art – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Mon, 20 Mar 2023 09:15:24 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 S’imprégner d’une image en l’ingérant, un geste vieux comme le monde /alma-georges/articles/2023/simpregner-dune-image-en-lingerant-un-geste-vieux-comme-le-monde /alma-georges/articles/2023/simpregner-dune-image-en-lingerant-un-geste-vieux-comme-le-monde#respond Fri, 17 Mar 2023 15:42:04 +0000 /alma-georges?p=17806 Les images ne sont pas toujours seulement vouées à être vues. Depuis l’Antiquité, certaines sont produites pour être incorporées, mangées ou même bues. Professeur d’histoire de l’art à l’Université de Fribourg, Jérémie Koering s’est penché sur ce phénomène dans Les Iconophages, un ouvrage récemment récompensé par le Prix Daix.

Gratter une statue pour en faire une potion, lécher une image, croquer un biscuit à l’effigie d’un saint… Ces gestes semblent aussi vieux que le monde. Dans son livre Les Iconophages, Jérémie Koering, professeur d’histoire de l’art des temps modernes à l’Université de Fribourg, les fait remonter au moins à la haute Antiquité.

Qu’est-ce qui vous a amené à étudier ces phénomènes d’ingestion de représentations humaines ou divines?
Mon intérêt est né d’une certaine façon de comprendre la pratique artistique. L’idée de départ prend source dans une métaphore: pour évoquer le rapport qu’elles et ils entretiennent avec leurs prédécesseur·e·s, les artistes disent qu’elles et ils se «nourrissent» de leur art. En étudiant cette démarche, j’ai rencontré des cas d’iconophagie réelle qui m’ont mené à élargir le champ de mes recherches.

Ce phénomène est-il lié à des périodes particulières de l’histoire?
La Renaissance a été ma porte d’entrée, puisqu’il s’agit de ma période de prédilection. J’ai ensuite élargi mes travaux au Moyen Age, parce que les rares études évoquant le sujet concernaient cette époque. Puis, j’ai découvert les travaux de ma collègue Véronique Dasen, professeure d’archéologie, sur la production d’images magiques dans la société égyptienne qui permettait une forme de magie médicale. Le phénomène se retrouve de façon plus ou moins prononcée à toutes les époques, y compris de nos jours.

Votre ouvrage fait souvent référence à la religion, mais l’iconophagie y est-elle forcément reliée?
Deux grandes motivations de départ mènent à l’ingestion d’images. Soit on mange des images produites dans le cadre de pratiques religieuses. Leur ingestion permet alors de se soigner ou de se protéger en s’appropriant le pouvoir divin comme si la représentation imagée le contenait. Soit on mange des images mises en partage au sein d’une communauté, par exemple, un gâteau à l’effigie des mariés ou une gaufre estampée à la naissance d’un enfant. En prenant en soi ces images, on prend en soi le lien qui unit la communauté. Cela peut se jouer à l’échelle d’une famille, d’une ville ou d’une région plus étendue.

Au fil de l’histoire, on retrouve ces deux types de pratique, avec parfois des transitions de l’un à l’autre. L’eucharistie en fait partie. C’est une pratique religieuse, mais elle a pour objectif de rassembler la communauté.

Est-il question de cannibalisme parfois?
La question est présente pour différentes raisons. Dans le cadre des pratiques religieuses chrétiennes, l’hostie a été assimilée à une forme de cannibalisme, voire de théophagie durant la Réforme. Des querelles violentes et des pamphlets enflammés ont vu le jour en raison d’une lecture littérale des paroles du prêtre durant l’eucharistie. Ces critiques sont à mettre en lien avec les découvertes de l’époque, en Amérique latine, où des modes de vie très différents apparaissent et sont décriés par la plupart des européen·ne·s.

L’ingestion d’images a-t-elle été prohibée à certaines époques ou par certaines sociétés?
Des résistances sont nées, notamment au moment où nos sociétés européennes ont basculé du polythéisme au christianisme. Certaines pratiques magiques sont critiquées, mais ne vont jamais totalement disparaître. Elles sont même parfois réhabilitées ou détournées par la religion. L’usage des reliques en est un exemple. Tout au long de l’histoire chrétienne, on trouve des personnes qui se dressent contre ces pratiques et d’autres qui en prennent la défense. Au XVIIIe siècle, par exemple, on voit apparaître des critiques visuelles de ces pratiques, dont la gravure de William Hogarth utilisée pour illustrer cet interview. L’artiste anglais y met en scène une orgie où les bigot·e·s chrétien·ne·s dévorent des statuettes du Christ, soulignant leur crédulité aveugle.

Les pratiques n’ont pas disparu pour autant…
Non, et elles existent un peu partout. En Afrique, on connaît des pratiques d’ingestion de photographies pour se protéger. A Einsiedeln, on fait encore usage de petites statuettes à l’effigie de la vierge noire que l’on gratte pour récupérer une matière réputée protectrice. Sans parler de toutes les figures qui apparaissent dans la forme des biscuits, des gâteaux ou encore des images de saint Nicolas sur les pains d’épices.

Vos recherches ont-elles été rendues difficiles par le fait que les «preuves», si on ose dire, ont été ingérées?
Mes travaux s’appuient sur de nombreux textes ainsi que sur des figurations qui apparaissent au fil de l’histoire. Dans les collections et dans les musées, on trouve aussi de nombreux objets utilisés pour produire les images, tels que les moules, les fers à gaufres et à hosties ou encore les plaques permettant l’impression des images. Des témoignages écrits apparaissent également dans des traités, dans des récits de mariage ou d’autres célébrations. Cela n’a pas été simple à rassembler, mais à force de travail je crois y être parvenu.

Votre ouvrage Les Iconophages est-il l’aboutissement de vos recherches? Ou vos travaux se poursuivent-ils?
Ce livre est un aboutissement, mais les recherches ne s’arrêtent pas pour autant. Il paraîtra prochainement en anglais. Je m’y suis donc replongé et des échanges ont lieu avec l’Université de New York. De mon côté, je réfléchis à l’histoire de l’épouse éplorée de Mausole, Artémise. Non seulement elle lui fit construire un tombeau monumental, mais elle a également bu ses cendres, comme pour rendre éternelle la présence de son mari en elle. Des collègues travaillent aussi sur l’usage des reliques et des monuments, dont on gratte la surface pour en extraire une poudre afin de la boire et de prendre en soi la sacralité de la personne ou du lieu en question.

Que vous apporte le Prix Daix au-delà de la prime dont il est doté?
Une telle récompense est d’abord une reconnaissance pour les travaux menés, qui plus est par des contemporanéistes puisque la Pinault Collection s’inscrit plutôt dans cette époque-là. Mais, surtout, ce genre de prix permet de toucher un lectorat plus large par la visibilité qu’il donne à l’ouvrage. Je ne peux que m’en réjouir.

Une analyse saluée par le Prix Daix
Le travail de l’historien d’art et professeur Jérémie Koering a été récompensé à la fin 2022 par le Prix Pierre Daix. Les membres du jury ont relevé la qualité de la recherche, de l’écriture et le choix d’un sujet hors des sentiers battus. «Puisant à l’Antiquité et allant jusqu’à informer la création moderne et contemporaine comme un modèle de ce que peut être une nouvelle histoire de l’art. Cette analyse érudite et inédite a retenu l’attention par sa capacité à actualiser, à renouveler, à décloisonner la discipline», communiquent-ils.

Le Prix Pierre Daix est décerné chaque fin d’année depuis 2015. Créé par l’homme d’affaires et collectionneur François Pinault en mémoire de son ami, l’historien Pierre Daix, disparu en 2014, il distingue un ouvrage d’histoire de l’art moderne ou contemporain. Par cette récompense, dotée de 10’000 euros, la Pinault Collection soutient la recherche.

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  • Image de Une: William Hogarth, Enthusiasm delineated, 1760-1762, eau-forte, 41.8 x 32.7cm, Londres, British Museum (détail).
    Dans cette gravure, Hogarth stigmatise les bigots en les représentant sous la forme de mangeurs d’image. Dévorant des statuettes à l’effigie du Christ, ils révèlent leur crédulité aveugle et apparaissent ainsi ainsi semblables à des animaux dépourvus de raison.
  • Page de Jérémie Koering
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Victor I. Stoichita transcende les marges de l’histoire de l’art /alma-georges/articles/2022/victor-i-stoichita-transcende-les-marges-de-lhistoire-de-lart /alma-georges/articles/2022/victor-i-stoichita-transcende-les-marges-de-lhistoire-de-lart#respond Wed, 20 Apr 2022 06:56:47 +0000 /alma-georges?p=15685 Victor I. Stoichita a été pendant presque 30 ans titulaire de la Chaire d’histoire l’art contemporaine à l’Université de Fribourg. Le 3 mai, à l’occasion d’une conférence,  un ouvrage collectif en hommage à son travail et à son immense apport à la discipline lui sera remis.

La présente contribution est un hommage à un maître qui, dans sa carrière longue et prestigieuse, a su identifier les noeuds de sens de l’imaginaire occidental, de ses représentations visuelles, et de ses oeuvres, les dénouant ensuite par l’application d’un travail patient de contextualisation, par l’exercice d’une méthode rigoureuse, et par une capacité d’intuition foudroyante. Tel un personnage mythique, Victor I. Stoichita a repéré quelques-uns des noeuds les plus intraitables de l’histoire de la représentation occidentale (le cadre, l’ombre, le regard, etc.) et les a démêlés, en y retrouvant la ligne principale du sens par des ouvrages qui, tous, ont marqué l’histoire des disciplines de l’image dans les dernières décennies.

Début de l’article de Massimo Leone intitulé «Notes pour une sémiotique du noeud»

«Un hommage amical et reconnaissant»
Ce recueil veut rendre un amical et reconnaissant hommage à Victor I. Stoichita, professeur ordinaire en histoire de l’art à l’Université de Fribourg de 1991 à 2019, dont la recherche et l’enseignement se distinguent par une méthodologie interdisciplinaire qui se focalise, notamment, sur des phénomènes situés à la fois en deçà et au-delà d’une frontière, d’un seuil ou d’une marge. Quatorze collègues de Victor I. Stoichita, de l’Université de Fribourg et d’autres universités à travers le monde, lui offrent ici des études sur des sujets allant de la plus haute Antiquité à l’époque contemporaine. Essentiellement dans le domaine des arts visuels, mais aussi de la littérature et de la musique, une grande variété d’œuvres y sont explorées sous le thème des parerga au sens large, dans leurs formes et manifestations les plus diverses: nœud, pli, marge, espace de perception, accessoire, regard dans et devant les œuvres, cadre intérieur et extérieur, paratexte, ombre, vision, frontière esthétique, intertextualité, glose, transgression, animation, etc. Les œuvres de six artistes viennent agrémenter ce livre, lui donnant autant de parerga que de respirations artistiques en résonance avec les hommages textuels, ainsi qu’avec les publications de Victor I. Stoichita, dont l’importante bibliographie paraît en fin d’ouvrage.

Jean-François Corpataux, privat-docent à l’Université de Fribourg, souligne que «ce n’est pas seulement un livre d’histoire de l’art, c’est aussi un livre d’art en raison des contributions artistiques qui le rythment et de son aspect général qui en fait un véritable objet esthétique. C’est aussi un livre très dense et merveilleusement varié qui rend hommage au formidable esprit de recherche et d’imagination de Victor I. Stoichita».

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  • Le 3 mai 2022, Massimo Leone de l’Université de Turin tiendra une conférence intitulée à 11h30, dans la salle de cinéma 2029 du bâtiment de Miséricorde. La conférence sera suivie par la remise du livre Parerga. Pour Victor I. Stoichita
  • sur le livre
  • Plus d’infos sur le Professeur Victor I. Stoichita
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«Il faut se laisser porter» /alma-georges/articles/2021/il-faut-se-laisser-porter /alma-georges/articles/2021/il-faut-se-laisser-porter#respond Fri, 17 Dec 2021 07:56:39 +0000 /alma-georges?p=14953 Après un mémoire de master en histoire de l’art présenté à l’Unifr en 2019, Mathilde Jaccard a posé ses valises pour l’année académique 2021-2022 à l’Istituto Svizzero à Rome. Elle nous parle de cette expérience inédite.

Mathilde, on s’habitue à vivre dans une résidence comme celle de la Villa Maraini?
On s’habitue même un peu trop. Imaginez que, pendant dix mois, votre chambre est quotidiennement nettoyée, votre plat du midi est cuisiné et vous avez accès à une terrasse avec le plus haut point de vue de la ville! Sans compter les invitations reçues des quatre coins de Rome, uniquement parce que vous êtes résident·e·s à l’Institut Suisse. Nous vivons dans un havre de nature, la Villa est somptueuse, le jardin est impressionnant et nous sommes entouré·e·s par les ambassades et les hôtels cinq étoiles; franchement, c’est dur de ne pas devenir snob (rire)! Il faut surtout faire attention à la retombée après un séjour aussi chic.

L’Institut est-il ouvert aux visites?
Oui, tant que ça ne dépasse pas le niveau de connivence interne. L’Institut s’attend à ce que l’on respecte les lieux, mais il y a une grande tolérance à ce niveau-là.

Quelques mots à dire sur le programme transdisciplinaire Roma Calling?
Tout d’abord, il a fallu déposer un dossier de candidature dans lequel nous devions expliciter la nécessité de rester dix mois en Italie, spécifiquement à Rome pour le Roma Calling. Par ce programme, l’Institut espère favoriser un échange entre différent·e·s résident·e·s. Au total, il y a dans la Villa Maraini douze personnes: six chercheuses ou chercheurs et six artistes. Le centre du programme transdisciplinaire est à Rome et, depuis quelques années, l’Institut propose aussi des séjours à Milan et à Palerme. Le nombre de résident·e·s est toutefois limité à respectivement trois personnes pour Milan et deux pour Palerme et les séjours sont plus courts. En cette nouvelle année académique, l’Institut de Rome propose que deux des douze personnes choisies puissent réduire leur séjour de dix à cinq mois. Pour cela, il faut, bien sûr, pouvoir développer sa recherche en moins de temps.

L’Institut encourage au maximum les résident·e·s à participer aux événements, aux visites en commun, etc. Mais il y a également dans les rencontres avec les autres institutions, telles que l’académie américaine ou allemande, un but diplomatique. Elles sont un point récurrent de la vie à l’Institut, il n’y a pas une semaine sans que l’on ne soit invité·e à participer à un événement.

Vous arrivez à tout gérer, votre travail de recherche et votre participation active aux événements?
Ce n’est pas une obligation de participer à tous les événements, mais il y a quand même une forme de contrat implicite avec l’Institut, une attente à ce que les résident·e·s soient présent·e·s pour éviter les abus des personnes qui postulent uniquement dans le but de faire joli dans le CV. Dans l’accord que nous avons signé avec l’Institut, nous garantissons ne pas être absent·e·s plus de trente jours. L’engagement de la ou du résident·e est de gérer son temps et savoir mettre la priorité sur son propre projet.

Il est clairement nécessaire d’avoir une bonne organisation et je dois avouer qu’il est difficile au début du séjour de ne pas se sentir dépassé·e par l’accumulation des événements. Cela peut être déroutant les premiers temps, mais on s’habitue vite à cette vie-là.

Quelles relations avez-vous avec les autres artistes, chercheuses et chercheurs de l’Institut? Comment arrivez-vous à créer des synergies entre vous?
C’est un des grands challenges de l’Institut. Ce qui donne cette coalition entre nous, ce sont tous les à-côtés: les soirées, la participation aux événements, les visites de la ville et, bien sûr, les pièces que nous partageons au sein de la résidence. Nous avons aussi une salle réservée dans la tour et une terrasse privative sur le toit; c’est dans ces endroits que les rencontres interdisciplinaires se font le plus.

L’Institut s’évertue donc à rassembler des résident·e·s aux points communs?
Oui et je pense que c’est toute la difficulté de leurs recherches. Au niveau de la sélection, l’Institut prend garde à représenter une grande variété du milieu de la recherche et du monde artistique venant d’universités, de branches et de langues différentes. Dans un deuxième temps, ils s’assurent que les personnalités choisies peuvent «matcher» et que le programme transdisciplinaire peut fonctionner entre toutes ces individualités. Il faut aussi savoir que la majorité des chercheuses et chercheurs ont toutes et tous une orientation artistique (histoire de l’art, architecture, archéologie) et que cette position contribue à tisser des liens avec les artistes.

Avez-vous des échanges réguliers avec les résident·e·s de Milan et de Palerme?
Nous nous sommes rencontré·e·s à Palerme au début de l’année académique et le second rendez-vous se déroulera en février prochain, mais ne concernera que les résident·e·s de Rome et de Milan, puisque le programme Palermo calling sera terminé. Sur l’année, l’Institut organise et finance trois voyages pour les résident·e·s et les destinations sont de notre ressort. Le dernier, prévu en mai 2022, sera exclusivement destiné aux résident·e·s de Rome, puisque le programme Milano calling prendra fin en avril.

Qu’est-ce que Rome a à offrir à une personne comme vous qui se consacre à la recherche?
Tout d’abord l’accès aux archives, étant donné que mon sujet est italien. Outre le fait que ce séjour est un excellent endroit pour ma recherche, il contribue aussi à me faire découvrir une autre culture. Il y a une façon de fonctionner en Suisse qui est très spécifique et l’Italie a une organisation totalement différente de la nôtre. La bureaucratie, par exemple, est très agaçante. Pour nous, Suisses, il est inconcevable de devoir présenter des lettres de recommandation pour avoir accès aux bibliothèques. Cela me fait du bien d’être confrontée à d’autres manières de penser et force est de constater que tout marche très bien dans notre pays.

Votre endroit préféré dans la Villa?
La tour, la vue y est incroyable et des perroquets aiment s’y poser. Je vous laisse imaginer nos têtes en découvrant ces oiseaux verts pimpants! La légende dit que c’est le plus haut point de vue de la ville. Malheureusement, on s’habitue à ce panorama, mais c’est toujours drôle de voir la réaction des gens qui la visitent pour la première fois.

Un conseil à donner aux futur·e·s résident·e·s?
Je ne peux que conseiller cette expérience, tellement elle est grisante, presque hors de la réalité. J’aurais aimé qu’on me dise que tout prend plus de temps que prévu, qu’il faut être patient·e. Il faut changer de rythme de vie et l’accepter. Mais aussi se laisser vivre, se laisser porter par la ville.

Vous avez le temps de vous laisser porter?
Justement, les événements prévus le permettent. Il y a un aspect que l’Institut vise à atteindre dans l’organisation des événements, c’est qu’ils puissent autant que possible plaire à tout le monde, même si nous n’avons pas la même vision des choses. C’est justement cela qui est intéressant. J’avais cette représentation de la Rome idéale de la Renaissance, car ma thèse de doctorat porte sur ce sujet et je me retrouve avec un chercheur qui travaille sur le fascisme et me confronte à un autre aspect de Rome. Je n’aurais pas eu ce point de vue en ne côtoyant que des spécialistes de la Renaissance. Pour moi, c’est cela se laisser porter: rester ouvert·e aux choses.

L’Istituto Svizzero
L’Istituto Svizzero offre chaque année à plus d’une douzaine de jeunes chercheur·euse·s doctorant·e·s, post-doctorant·e·s et artistes une résidence à Rome, Milan ou Palerme. Sa programmation originale et stimulante permet de construire des ponts entre le monde des arts et celui de la science. Expositions, conférences, rencontres, concerts, l’Istituto Svizzero soutient et diffuse la recherche et l’art depuis 1947 et contribue au rayonnement culturel et académique de la Suisse en Italie. Sa mission est d’offrir aux artistes et aux scientifiques la possibilité de poursuivre et développer leurs recherches et activités en lien avec l’Italie, tout en développant leurs réseaux et collaborations.
> Toutes les infos sur le
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  • Mathilde Jaccard a étudié l’histoire de l’art et l’anthropologie culturelle. Actuellement doctorante à l’Université de Genève, elle a soutenu son mémoire de master à l’Unifr en 2019. Elle prépare sa thèse de doctorat intitulée «De la restauration comme fabrique des origines. Une histoire matérielle et politique de l’art à la Renaissance italienne», soutenue par le Fonds national suisse de la recherche scientifique.

 

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L’islam au musée, une thèse pour questionner nos pratiques culturelles /alma-georges/articles/2020/lislam-au-musee-une-these-pour-questionner-nos-pratiques-culturelles /alma-georges/articles/2020/lislam-au-musee-une-these-pour-questionner-nos-pratiques-culturelles#respond Wed, 23 Sep 2020 07:34:03 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=11486 La thèse de Diletta Guidi, consacrée au traitement de l’islam dans les musées, a obtenu le prix Vigener de la Faculté des lettres de l’Unifr. C’est le couronnement d’un travail très conséquent sur un sujet qui fait écho aux préoccupations de notre temps. Rencontre avec l’auteure.

«Arabesques, calligraphies, mosaïques, mosquées, tapis, odalisques, harems… l’imaginaire que suscite le terme d’art islamique est autant riche et varié qu’il paraît contradictoire. Si d’une part on pense aux contes Les Mille et une nuits de l’autre ce sont les interdits : l’iconoclasme, l’aniconisme, l’absence de figuration et les controverses qui l’accompagnent nous viennent à l’esprit. Un mélange de fantasmes et de réalités qui demandent à être clarifiés. Qu’entend-on par art islamique ?» C’est en ces termes que , maître-assistante en , présentera la vaste question de la représentation muséale de l’islam en Occident, dans le livre qu’elle tirera de sa thèse.

L’histoire des relations entre l’Occident et le monde musulman est faite de tensions et de fascination. Au cours des siècles, c’est bien souvent un Orient fantasmé, peuplé de barbares et de figures érotiques, qui nourrit l’imaginaire des artistes européens. Les musées conservent aussi une variété d’objets disparates, désignés un peu vite sous les termes «arts de l’islam». A partir de collections réunies au gré des circonstances, nos institutions réalisent des expositions qui, à leur tour, contribuent à transmettre une certaine image de «l’autre musulman». C’est ce processus que détaille Diletta Guidi, maître-assistante en Science des religions, dans sa thèse soutenue en 2019 à Paris, en cotutelle avec l’Université de Fribourg. Intitulée «», cette thèse transversale convoque à la fois l’histoire de l’art, la sociologie et la science des religions.

«±õ²õ±ô²¹³¾²¹²Ô¾±²¹Â»
Depuis la fin du siècle passé, plusieurs dizaines de musées partiellement ou entièrement consacrés à l’islam ont ouvert leurs portes dans diverses capitales du monde, constate Diletta Guidi. On assiste, selon elle, à une forme d’«islamania» muséale, où la France se distingue en particulier. Rien d’étonnant à cela, si on considère l’histoire coloniale et la présence des communautés musulmanes dans ce pays. Or, la place de l’islam dans les institutions culturelles françaises est au demeurant peu étudiée, observe l’auteure. Sa thèse comble une lacune, à une époque où les institutions s’interrogent de plus en plus sérieusement sur la place qu’elles réservent aux minorités. Les actualités relaient aussi maintes tentatives visant à «décoloniser» notre regard, à décentrer nos perspectives d’analyse, pour un traitement plus respectueux des différentes cultures.

Le Musée, ce lieu de pouvoir
Diletta Guidi s’est intéressée en particulier à ces deux «mastodontes» que sont le Louvre, avec son Département des Arts de l’Islam, et l’Institut du monde arabe. Le premier est l’institution d’Etat par excellence, fille de la Révolution française et des ambitions éducatives de la République. Le second est né à la fin de la décennie 1970 qui a vu émerger la crise du Moyen Orient, avec un certain nombre de conséquences diplomatiques et économiques. Il a été créé dans une tentative évidente d’apaisement, analyse l’auteure. Si leur pouvoir d’influence est limité, comparé à d’autres canaux de diffusion actuels, le crédit des musées d’Etat reste néanmoins élevé, ne serait-ce que par leur caractère officiel. Leur impact est d’autant plus significatif que les attentes sont fortes de la part du public, notamment des communautés concernées, désireuses d’en être les actrices, indique Diletta Guidi.

A la recherche de l’exposition idéale
Comment représenter l’autre ? Comment lui rendre justice, en l’évoquant de manière respectueuse et suffisamment nuancée? Même animée des meilleures intentions, la démarche n’a rien d’aisé, reconnaît l’auteure. Elle cite l’exemple du Louvre qui, à l’occasion d’expositions-événements, promeut l’image d’un islam particulièrement raffiné, via les chefs-d’œuvre produits dans des temps anciens. Or, cette façon de mettre en lumière un aspect défini à l’exclusion de tout autre n’est pas anodine, relève Diletta Guidi. Et ce, d’autant moins si un homme d’Etat vient corroborer cette vision à l’occasion de son discours d’inauguration. De plus, il faut noter que les musées évoluent à un rythme qui n’est pas celui des réseaux sociaux. Ils doivent composer avec des collections, des pratiques et des ressources déterminées. Pour bien saisir tous ces mécanismes, l’auteure s’est intéressée, en sus de la recherche sociohistorique et documentaire, à tous les rouages du musée et à tous ses intervenant·e·s : de la surveillance au conseil scientifique. De ces investigations, elle a tiré une synthèse imposante recouvrant plus de deux siècles: du moment où l’islam fait son entrée dans les grandes institutions culturelles à nos jours.

L’image de «l’autre musulman»
Pour développer sa problématique, l’auteure fait un choix formel audacieux. Elle se glisse dans la peau d’un visiteur et nous emmène à la découverte des lieux. Au visiteur «naïf» qui a franchi le seuil de l’exposition, l’auteure dévoile peu à peu les enjeux et les problèmes que soulèvent ces objets et la façon dont ils sont présentés. Derrière les vitrines se dissimule une sorte d’«agenda caché», fruit de réflexions politiques, diplomatiques, sociétales… L’exposition nous en apprend en réalité autant sur l’Etat et son rapport à l’altérité musulmane, que sur les communautés elles-mêmes.

Le prix d’un effort singulier
Ce prix Vigener n’est pas la récompense la plus connue, mais elle réjouit particulièrement la lauréate, «parce que Fribourg, c’est chez moi», affirme-t-elle. Romaine d’origine, Diletta Guidi a accompli son parcours scientifique entre Paris, Abou Dhabi et Montréal, avant de revenir enseigner à Fribourg. Elle s’y sent bien et elle est très reconnaissante à toute son équipe, ainsi qu’à son directeur de thèse, , des encouragements reçus. Ce qui lui tient à cœur dans ce prix, c’est aussi le fait qu’il sanctionne un effort de longue haleine, peu reconnu en dehors du monde académique. «Quand on raconte qu’on rédige une thèse en Lettres qui vous prend des années, on suscite plus souvent la perplexité que l’admiration: ‹ah, tu es encore aux études?›», sourit la chercheuse. Elle travaille actuellement à la publication de sa thèse, dont elle souhaite qu’elle soit «aussi belle à lire qu’à écrire». La parution est prévue pour 2021

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  • Le , institué en 1908 et doté d’au moins 1’000 francs, récompense des travaux de doctorat se distinguant par leur excellence. Le prix Vigener 2020 est remis cette année ex-aequo à Diletta Guidi et à , chargé de cours au Département de philosophie pour sa thèse intitulée «ldentidades múltiples – Hibridismo cultural y social en la narrativa hispanounidense de los siglos XX y XXI».
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Images – vous en reprendrez bien un kilo? /alma-georges/articles/2020/images-vous-en-reprendrez-bien-un-kilo /alma-georges/articles/2020/images-vous-en-reprendrez-bien-un-kilo#respond Wed, 26 Feb 2020 09:17:25 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=10495 Le Professeur Emmanuel Alloa vient de vernir une vaste exposition, dont il est le commissaire associé, à la Galerie nationale du Jeu de Paume à Paris. «Le supermarché des images» interroge le flot sans fin de la production photographique actuelle et remet en question notre lien aux images, ainsi que le lien de celles-ci à l’économie. 

Professeur Alloa, vous êtes le commissaire associé de l’actuelle exposition du Jeu de Paume à Paris. En quoi consiste ce rôle?
L’art contemporain a toujours entretenu un rapport étroit avec la philosophie. Comme dans toute pensée rigoureuse, dans l’art et a fortiori dans l’art contemporain, il faut être disposé à tout remettre en question, à se méfier des habitudes.  C’est d’ailleurs l’une des idées que j’essaie de transmettre à mes étudiant·e·s à Fribourg, au sein de la Chaire d’esthétique et de philosophie de l’art, car c’est une occasion formidable de mettre en œuvre la réflexion philosophique – face aux œuvres elles-mêmes. L’art contemporain est très demandeur, qu’il s’agisse de collaborations avec les artistes ou d’une écriture sur leurs œuvres; pour la philosophie, cela nous confronte à des objets nouveaux et souvent déroutants.

Mais cette fois, il s’agit d’une autre gageure encore. La Galerie nationale du Jeu de Paume, située dans le Jardin des Tuileries à Paris, a fait le pari de miser sur une approche plus philosophique pour imaginer une exposition tout entière. C’est ainsi qu’il y a trois ans, le philosophe et musicologue Peter Szendy a été invité à faire une proposition d’expo, et qu’ensuite Marta Ponsa et moi-même avons rejoint ce projet passionnant en tant que commissaires associés. Marta, responsable de la programmation culturelle du Jeu de Paume, apportait tout son savoir-faire et sa connaissance de l’art en train de se faire, tandis que je venais renforcer le pôle conceptionnel. Mais, de fait, nous avons constamment travaillé à trois, de concert, et surtout avec toute l’équipe du Musée, pour mettre cette expo sur pied.


© Jeff Guess

L’exposition s’intitule «Le supermarché des images», n’est-ce pas un peu l’antithèse de la mission d’un musée?
Le titre se veut, bien sûr, un brin provocateur et on ne trouvera évidemment pas grand-chose de prêt-à-consommer. Il reprend et déplace, en fait, celui d’un livre de Peter [Szendy], qui constitue en quelque sorte le point de départ de l’expo – Le supermarché du visible. Essai d’iconomie (Minuit, 2017). Il s’agissait déjà de prendre la mesure du gigantesque bouleversement en cours, de cette révolution des nombres qui modifie profondément notre régime de visibilité: chaque jour, plus de trois milliards d’images s’échangent sur les réseaux sociaux. De récepteurs d’images, nous sommes devenus aussi leurs émetteurs, puisqu’il n’est plus besoin de demander l’acceptation d’une corporation de Saint-Luc, comme au Moyen-Age, pour avoir le droit d’en réaliser. Mais cette démocratisation nouvelle des outils d’enregistrement et de diffusion fait également face à de nouvelles concentrations: les banques d’images et la stock photography sont autant de symptômes d’un temps qui n’est plus celui des créateurs, mais des gestionnaires. La valeur d’une image se mesure moins à sa virtuosité qu’à l’attention qu’on lui prête, dans un univers où cette attention, justement, semble bien volatile.


© Geraldine Juàrez

Pas de rayonnages ni d’étalages donc: dans cette exposition, c’est plutôt le supermarché que nous souhaitions questionner, cette grande place de marché désormais mondialisée où s’échangent et se négocient les visibilités. Par quels canaux de distribution les images circulent-elles? Comment sont-elles qualifiées et quantifiées, cataloguées et vendues? A quelle vitesse se propagent-elles et sur quels écrans défilent-elles? Quelles énergies sont nécessaires à leur mise en mouvement, mais aussi à leur stockage? Quelles matières premières concourent à leur fabrication?  Bref, quelle est aujourd’hui l’économie des images? Et inversement, comment peut-on, par la prise des images, aborder les rouages d’une logique qui échappe généralement à la figuration: l’économie? Depuis la crise financière de 2008, nous tentons de trouver des parades à des processus par nature évanescents, et de nous réapproprier des moyens pour nous les représenter. L’exposition mobilise donc ce que l’on pourrait appeler l’hypothèse «iconomique»: que parvenons-nous à comprendre du monde, en couplant la question de l’image à celle de l’économie, et dans quelle mesure n’est-ce pas une facilité de langage que de considérer qu’entre image de l’économie et économie de l’image, il y a un lien fort?

En ce qui concerne la mission du musée, pas de risque, elle n’est pas mise en péril: on y verra essentiellement des œuvres d’artistes visuels contemporains, conformément à la vocation du Jeu de Paume, qui a pour mission d’être une plateforme pour les images contemporaines sous toutes leurs formes.

L’exposition part du présupposé que nous vivons dans un monde saturé d’images. Existe-t-il une limite? Peut-il y en avoir trop?
Le constat de la saturation, Walter Benjamin le faisait déjà en 1929, lorsqu’il évoquait un monde «chargé à cent pour cent d’image». On peut l’interpréter de différentes manières. On peut tout d’abord considérer que l’on sera en peine de trouver des recoins de la planète encore vierges de toute figuration, et qu’après la colonisation planétaire des images, avec la nanotechnologie, plus qu’en extension, c’est désormais dans l’infiniment petit que pénètre la visualisation scientifique. Mais on peut aussi y entendre l’écho d’une lassitude: à quoi bon continuer à prendre de nouvelles images d’un lieu quand une autre, sans doute meilleure, est déjà disponible à distance d’un clic? C’est d’ailleurs le drame du métier de photographe professionnel qui, en l’espace de quelques décennies, s’est vu concurrencer par la photographie amateur, plus mobile et réactive, mais surtout par les banques d’images, où semble déjà stocké tout l’inconscient optique de l’humanité. Enfin, on peut donner un troisième sens encore à la saturation: être saturé, c’est être repu et rassasié. Le sommes-nous réellement? On peut le croire, au vu des effets anesthésiants de certains médias: face à certains drames retransmis à distance, nous sommes devenus complètement insensibles. Il suffit de penser au destin tragique des migrant·e·s, qui se scelle pourtant quotidiennement aux portes de l’Europe, et auquel nous nous sommes tristement habitués, ou, mieux encore, au drame syrien, qui n’émeut plus personne, après huit ans de guerre civile. Ceci dit, sur d’autres aspects, nous sommes loin d’être repus, et les iconophiles que nous sommes n’ont jamais été aussi gourmands. La pulsion scopique, cette force qui nous pousse à voir, encore plus et encore mieux, s’accommode mal d’un constat de saturation.

Peut-il y avoir trop d’images, me demandez-vous. Impossible d’y répondre comme cela. Ce qui est certain, c’est qu’il y en a qui produisent des effets de sidération et de capture, et qui inhibent nos capacités à penser et à construire du commun, tandis que d’autres, au contraire, contribuent à nous faire voir ce que nous ne voulions pas voir ou que nous n’avions pas assez bien perçu. Certaines images nous enferment dans le cliché, d’autres, au contraire, nous permettent de nous confronter à autre chose qu’à la sempiternelle répétition du même. Des premières, à mon goût, il y en a trop, en effet; des dernières, il n’y en aura jamais assez.

Des questionnements posées autour de l’exposition est née une nouvelle science, en quelque sorte. L’iconomie ou l’économie des images. De quoi s’agit-il et est-ce vraiment un questionnement nouveau ?
Oui et non. L’hypothèse iconomique que Peter [Szendy] propose dans son dernier ouvrage rejoint celle que nous avions mise à l’épreuve lors d’un projet de recherche financé par le Fonds national suisse, dans le cadre du Pôle national suisse Eikones sur la critique de l’image, à Bâle, avec ma collègue historienne Francesca Falk (le livre collectif BildÖkonomie. Haushalten mit Sichtbarkeiten, Fink, 2013, présente le fruit de ce travail). Nous nous étions inspirés d’autres travaux importants comme ceux de Jean-Joseph Goux, mais surtout du travail pionnier de Marie-José Mondzain (que l’on pense à son magnifique Image, Icône, Economie. Les sources byzantines de notre imaginaire contemporain, Seuil, 1996, lui-même précédé d’autres études). Car en fait – et c’est que souligne déjà Marie-José Mondzain – ce sont les théologiens de Byzance qui inventent l’économie de l’image, lorsqu’ils soulignent que l’économie du salut passe par un problème de l’image. Lorsque nous parlons d’iconomie aujourd’hui, nous n’inventons pas vraiment un nouveau mot: nous ne faisons que prononcer le mot «économie» comme on le prononçait à Byzance, comme une «iconomie» (c’est encore le cas du grec moderne, où l’icônomie et l’économie se confondent).

Pourquoi donc faire une hypothèse iconomique aujourd’hui? Eh bien parce que, si de tout temps, les images se sont vu attribuer une valeur (ou se sont vu refuser toute valeur, comme dans une certaine tradition intellectualisante de la métaphysique européenne), aujourd’hui, les images ne se contentent plus d’avoir une valeur, elles sont une valeur. Elles permettent d’abstraire ou de concrétiser et, souvent même, de se substituer à ce qu’elles sont censées représenter. Les images font objet de toutes les capitalisations aujourd’hui, on les achète et on les vend, et elles créent de la dette parmi ceux qui les contemplent. Faire l’hypothèse économique, c’est donc poser à nouveau la question de leur valeur d’usage, et ce à l’instant même où elles semblent se retirer vers un espace intangible et inaccessible. Bref, comment remettre la main sur ces images qui sont faites de nous à notre insu, et qui sont ensuite revendues, sous forme des métadonnées monnayables ? En somme, comment nous réapproprier des images et les remettre en circulation, de manière libre et non soumise?

Que voit-on dans l’exposition?
L’exposition utilise l’intégralité du Musée, sur les trois niveaux, et elle permet de voir 68 œuvres de 48 artistes venant des horizons les plus divers et travaillant sur les supports les plus variés. De la photographie, bien sûr, conformément à la tradition du Jeu de Paume, mais aussi des installations, de l’image en mouvement, vidéo, sculpture, des œuvres réalisées spécifiquement pour le site et même une performance, à voir durant les 3 premières semaines de l’exposition, ainsi qu’une installation sonore. L’expo est organisé selon un phrasé en 5 mouvements, dont chaque titre fonctionne aussi bien comme terme économique que pour désigner ces nouvelles réalités du visible: stocks, matière première, travail, valeur, échanges. Bien que l’accent soit clairement mis sur la création contemporaine, nous avons tenu à montrer que les artistes des générations précédentes avaient déjà anticipé nombre de questionnements qui sont aujourd’hui les nôtres. Le parcours sera donc ponctué par quelques incises qui peuvent paraître plus anachroniques – Moholy-Nagy, Hans Richter, Yves Klein, Les Frères Lumière, Richard Serra – et qui donnent pourtant, nous l’espérons, de l’effet de champ à notre propos. Parmi les surprises des années 1920, il y a une présentation des carnets de Sergeï Eisenstein sur le film jamais réalisé sur Le Capital de Karl Marx, ainsi que les tables analytiques de Kazimir Malevitch, qui donnent à voir ce que celui-ci qualifiait déjà, à l’époque, d’«économie des images».

Bref, je crois qu’il y aura de quoi intéresser toute personne ayant à cœur d’interroger ces réalités inédites qui innervent notre quotidien. L’expo sera ouverte jusqu’au 7 juin et j’emmènerai en tout cas mes étudiants pour un voyage d’études.

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  • du Professeur Emmanuel Alloa
  • du Jeu de Paume
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L’Egypte ancienne entre curiosité scientifique et fantasme /alma-georges/articles/2020/legypte-ancienne-entre-curiosite-scientifique-et-fantasme /alma-georges/articles/2020/legypte-ancienne-entre-curiosite-scientifique-et-fantasme#respond Tue, 18 Feb 2020 12:59:54 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=10447 «Ton rêve est une Egypte» – intitulé d’après le poème de Cocteau, le colloque «L’imaginaire de l’Egypte pharaonique dans la littérature et les arts» se tiendra du 5 au 7 mars à Miséricorde. Mais pourquoi l’Egypte antique nous fascine-t-elle toujours autant? Réponses de Cathie Spieser et Michel Viegnes.

L’exposition parisienne «Toutakhamon, le trésor du pharaon» est officiellement l’exposition la plus visitée de l’histoire de France avec 1’423’170 visiteurs en 6 mois. Ces chiffres vous surprennent-ils?
Ils sont fabuleux! De plus, ils ne concernent que la première étape d’une tournée mondiale et sont la preuve tangible de l’immense fascination exercée par l’Egypte ancienne dans le monde entier. Toutankhamon, c’est l’histoire de la découverte d’une tombe royale et de son trésor d’une richesse inouïe, témoignages d’une civilisation fascinante. Ce qui nous interpelle, dans notre âme et conscience, est le fait que l’Egypte ancienne, si brillante, ait pu disparaître au terme de 3000 ans d’existence. On peut se demander pourquoi? C’est une histoire qui nous touche de près parce que l’Egypte ancienne se situe aux fondements de notre propre civilisation et de notre culture. Elle nous a laissé des témoignages d’une grande beauté qui la rendent vivante à nos yeux. Nous avons beaucoup appris d’elle et encore beaucoup à apprendre. Son long déroulement, ses moments de gloire et de faiblesse, et sa fin ont quelque-chose d’instructif qui suscite une profonde réflexion sur la fragilité de notre propre existence.

L’Egypte antique semble être une terre inépuisable pour tous les fantasmes artistiques. Pourquoi ce lieu et ce moment  marquent-ils à ce point notre imaginaire?
C’est exactement la question à laquelle ce colloque tentera d’apporter une réponse, ou du moins des éléments de réponse, car c’est une problématique très complexe. Historiquement, l’Europe connaît l’Egypte pharaonique par le fait qu’elle est présente dans la Bible, en tant que royaume des «faux dieux», dont les Hébreux se délivrent à grand-peine pour partir en quête de la Terre Promise, sous la conduite d’un prophète qui a lui-même eu une éducation égyptienne. A l’époque de l’expédition d’Egypte, on est fasciné par la grande antiquité de cette civilisation. On connait le mot attribué à Bonaparte disant à ses troupes: «Du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent». A travers les monuments, les rites funéraires et les images de l’Egypte antique, on plonge vers les origines de l’Histoire, nimbées d’un mystère qui se dévoile peu à peu grâce à Champollion et à la naissance de l’égyptologie scientifique moderne. Mais pour certains esprits attiré par le côté «nocturne», l’Egypte est en effet une source inépuisable de fantasmes, peut-être parce qu’elle nous est à la fois proche et lointaine: plus proche que d’autres «territoires de rêve» comme l’Inde ou l’Amérique précolombienne, mais plus lointaine que la Grèce ou Rome.

Colosses de Memnon durant la crue

Vous distinguez égyptologie et égyptomanie. La seconde porte-t-elle préjudice à la première ou, au contraire, représente-t-elle une marque de reconnaissance dont bien peu de disciplines scientifiques peuvent se targuer? 
L’engouement et l’intérêt pour l’Egypte ancienne oscillent de la curiosité scientifique au fantasme. C’est l’expédition de Bonaparte (1798-1801) et la publication de la Description de l’Egypte, comptant 20 volumes de planches et de textes consacrés à l’étude du pays sous tous ses aspects: géographie, population, faune, flore, et ses monuments archéologiques, qui ont donné un élan formidable à la fois à l’égyptologie naissante et au phénomène égyptomaniaque, à savoir la «folie égyptienne», désignant la mode égyptisante qui peut toucher de nombreux domaines, allant des arts décoratifs à la littérature et au cinéma. L’égyptomanie ne dessert en rien l’égyptologie; bien au contraire elle peut accroitre l’intérêt pour l’égyptologie, une discipline qui regroupe l’histoire, l’archéologie et la philologie de l’Egypte antique. D’ailleurs, les musées l’ont bien compris en vendant des babioles égyptisantes et des reproductions plus ou moins réussies. L’égyptomanie est maintenant si ancienne qu’elle possède sa propre histoire qui est tout à fait digne d’intérêt… scientifique!

Peut-on dire que des personnages comme la momie, Cléopâtre ou Toutankhamon sont devenus des archétypes? Dans ce cas, que symbolisent-ils?
Le mot «archétype» est un peu difficile à utiliser dans la mesure où il renvoie à Jung, mais on peut dire que ce sont des «figures» de notre imaginaire collectif, véhiculées à la fois par la culture savante et ce qu’on appelle à tort ou à raison la culture «populaire». La momie représente notre désir d’immortalité, assez paradoxalement puisque ce n’est qu’un cadavre plus ou moins préservé, mais on la découvre d’abord à travers un sarcophage qui évoque un être endormi, vivant dans un rêve éternel. Le titre de notre colloque reprend d’ailleurs le début d’un poème de Jean Cocteau qui va dans ce sens: «Rien ne m’effraye tant que la fausse accalmie/ D’un visage qui dort./Ton rêve est une Egypte et tu es la momie/Avec son masque d’or». Un masque d’or à la Toutankhamon… Quant à Cléopâtre, c’est une figure de la séduction, une femme fatale antique qui exerce une emprise sur des hommes de pouvoir, comme Jules César et Marc-Antoine. Là encore, un stéréotype féminin qui se décline sur tous les registres, du plus tragique au plus léger, de Shakespeare à Astérix.


Si vous deviez conseiller trois œuvres pour débuter la collection d’un égyptomaniaque néophyte, lesquelles lui proposeriez-vous?
Pour commencer, je recommanderais la lecture du Roman de la momie de Théophile Gautier. C’est le premier jalon d’un mythe romantique de l’Egypte pharaonique, où une histoire d’amour sert de prétexte à des rebondissements mêlant le contexte biblique et les débuts de l’archéologie: l’archéologue tombant amoureux d’une femme morte depuis des millénaires, un thème que reprendront d’autres auteurs. Ensuite, Sinouhé l’Egyptien, du romancier finlandais Mika Waltari (1945) traduit dans de nombreuses langues et adapté comme péplum hollywoodien par Michael Curtiz en 1954: même s’il n’y occupe pas le rôle central, on y trouve cette figure intrigante d’Akhenaton, le «Pharaon hérétique» qui a voulu instaurer une réforme religieuse dans laquelle on peut voir un premier monothéisme à travers le culte du dieu solaire Aton. Et pour les amateurs de fantastique capables d’apprécier l’Egypte au second degré, soit le classique de Karl Freund, La Momie, avec Boris Karloff, qui inaugure au début des années trente une série de suites plus ou moins réussies, soit en BD la Trilogie Nikopol d’Enki Bilal, qui revisite la mythologie égyptienne avec la figure d’Horus en dieu rebelle. Voilà une sélection éclectique, comme l’est la culture égyptomaniaque dans son ensemble, depuis le XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui!

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  • est docteur habil. à l’
  • est professeur au
  • Le colloque se tiendra à l’Université de Fribourg, Miséricorde, salle 3113, du 5 au 7 mars 2020.
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Nos bibliothèques entre les lignes /alma-georges/articles/2020/nos-bibliotheques-entre-les-lignes-3 /alma-georges/articles/2020/nos-bibliotheques-entre-les-lignes-3#respond Wed, 29 Jan 2020 12:10:50 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=10279

Pas d’études, ni de recherches, sans bibliothèques. Régulièrement, les bibliothécaires de l’Université de Fribourg partageront, tout au long de l’année, le regard qu’ils posent sur leur bibliothèque. Gian-Andri Toendury nous emmène ce mois-ci à la découverte de la Bibliothèque d’histoire de l’art et de philosophie.

Je m’appelle Gian-Andri Toendury et je suis bibliothécaire scientifique de philosophie à la . Notre bibliothèque est en libre-accès et propose des places de travail sur le site de Miséricorde. Les domaines d’histoire de l’art et de philosophie y sont, bien sûr, représentés, mais un grand nombre de nos achats de livres et de périodiques sur papier sont placés dans les magasins de la BCU. On y trouve aussi des livres scientifiques de tout type et des appareils de séminaire. Les surveillant·e·s au guichet de prêt et les bibliothécaires qui travaillent dans les deux bureaux derrière ont tous, je le crois, à cœur de vous prêter main forte, de vous conseiller dans vos recherches de livres ou de vous guider dans les ressources électroniques.


Gian-Andri Toendury gère et développe les fonds de philosophie à la BHAP.

Mon quotidien
Mon temps de travail est consacré principalement à d’abord définir et choisir les ressources en philosophie, à les acquérir, puis à les mettre en valeur et à en faciliter l’usage. Au quotidien cela signifie que, à la première étape, je consulte des comptes rendus et des catalogues, que je teste des bases de données ou autres ressources et que je m’informe des besoins à Fribourg. Ainsi je pourrais, par exemple, suivre une conférence pertinente d’un nouvel enseignement en philosophie ou d’un nouveau projet de recherche. Je soigne également le contact avec les étudiant·e·s et chercheur·e·s d’autres manières. Pour la deuxième étape – l’aide et l’encouragement à l’utilisation des ressources – je prépare et donne des cours, je mets à jour ou développe le et je maintiens un consacré aux ressources électroniques et aux développements économico-politiques autour des ressources (Open Access, Peer review etc.).

De ma place de travail, je vois la cour centrale entre les bâtiments de l’Uni Miséricorde, mais il faut d’abord que le regard puisse se frayer un chemin à travers les piles de catalogues et autres…

Philpapers, un projet au service de la communauté
est ma ressource préférée. Cette base de données bibliographique de philosophie est née de l’initiative d’un petit groupe de philosophes professionnels, qui la maintiennent toujours. Elle est intéressante, entre autres, par ses fonctions de classification du texte en thématiques grâce à l’implication de la communauté académique et à l’analyse de texte assistée par ordinateur (text mining). Selon moi, l’origine d’un projet porté par des professionnels enthousiastes doit se répercuter jusque dans son mode de financement. Philpapers peut être consultée librement sur le web,tandis que sa pérennité financière est assurée par les universités au travers d’un abonnement. Les institutions (resp. les bibliothèques) qui s’abonnent à philpapers débloquent ainsi l’accès depuis leur campus tout en permettant l’accès gratuit au monde non universitaire. Ce mode de financement garantit des coûts d’abonnement raisonnables. Si philpapers essayait de pratiquer les prix prohibitifs des grands éditeurs (Elsevier, Springer Nature, Wiley, Taylor & Francis), les bibliothèques pourraient simplement conseiller à leurs usagers d’y accéderà titre privé. L’abonnement représente ainsi un mode de soutien et ne relève pas d’une obligation.

Des ondes de l’au-delà
Une personne qui avait réservé une place de travail dans la partie «philosophie» de la bibliothèque s’est plainte «d’ondes» dérangeantes. Nous lui avons proposé une place dans la partie «histoire de l’art». Tout s’est expliqué pour cette personne lorsqu’elle a appris que Miséricorde a été bâti sur l’emplacement de l’ancien cimetière municipal!

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  • de la Bibliothèque d’histoire de l’art et de philosophie
  • des bibliothèques de l’Université de Fribourg
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«1968 – das war ein Jahr, in dem ich mit vielem gebrochen habe» /alma-georges/articles/2019/1968-das-war-ein-jahr-in-dem-ich-mit-vielem-gebrochen-habe /alma-georges/articles/2019/1968-das-war-ein-jahr-in-dem-ich-mit-vielem-gebrochen-habe#respond Thu, 13 Jun 2019 12:51:13 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=8851 Regisseur Wim Wenders kommt nach Freiburg: Der 1995 zum Ehrendoktor unserer Universität ernannte Deutsche zeigt am Donnerstag, 13. Juni 2019 um 19.30 Uhr in der Aula Magna seinen 2018 erschienenen Film «Papst Franziskus – Ein Mann Seines Wortes». Der Weltstar spricht im Interview nicht nur ü²ú±ð°ù seinen Film und den kürzlich verstorbenen Schauspieler Bruno Ganz, sondern erstaunlich offen auch darü²ú±ð°ù, wie der Tod seines Vaters ihn zum Glauben zurückgebracht hat.

Herr Wenders, in Freiburg wird Ihr Dokumentarfilm ü²ú±ð°ù den Papst gezeigt. Worauf sollten wir uns besonders achten?
Eigentlich sollten Sie auf gar nichts achten, sondern sich nur einlassen. Was ja heute nicht selbstverständlich ist. Viele Menschen haben den Film einfach nicht gesehen, «weil der Papst drin vorkommt». Da ist ihnen wegen ihrs Vorurteils eine Überraschung entgangen. Dieser Mann ruft zu einer moralischen Revolution auf, nicht nur unter Christen, sondern allen Menschen guten Willens. Das ist in der Tat hochpolitisch, heute mehr denn je, wo viele unserer ‚World Leader’ keinerlei moralische Autorität mehr darstellen.


Was ist Ihnen aus künstlerischer Sicht speziell gut gelungen?
Ich wollte von Anfang an keinen Film ü²ú±ð°ù den Papst machen, sondern einen mit ihm. Auch meine ‚Meinung’ ü²ú±ð°ù den Papst fand ich unwichtig, Meinungen sieht man in jedem Fernsehfeuilleton, die sind ‚im Dutzend billiger’. Dieser Mann sollte so viel wie möglich selbst zu Worte kommen, mit all den Themen, für die er steht. Ich habe mich ja auch selbst bewusst aus dem Bild genommen und komme als Fragesteller nicht vor, nur ein paarmal als Erzähler. Ich dachte vielmehr: «Wenn ich schon mal das Privileg habe, Auge in Auge mit Papst Franziskus sein zu können, dann möchte ich genau das mit dem Publikum teilen: diesen direkten Blickkontakt, diese Nähe.» Also habe ich mir etwas ausgedacht, das es Franziskus erlauben würde, jedem Zuschauer ins Gesicht zu schauen, als ob sie alle auf meinem Platz säßen. Das ging aber nur, indem ich selbst auf diesen Platz verzichtet habe, zumindest physisch. Der Papst saß deswegen vor einem großen Teleprompter, nur dass darauf natürlich nicht sein Text zu sehen war, er sprach ja völlig spontan, aber eben mein Gesicht, als lebende Frage sozusagen. Und so schaut er jetzt jeden Zuschauer direkt an, indem wir beide zwar ‚Auge in Auge’ waren, aber eben durch diese Technik doch getrennt.

Sie haben ein ambivalentes Verhältnis zur katholischen Kirche, sind sogar aus ihr ausgetreten. Woher dennoch Ihr Interesse am Thema Religion?
Ich bin durchaus immer ein gläubiger Mensch gewesen, aber nicht unbedingt ‚religiös’. Das ist gewaltiger Unterschied, und dazu sagt schon Paulus jede Menge in seinen Briefen. Aber es stimmt, ich bin 1968 aus der Kirche ausgetreten, damals als sozialistischer Student. Das war ein Jahr, in dem ich mit vielem gebrochen habe. Da ging alles Mögliche ab, da waren die Demos, da haben wir gegen Vietnam protestiert, unter anderem die Filmhochschule besetzt und nicht zuletzt die bestehenden Zustände unterwandert und nachhaltig verändert. Danach ging das Filmemachen los, dann eine lange Psychoanalyse, was auch nicht gerade eine ‚religiöse’ Übung ist. Ich war damals auch viel in Japan und hab mich mit dem Buddhismus auseinandergesetzt. Aber bereits Ende der Achtziger bin ich in einem großen Bogen zum Glauben meiner Kindheit zurückgekehrt, ausgelöst durch den Tod erst meines Bruders und dann meines Vaters, die beide im selben Jahr starben, 1989. Meinen Vater habe ich in den letzten Monaten begleitet. Er wusste als Arzt auf den Tag genau, wann er sterben würde, war dabei völlig gelassen und angstfrei und ist dem Tod geradezu froh entgegengegangen, als der Verheißung, die für ihn damit verbunden war. Das hat mich auf eine ganz existentielle Weise zum Glauben zurückgebracht. Ein paar Jahre später bin ich auch wieder in die Kirche eingetreten, jedoch nach dem zwanzigjährigen Umweg nicht durch die katholische, sondern durch die evangelische Tür. Heute bin ich ü²ú±ð°ùzeugter ‚ökumenischer Christ’.

Der kürzlich verstorbene Schweizer Bruno Ganz war einer der Hauptakteure in Ihrem Film «Der Himmel ü²ú±ð°ù Berlin», in dem er den Engel Damiel spielte. Was zeichnete ihn als Schauspieler aus?
Seine große Herzlichkeit, Ehrlichkeit und geradezu fanatische Genauigkeit beim Erkunden eines jeden seiner Charaktere. Ich hatte das Privileg, dreimal mit Bruno arbeiten zu dürfen. Er war mit Sicherheit der größte deutschsprachige Schauspieler seiner Zeit, hat aber aus seiner phänomenalen Begabung nie ein großes Bohei gemacht, sondern war auch immer ungemein bescheiden und um das Wohl seiner Mitschauspieler besorgt, in der Weise, dass er sie auch immer zu Höchstleistungen mitgezogen hat.

An der Universität Freiburg gibt es mit Unicam das grösste Studierendenfernsehen der Schweiz. Wie erklären Sie der Generation Y oder Z die Faszination für eine Kamera?
Diese Faszination muß man denen, glaube ich, nicht erklären. Heute macht praktisch jeder Bilder und Filme und sendet sie sofort in die ganze Welt. Die Faszination der Kamera hat sich multipliziert, auch durchaus auf eine Weise, die man sich vor einem Vierteljahrhundert noch nicht vorgestellt hätte. Erinnern Sie sich an das erste Telefon, das nicht nur eine, sondern auch eine zweite Linse hatte, die ‚nach hinten’ losging? Ich glaube, das war ein Nokia. Damals wurde das vielleicht nur als ein Gimmick angesehen, aber die Selfie-Kultur, die das mit sich gebracht hat, hat auf jeden Fall unser Verständnis von Photographie verändert, letztendlich sogar unsere Gesellschaft. Heute hat ja jeder Mensch praktisch so eine Smartphone-Kamera bei sich, die eben in beide Richtungen Fotos schießt und filmt. Und ich denke mal, das ‚zweite Auge’ wird mindestens so oft genutzt wie das erste, ist dabei aber ungemein narzisstischer ausgestattet als das erste, das sich mehr für die Welt interessiert.

Womit kann man Sie eigentlich begeistern?
Mit Musik (fast) jeder Art. Mit Malerei (fast) jeder Art. Mit Architektur. Mit Romanen. Mit Gedichten.

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  • Wim Wenders’
  • Wim Wenders im Gespräch mit Roger
  • Wim Wenders auf im Rahmen des Zürich Film Festival
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Pratiquer l’art de la conversation /alma-georges/articles/2019/pratiquer-lart-de-la-conversation /alma-georges/articles/2019/pratiquer-lart-de-la-conversation#respond Mon, 25 Feb 2019 10:06:08 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=7849 Saviez-vous que la conversation est un art? La Bibliothèque cantonale et universitaire (BCU) vous invite à le pratiquer lors d’une nouvelle série d’événements. A l’occasion de trois soirées, le public, guidé par un premier intervenant, pourra s’interroger et échanger ses impressions sur la relation que nous entretenons avec l’art contemporain. Quelques questions à la Professeur émérite Simone de Reyff, organisatrice de ce nouveau cycle, pour vous mettre les mots sur le bout de la langue.

«Ni conférence, ni débat, mais conversation!». Comment se déroulera une soirée?
La série imaginée par les Amis de la BCU se veut une expérience. Offrir aux personnes qui le souhaitent un lieu où échanger librement des idées sur un sujet qui les intéresse. Cette tentative est en relation directe avec le projet de rénovation et d’agrandissement de la BCU. La multiplication des espaces d’accueil coïncidera avec une vocation renouvelée de la Bibliothèque, qui sera beaucoup plus largement ouverte au public. Il faut donc dès maintenant esquisser les modalités de ces contacts avec la cité. C’est une des tâches majeures de l’Association des Amis de la BCU.

Vous remarquerez que nous n’avons pas intitulé la série «Les plaisirs», mais bien «L’art de l’art de la conversation». La conversation suppose en effet une discipline de la part de ceux qui s’y adonnent. Chacun doit s’ingénier à réaliser l’équilibre qui fait que l’on prend la parole sans l’accaparer. Ce n’est pas par hasard que les cercles où l’on aimait jadis à converser ont vu éclore de nombreux ouvrages de réflexion sur cet échange désintéressé et courtois.

Si la conversation repose sur des lois non écrites, elle n’en est pas moins un exercice spontané. C’est pourquoi il m’est difficile de vous dire comment se dérouleront ces trois soirées. Elles seront ce que voudront en faire ceux qui y participeront. Chacune d’entre elles sera introduite par un spécialiste du domaine abordé, les Professeurs Luca Zoppelli pour la musique, Victor Stoïchita pour les arts plastiques et Thomas Hunkeler pour la littérature. Leur bref exposé aura pour objectif de cerner le sujet, et d’inviter les participants à rebondir, en exprimant leurs interrogations ou en évoquant leurs expériences.

Cette première série s’intéresse à la relation entre public et art contemporain. Vous relevez un certain malaise face aux créations actuelles. Qu’est-ce qui vous amène à ce constat ?
En étudiant la littérature française, j’ai été de plus en plus intéressée par ce que l’on appelle le «canon», autrement dit la liste des  auteurs (ils sont peu nombreux !) qui ont survécu à leur époque pour devenir des «classiques». Ce qui m’a amenée à m’interroger sur le basculement entre deux formes de rapport à la littérature. Pendant longtemps, les Français se sont intéressés exclusivement la production de leurs contemporains, si l’on met à part la lecture des Anciens, qui relève de l’école. L’histoire littéraire est une pratique relativement récente.

La question se pose assez différemment suivant les domaines artistiques.  Aujourd’hui, on continue de lire par priorité, mais moins exclusivement,  les Å“uvres contemporaines. En revanche, dans le domaine de la musique «classique», on n’écoute guère que des Å“uvres du passé. Le rapport entre le public et les créateurs de notre temps se manifeste de manière plus complexe encore pour ce qui est des arts plastiques.

Sans doute ne suis-je pas la seule à faire de telles observations, dont je ne sais trop que conclure. C’est pourquoi j’ai pensé que ce serait un bon sujet d’échange pour ceux qu’intéresse non seulement l’évolution des arts et des lettres, mais notre rapport immédiat à cette évolution.

Cette expérience est-elle appelée à se prolonger dans d’autres éditions ?
Tout dépendra de l’accueil qui sera fait à notre initiative. Si nous constatons que la proposition répond à une attente, nous sommes naturellement prêts à envisager d’autres séries, sur des sujets susceptibles d’intéresser le public. Quelques idées ont déjà été avancées: la présence des langues anciennes à l’école, le rapport à la lecture. Mais on peut également imaginer des ouvertures différentes, non exclusivement centrées sur des thèmes culturels, au sens étroit de ce terme.

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  • Simone de Reyff est professeure émérite de littérature française à l’Université de Fribourg.
  • Plus de renseignement dans l’ de l’Université de l’Unifr.
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Uni-informel – Sous mes yeux: la naissance d’une fresque /alma-georges/articles/2017/uni-informel-sous-mes-yeux-la-naissance-dune-fresque /alma-georges/articles/2017/uni-informel-sous-mes-yeux-la-naissance-dune-fresque#respond Wed, 30 Aug 2017 09:11:40 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=4667 A l’Université on assiste souvent à l’éclosion de jeunes carrières, mais n’est pas tous les jours qu’on a la chance d’assister en direct à la naissance d’une Å“uvre d’art. C’est le privilège qu’a eu, cet été, Sandrine Fessler à son bureau d’Uni-Info.

Jeudi 13 juillet, par un chaud après-midi. En levant les yeux de mon écran d’ordinateur, j’aperçois un tagueur en train de faire un graffiti sur le mur menant à la cité St-Justin, en pleine journée, au vu et au su de tous! Il y en a qui ne manquent pas de toupet, quand même! En y regardant mieux, je m’aperçois qu’il a pris soin de scotcher une protection plastifiée sur la chaussée et qu’il dispose d’un mini-échafaudage portatif… Mmhh… Il s’agit donc vraisemblablement d’un projet officiel! Grâce à la paroi complètement vitrée du bureau d’Uni-Info, je suis aux premières loges pour suivre l’avancée du travail. Le peintre tient, d’une main, un dessin qui lui sert de modèle et, de l’autre, un spray de peinture dorée, avec lequel il esquisse les contours de son dessin. On devine des personnages, beaucoup de personnages.

Lundi 17 juillet, par une matinée déjà chaude. La fresque a pris des couleurs. L’artiste se trouve maintenant à la moitié du mur, mais pas à la moitié de son labeur. En effet, en raison de la pente du sol, le mur devient de plus en plus haut à mesure que l’on s’approche du foyer estudiantin. A droite, le dessin n’est encore qu’une esquisse dorée sur du béton gris, alors qu’à gauche, des personnages colorés et stylisés, parfois de face, parfois de profil, un peu imbriqués les uns dans les autres, semblent discuter. En cette phase de coloriage, j’admire la dextérité de notre homme à manier les bombes de peinture: sans avoir recours à aucun cache ou autre pochoir, ses traits sont d’une netteté parfaite.

En fin d’après-midi, je me permets d’aborder le graffeur. Il s’appelle Adrian Gander, et si ce projet est né de sa propre initiative, il n’a pas eu de peine à convaincre la direction de St-Justin, avec sa représentation colorée de rencontres internationales. Il me montre volontiers son brouillon. Il en parle un peu aussi, sans en dire trop toutefois. En effet, il aime laisser un peu de place à l’interprétation du spectateur.

Lundi 31 juillet, par une matinée non moins chaude. De retour de vacances, je découvre la fresque dans sa totalité. Les personnages colorés se sont multipliés. Si, sur la droite, la terre est bien reconnaissable, ce qui la soutient l’est beaucoup moins. Une main, peut-être? En-dessous du globe terrestre, des arcs de cercle tissent des liens entre des personnages.

Le jour précédent, en épluchant mon courrier en retard, j’avais constaté que cette réalisation n’était pas passée inaperçue: Adrian Gander a non seulement fait l’objet d’un article très détaillé dans La Liberté (25.07.2017), mais il est également l’une des «Têtes d’affiche de la semaine» dans ±ô’I±ô±ô³Ü²õ³Ù°ùé (n°31, 02.08.2017).

Une question me taraude néanmoins: sauf erreur, Adrian Gander m’avait dit que son projet concernait les deux côtés du mur. Or, la face située côté chapelle est encore vierge. C’est pourquoi je vous conseille de garder l’œil ouvert: il n’est pas impossible que l’un de ces quatre matins, en levant les yeux de votre écran d’ordinateur, vous assistiez comme moi à la naissance d’une fresque.

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  •  Site d’
  • , le site d’Adrian Gander
  • sur Adrian Gander dans La Liberté du 25.07.2017

 

 

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