Recherche – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Tue, 17 Jun 2025 11:20:41 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 Des milliers de monnaies romaines sortent de l’ombre /alma-georges/articles/2025/des-milliers-de-monnaies-romaines-sortent-de-lombre /alma-georges/articles/2025/des-milliers-de-monnaies-romaines-sortent-de-lombre#respond Tue, 17 Jun 2025 11:19:19 +0000 /alma-georges?p=22416 La chaire francophone d’histoire de l’Antiquité de l’Université de Fribourg a réuni près de 2000 pièces de monnaies datant de l’époque romaine dans une base de données numérique. Longtemps invisibles, elles deviennent aujourd’hui accessibles aux numismates du monde entier. Cédric Brélaz, professeur d’histoire de l’Antiquité et directeur scientifique du projet, nous en explique tout l’intérêt.

Comment vous est venue l’idée de créer cette base de données numismatique?
Les humanités numériques sont aujourd’hui très en vogue dans les sciences humaines, à tel point que le Fonds national suisse exige désormais la création de bases de données pour tout projet qu’il finance. Dans certains cas, cela a du sens, dans d’autres beaucoup moins. Mais pour la numismatique, c’est réellement pertinent. Dans le cadre de ce projet, nous avons affaire à des milliers de pièces, souvent très similaires, disséminées entre plusieurs institutions: le Musée d’art et d’histoire de Fribourg, le Musée de Morat, le Musée Bible+Orient de notre Université. Jusqu’à présent, elles étaient peu ou pas étudiées, et rarement publiées dans leur intégralité.

L’objectif est-il de réaliser des analyses statistiques?
Avant tout, cette base permet une diffusion des données bien plus ergonomique que les publications traditionnelles. Pendant longtemps — et encore aujourd’hui — les pièces étaient publiées dans des catalogues imprimés, avec des planches de photographies souvent de qualité médiocre. Grâce aux outils numériques, on accède plus facilement à l’information, et l’on peut effectivement produire des analyses, croiser les données, interroger un corpus de pièces sur divers critères. Il faut garder à l’esprit que ces objets sont rarement uniques: les monnaies étaient frappées à des centaines de milliers d’exemplaires. L’un des grands bénéfices, c’est qu’un chercheur ou une chercheuse, en Amérique du Nord par exemple, peut désormais consulter ces pièces sans avoir à se déplacer.

A qui s’adresse cette base de données?
Il y a deux publics cibles. D’une part, un public érudit, passionné par le patrimoine. C’est d’ailleurs une mission fondamentale de l’Université: jouer un rôle de passeur entre les collections publiques et la société. D’autre part, cette base vise évidemment la communauté scientifique. De nombreuses pièces conservées ici échappaient jusqu’alors aux radars de la recherche internationale, faute de publication. Or, les chercheurs et chercheuses en numismatique ont besoin d’accéder à un maximum de spécimens. Cette base fribourgeoise leur offre une nouvelle source de données précieuse.

Ces pièces avaient-elles déjà été étudiées?
Non, il a fallu tout reprendre depuis le début. Pour la collection du Musée d’art et d’histoire, cela représente environ 1500 pièces, majoritairement romaines. Un inventaire sommaire existait, réalisé par des collaborateur·trice·s du musée et du Service archéologique de l’Etat de Fribourg. Nous avons mené ce travail dans le cadre de mes cours de numismatique, avec les étudiantes et étudiants. L’une d’elles, Julie Python, y a même consacré son mémoire de master et une autre, Alicia Lehmann, travaille actuellement sur ce matériel.

Cela a dû être un vrai travail de bénédictin!
Effectivement! Il a fallu identifier chaque pièce — c’est ce qu’on appelle la détermination —, les décrire précisément, évaluer leur état de conservation et les rattacher à des types déjà connus dans la littérature spécialisée. Ce travail a été complété par des photographies de très haute qualité, réalisées par un photographe professionnel ici à Fribourg.

Y a-t-il des pièces particulièrement remarquables dans cette collection?
Ma réponse peut paraître paradoxale: non, il n’y a pas de pièce véritablement exceptionnelle, et c’est justement ce qui fait l’intérêt de la collection. La numismatique ne s’intéresse pas seulement aux objets rares ou esthétiques. Elle repose aussi — et peut-être surtout — sur l’étude des pièces ordinaires, très largement diffusées dans l’ensemble de l’Empire romain. Les petites pièces en bronze, de faible valeur, servaient aux achats quotidiens. Elles sont souvent corrodées, en mauvais état, mais leur intérêt scientifique est majeur. Elles permettent d’étudier les réseaux de diffusion monétaire et les usages économiques. Cela dit, il y a aussi quelques pièces remarquables, comme cette monnaie en or issue d’un trésor découvert à Portalban au début du XXᵉ siècle. Elle constitue le fleuron de la collection du Musée d’art et d’histoire. Mais, d’un point de vue scientifique, les plus belles pièces ne sont pas nécessairement les plus importantes.

Qu’en est-il du contexte archéologique de ces monnaies?
C’est un vrai problème. La plupart des collections ont été constituées à partir de donations privées dès la fin du XVIIIᵉ siècle. A Fribourg, certaines pièces proviennent même de dons faits par des officiers fribourgeois au service du roi de France qui avaient reçu des monnaies du Cabinet des médailles à Paris. A l’exception des pièces du trésor de Portalban, nous ne connaissons pas le contexte archéologique précis des objets. Or, cela constitue une perte d’informations historiques considérable. On ignore le lieu exact de découverte, les objets associés et on ne peut donc pas dater l’enfouissement avec précision. Il y a un enjeu éthique majeur: le marché de l’art numismatique est légal, mais les pièces qui y circulent proviennent parfois de fouilles illégales.

Est-ce que cette base pourrait intéresser des collectionneurs privés ?
Ce n’est pas l’objectif premier, mais ce serait un développement idéal. Un collectionneur privé, resté anonyme, nous a déjà confié une très belle collection de 323 pièces qu’il a acquises légalement. Il en reste propriétaire, bien sûr, mais il nous a permis de les étudier avec les étudiant-e-s, ce qui est une opportunité précieuse. J’ai d’ailleurs organisé un colloque début avril sur cette question. Des collectionneuses et collectionneurs étaient présent·e·s et je leur ai lancé un appel: si certains souhaitent nous confier leurs pièces à des fins scientifiques ou didactiques, ce serait formidable. L’idéal serait bien sûr qu’ils en fassent don à l’Université.

Comment cette base a-t-elle été créée techniquement?
Elle a vu le jour grâce à un soutien du Fonds d’innovation pédagogique de la Faculté des lettres et des sciences humaines. La réalisation technique a été assurée par la Direction informatique de l’Université, et plus précisément par son service dédié aux bases de données éducatives en la personne de M. Alrick Deillon. Elle fonctionne très bien, mais l’étape suivante, que j’ai évoquée lors du colloque, serait de l’intégrer aux grandes plateformes internationales déjà existantes. Il existe des bases majeures comme celle de l’American Numismatic Society à New York, du Cabinet des médailles à Paris, des Musées de Berlin ou du British Museum. L’objectif serait que notre base fribourgeoise, modeste mais solide, puisse rejoindre ce réseau. Ce serait à la fois un aboutissement et un point de départ vers un projet de plus grande ampleur.

La communauté scientifique pourrait-elle remettre en question certaines de vos déterminations?
Absolument, et c’est même souhaitable. L’un des avantages du numérique, par rapport à l’imprimé, est que les données peuvent être mises à jour en continu. C’est une force, mais aussi un piège: tout semble toujours provisoire, et cela peut nuire à la rigueur. Cela dit, nous restons ouverts à la discussion. Si des collègues repèrent des erreurs ou souhaitent corriger certains points, ce serait extrêmement précieux. La base a vocation à évoluer, à s’enrichir et à devenir un véritable outil collaboratif au service de la recherche.

Photo d’illustration: Aureus de Vespasien représentant le portrait de Titus, atelier de Rome, 75 ap. J.-C. Trésor de Portalban, Musée d’art et d’histoire de Fribourg, n° inv. 16336.

_________

 

 

]]>
/alma-georges/articles/2025/des-milliers-de-monnaies-romaines-sortent-de-lombre/feed 0
Apprentissage: une étude sur les évaluateur·rice·s /alma-georges/articles/2025/apprentissage-une-etude-sur-les-evaluateur%c2%b7rice%c2%b7s /alma-georges/articles/2025/apprentissage-une-etude-sur-les-evaluateur%c2%b7rice%c2%b7s#respond Wed, 28 May 2025 07:47:37 +0000 /alma-georges?p=22379 Le chercheur David Jan s’est penché sur les expert·e·s qui évaluent sur le terrain le savoir-faire des apprenti·e·s. Une manière d’apprécier les compétences, mais aussi de se nourrir d’échanges entre professionnel·le·s et revoir ses propres pratiques.

David Jan

En Suisse, l’apprentissage reste la principale voie de formation pour les jeunes. Une enquête menée en avril 2024 par le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI) montrait que 64% des jeunes de 14 à 17 ans privilégiaient cette voie après l’école obligatoire, devant le gymnase et l’école de culture générale. Cette formation en entreprise se termine par un examen, dont une partie en situation sur le terrain.
L’étape est loin d’être anecdotique. A caractère éliminatoire, elle compte pour 30% de la note finale. Le jour «J», deux examinateur·trice·s se rendent dans l’entreprise afin d’évaluer les compétences acquises par l’apprenti·e durant sa formation. «Ces personnes proviennent d’une autre entreprise de la branche. C’est une manière de valider, au sein de la branche, que le ou la futur·e professionnel·le connaît son métier», précise David Jan.

Proche de son sujet
Assistant diplômé au Département des sciences de l’éducation et de la formation de l’Université de Fribourg, David Jan vient justement de boucler et de soutenir une thèse de doctorat sur cette partie de l’évaluation finale. Un sujet qu’il a également vulgarisé en participant au concours de Ma ճè en 180 secondes. Il s’est concentré sur la filière du commerce de détail en alimentation. Domaine qu’il connaît bien.
Car c’est dans ce domaine qu’il a d’abord évolué professionnellement avant de poursuivre vers l’Université et la recherche. Formateur d’examinateur·trice·s, il a aussi enseigné à l’école professionnelle. De plus, ce natif de Bienne a lui-même été évaluateur durant 15 ans. C’est dire s’il connaît la filière. Il a d’ailleurs commencé dans les rayonnages durant son gymnase. Un job d’étudiant. «Je cherchais à économiser pour visiter au Japon celle qui est aujourd’hui devenue ma femme», dit-il.

Pas de biais de genre ni d’âge
L’intérêt du travail de David Jan, c’est qu’il permet d’en savoir plus sur les réalités de la transmission et de la validation des compétences acquises au sein d’une branche professionnelle. Pour mener ses recherches, il a recouru à des questionnaires et à des groupes de discussion. Cela représente en tout plus de 200 personnes issues du commerce de détail en alimentaire, mais aussi des employé·e·s de commerce et des personnes du commerce de détail en général.
David Jan a cherché à mieux comprendre la manière dont les évaluateur·trice·s fondaient leur jugement et construisaient leur évaluation. Il s’est également penché sur leurs motivations, ce qu’ils et elles retiraient de ce travail. Ce dernier point est particulièrement intéressant lorsque l’on sait que ces professionnel·le·s prennent souvent sur leurs congés ou effectuent des heures supplémentaires pour effectuer ces examens. «Dans certaines entreprises, c’est proche du bénévolat», fait-il remarquer.
Son travail montre d’abord que la majorité des expert·e·s évaluent en fonction des besoins réels du métier — une approche dite critériée — plutôt qu’en se fondant sur leurs expériences personnelles ou leurs représentations de ce qu’est une “bonne” pratique — une approche normative. «Ce qui est positif», relève David Jan, qui ne constate au passage pas de biais de genre, d’âge ou du nombre d’années de travail.

Le chercheur observe en revanche un biais d’années d’expérience en tant qu’expert·e. L’une des personnes qui participe à sa recherche occupe cette fonction depuis plus de 30 ans. «Dans le cas d’une personne expérimentée dans l’expertise, on trouve souvent plus d’aisance et une facilité encore plus grande à se baser sur l’évaluation critériée», observe-t-il.

Réinvestir les erreurs des autres
De même, la capacité à l’auto-évaluation se trouve renforcée. Il faut comprendre par-là que l’expert·e profite de ce moment chez un concurrent pour réfléchir à la pratique formatrice dans sa propre entreprise. «C’est un réinvestissement des erreurs vues chez les autres», explique David Jan, qui précise que ces journées d’expertise représentent souvent un changement bienvenu dans le quotidien par les évaluateur·trice·s.

Car au-delà de l’apprenti·e pour lequel ou laquelle ils et elles se déplacent, c’est également une occasion pour ces personnes d’échanges informels et stimulants entre professionnel·le·s. «Cela nourrit une saine émulation au sein de la branche». En revanche, sa recherche souligne quelques points négatifs. Les formations pour devenir expert·e apparaissent souvent comme non-significatives aux yeux de ces derniers et de ces dernières.

Pour David Jan, le contenu des cours est moins en cause que l’impression que peuvent avoir ces professionnel·le·s de retourner sur les bancs d’école. Ce qui est souvent vécu désagréablement, observe le chercheur. Ce qui peut s’expliquer par le fait que, dans certains cas, l’expert·e s’est construit·e dans son travail dans un esprit de revanche (avec succès d’ailleurs) à la suite d’une scolarité qui a pu être vécue comme difficile.

L’importance d’expliquer
«Certain·e·s auraient ainsi construit des barrières en eux/elles. Retourner à l’école, signifierait alors retourner là où j’étais un cancre», continue David Jan. Si les cours peuvent être vécus comme un passage obligé par les personnes qui s’impliquent, elles voient souvent en revanche le travail d’expert·e comme très intéressant. Même si, dans certaines branches, comme la cuisine et les soins, trouver des volontaires s’avère difficile.

La raison tient dans les réalités de ces domaines, qui manquent souvent de personnel et dans lesquels les potentiel·le·s expert·e·s n’arrivent pas à dégager du temps. Comment améliorer les choses ? Pour David Jan, l’incitation financière n’est pas la bonne piste. «On passerait ainsi à côté de ce qui fait le cœur de cette activité.» Il voit une piste dans la mise en place de stage pour les futur·e·s expert·es et l’importance d’expliquer, auprès des diverses filières, l’intérêt de ces mandats hors-entreprise: développer une vision globale de son métier en regardant ce qui se fait ailleurs et profiter d’échanges intéressants entre professionnel·le·s.

_________

]]>
/alma-georges/articles/2025/apprentissage-une-etude-sur-les-evaluateur%c2%b7rice%c2%b7s/feed 0
Dans l’ère du temps /alma-georges/articles/2025/dans-lere-du-temps /alma-georges/articles/2025/dans-lere-du-temps#respond Wed, 21 May 2025 13:21:49 +0000 /alma-georges?p=22343 Dans nos sociétés du «tout numérique», notre rapport au temps évolue au gré des avancées technologiques. Pour échanger sur le rapport entre temps et numérisation et ses impacts sur notre qualité de vie, un symposium interdisciplinaire s’est tenu à l’Université de Fribourg.

«Le temps, c’est de l’argent», écrivait Benjamin Franklin en 1748. Mais le temps est bien plus que cela. S’il a toujours été une valeur limitée car non extensible, aujourd’hui il est devenu une denrée rare. Gagner du temps est une gageure, ne pas en perdre une obligation. De la rationalisation du travail survenue durant la Révolution industrielle à la possibilité d’être connecté·e·s 24h/24, notre rapport au temps a considérablement changé aussi bien dans nos vies professionnelles que privées. Avec pour conséquence un sentiment d’accélération continue, comme si les jours, les mois et les années passaient de plus en plus vite. L’utilisation de technologies numériques a encore accentué le phénomène, car en nous permettant d’être stimulé·e·s facilement, à tout moment et n’importe où, nous sommes constamment sollicité·e·s. Mais quels sont les impacts de ces changements sur notre qualité de vie? Pour y répondre, des expert·e·s de six pays européens, dont la Suisse, analysent en quoi la perception, l’utilisation et l’allocation du temps sont influencées par le niveau de numérisation et les normes culturelles.

Expériences temporelles étudiées
Réuni·e·s au sein d’un vaste projet baptisé TIMED, ces chercheur·euse·s décortiquent le rapport entre temps et numérisation. «Le projet européen consacré à l’expérience du temps à travers l’Europe à l’ère digitale réunit des sociologues, des philosophes, des ingénieurs, des psychologues et des spécialistes des médias. L’intérêt de ce symposium organisé à l’Université de Fribourg est de les réunir, ainsi que des personnes externes avec lesquelles nous pouvons échanger, réfléchir aussi à l’impact de nos résultats de recherches.», explique Chantal Martin Sölch, Vice-rectrice et professeure de psychologie clinique et de la santé à l’Université de Fribourg. Cette journée d’échanges interdisciplinaires favorise aussi le réseautage, le dialogue et les collaborations. De quoi mettre en valeur l’état des recherches sur des thématiques aussi variées que de comprendre comment les jeunes négocient le temps d’accès aux médias sociaux et à la socialisation ou le harcèlement numérique et les activités des jeunes en ligne, sans oublier aussi d’échanger sur les perceptions que nous pouvons avoir du temps qui passe. «Nous avons mené des études qualitatives par le biais d’entretiens avec différentes personnes dans tous les pays d’Europe associés au projet. Il en ressort que l’utilisation des technologies digitales nous vole du temps, les gens ont l’impression de perdre leur temps, de ne plus avoir la mesure du temps lorsqu’ils et elles sont sur les médias sociaux. Mais d’un autre côté, on constate que les personnes plus jeunes ont développé leurs propres stratégies pour diminuer le temps qui leur est volé sur les réseaux sociaux. Il y a donc une sorte d’apprentissage, d’adaptation qui se met en place.», précise Chantal Martin Sölch. La réflexion porte aussi sur la pression du temps qu’opère la digitalisation. «Nous recevons plus de messages, nous sommes constamment sollicité·e·s par tous les canaux et cela crée une plus grande charge mentale. Mais de l’autre côté, il y a le lien à la productivité. Lorsqu’on a le sentiment d’avoir été productif·ve, d’avoir gardé le contrôle, cela engendre un sentiment de satisfaction et de bien-être».

Se réapproprier le temps
L’étude menée par TIMED démontre que les personnes sondées ont le sentiment que les médias sociaux tuent leur temps. Or, Chantal Martin Sölch est convaincue «qu’il faut apprendre ou réapprendre à gérer son temps entre productivité au travail, temps de loisirs et pourquoi pas, perdre son temps. Il ressort aussi de nos recherches qu’il est difficile pour les gens d’avoir l’impression de ne rien faire de son temps. Cela engendre beaucoup de culpabilité. Ce qui est aussi le cas lorsque des personnes ont l’impression de perdre du temps parce qu’elles ont passé un moment plus ou moins long à regarder des vidéos sur les réseaux sociaux.» Se réapproprier son temps est donc nécessaire, quitte à se priver momentanément du numérique.

L’affect positif du Sudoku
Les chercheur·euse·s de TIMED ont analysé l’impact que peut avoir une privation numérique de sept minutes et demie sur l’état psychophysiologique et la perception du temps. Pour ce faire, 90 participant·e·s, réparti·e·s en trois groupes, devaient soit utiliser librement leur smartphone, soit effectuer un sudoku, soit attendre (privation numérique passive). Activité électrodermale, rythme cardiaque, état affectif des sujets ont été recueillis. Il ressort de cette expérience que les participant·e·s n’exerçant aucune activité s’ennuyaient plus que les sujets «actifs» et avaient le sentiment que le temps passait plus lentement. «Le Sudoku a induit plus d’affect positif et était plus engageant sur le plan cognitif que l’utilisation gratuite d’un smartphone en ce qui concerne les mesures de la variabilité de la fréquence cardiaque. Les résultats suggèrent que l’exécution d’une tâche numérique (utilisation gratuite d’un smartphone) est moins exigeante sur le plan cognitif qu’une tâche non numérique (sudoku) et qu’elle modifie la perception du temps de la même manière.», révèle, entre autres, l’étude qui devrait être répliquée sur le terrain avec des périodes de privation numérique plus longues afin de confirmer ces résultats.

__________

 

]]>
/alma-georges/articles/2025/dans-lere-du-temps/feed 0
Dix ans de recherches et de dialogue entre l’islam et la société en Suisse /alma-georges/articles/2025/dix-ans-de-recherches-et-de-dialogue-entre-lislam-et-la-societe-en-suisse /alma-georges/articles/2025/dix-ans-de-recherches-et-de-dialogue-entre-lislam-et-la-societe-en-suisse#respond Tue, 13 May 2025 13:40:39 +0000 /alma-georges?p=22272 Dix ans après sa création, le Centre Suisse Islam et Société a fêté son anniversaire dans une salle comble, entre discours officiels et échanges passionnants. Chercheuses et chercheurs y ont présenté leurs travaux de terrain, offrant un aperçu précieux de leurs recherches. Une occasion de mesurer le chemin parcouru — et celui qu’il reste à tracer — pour mieux comprendre et penser la place de l’islam dans la société suisse.

 

_________

]]>
/alma-georges/articles/2025/dix-ans-de-recherches-et-de-dialogue-entre-lislam-et-la-societe-en-suisse/feed 0
Mehr als zwei Kategorien – Was wir über Geschlecht neu lernen müssen /alma-georges/articles/2025/mehr-als-zwei-kategorien-was-wir-ueber-geschlecht-neu-lernen-muessen /alma-georges/articles/2025/mehr-als-zwei-kategorien-was-wir-ueber-geschlecht-neu-lernen-muessen#respond Wed, 16 Apr 2025 11:12:34 +0000 /alma-georges?p=22230 Viele Menschen wachsen mit dem Glauben auf, es gäbe nur zwei biologische Geschlechter. Doch die Forschung von Prof. Anna Lauber-Biason zeigt: Die Realität ist vielschichtiger. In diesem Audio-Beitrag erzählt sie unter anderem, wie die Wissenschaft dazu beitragen kann, Menschen mit Varianten der Geschlechtsentwicklung besser zu verstehen – und zu respektieren.

Zum Podcast:

_________

]]>
/alma-georges/articles/2025/mehr-als-zwei-kategorien-was-wir-ueber-geschlecht-neu-lernen-muessen/feed 0
Les villes européennes, actrices de l’histoire /alma-georges/articles/2025/les-villes-europeennes-actrices-de-lhistoire /alma-georges/articles/2025/les-villes-europeennes-actrices-de-lhistoire#respond Wed, 02 Apr 2025 08:34:26 +0000 /alma-georges?p=22138 De l’Empire romain à l’époque contemporaine, les villes ont toujours joué un rôle clé dans l’organisation du pouvoir en Europe. A travers une approche comparative et transversale, l’ouvrage Patterns in the History of Polycentric Governance in European Cities explore comment les villes ont su préserver leur autonomie et interagir avec les grandes structures politiques. Cédric Brélaz, professeur ordinaire d’histoire de l’Antiquité et président du Département d’histoire, nous parle de ce passionnant projet collaboratif.

Comment vous est venue l’idée d’étudier le rôle des villes au travers de quatre périodes historiques, depuis la période impériale romaine jusqu’à l’époque contemporaine?
Il se trouve que la façon dont les villes se sont constituées et que la marge de manœuvre dont celles-ci ont pu disposer dans leurs relations avec des entités de plus grande envergure (confédérations, royaumes, empires) occupent une place importante dans la recherche historique, toutes périodes confondues. L’autonomie dont jouissaient les communautés locales au sein de l’Empire romain, l’émergence des communes au cours du Moyen-Age, la montée en puissance des villes à l’époque moderne et l’expansion urbaine depuis le XIXe siècle sont autant de phénomènes qui sont ordinairement considérés comme des jalons de l’histoire de l’Europe. L’idée s’est donc imposée d’étudier l’autonomie des villes de manière transversale et comparée, en y voyant un élément central de l’histoire européenne.

Quel est le but d’un tel projet, si vaste dans le temps et dans l’espace?
Si l’histoire, au contraire de la sociologie, ne se propose pas de mettre en évidence des règles qui détermineraient l’organisation des sociétés humaines et se borne à l’observation des faits passés, elle ne néglige cependant pas l’apport théorique des sciences sociales. Dans le cadre de ce projet, nous avons ainsi décidé, à l’instigation du professeur Thomas Lau, co-éditeur du volume, de nous appuyer sur le concept de «polycentric governance», développé à partir des années 1960 par des spécialistes d’économie et de sciences politiques. Désignant à l’origine l’interdépendance d’une multiplicité d’acteurs impliqués dans un processus économique, il nous a semblé pertinent d’y recourir pour explorer la place des villes dans le paysage politique européen à travers les siècles ainsi que la façon dont celles-ci ont interagi avec les royaumes, les empires, les Etats-nations.

Quel est le dénominateur commun entre des historien·Ա·s spécialistes de périodes si différentes?
Même si –en raison des particularités dues aux sources disponibles, aux langues employées dans les documents et aux traditions académiques– la recherche historique a tendance à se spécialiser et à être envisagée séparément par période, la discipline, de par ses méthodes et ses objectifs, reste profondément unie. C’est pourquoi les quatre périodes conventionnellement délimitées que sont l’histoire de l’Antiquité, l’histoire médiévale, l’histoire moderne et l’histoire contemporaine sont rassemblées dans le Département d’histoire pour les besoins de l’enseignement et de la recherche (même si l’histoire contemporaine forme, à l’Université de Fribourg, un département distinct, lequel collabore toutefois étroitement avec le Département d’histoire). Raisonner thématiquement sur un sujet commun qui serait abordé par des spécialistes des différentes périodes permet d’obtenir une vision à la fois plus complète et plus nuancée des problèmes historiques.

Quelles sont les évolutions majeures ou, au contraire, qu’y a-t-il d’immuable dans cette gouvernance polycentrique?
Un des enseignements majeurs de cette enquête menée sur la très longue durée et de façon comparative est que les villes, indépendamment de leur statut précis et des prérogatives qui leur étaient reconnues (deux choses qui ont pu varier considérablement en fonction du contexte et de l’époque), ont été des protagonistes incontournables de l’histoire européenne. Cela vaut également pour les périodes lors desquelles des entités politiques plus puissantes, telles que les monarchies du XVIIe s. ou les Etats-nations à partir du XIXe s., se sont imposées à elles. En ce qu’elles ont représenté, et continuent à représenter aujourd’hui, le premier horizon pour l’organisation de la vie en collectivité, les villes, en parvenant à se réserver une capacité d’initiative substantielle, ont joué un rôle structurant dans l’histoire européenne.

Chez certains historien·Ա·s, il y a une approche quasi militante de leur discipline: «L’histoire sert à comprendre le présent, voire à le corriger». Ici en l’occurrence, qu’est-ce que le passé peut nous apprendre sur notre présent et y a-t-il une moralité à en tirer?
En tant que discipline académique, l’histoire, comme toute science, obéit à une méthode et suppose de se conformer à une déontologie. Par conséquent, en s’efforçant d’éclairer le passé, l’historien·ne doit, dans la mesure du possible, faire abstraction de ses convictions personnelles. Contrairement à l’instrumentalisation dont elle fait couramment l’objet à des fins partisanes et idéologiques, l’histoire ne saurait justifier le présent ni servir à prédire l’avenir. En revanche, il est certain que l’étude de l’histoire permet d’être mieux armé pour comprendre les enjeux du temps présent et pour faire face à ses défis. C’est pourquoi l’apprentissage de l’histoire et la possession d’une culture historique peuvent, à l’heure de la désinformation, nous aider à contrer l’étiolement de nos consciences démocratiques. Pour ce qui est du sujet abordé dans ce volume, l’étude du rôle des villes dans l’histoire européenne montre que l’octroi de compétences accrues à celles-ci et que la décentralisation se sont révélés profitables aux populations locales, un constat qui pourrait venir nourrir une position politique à l’heure où l’uniformisation et la concentration des pouvoirs sont érigées en modèles.

_________

  • Cédric Brélaz
  • Cédric Brélaz,Thomas Lau, Hans-Joachim Schmidt, Siegfried Weichlein (éd.), , Berlin – Boston: De Gruyter Oldenbourg, 2024, 311 p.

 

 

 

]]>
/alma-georges/articles/2025/les-villes-europeennes-actrices-de-lhistoire/feed 0
Une thèse en guise de sésame vers la vie professionnelle /alma-georges/articles/2025/une-these-en-guise-de-sesame-vers-la-vie-professionnelle /alma-georges/articles/2025/une-these-en-guise-de-sesame-vers-la-vie-professionnelle#respond Mon, 31 Mar 2025 08:45:07 +0000 /alma-georges?p=22088 La thèse de Master constitue non seulement l’ultime épreuve avant de conclure son parcours académique, mais aussi, pour qui sait s’y prendre, un excellent tremplin vers la vie professionnelle. Désireux d’aborder un sujet ancré dans le monde réel, Alexandre Cattin, étudiant en géographie humaine, s’est penché sur les réseaux d’irrigation dans la Broye. Il se peut fort que cette étude de terrain lui ait ouvert les portes du monde du travail.

Avec le réchauffement climatique, l’irrigation devient un enjeu important

Comment avez-vous eu l’idée d’aborder le thème de l’irrigation dans la Broye dans le cadre de votre thèse de Master?
Je souhaitais par-dessus tout traiter d’un sujet concret et pratique, ce qui n’est malheureusement pas souvent le cas dans le milieu académique, souvent très, voire trop théorique à mon goût. J’ai fait part à Olivier Graefe, mon superviseur de thèse, de mon intérêt pour la gestion des ressources naturelles, l’agriculture et l’aménagement du territoire. C’est lui qui m’a, après réflexion, proposé le thème de l’irrigation dans la Broye. C’est une problématique pratique et importante. D’ailleurs, dans mon travail actuel au Service de l’environnement du canton de Fribourg, je touche à ces trois thématiques!

Avez-vous pu tirer profit de vos liens avec le monde agricole pour mener vos entretiens sur le terrain? Les agriculteurs·trices se méfient souvent des « gratte-papiers », non?
Effectivement, mon cousin est agriculteur à Cornol et, enfant, j’allais souvent y passer des vacances. Comme il est essentiel de connaître son public pour mener des entretiens scientifiques, je pense que cela m’a aidé. En leur parlant de cette partie de mon histoire, je leur montrais que, bien que considéré comme un «gratte-papier», je comprenais leurs valeurs et leurs préoccupations actuelles. Cela a permis de briser certains a priori. J’ai aussi eu la chance de pouvoir faire relire mes questions à mon cousin agriculteur. Il m’a donné des conseils, notamment sur la formulation des phrases, ce qui m’a été très utile.

La Broye est une région agricole clé en Suisse

Quelles compétences votre cursus en géographie humaine vous a-t-il apportées (ou non !) pour traiter ce sujet?
Au cours de mes études, j’ai appris à mener des entretiens. Je dirais donc que j’étais relativement préparé à la réalité du terrain, même si le passage de la théorie à la pratique reste un défi: passer de Bourdieu à la Broye exige une certaine souplesse! Je pense aussi que les outils conceptuels transmis à l’université, dont on ne perçoit pas toujours immédiatement la finalité, trouvent naturellement leur application sur le terrain, parfois même sans qu’on en ait pleinement conscience.

Vos résultats ont-ils été présentés en dehors du milieu académique? Ont-ils été utiles à quelqu’un?
Il faudrait poser la question à l’Institut agricole de Grangeneuve! J’espère évidemment qu’ils ont été utiles, que ce soit pour des acteurs·trices académiques ou des instances politiques. L’un des objectifs de mon travail était de comprendre les raisons derrière les décisions des agriculteurs·trices à participer aux projets d’irrigation et ainsi d’identifier des leviers d’actions potentielles pour les intéressé·e·s.
J’ai présenté ma thèse à trois reprises: lors d’un cours de Bachelor sur la géographie de l’eau, à l’Institut agricole de Grangeneuve et enfin lors de ma soutenance. A Grangeneuve, des directeurs·trices d’associations d’irrigant·e·s, des agriculteurs·trices et des chef·fe·s de secteurs étaient présent·e·s. Les discussions ont été très enrichissantes. J’étais ravi de voir que ma thèse suscitait des échanges constructifs. C’était formidable.

Pourquoi les agriculteurs·trices refusent-ils parfois de participer aux projets d’irrigation?
L’aspect financier est bien sûr un facteur, mais ce n’est pas le seul. L’âge joue également un rôle, notamment la question de la relève générationnelle: les enfants de l’agriculteur·trice sont-ils susceptibles de reprendre l’exploitation? Si ce n’est pas le cas, pourquoi investir dans un projet d’irrigation? C’est une problématique qui ne date pas d’hier, comme j’ai pu m’en rendre compte en étudiant ultérieurement les intérêts de l’Etat de Fribourg à participer à la première correction des eaux du Jura. C’était passionnant, car on retrouvait les mêmes enjeux en 1860! Déjà à l’époque, certaines instances politiques affirmaient qu’il était inconcevable de demander aux agriculteurs·trices de sacrifier leurs intérêts individuels au profit de l’intérêt général. Je me suis dit: c’est fou, on en est encore là!

Quelles compétences avez-vous développées grâce à ce travail?
D’une part, il m’a appris à mettre en pratique la théorie assimilée au cours de mes études. D’autre part, il m’a montré l’importance de développer son réseau au-delà du cadre universitaire. Cette thèse, qui m’a valu 60 crédits et a duré un an et demi, équivaut, selon moi, à un véritable stage. Je l’ai beaucoup mise en avant lors de mes entretiens d’embauche, car elle mêlait travail de terrain, collaboration interinstitutionnelle et aspects très concrets. Je tiens à ajouter que nos études, thèse comprise, nous apprennent à être rigoureux, sérieux, organisés et curieux. C’est ce socle qui permet ensuite de se professionnaliser et qu’il faut conserver, quel que soit le domaine.

Est-ce cela qui vous a valu votre poste au Service de l’environnement du canton de Fribourg?
Peut-être! (Rires) Il faudrait poser la question à mon chef, mais c’est fort probable!

  • Article de l’Hebdomadaire sur la thèse d’Alexandre Cattin
  • ճè d’Alexandre Cattin
  • Photos: Alexandre Cattin

 

]]>
/alma-georges/articles/2025/une-these-en-guise-de-sesame-vers-la-vie-professionnelle/feed 0
Mit Familiengeschichten gegen das Narrativ vom heroischen Widerstand /alma-georges/articles/2025/mit-familiengeschichten-gegen-das-narrativ-vom-heroischen-widerstand /alma-georges/articles/2025/mit-familiengeschichten-gegen-das-narrativ-vom-heroischen-widerstand#respond Fri, 14 Feb 2025 16:18:31 +0000 /alma-georges?p=21995 Erinnerungskulturelle Familienromane sind ein gutes Medium, um gesellschaftliche und historische Themen zu vermitteln. Germanistin Emily Eder zeigt in ihrem Buch auf, welches Bild von der Schweiz im Zweiten Weltkrieg in der zeitgenössischen Deutschschweizer Literatur gezeichnet wird.

«Es wird hinterfragt, infrage gestellt. Kann das wirklich so gewesen sein? Wie kann es sein, dass die offizielle Darstellung nicht mit dem übereinstimmt, was sie erlebt haben?» So beschreibt Emily Eder die Herangehensweise der drei Autoren Christoph Geiser, Thomas Hürlimann und Urs Widmer, deren Werke sie für ihre Dissertation analysiert hat. Sie setzte sich mit der Frage auseinander, wie in erinnerungskulturellen Familienromanen die Rolle der Schweiz im Zweiten Weltkrieg dargestellt wird.

«In Deutschland und in Österreich ist das ein grosses Forschungsfeld. Viele Autor_innen haben über das geschrieben, was sie an Unterlagen bei ihren Eltern und Grosseltern auf dem Dachboden gefunden haben. Es gibt daher sehr oft einen autobiografischen Bezug. Das hat mich neugierig gemacht zu schauen, wie es in der Schweiz aussieht», erklärt die in Köln aufgewachsene Eder, wie sie auf die Idee für das Thema kam. Denn die Schweiz stellte im Kontext dieser Forschung einen blinden Fleck dar. «Also habe ich angefangen, viel zu lesen und dabei festgestellt, dass der Zweite Weltkrieg auch in der Deutschschweizer Literatur ein Thema ist. Es ist letztendlich nicht überraschend, denn weder die Schweiz noch ihre Literatur sind losgelöst vom europäischen Kontext.»

Besonders interessant sind Geiser, Hürlimann und Widmer vor dem Hintergrund, dass ihre Werke mehrheitlich in die Zeit fallen, in der das Narrativ vom heroischen Widerstand, das die offizielle Schweiz lange Zeit aufrechterhielt, zu bröckeln begann. Eine Zeit, in der die 1996 vom Bundesrat eingesetzte «Unabhängige Expertenkommission Schweiz – Zweiter Weltkrieg» genauer hinschaute.

Kritik in verschiedenen Formen
Welches Bild der Schweiz zeichnen Geiser, Hürlimann und Widmer? «Kein einheitliches. Aber alle hinterfragen auf ihre eigene Art, in ihrem spezifischen Kontext, das Narrativ vom heroischen Widerstand.». Urs Widmer etwa beschreibt im 2004 erschienenen Roman «Das Buch des Vaters» aus der Perspektive eines Kindes ­– es handelt sich dabei um ihn selbst als kleinen Jungen –, wie sein Vater eingezogen wurde und wie er die Réduit-Strategie wahrgenommen hat. «Es ist alles literarisiert und fiktionalisiert, entsprechend schwierig ist zu beurteilen, wie weit sich die geschilderte Szene wirklich so abgespielt hat», sagt Eder. «Aber die Kritik wird in einer besonders eindrucksvollen Passage deutlich, weil nicht klar wird, ob der erzählende Sohn die Gedanken des Vaters wiedergibt oder ob er selbst diese kommentiert. Beide Lesarten sind möglich. Er stellt sinngemäss die Fragen: Wie hätten die Soldaten im Réduit die Schweiz verteidigen können? Und was sollte dann mit allen anderen Personen in der Schweiz geschehen?»

Thomas Hürlimann, der selbst entfernt jüdische Vorfahren hat, zeigt seinerseits wiederholt auf, wie jüdisches Leben in der Schweiz aussah. Etwa im 2006 erschienen Roman «Vierzig Rosen». «Dort gibt es das Tagebuch der Mutterfigur, das zumindest an das Tagebuch von Anne Frank erinnert, wenn nicht daran angelehnt ist. Es wird dargestellt, dass jüdische Menschen von der Schweizer Bevölkerung teilweise feindlich behandelt wurden.»

Christoph Geiser wiederum setzt sich in erster Linie kritisch mit der bürgerlichen Schicht auseinander. «Wichtiger Bezugspunkt ist sein Grossvater Hans Frölicher, der während des Zweiten Weltkriegs Diplomat in Berlin war und von der offiziellen Schweiz später als Sündenbock dargestellt wurde, weil er die Schweiz aus eigenem Antrieb zu deutschlandfreundlich vertreten habe. Vereinfacht müsste man rückblickend sagen, ihn als Sündenbock zu instrumentalisieren ist sicher nicht richtig, ein vorbildlicher Diplomat war er jedoch auch nicht.» Geiser kannte seinen Grossvater, und auch die Dokumente, die er von seiner Mutter erhielt, zeichneten ein differenziertes Bild. «Das ist etwas, was alle drei Autoren machen: Sie stellen dem historischen Ganzen ein Privatleben gegenüber, geben Einblicke in Alltagssituationen. Sie ergänzen somit die historische Perspektive.»

Der Familienroman hat mehrere Stärken
Das ist für Emily Eder genau die Stärke des Familienromans, wenn es um die Vermittlung relevanter gesellschaftlicher und historischer Themen geht. «Wir alle stecken in einem familiären Beziehungsgeflecht. Entsprechend haben wir Anhaltspunkte, um an das anzuknüpfen, was uns literarisch vermittelt wird. Dadurch können wir diese Fragen womöglich innerhalb unserer eigenen Familie stellen – bei mir war das der Fall», sagt Eder. «In der Familie kann über verschiedene Generationen Erlebtes weitergegeben werden ­– oder eben gerade nicht. Es kann Tabus geben, fehlende Kommunikation, sodass wir erst nach dem Tod der Eltern oder Grosseltern merken, warum Beziehungen dysfunktional waren. Deshalb sind die Familienromane, gerade wenn sie einen autobiografischen Gehalt haben, sehr aufschlussreich.»

Die drei Autoren nehmen stellenweise die Perspektive ihrer Eltern ein, versuchen, sich in sie hineinzuversetzen, zeigen oft aber auch Generationenkonflikte auf. «Das ist das Potenzial von Literatur. Sie ist ein Medium, das uns erlaubt, etwas über andere Menschen zu lernen. Darüber, was es heisst, überhaupt Mensch zu sein, weil wir in die Gedanken von anderen Menschen schlüpfen können. Aber auch, um in der Zeit zurückzugehen und Einblicke in andere politische Systeme und historische Momente zu erhalten. Das können andere Medien zwar auch, aber über die Literatur verläuft die Auseinandersetzung viel langsamer und persönlicher.»

Der Einfluss von Literatur als Spiegel der Gesellschaft
Wie gross also ist der Einfluss von Literatur auf die Wahrnehmung eines bestimmten Themas in der Gesellschaft? Auf die Geschichtsschreibung oder Geschichtsumschreibung? «Das hängt immer auch davon ab, wie und von wem die Literatur rezipiert wird. Meiner Ansicht nach könnte der Einfluss grösser sein – aber das scheint eine der Herausforderungen der Geisteswissenschaften zu sein.» Emily Eder will ihren Teil dazu beitragen, den gesellschaftlichen Dialog durch Literatur und die Forschung darüber anzukurbeln. Auch deshalb hat sie die Möglichkeit genutzt, ihre Dissertation mit SNF-Geldern als Buch zu publizieren. Nicht ohne Stolz hat sie es vor kurzem in einer grossen Buchhandlung in Bern entdeckt. «Es wird kein Bestseller werden, die meisten Leute lesen vor dem Einschlafen keine Dissertationen», sagt Emily Eder mit einem Schmunzeln. «Aber vielleicht kann ich ein wenig Neugier wecken, womöglich liest jemand Bücher dieser Autoren plötzlich mit einer anderen Brille und macht sich zusätzliche Gedanken. Das wäre bereits ein Gewinn.»

Dr. Emily Eder hat Germanistik, französische Sprache und Literatur sowie Komparatistik an den Universitäten Freiburg und Köln studiert. Heute arbeitet sie als Studiengangskoordinatorin und pädagogische Beraterin in der Abteilung Medizin an der Universität Freiburg. Literatur nimmt in ihrem Leben immer noch einen wichtigen Platz ein, man trifft sie beispielsweise beim Literaturprogramm im Kino Korso.

Das 232-seitige Buch «Der Zweite Weltkrieg in der Deutschschweizer Literatur – Erinnerungskulturelle Familienromane von Christoph Geiser, Thomas Hürlimann und Urs Widmer» ist 2024 im Chronos Verlag erschienen.

__________

  • E-Book (pdf) kostenlos

 

]]>
/alma-georges/articles/2025/mit-familiengeschichten-gegen-das-narrativ-vom-heroischen-widerstand/feed 0
Gynäkologie – Warum unser Gesundheitssystem divers denken muss /alma-georges/articles/2025/gynaekologie-warum-unser-gesundheitssystem-divers-denken-muss /alma-georges/articles/2025/gynaekologie-warum-unser-gesundheitssystem-divers-denken-muss#respond Fri, 07 Feb 2025 12:08:26 +0000 /alma-georges?p=21969 Gynäkologische Praxen sind meist nur auf Frauen ausgerichtet – doch auch trans Männer und nicht-binäre Menschen brauchen diese medizinische Versorgung. Nina Schuler zeigt in ihrer Forschung, wie unser Gesundheitssystem diese Menschen oft ausschliesst und welche einfachen Massnahmen helfen könnten, das zu ändern. Für ihre Masterarbeit hat Schuler am Dies Academicus den Genderpreis erhalten.

Was hat Sie dazu motiviert, dieses Thema für Ihre Masterarbeit zu wählen? Gab es einen persönlichen oder gesellschaftlichen Anstoss?
Für mich war von Anfang an klar, dass ich mich einem Thema widmen möchte, welches mich nicht nur intellektuell fordert, sondern auch emotional berührt. Ein Thema, dass mir am Herzen liegt und mit dem ich auch etwas in der Gesellschaft auslösen kann. Geschlechterbasierte Diskriminierung ist leider immer noch Alltag in der Medizin. Umso extremer ist dies sichtbar, wenn Personen nicht den gesellschaftlichen Normen von Frau und Mann entsprechen. Trans Personen werden in der Gynäkologie noch immer stigmatisiert und oft übersehen – sei es durch einen Mangel an spezialisierten Fachärzt_innen oder durch die fehlende wissenschaftliche Auseinandersetzung mit ihren spezifischen Bedürfnissen. Mit meiner Forschung möchte ich dazu beitragen, dieses Tabu zu brechen, Sichtbarkeit zu schaffen und langfristig eine sensiblere, inklusivere Versorgung zu fördern.

Sie sprechen in Ihrer Arbeit über das binäre und cis-normative System im Gesundheitswesen. Was ist das?
Unser Gesundheitssystem in der Schweiz ist darauf ausgelegt, Menschen als entweder männlich oder weiblich einzuordnen. Das zeigt sich besonders in der Gynäkologie, die ausschliesslich für Frauen gedacht ist. Nicht-binäre Personen oder trans Männer müssen sich diesem System anpassen, um eine Behandlung zu bekommen. Oft bedeutet das, dass sie sich rechtfertigen müssen, damit die Krankenkasse beispielsweise die Kosten übernimmt. In dem aktuellen binären Versicherungssystem existieren nämlich noch immer keine Vorlagen, die es erlauben, eine gynäkologische Behandlung bei einem Mann abzurechnen.

Der Begriff cis-normativ bedeutet, dass es als selbstverständlich angesehen wird, dass alle Menschen sich mit dem Geschlecht identifizieren, das ihnen bei der Geburt zugewiesen wurde (also cisgeschlechtlich sind). Ein Beispiel für cis-normative Strukturen sind Formulare, die nur die Optionen «männlich» und«weiblich» anbieten, oder die Annahme, dass alle Frauen einen Uterus haben und alle Männer nicht. Personen, die nicht diesen gesellschaftlichen Vorstellungen von Mann und Frau entsprechen, werden systematisch ausgeschlossen und benachteiligt.

Wie sieht die Diskriminierung von trans Menschen bei der gynäkologischen Versorgung konkret aus? Haben Sie ein paar Beispiele?
Die Diskriminierung von trans Personen findet auf unterschiedlichsten Ebenen statt und betrifft zahlreiche Bereiche der medizinischen Versorgung. Sie beginnt schon vor der eigentlichen Konsultation. Stellen Sie sich vor, Sie sind ein trans Mann (also eine Person, welche bei Geburt das weibliche Geschlecht zugeordnet bekommen hat, sich aber als Mann identifiziert und von der Gesellschaft auch so gelesen wird). Sie haben weibliche Genitalien, nehmen jedoch männliche Hormone. Braucht es also noch gynäkologische Vorsorgeuntersuchungen? Auf der pink gestalteten Homepage der FRAUEN-Klinik gibt es nur Infos zu Vorsorgeuntersuchungen bei cis Frauen. Am Telefon müssen Sie sich erklären und rechtfertigen, wieso Sie als Mann einen Termin in der FRAUEN-Klinik wollen. Zusammen mit vier schwangeren Frauen sitzen Sie dann im ebenfalls rosa gestalteten Wartezimmer. An den Wänden hängen Poster von Weiblichkeit und Kinderwunsch. Die Urinprobe geben Sie auf dem Frauen-WC ab, bevor sie mit FRAU Müller aufgerufen werden und ins Konsultationszimmer gebracht werden. Der Arzt hat scheinbar noch nie mit einer trans Person gearbeitet und fragt Sie deshalb in einer übergriffigen Art und Weise über Ihren «exotischen» Zustand aus. Sie fühlen sich bei dieser Befragung nackter als kurz darauf auf dem Gynäkologiestuhl. Während der Untersuchung plagen Sie enorme Schmerzen und negative Gefühle, auf die nicht eingegangen werden. Mit einem mulmigen Gefühl gehen Sie aus der Praxis, Sie wissen nicht, ob Ihre Versicherung die Untersuchung zahlt, da Sie dort als Mann angemeldet sind.

Welche Rolle spielt die Ausbildung von medizinischem Fachpersonal in der Verbesserung der Versorgung von trans Menschen? Gibt es bereits positive Ansätze?
In diesem Bereich ist noch sehr viel zu tun. Ein fundiertes Fachwissen ist eine wichtige Grundlage für jede Behandlung. Oft ist es gar nicht so einfach, an dieses Fachwissen zu gelangen, da der Fokus in der Forschung aber auch in der Aus- und Weiterbildung von Ärzt_innen anders gesetzt wird. Umso wichtiger ist es also, dass man selbst Initiative und ein gewisses Engagement zeigt, sich fehlendes Wissen anzueignen. Dafür gibt es erfreulicherweise auch schon viele gute Angebote. An der Unifr hatten wir beispielsweise mehrmals Kurse zu diesem Thema und es wurden trans Personen für Gespräche eingeladen. Ausserdem gibt es zahlreiche Events und Kurse, die von diversen Organisationen und Vereine wie TGNS Schweiz durchgeführt werden. Ich glaube, es lohnt sich, mutig zu sein und seinen Horizont zu erweitern sowie mit den Menschen in Kontakt zu treten.

Inwiefern hat die Arbeit an diesem Thema Ihre eigene Perspektive auf Geschlechtsidentität und medizinische Versorgung verändert?
Ich glaube ich sehe die Welt nun mehr in Spektren und nicht mehr in Kategorien. Als Ärztin ist man sich daran gewöhnt, alles in gesund oder krank einzuteilen, in normal oder abnormal. Davon probiere ich mich immer mehr zu distanzieren. Und ich habe gemerkt, dass diese Denkweise auch sehr viele Vorteile für cis Menschen bringt. Es spielt weniger Wertung mit und die Leute fühlen sich mehr gesehen und angenommen.

Sie haben im Rahmen des Dies Academicus 2024 den Genderpreis erhalten. Welche Pläne haben Sie für die Verwendung des Preisgeldes?
Aktuell schreibe ich gerade meine Doktorarbeit in der Medizin, zum gleichen Thema. Das Preisgeld kann ich dort gut gebrauchen. Es wird also direkt wieder in neue Forschung investiert, die gegen geschlechtsbedingte Diskriminierung im Gesundheitswesen vorgehen soll.

Zum Schluss: Welche praktischen Empfehlungen könnten gynäkologische Praxen sofort umsetzen, um trans/nicht-binäre Menschen besser zu unterstützen?
Als erstes sollte einfach ein Bewusstsein dafür geschaffen werden, dass trans Personen zum Klientel der Gynäkologie gehören und nicht ausgeschlossen werden dürfen. Dafür lohnt es sich, seine eigenen Vorstellungen von Mann und Frau zu reflektieren. Welche – vielleicht auch unbewusste – Vorurteile hat man in diesem Bereich und wo fehlt es noch an Wissen? Kleine Veränderungen können schon viel bewirken, sei es geschlechtsneutrale Toiletten oder Infobroschüren, die sich nicht ausschliesslich an cis hetero Frauen mit Kinderwunsch richten. Eine inklusivere Auswahl an Pronomen bei Anmeldeformularen oder eine geschlechtsneutralere Gestaltung der Praxis oder Homepage kann ebenfalls helfen. Besonders wichtig finde ich dabei immer, dass man nicht vor dem Thema zurückschreckt. Trans Personen sind keine exotischen Wesen, welche auf eine Spezialbehandlung angewiesen sind und in Watte gepackt werden müssen. Was sie wirklich brauchen, das findet man am einfachsten heraus, wenn man mit diesen Menschen direkt in Kontakt tritt, sei es an einem Event, einer Fortbildung oder im Privatem. Natürlich immer in einem respektvollen und wohlwollendem Rahmen.

________

]]>
/alma-georges/articles/2025/gynaekologie-warum-unser-gesundheitssystem-divers-denken-muss/feed 0
Réquisitoire contre la science sans conscience. /alma-georges/articles/2025/requisitoire-contre-la-sciences-sans-conscience /alma-georges/articles/2025/requisitoire-contre-la-sciences-sans-conscience#respond Thu, 06 Feb 2025 09:16:15 +0000 /alma-georges?p=21957 Etudes trafiquées, résultats impossibles à reproduire, travaux plagiés. Csaba Szabo, l’un des scientifiques les plus cités au monde, dresse un tableau apocalyptique du monde de la recherche biomédicale. Fin connaisseur du milieu, le professeur de l’Université de Fribourg a profité de son année sabbatique pour rédiger Unreliable, un «J’accuse» sans fard, violent comme un pavé dans la mare.

Personne ne saurait décemment soupçonner Csaba Szabo de ne pas aimer la science, lui qui est littéralement tombé dedans quand il était petit. Dans sa Hongrie natale, derrière le Rideau de fer, son héros ne se nommait pas Ferenc Puskás, mais Albert Szent-Györgyi, un compatriote, inventeur de la vitamine C et lauréat du Prix Nobel. Avant même de devenir adolescent, il rêvait de comprendre le vivant, dans son fonctionnement le plus intime, que ce soit en médecine ou en biologie, et de venir en aide aux personnes malades. Un idéaliste, un vrai mais pas un utopiste car ses nombreuses lectures l’ont très vite purgé de toute naïveté. «J’ai eu entre les mains un ouvrage du chimiste Mihály Beck sur la fraude scientifique, se remémore-t-il dans son livre, celui-ci relatait l’histoire de l’homme de Piltdown (une célèbre mystification paléoanthropologique, ndlr.) ou les mystérieux tests de Piccardi (du nom d’un chimiste italien dont les hypothèses sur l’effet des cycles solaires sur certaines réactions chimiques sont controversées).»
Mais Csaba Szabo était certainement loin de s’imaginer qu’il allait un jour à son tour prendre la plume pour dénoncer les gravissimes dysfonctionnements du monde de la recherche: Trop de plagiat! Trop de fraudes! Il n’y tenait plus: il devait le dire, le dénoncer. Cela a donné Unreliable, un pamphlet au vitriol rédigé en quelques mois. Quand un chercheur, qui figure régulièrement dans le haut des classements des scientifiques les plus cités par ses pairs, donne un pareil coup de pied dans la fourmilière, il y a de quoi se faire du souci.

Je dois dire que l’on sort un peu groggy de votre livre. Le monde de la recherche semble être un marigot infect!
Ce que vous dites est vrai, mais cela ne signifie pas qu’il faut se taire en espérant que les problèmes vont se résoudre comme par magie. Si la situation était stabilisée, on pourrait se résigner en se disant que, ma foi, la science est faite par des humains et que ceux-ci ne sont pas parfaits. Hélas, la situation s’aggrave et je crains que cela ne devienne pire encore avec l’avènement de l’intelligence artificielle et du big data. Or, il n’est dans l’intérêt de personnes que le public se défie de la science. Surtout, ne venez pas dire que je suis antiscience, je suis profondément pro-science! Ce sont celles et ceux qui se taisent qui la desservent!

Cela fait 30 ans que vous êtes dans la recherche. Pourquoi dénoncer les dysfonctionnements maintenant?
Il n’y a pas eu un événement déclencheur précis, mais la magnitude du problème devient évidente. De nouveaux logiciels permettent de repérer les images frauduleusement manipulées dans les publications et de détecter le plagiat, dont on commence à se rendre compte de l’ampleur. Il y a aussi ce que l’on nomme les usines à publications, un business florissant de plusieurs milliards de dollars. Moyennant paiement, ces usines fournissent des articles créés de toutes pièces avec des données inventées ou manipulées. Cela devrait être l’un des plus grands scandales des sciences biomédicales.

Mais le fait que vous ayez vous-même été victime de plagiat ne vous a-t-il pas convaincu de prendre la plume?
Quand j’ai vu qu’un de mes articles avait été littéralement copié-collé de A à Z, j’ai pensé: «Mon Dieu! Ils ont vraiment aimé mon article!» Pire encore, ce premier plagiat a lui-même été plagié par d’autres personnes! A vrai dire, cet épisode aurait presque été comique si ce n’était pas si lamentable! J’ai encore une autre anecdote, mais plus grave cette fois-ci: une image de l’un de mes articles publiés il y a 25 ans, à Cincinnati, a été reprise mais en sens inverse. Il s’est avéré que c’était l’un de mes étudiants qui était à l’origine du plagiat et de l’erreur. Nous avons ensuite découvert que, au fil de sa carrière dans différents laboratoires, il s’est livré aux mêmes irrégularités. Il ne s’agissait donc pas simplement d’une erreur! J’ai ainsi compris que, même dans un laboratoire bien géré, ce type de méfait pouvait arriver. Cela dit, ce n’est pas le motif qui m’a poussé à écrire le livre, puisque cette affaire a éclaté alors que j’avais déjà entamé la rédaction. Non, la vraie raison, c’est que j’ai pu bénéficier d’une année sabbatique et que j’avais déjà beaucoup d’informations sous le coude. Et, je tiens à le souligner, le sujet ne concerne pas que la fraude, mais aussi la crise de la réplicabilité en sciences.

Précisément, selon une étude de Nature que vous citez, plus des deux tiers des scientifiques s’estimeraient incapables de reproduire les données publiées par des confrères et consœurs. C’est atterrant! Pourquoi personne n’en parle?
C’est difficile à croire, mais il n’y a pas beaucoup de bailleurs de fonds qui financent des études de réplication directe, pourtant si indispensables! Cette étape permet de reproduire une expérience scientifique en suivant les mêmes procédures et conditions que l’étude originale. C’est uniquement ainsi que l’on peut vérifier la fiabilité des résultats. Plus grave encore, il n’est parfois tout simplement pas possible d’entamer une étude de réplication directe faute de détails dans les publications. Les auteurs n’en fournissent pas suffisamment! Souvent, ils rechignent même à collaborer!

Pour quelle raison? De peur de trahir leurs secrets de fabrication?
Si l’étape de la vérification révèle des erreurs, il y a des conséquences: l’étude doit soit être corrigée, soit rétractée. En revanche, si l’étude ne peut pas être soumise à un examen de réplicabilité, faute d’informations, l’affaire est close. La diligence ne paie pas!

Ne pourrait-il pas y avoir une sorte d’institution faîtière, à l’image de l’agence mondiale antidopage, pour éviter ces abus?
Aux Etats-Unis, la recherche biomédicale est principalement financée par le National Institutes of Health (NIH). Une personne appartenant à cet institut avait proposé de répliquer certaines études indépendamment, mais son idée est restée lettre morte. Par ailleurs, si vous demandez un financement pour tenter de répliquer une recherche déjà existante, il y a fort à parier que vous ne recevrez pas un kopeck! Tout le monde est d’avis qu’il faut financer de nouvelles recherches, mais pas celles de réplication. Il n’y a donc ni argent, ni prestige en la matière. C’est très utile, mais sans glamour. Cela ne vous donnera jamais un Nobel.

Quelle solution préconisez-vous alors?
Une fois que les chercheuses et chercheurs terminent leur étude, ils pourraient mandater un laboratoire indépendant, neutre, avec lequel ils n’ont aucune connexion, afin que celui-ci réplique les résultats clés. Cette étude supplémentaire pourrait figurer en appendice de l’article. Les bailleurs de fonds pourraient financer cette étape.

Mais le nerf de la guerre, c’est l’argent!
Bien sûr, cette précaution éviterait de se fourvoyer dans des études irréplicables et donc de gaspiller de l’argent public! Sans compter que des résultats biaisés peuvent donner lieu à des essais cliniques ou à des médicaments administrés à des humains!

Est-ce déjà arrivé?
Absolument! Récemment, une société de biotechnologie californienne a produit un médicament à partir de données manipulées. Celui-ci a été administré à des patient·e·s victimes d’un accident vasculaire cérébral, avec des conséquences dramatiques: plusieurs sont décédé·e·s! On a vu les mêmes dégâts dans le domaine de la recherche sur la maladie d’Alzheimer.

Ne faudrait-il donc pas criminaliser la fraude?
Bien sûr! Cela devrait être sanctionné au pénal, parce que les fraudeurs et fraudeuses gaspillent de l’argent public. Il y a aussi toutes les chercheuses et chercheurs qui, se basant sur des données erronées, perdent du temps et de l’argent en s’engageant dans une fausse direction.

Vous dénoncez donc une certaine impunité?
Les tricheurs et tricheuses risquent de voir leur étude rétractée, mais rarement un licenciement. Cela n’a rien d’une punition. Dans certains cas, pourquoi ne pas tout simplement leur retirer leurs diplômes et leur demander le remboursement des fonds qu’ils ont touchés?

Au-delà des failles de la nature humaine, vous incriminez le système: l’hyper-compétition pour les financements et la culture du publish or perish.
Mon livre traite surtout du cas des Etats-Unis, où j’ai fait l’essentiel de ma carrière. Je ne dépends pas non plus de financements américains et il est donc également plus facile pour moi de prendre la parole. En Suisse, il me semble, le système reste plus humain, moins rude. L’Université y fournit un financement de base et des infrastructures, même si on doit bien sûr aussi chercher des financements externes. Aux Etats-Unis, c’est tout le contraire. Il y a des frais indirects immenses pour les scientifiques qui doivent donc impérativement trouver des sources de financement. C’est une pression colossale!

Et certaines personnes doivent de surcroît composer avec un statut précaire.
Effectivement, certains chercheur·euse·s ont un visa, le J-1 notamment, dont le maintien dépend des financements obtenus. Cela peut inciter à embellir des résultats.

Pour voir son étude publiée dans une revue, il faut soumettre ces résultats à un comité de pairs. Pour quelle raison, est-ce que cette instance ne suffit pas?
Les gens s’imaginent que d’être évalué par les pairs équivaut à une validation indépendante des résultats. Ce n’est pas cela du tout. Cela signifie uniquement que trois personnes jettent un œil aux données, en partant du principe qu’elles n’ont fait l’objet d’aucune manipulation et ont été obtenues dans les règles de l’art.

J’imagine que vous avez déjà été évaluateur?
Bien sûr. Et j’ai réalisé que, lorsque l’on refuse un article dans une revue, il y a de fortes chances qu’il se retrouve publié dans une revue moins regardante. L’ironie, c’est que l’évaluateur peut même devenir le complice involontaire d’une faute scientifique! Je m’explique: Si un membre d’un comité d’évaluation détecte un problème, voire des signes de fraude à l’image, et qu’il le signale aux auteurs, ces derniers peuvent effectuer les corrections et retenter une soumission ailleurs. Contre son gré, l’évaluateur aura contribué à maquiller un méfait!

Ne peignez-vous pas le diable sur les murailles? Les publications de Didier Raoult, pour prendre l’exemple le plus connu dans le monde francophone, ont été rétractées. N’est-ce pas la preuve que les garde-fous fonctionnent?
Le nombre de rétractions est d’ailleurs à un haut historique, en partie grâce à l’intelligence artificielle qui permet de repérer les fraudes et en partie grâce aux data detectives. Ces derniers utilisent des plateformes, notamment PubPeer, pour dénoncer les fraudes en sciences. Parfois, il faut attendre plusieurs années avant que les articles soient rétractés. Hélas, cela reste la pointe de l’iceberg. Ce que je trouve vraiment tragique, c’est que l’évaluation critique et le nettoyage de la littérature scientifique sont actuellement effectués par des détectives scientifiques, essentiellement des amateurs privés dévoués ! Elles ne sont pas effectuées par les organismes subventionnaires, les ministères de la santé ou les éditeurs qui publient les revues scientifiques.

Avec ce livre, ne craignez-vous pas d’amener de l’eau au moulin des complotistes?
On ne convaincra de toute manière jamais un platiste du bien-fondé de la science. Mon livre est destiné aux personnes qui s’intéressent et aiment la science. Gardons aussi à l’esprit que, sur les millions d’articles publiés chaque année, même si certains résultats ne sont pas réplicables, certains vont déboucher sur des avancées médicales qui sauveront des vies.

Allez-vous changer de carrière pour favoriser l’intégrité scientifique ou pour catalyser une réforme?
Non, je ne dispose d’aucune influence politique pour le faire. J’ai tout de même proposé la candidature d’Elizabeth Bik, l’une des plus importantes détectives scientifiques, et celle du site web Pubpeer pour les prix Einstein de l’année dernière. A ma plus grande joie, ils les ont d’ailleurs reçus. Je participerai également à une réunion à Oxford, axée sur l’intégrité scientifique et la réforme, organisée par Dorothy Bishop, une figure importante des efforts de reproductibilité. Je continuerai à faire de petites choses comme cela, mais mon objectif principal reste la recherche biomédicale.

_________

]]>
/alma-georges/articles/2025/requisitoire-contre-la-sciences-sans-conscience/feed 0