Frères musulmans cherchent à investir tous les domaines de la vie pour organiser une société conforme à l’islam. Leur logique caritative se confond avec des intérêts militants. Pourtant, si l’on prend la peine d’aller sur le terrain, on observe que les structures musulmanes d’action sociale sont autonomes, indépendantes, et n’appartiennent pas à des mouvements transnationaux.

Il n’y aurait donc pas d’agenda caché?
La thèse d’une instrumentalisation sociale à des fins militantes ne tient plus, mais je précise que je n’aurais pas pu aboutir à de telles conclusions il y a une vingtaine d’années. De nos jours, de nombreux fidèles ne se reconnaissaient plus dans les mouvements religieux transnationaux et les associations qu’ils créent ne s’inscrivent pas dans un cadre idéologique ou organisationnel transnational. On observe l’émergence d’un islam local qui veut se couper de ses origines étrangères. C’est un phénomène peu connu qui vient d’ailleurs contredire certaines thèses issues de la science-politique, selon lesquelles l’action sociale cache un agenda d’islamisation. C’est un conflit académique qui, à mon avis, va prendre de l’ampleur ces prochaines années.

Mais y a-t-il parfois des tentatives de récupération?
Il y a des cas avérés, notamment de la part de centres islamiques qui, eux, peuvent être liés à des mouvements religieux étrangers. Aujourd’hui, le conflit entre le Qatar et les Emirats arabes unis peut avoir un impact idéologique sur les acteurs sociaux musulmans en Suisse sans qu’ils en aient eux-mêmes conscience. On ne saurait donc faire abstraction des tendances islamiques mondiales.

En Suisse, quels types d’actions concrètes mènent ces associations musulmanes?
Parmi les associations que j’ai étudiées, le SASI de Genève distribue de la nourriture aux sans-abris, directement dans la rue ou par le biais de leurs épiceries solidaires. L’association organise aussi des cours de français pour les migrants. A Bienne, l’association Tasamouh lutte contre la radicalisation des jeunes. Elle a aussi élargie ses tâches à des rôles de médiation, en particulier pour lutter contre les drogues et faciliter l’inclusion et la cohésion sociale. Cette association a d’ailleurs reçu une subvention importante de Fedpol.

Et quelle différence voyez-vous entre l’action sociale musulmane en Suisse et en France?
En France, le développement s’est fait à la marge, sans attente de reconnaissance ou de financements publics, afin de résoudre des problèmes sociaux dans certains quartiers à forte population musulmane. En Suisse, au contraire, les structures musulmanes se sont très vite fait reconnaître par les médias et par les partenaires politiques. C’est un cas particulier au niveau européen. Il y a chez nous un principe de subsidiarité qui fait que l’Etat reconnaît l’engagement d’acteurs privés, religieux ou pas, dans le domaine social. En l’occurrence, les collectivités publiques considèrent que l’action sociale musulmane peut contribuer à bâtir des ponts entre la société et les communautés musulmanes, l’objectif suprême étant de favoriser la cohésion sociale.

Ces associations musulmanes affichent-elles leur appartenance confessionnelle sur le terrain?
Il y a une visibilité de l’islam très variable d’un individu à l’autre. Certaines femmes portent le hijab, d’autres pas. Chez les hommes, c’est plutôt l’origine ou les patronymes qui peuvent trahir l’appartenance à l’islam, mais on peut très bien trouver des bénévoles sud-américains ou suisses, non musulmans, qui s’engagent dans le seul but de mener une action caritative. Dans le cas du SASI, ce qui peut prêter à confusion, c’est qu’il dispose d’un service d’ordre religieux. Celui-ci peut, par exemple, donner un exemplaire du Coran ou un tapis de prière à quelqu’un qui en ferait la demande, mais il n’y a pas de prosélytisme actif.

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MT180 – Merci tata Jeannette /alma-georges/articles/2019/mt180-merci-tata-jeannette /alma-georges/articles/2019/mt180-merci-tata-jeannette#respond Wed, 03 Apr 2019 08:19:26 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=8096 Si vous êtes doctorant·e, vous avez certainement déjà vécu cette situation: au milieu d’un repas de famille, tata Jeannette lève brusquement la tête et demande: «Et toi, tu fais quoi exactement dans la vie?» Le 28 mars dernier, 6 doctorant·e·s ont occupé la scène du Nouveau Monde  pour relever ce défi: expliquer en trois minutes le sujet de leur thèse à des non-initiés. Pari réussi pour le plus grand bonheur d’une salle comble. Alors on dit merci qui?

Les 6 performances ont été très difficiles à départager pour le jury. Il a pourtant bien fallu trancher et trois candidat·e·s ont remporté le ticket pour la finale nationale: Fiona Laura Rosselet-Jordan (3e prix), Arnaud Constantin (2e prix) et Isabela Stoian (1er prix et prix du public).

Découvrez toutes les performances de nos candidat·e·s en vidéo et en photos.

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  • վé: –
  • Photos: Daria Prati –
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Unique en Europe: un Master «Islam et société» /alma-georges/articles/2019/unique-en-europe-un-master-islam-et-societe /alma-georges/articles/2019/unique-en-europe-un-master-islam-et-societe#respond Tue, 19 Mar 2019 09:44:33 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=7974 C’est une première en Suisse: l’Université de Fribourg propose, dès la rentrée 2019, un programme de Master «Islam et société» en branche principale. Conçu par le Centre Suisse Islam et Société (CSIS) au sein de la Faculté des lettres et des sciences humaines, ce nouveau cursus a pour but de répondre aux défis sociétaux actuels. Pour en parler, nous avons rencontré Amir Dziri, professeur d’études islamiques et directeur du CSIS.

A qui s’adresse ce nouveau cursus de master?
Ce cursus en branche principale (90 crédits ECTS) s’adresse d’une part aux étudiantes et étudiants qui souhaitent examiner et approfondir des questions liées à l’islam en Suisse, en particulier celles et ceux qui proviennent des branches de la sociologie, de la théologie, des sciences des religions, et cetera. Et ce, quelle que soit leur appartenance religieuse. D’autre part, ce cursus s’adresse aussi au groupe cible que sont les Suisses de confession musulmane qui ont besoin d’interroger leur religion dans un cadre universitaire. C’est ce qu’il était ressorti de l’analyse des besoins réalisée par un groupe de travail mis sur pied par la Confédération suisse. Les différentes organisations et associations impliquées ont identifié une réelle demande de la part des minorités suisses de confession ou de culture musulmane. A noter qu’il est possible de choisir cette branche comme programme d’études secondaires à 30 crédits ECTS depuis le semestre d’automne 2017.

Précisons-le tout de suite, il ne s’agit pas d’une formation religieuse?
Non. Ce n’est pas du tout un prêche. Il n’est pas question non plus d’une formation continue comme il en existe pour les imams, même si des imams assisteront aussi à nos cours. Il s’agit d’une approche académique des questions centrales liées à l’interprétation de la religion musulmane, proposant un espace de compréhension et de débat pour répondre aux défis sociétaux actuels avec les compétences requises. La spécificité de ce programme réside dans l’imbrication de deux domaines, à savoir l’islam et la société, dont nous étudierons les interactions complexes en Europe et plus spécifiquement dans le contexte helvétique. Nous aborderons à la fois les aspects sociologiques, juridiques, théologiques, philosophiques, historico-herméneutiques et pratiques de ces relations.

On pourrait comparer cette formation à celles des théologies chrétiennes ou juives, fréquentées par des individus aussi bien religieux que laïques se sentant concernés par leur religion?
En effet, nous partons du même principe de réflexion scientifique, intellectuelle et rationnelle. Certaines personnes de confession chrétienne ou juive qui s’inscrivent en théologie sont choquées au premier abord par l’approche académique. Cela va aussi être le cas pour nous. Et c’est d’ailleurs également le cas quand j’interviens au milieu d’audiences composées uniquement de croyants musulmans, dont une partie n’est pas habituée à cette approche. Je pense que c’est largement un symptôme générationnel. L’héritage des traditions intellectuelles et religieuses musulmanes est soumis à des processus de transformation majeurs, et beaucoup de jeunes interrogent leurs convictions en Europe dans le contexte social qui leur est donné. Ce programme d’études a aussi pour objectif de satisfaire à cette soif de connaissance: il vaut mieux que d’aller la chercher sur d’autres canaux pas très recommandables.

Je vous ai posé ces questions, car vous savez que le contexte actuel est propice à la méfiance, voire à la médisance.
Je me situe en dehors de ces interprétations conflictuelles. Bien sûr qu’il existe une lecture essentialiste ou normative du Coran dans les pays musulmans en Orient, perpétuant des stéréotypes négatifs au sujet des Européens. De même, il existe un narratif en Occident visant à écarter l’autre, en l’occurrence le musulman. Mais dans les deux cas ce n’est pas une approche scientifique. Et cette guerre culturelle n’a pas sa place dans le contexte qui nous occupe. Nous n’avons pas le problème de devoir intégrer une culture orientale dans le cadre suisse, puisque nous enseignons à des Suisses, qui parlent des langues officielles suisses, appartiennent à la culture, la politique et la société suisses, et qui en plus sont de confession musulmane ou s’intéressent à la religion islamique pour différents motifs.

Quelles seront vos approches de la thématique de l’islam dans la société européenne et, plus spécifiquement, helvétique?
Le cursus tourne autour de deux grands axes. D’un côté, il s’agit d’analyser les questions qui émanent de la société elle-même, par exemple: Comment une minorité musulmane se comprend dans une société multi-religieuse et multi-ethnique? Quel est le potentiel de paix ou inversement de conflit de cette relation? Quel est le rapport entre les musulmans et les médias? Comment garantir la cohésion sociale? Le deuxième axe d’études consiste en l’analyse et l’interprétation des discours pluriels de la tradition musulmane dans le contexte européen et suisse actuel. Cela comprend une réflexion sur les manières d’approcher le Coran, les hadits (textes relatifs aux actes et paroles du prophète Mahomet) ou la Sîra (biographie de Mahomet) et les moyens d’interpréter ces écrits. J’insiste sur le fait que le programme est étroitement lié au contexte suisse et possède un caractère fortement interdisciplinaire.

Vous travaillez en collaboration avec d’autres domaines d’études?
Oui, il y a déjà beaucoup de coopération avec différents départements et c’est un immense avantage de pouvoir disposer d’une telle diversité de branches d’études à l’Université de Fribourg. Nous pouvons ainsi répondre à chaque besoin individuel. Personnellement, je donne un cours sur l’art religieux islamique et la culture musulmane, et je suis heureux de constater que des étudiant·e·s en histoire de l’art y participent. De plus, ce riche potentiel de combinaisons d’études permet de renforcer la réputation de Fribourg comme un lieu où le phénomène religieux est étudié activement.

Dans ce programme d’études, il y a des cours en allemand et en français. Pourquoi l’arabe a-t-il été laissé de côté?
Dès le début c’était évident pour nous que ces études se feraient dans une langue officielle suisse, européenne. Même si la connaissance de l’arabe est un plus pour aborder les textes au plus près de leur signification originelle, il existe suffisamment de sources traduites en anglais et en allemand pour pouvoir mener à bien ces études.

Quelle sorte d’étudiant·e·s attendez-vous?
Comme ce cursus est unique en son genre en Suisse et même au niveau européen, nous attendons qu’il soit fréquenté par des personnes en provenance de toute la Suisse et des pays voisins.

Quels sont les débouchés professionnels d’un tel cursus?
Les formations en sciences humaines ouvrent toujours de larges perspectives qui sont difficiles à définir concrètement. En bref, les compétences acquises par les diplômées et les diplômés du cursus, à savoir une qualification approfondie et des connaissances pratiques sur les rapports entre islam et société, pourront être mises à profit dans de multiples secteurs d’activité. De nombreuses perspectives professionnelles sont envisageables dans les organisations civiles ou religieuses, les associations non gouvernementales, les administrations publiques, les services de la santé et du social, les professions de l’enseignement et même la relève académique.

Bio express

Le Professeur Amir Dziri est né à Tunis en 1984 et a vécu dès son enfance en Allemagne, où son père était enseignant de niveau gymnase. Il a effectué un baccalauréat bilingue (allemand-français) en Allemagne, avant de choisir des études de théologie islamique et de se consacrer à la recherche en histoire de la pensée religieuse, histoire intellectuelle et histoire culturelle de l’islam dans la perspective des enjeux contemporains. Il a notamment été collaborateur scientifique, de 2011 à 2017, au centre de théologie islamique de l’Université de Münster (Allemagne). Il est le premier professeur d’études islamiques en Suisse et il dirige le Centre suisse Islam et société de l’Université de Fribourg depuis 2017.

 

 

 


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Bildung schafft Brücken /alma-georges/articles/2016/bildung-schafft-bruecken /alma-georges/articles/2016/bildung-schafft-bruecken#respond Mon, 25 Apr 2016 08:11:00 +0000 http://www3.unifr.ch/alma-georges/?p=2339 Unwissenheit verunsichert; was wir nicht kennen, macht uns Angst. Nicht zuletzt im Zusammenhang mit anderen Religionen und Kulturen. Mit Weiterbildungen zu Themen rund um den Islam will das Schweizerische Zentrum für Islam und Gesellschaft (SZIG) Hürden abbauen und Vertrauen schaffen. Ein Gespräch mit dem Leiter des SZIG, Hansjörg Schmid.

Hansjörg Schmid, das SZIG hat viel Zeit darauf verwendet, den Bereich der bestehenden islambezogenen Weiterbildungen in der Schweiz zu analysieren. Weshalb diese lange Vorlaufzeit?
Der Auftrag des Zentrums für Islam und Gesellschaft besteht ja auch darin, im Bereich der Weiterbildung aktiv zu sein. Aber wir wollten diese nicht auf dem Reissbrett entwerfen, sondern erst mal genau hinschauen, wie die aktuelle Situation im Bereich der Weiterbildung aussieht. Hinzu kommt, dass die Zielgruppen aus den muslimischen Vereinen nicht einfach zu erreichen sind; da galt es zuerst, die dafür nötigen Kontakte zu knüpfen, um auch deren Angebote und Bedürfnisse in Erfahrung bringen zu können.

Welche Personengruppen wurden befragt?
Es wurden einerseits in verschiedenen Teilen der Schweiz Personen befragt, die in muslimischen Vereinen tätig sind, wie etwa Vorsitzende, Imame oder auch Jugendleiter oder Frauengruppenleiterinnen. Und dann wurden auch Personen befragt auf Seiten des Staates, die beispielsweise in Verwaltungen tätig sind oder auch in sonstigen Funktionen, die mit dem Thema Islam in Berührung kommen.

An wen sollen sich denn die geplanten Weiterbildungen in erster Linie richten?
Sie richten sich sowohl an Muslime und Musliminnen wie auch Personen, die eben ein berufliches oder anderes Interesse am Islam haben. Idealerweise bietet eine Weiterbildung ja auch die Möglichkeit zum Austausch und zum Networking. Sie soll bestehende Kompetenzen verstärken. Dabei macht es einen Unterschied, ob nur abstrakt über den Islam referiert wird oder ob ich mit Muslimen über ihre Anliegen und Aktivitäten spreche. Aber natürlich gibt es unterschiedliche Bedürfnisse zwischen einem Sozialarbeiter beispielsweise, der sich für die Familienstrukturen in muslimischen Familien interessiert, oder den Personen in den muslimischen Vereinen, die vielleicht eher ein Interesse daran haben, das System der Sozialarbeit in der Schweiz zu verstehen. Es gibt sowohl breite Schnittmengen wie auch spezifische Interessen einer bestimmten Zielgruppe.

Sie sprechen von Schnittmengen: Gibt es denn gemeinsame Themen?
Wir bieten die Weiterbildungsseminare an der Weiterbildungsstelle der Uni an, wo sich sowohl Muslime wie auch Nicht-Muslime einschreiben, je nach Interesse. Was die spezifischen Angebote für die Zielgruppen in den muslimischen Vereinen angeht, so werden wir diese in einem Folgeprojekt noch genauer berücksichtigen. Ein Beispiel ist etwa die Seelsorge in Gefängnissen. Eine diesbezügliche Weiterbildung richtet sich sowohl an die Muslime, welche die Seelsorge betreiben wie auch an das Gefängnispersonal, das sich mit dem Islam etwas intensiver befassen möchte. Das Gefängnispersonal interessiert sich dabei spezifisch für Themen wie etwa das Fasten oder das Beten im Islam, das ja auch den Alltag im Gefängnis beeinflusst, während die muslimischen Seelsorger sich eher mit den Dynamiken und Regeln des Gefängnisses als Institution vertraut machen möchten. Die Schnittmenge hierbei ist der Erfahrungsaustausch der beiden Gruppen, der nicht zuletzt dazu dient, bestehendes Misstrauen abzubauen.

Erleben Sie von beiden Seiten Interesse und Bereitschaft, zu einem solchen Erfahrungsaustausch, einer direkten Begegnung?
Grundsätzlich ja. Aber man darf sich das auch nicht zu idealistisch vorstellen. Vielfach geht es einfach darum, etwa von Seiten des Gefängnispersonals, den Alltag durch besseres Verständnis zu erleichtern. Ein anderes Beispiel ist die Jugendarbeit. Muslimische Jugendliche interessieren sich dafür, wie diese in der Schweiz funktioniert, wie man sich austauschen kann, von welchen Seiten es welche Unterstützung gibt.

Aus der Bedarfsanalyse ging auch hervor, dass viele Weiterbildungsangebote die muslimischen Zielgruppen nicht erreichen?
Wir haben verschiedene Hindernisse festgestellt: Das Geld, denn Weiterbildung ist auch ein kommerzieller Markt und oftmals teuer; die Zeit, es geht ja oft um ehrenamtliche Arbeit in den muslimischen Vereinen; die Themen, die oftmals nicht spezifisch genug auf die Anliegen der Zielgruppen eingehen, und schliesslich das Vertrauen, das manchmal noch fehlt. Es ist sehr wichtig, dass wir auch die bestehenden Angebote zur Weiterbildung in den muslimischen Vereinen würdigen.

Sie sprechen im Bericht von einem hohen Mass an Üeinstimmung zwischen staatlichen Akteuren und den Muslimen selbst?
Wir haben diese beiden Gruppen interviewt und beide gefragt, was sie sich wünschen für die Muslime in der Schweiz. Da besteht eine grosse Üeinstimmung. Die muslimischen Organisationen wollen Bestandteil sein von unserer vielfältigen Zivilgesellschaft. Sie möchten auch Ansprechpartner sein, wenn Fragen auftauchen im Zusammenhang mit dem Islam. Und die staatlichen Akteure sind sehr daran interessiert, die muslimischen Organisation in diesem Wunsch zu bestärken und zu unterstützen.

Was ist das Hauptziel der islambezogenen Weiterbildung?
Das Hauptziel ist ein friedliches und konstruktives Zusammenleben in einer Gesellschaft, die sehr vielfältig ist. Neue Akteure einer Zivilgesellschaft müssen auch lernen, wie diese funktioniert, sie müssen Kompetenzen erwerben können, um mitmachen zu können. Und die Gesellschaft muss lernen, mit neuen Akteuren und neuen Fragen umzugehen. Das braucht es ein hohes Mass an interkultureller Sensibilität. Dabei ist es wichtig, dass der Islam nicht als monolithischer Block betrachtet wird.

Kann Weiterbildung auch Prävention leisten im Bereich von Extremismus?
Sicherlich. Das ist eines der zentralen Themen, die sehr nachgefragt sind. Im Mai findet an der Weiterbildungsstelle der Uni ein erstes Seminar statt unter dem Titel «Comprendre la radicalisation pour la prévenir», durchgeführt von meiner Kollegin Dr. Mallory Schneuwly Purdie. Das Seminar war so schnell ausgebucht, dass wir es im Herbst wiederholen werden. Was uns wichtig ist dabei, ist die Zusammenarbeit mit muslimischen Experten und Multiplikatoren. Die überwältigende Mehrheit der Muslime – in der Schweiz und anderswo – sind ja Partner, nicht Gegner. Es ist wichtig, dass hier auch Netzwerke aufgebaut werden, dass beispielsweise auch Schulen Ansprechpartner haben oder auch Moscheen oder Jugendzentren für den Fall, dass mal ein Verdacht von Radikalismus auftaucht.

An wen richtet sich konkret diese erste zweitägige Weiterbildung zum Thema der Radikalisierung im Islam?
Sie richtet sich an Personen – Muslime wie auch Nicht-Muslime – aus den Bereichen Schule, soziale Arbeit, Sicherheitsbehörden, muslimische Gemeinden etc. Es geht auch darum, auf die vielfältigen Faktoren und Phänomene in Zusammenhang mit Radikalisierung Bezug zu nehmen. Es geht ja nicht um ein rein religiöses Problem. Weshalb radikalisiert sich jemand? Es geht um das Gefühl des Ausschlusses, der Gewalterfahrungen, der Sinnsuche… Welche Massnahmen sind möglich und sinnvoll? Welche Signale braucht es, auch gegenüber der muslimischen Jugend in der Schweiz? Sehr wichtig ist auch der Erfahrungsaustausch unter den Teilnehmenden, das Analysieren von Fallgeschichten.

Das Zentrum für Islam und Gesellschaft gliedert das aufzubauende Weiterbildungsangebot in zwei Bereiche. Weshalb diese Unterteilung?
Das eine sind eben diese offen ausgeschriebenen Weiterbildungsseminare an der Weiterbildungsstelle, aus welchen wir auch später ein CAS entwickeln wollen. Andererseits gibt es das Projekt «Muslimische Organisationen als gesellschaftliche Akteure», mit welchem wir den bisher nicht abgedeckten Bedarf an Weiterbildung aufbauen und entwickeln möchten. Dafür arbeiten wir eng mit den muslimischen Organisationen zusammen, die einen Teil dieser Weiterbildungen dann auch selber durchführen werden. Es ist ein sehr partnerschaftliches Projekt.

Welche Themen stehen im Vordergrund im Bereich der Weiterbildung dieses Projekts?
Wir haben fünf Themenfelder identifiziert für das neue Projekt. Es sind dies die Stellung der muslimischen Gemeinde in der Gesellschaft und damit zusammenhängend das Thema der Kommunikation, Jugendarbeit, Seelsorge in Gefängnissen und Spitälern, Gender und Körper, d.h. Fragen der Familie und auch der Gesundheit, und schliesslich Radikalisierung und Prävention.

Wie ist die Finanzierung geregelt?
Wir haben zwei Förderer: Einerseits das Staatssekretariat für Migration aus den Mitteln des Integrationskredits des Bundes und andererseits die Fachstelle für Rassismusbekämpfung des Eidgenössischen Departements des Innern.

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Kontakt: Dr. Hansjörg Schmid, Leiter des SZIG, hansjoerg.schmid@unifr.ch, +41 26 300 90 40

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