Enseignement – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Wed, 28 May 2025 07:48:05 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 Apprentissage: une étude sur les évaluateur·rice·s /alma-georges/articles/2025/apprentissage-une-etude-sur-les-evaluateur%c2%b7rice%c2%b7s /alma-georges/articles/2025/apprentissage-une-etude-sur-les-evaluateur%c2%b7rice%c2%b7s#respond Wed, 28 May 2025 07:47:37 +0000 /alma-georges?p=22379 Le chercheur David Jan s’est penché sur les expert·e·s qui évaluent sur le terrain le savoir-faire des apprenti·e·s. Une manière d’apprécier les compétences, mais aussi de se nourrir d’échanges entre professionnel·le·s et revoir ses propres pratiques.

David Jan

En Suisse, l’apprentissage reste la principale voie de formation pour les jeunes. Une enquête menée en avril 2024 par le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI) montrait que 64% des jeunes de 14 à 17 ans privilégiaient cette voie après l’école obligatoire, devant le gymnase et l’école de culture générale. Cette formation en entreprise se termine par un examen, dont une partie en situation sur le terrain.
L’étape est loin d’être anecdotique. A caractère éliminatoire, elle compte pour 30% de la note finale. Le jour «J», deux examinateur·trice·s se rendent dans l’entreprise afin d’évaluer les compétences acquises par l’apprenti·e durant sa formation. «Ces personnes proviennent d’une autre entreprise de la branche. C’est une manière de valider, au sein de la branche, que le ou la futur·e professionnel·le connaît son métier», précise David Jan.

Proche de son sujet
Assistant diplômé au Département des sciences de l’éducation et de la formation de l’Université de Fribourg, David Jan vient justement de boucler et de soutenir une thèse de doctorat sur cette partie de l’évaluation finale. Un sujet qu’il a également vulgarisé en participant au concours de Ma ճè en 180 secondes. Il s’est concentré sur la filière du commerce de détail en alimentation. Domaine qu’il connaît bien.
Car c’est dans ce domaine qu’il a d’abord évolué professionnellement avant de poursuivre vers l’Université et la recherche. Formateur d’examinateur·trice·s, il a aussi enseigné à l’école professionnelle. De plus, ce natif de Bienne a lui-même été évaluateur durant 15 ans. C’est dire s’il connaît la filière. Il a d’ailleurs commencé dans les rayonnages durant son gymnase. Un job d’étudiant. «Je cherchais à économiser pour visiter au Japon celle qui est aujourd’hui devenue ma femme», dit-il.

Pas de biais de genre ni d’âge
L’intérêt du travail de David Jan, c’est qu’il permet d’en savoir plus sur les réalités de la transmission et de la validation des compétences acquises au sein d’une branche professionnelle. Pour mener ses recherches, il a recouru à des questionnaires et à des groupes de discussion. Cela représente en tout plus de 200 personnes issues du commerce de détail en alimentaire, mais aussi des employé·e·s de commerce et des personnes du commerce de détail en général.
David Jan a cherché à mieux comprendre la manière dont les évaluateur·trice·s fondaient leur jugement et construisaient leur évaluation. Il s’est également penché sur leurs motivations, ce qu’ils et elles retiraient de ce travail. Ce dernier point est particulièrement intéressant lorsque l’on sait que ces professionnel·le·s prennent souvent sur leurs congés ou effectuent des heures supplémentaires pour effectuer ces examens. «Dans certaines entreprises, c’est proche du bénévolat», fait-il remarquer.
Son travail montre d’abord que la majorité des expert·e·s évaluent en fonction des besoins réels du métier — une approche dite critériée — plutôt qu’en se fondant sur leurs expériences personnelles ou leurs représentations de ce qu’est une “bonne” pratique — une approche normative. «Ce qui est positif», relève David Jan, qui ne constate au passage pas de biais de genre, d’âge ou du nombre d’années de travail.

Le chercheur observe en revanche un biais d’années d’expérience en tant qu’expert·e. L’une des personnes qui participe à sa recherche occupe cette fonction depuis plus de 30 ans. «Dans le cas d’une personne expérimentée dans l’expertise, on trouve souvent plus d’aisance et une facilité encore plus grande à se baser sur l’évaluation critériée», observe-t-il.

Réinvestir les erreurs des autres
De même, la capacité à l’auto-évaluation se trouve renforcée. Il faut comprendre par-là que l’expert·e profite de ce moment chez un concurrent pour réfléchir à la pratique formatrice dans sa propre entreprise. «C’est un réinvestissement des erreurs vues chez les autres», explique David Jan, qui précise que ces journées d’expertise représentent souvent un changement bienvenu dans le quotidien par les évaluateur·trice·s.

Car au-delà de l’apprenti·e pour lequel ou laquelle ils et elles se déplacent, c’est également une occasion pour ces personnes d’échanges informels et stimulants entre professionnel·le·s. «Cela nourrit une saine émulation au sein de la branche». En revanche, sa recherche souligne quelques points négatifs. Les formations pour devenir expert·e apparaissent souvent comme non-significatives aux yeux de ces derniers et de ces dernières.

Pour David Jan, le contenu des cours est moins en cause que l’impression que peuvent avoir ces professionnel·le·s de retourner sur les bancs d’école. Ce qui est souvent vécu désagréablement, observe le chercheur. Ce qui peut s’expliquer par le fait que, dans certains cas, l’expert·e s’est construit·e dans son travail dans un esprit de revanche (avec succès d’ailleurs) à la suite d’une scolarité qui a pu être vécue comme difficile.

L’importance d’expliquer
«Certain·e·s auraient ainsi construit des barrières en eux/elles. Retourner à l’école, signifierait alors retourner là où j’étais un cancre», continue David Jan. Si les cours peuvent être vécus comme un passage obligé par les personnes qui s’impliquent, elles voient souvent en revanche le travail d’expert·e comme très intéressant. Même si, dans certaines branches, comme la cuisine et les soins, trouver des volontaires s’avère difficile.

La raison tient dans les réalités de ces domaines, qui manquent souvent de personnel et dans lesquels les potentiel·le·s expert·e·s n’arrivent pas à dégager du temps. Comment améliorer les choses ? Pour David Jan, l’incitation financière n’est pas la bonne piste. «On passerait ainsi à côté de ce qui fait le cœur de cette activité.» Il voit une piste dans la mise en place de stage pour les futur·e·s expert·es et l’importance d’expliquer, auprès des diverses filières, l’intérêt de ces mandats hors-entreprise: développer une vision globale de son métier en regardant ce qui se fait ailleurs et profiter d’échanges intéressants entre professionnel·le·s.

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«L’histoire du foot féminin coïncide avec celle de l’émancipation» /alma-georges/articles/2025/lhistoire-du-foot-feminin-coincide-avec-celle-de-lemancipation /alma-georges/articles/2025/lhistoire-du-foot-feminin-coincide-avec-celle-de-lemancipation#respond Fri, 23 May 2025 13:40:11 +0000 /alma-georges?p=22358 L’organisation par la Suisse en été 2025 de l’EURO de foot féminin devrait doper – encore – l’intérêt pour ce sport. Il n’y a qu’un demi-siècle que les footballeuses suisses ont fait leur entrée officielle sur les terrains. Retour sur un boom en plusieurs temps avec la professeure d’histoire contemporaine Christina Späti.

Christina Späti, pratiquez-vous le football?
Malheureusement non. Durant mon enfance st-galloise dans les années 1970 et 1980, j’ai littéralement dû imposer la participation des filles aux parties de ballon rond dans la cour d’école. Reste que lorsque j’ai souhaité rejoindre un club de foot, j’ai vite déchanté: cela n’était tout simplement pas possible pour une fille dans la région. A l’image de nombreuses amatrices de sports d’équipe et de ballons, je me suis rabattue sur le handball.

Christina Späti © Stéphane Schmutz / STEMUTZ.COM

Quarante ans plus tard, votre fille a fait une expérience complètement différente…
En effet, lors de notre séjour familial d’une année aux Etats-Unis en 2018-2019, elle a assez naturellement commencé à jouer au football. Ou plutôt au «soccer», comme ils le nomment là-bas pour le différencier du «football», que nous appelons ici le «football américain». Alors que ce dernier est considéré en Amérique du Nord comme un sport masculin, le soccer, lui, est LE sport féminin par excellence. Quand nous sommes rentrés en Suisse, ma fille, alors âgée de huit ans, a intégré une équipe de football féminin. Ce qui, heureusement, est désormais possible un peu partout dans notre pays.

On revient de loin: longtemps, les femmes ont été systématiquement exclues du football…
Cette exclusion ne concerne pas que les femmes. Le football moderne est né en Grande-Bretagne au milieu du 19e siècle dans les internats pour jeunes hommes issus de l’élite. Ce sport était donc réservé à la population aisée, qui y voyait le moyen de se démarquer de la classe ouvrière. Rapidement, cette dernière s’y est néanmoins intéressée. Il faut dire que la pratique du football ne nécessite que peu d’infrastructure et de moyens. En outre, avec le changement sociétal entraînant une réduction du temps de travail, les samedis après-midi désormais libres pouvaient être consacrés par les travailleurs manuels aux loisirs, football en tête. Un bel exemple d’«empowerment». Les «gentlemen», eux, se sont tournés vers d’autres activités, telles que le cricket ou le hockey sur terre. Quand les équipes ont commencé à participer à des tournois internationaux – entretemps, ce sport avait été popularisé à l’étranger par les marchands britanniques – une autre grande étape a été franchie: la professionnalisation du football. Il n’était en effet financièrement pas possible pour les joueurs, désormais majoritairement issus des classes populaires, de se passer d’un revenu.

Dans quelle mesure les femmes ont-elles également profité du football comme outil d’«empowerment»?
Disons-le d’emblée: l’élargissement du football à d’autres catégories de la population que l’élite masculine britannique n’a concerné les femmes que dans une moindre mesure. Il faut rappeler qu’à l’époque, la société différenciait de façon stricte les genres, les rôles et, par ricochet, les activités sportives. Les hommes étaient invités à se défouler dehors, en équipe et de manière compétitive. Les femmes, elles, étaient considérées comme à leur place dans des salles de gym, à effectuer des mouvements graciles. Plus tard, les régimes politiques autoritaires ont repris – et renforcé – cette dichotomie. Dans ce contexte, le football féminin a toujours fait l’objet d’un grand scepticisme. Jusque dans les années 1970, il s’est généralement limité à des pratiques informelles, par vagues successives. L’ «art pour l’art» était mal vu. Pour les femmes, le football devait s’accompagner d’une autre fonction, par exemple caritative. Et dans tous les cas, il concernait les jeunes célibataires, pas les épouses et mères de famille.

Comment ces vagues successives d’émergence du football féminin en Europe au cours du 20e siècle se sont-elles organisées?
Elles ont quasi systématiquement coïncidé avec les vagues d’émancipation féminine dans la société, c’est-à-dire durant et après la Première Guerre mondiale, dans les années 1960 (libération sexuelle), dans les années 1990 (première grève des femmes) ou encore, tout récemment, avec le mouvement MeToo. On constate alors un effet de va-et-vient, de cercle vertueux: un mouvement d’émancipation féminine s’opère, qui permet d’ouvrir une porte pour le foot féminin, qui à son tour renforce le mouvement d’émancipation.

Les femmes se sont mises à jouer au foot en pleine Première Guerre mondiale?!
Tandis que les hommes étaient au front, les femmes ont pris leur place dans les usines… et sur les terrains de football. Les tournois interentreprises en Angleterre peuvent d’ailleurs être considérés comme les tout premiers tournois de foot féminins. A noter que plus tard, dans les années 1960, c’est également par la porte du football corporatif – qui, contrairement au football pratiqué en club, était accessible aux femmes – que les footballeuses se sont engouffrées dans la brèche.

Est-ce que ce premier mini-boom du football féminin s’est poursuivi au-delà du conflit de 14-18?
Non. La montée des régimes autoritaires tel que le nazisme et le fascisme a coupé la vague d’émancipation féminine, pratique du football y compris. Dans de nombreux pays européens, il a fallu attendre plusieurs décennies avant que ce sport ne ressorte au grand jour. Celles qui s’y adonnaient étaient qualifiées d’amazones, de garçons manqués. Que ce soit en France, en Allemagne ou en Angleterre, le football féminin n’a officiellement été reconnu par les fédérations nationales qu’à la fin des années 1960.

Quid de la Suisse?
Notre pays n’échappe pas à la règle. En terre helvétique, il y a eu comme ailleurs au fil du 20e siècle des élans favorables au foot féminin, ainsi que des actions – souvent isolées -de promotion et d’encouragement de cette activité. Dans les années 1920, un club dénommé Les Sportives -dont on a désormais perdu la trace – aurait été fondé à Genève. A la fin des années 1930, le village d’Adliswil, dans le canton de Zurich, a pour sa part accueilli une «démonstration» de football féminin en marge d’un tournoi masculin. Qui s’est d’ailleurs heurtée à pas mal de moqueries. Près de trente ans plus tard, l’équipe féminine FC Goitschel a demandé à l’Association suisse de football (ASF) l’autorisation de l’intégrer, qui lui a été refusée. En contrepartie, l’ASF a ouvert aux femmes la possibilité de devenir arbitres, ce qui a marqué une étape importante de l’histoire suisse du football féminin.

Toujours dans les années 1960, l’affaire Madeleine Boll a fait grand bruit…
Suite à un malentendu, cette jeune joueuse a participé en 1965 avec les juniors C du FC Sion à un match préliminaire de la coupe de l’UEFA contre l’équipe turque de Galatasaray. La presse internationale s’en est généreusement fait l’écho. En raison de ce scandale, l’ASF a retiré sa licence à la sportive. Reste qu’en 1969, un championnat suisse féminin inofficiel a été organisé. Un an plus tard, la ligue féminine nationale était créée, tout comme la «Nati» féminine.  Il a néanmoins fallu attendre 1993 pour que le football féminin intègre l’ASF.

L’officialisation du football féminin suisse au tournant des années 1970 a-t-elle rimé avec la «normalisation» de cette activité sportive?
Pas vraiment, non. Un exemple parlant est le compte rendu publié dans un média bien établi suite au tout premier match de l’équipe nationale féminine, gagné 9-0 contre l’Autriche. Une bonne partie de l’article est consacré au physique des joueuses. C’est à peine si le résultat est mentionné…
Que ce soit à l’échelle nationale ou internationale, il faut attendre encore une bonne vingtaine d’années avant que le public ne manifeste un réel intérêt pour le foot féminin…
La dynamique est venue des Etats-Unis où, comme déjà indiqué, le «soccer» était traditionnellement établi comme sport féminin, tandis que le «football», le baseball ou le hockey sur glace étaient associés aux hommes. Le foot féminin drainait de plus en plus de public outre-Atlantique. En 1999, quelque 90’000 personnes – y compris le président Bill Clinton – ont assisté à la finale de la Coupe du monde féminine à Los Angeles. Sans surprise, l’euphorie s’est propagée en Europe, y compris en Suisse. Dans notre pays, l’intérêt est un peu retombé par la suite, avant de remonter en flèche dès 2015, lorsque la «Nati» féminine s’est qualifiée pour sa première Coupe du monde. Les nouveaux mouvements féministes, dont la grève, ont renforcé cet élan. L’EURO de l’été 2025, qui se tiendra en Suisse, devrait en rajouter encore une couche.

L’an dernier, vous avez donné un cours magistral sur l’histoire du football (masculin et féminin) comme phénomène global. Pourquoi ce choix thématique?
Le football est un fil rouge intéressant pour raconter l’histoire contemporaine européenne, voire globale. Il constitue une porte d’entrée vers de nombreuses thématiques, qu’il s’agisse de la politique, de l’extrémisme, du genre ou de la transnationalité. Sans oublier bien sûr le fait qu’il est très apprécié par de nombreuses personnes, tous horizons politiques, sociaux ou ethniques confondus. Bref, qu’il constitue un vrai aimant à étudiantes et à étudiants. J’ai néanmoins fait quelques déçues et déçus: celles et ceux qui s’attendaient à ressortir du cours avec des statistiques de matches à partager en soirée n’en ont pas eu pour leur argent. (Rires)

Vous disiez plus tôt que votre fille a eu un accès bien plus facile que vous au football. Celles qui luttent pour davantage d’égalité des genres dans ce sport peuvent-elles lever le pied?
En guise de réponse, voici une anecdote. L’hiver dernier, ma fille est à plusieurs reprises rentrée de ses tournois de foot en salle avec une médaille. D’un côté, on y voyait un garçon. De l’autre un homme.

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  • Christina Späti est professeure ordinaire au Département d’histoire contemporaine de l’Unifr. En 2024, elle a donné un cours magistral intitulé «Fussball. Geschichte eines globalen Phänomens»
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Dix ans de recherches et de dialogue entre l’islam et la société en Suisse /alma-georges/articles/2025/dix-ans-de-recherches-et-de-dialogue-entre-lislam-et-la-societe-en-suisse /alma-georges/articles/2025/dix-ans-de-recherches-et-de-dialogue-entre-lislam-et-la-societe-en-suisse#respond Tue, 13 May 2025 13:40:39 +0000 /alma-georges?p=22272 Dix ans après sa création, le Centre Suisse Islam et Société a fêté son anniversaire dans une salle comble, entre discours officiels et échanges passionnants. Chercheuses et chercheurs y ont présenté leurs travaux de terrain, offrant un aperçu précieux de leurs recherches. Une occasion de mesurer le chemin parcouru — et celui qu’il reste à tracer — pour mieux comprendre et penser la place de l’islam dans la société suisse.

 

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Vivre le sport autrement /alma-georges/articles/2025/vivre-le-sport-autrement /alma-georges/articles/2025/vivre-le-sport-autrement#respond Wed, 30 Apr 2025 06:14:47 +0000 /alma-georges?p=22240 Impossible d’exceller dans le sport handicap sans développer une sorte de sixième sens. Une quinzaine d’étudiant·e·s en ont fait l’expérience le 3 avril dernier, lors du Paralympic School Day, une journée de sensibilisation aux handicaps récemment introduite par l’Université de Fribourg.

Cette étudiante qui abaisse furtivement le bandeau couvrant ses yeux mériterait sans doute un carton rouge. Mais comment ne pas être désorientée lorsqu’on joue au football à l’aveugle? Où sont les buts? Où se trouvent les coéquipier·ère·s? Douze étudiant·e·s du Bachelorpédagogie spécialisée et un courageux étudiant en sport ont participé à une expérience d’inclusion inversée.


«Le concept est simple: il consiste à inviter des personnes sans handicap à participer à des activités inspirées des sports paralympiques», explique Valérie Caron, lectrice au Département de pédagogie spécialisée et instigatrice du projet. «Elles ont ainsi l’occasion de vivre les défis rencontrés par les personnes avec handicap.» L’objectif est clair: favoriser l’empathie, la compréhension et un changement de regard en inversant les rôles habituels.

Du football qui se joue à l’ouïe
Et de l’empathie, il en faut – une bonne dose même! C’est ce qu’a constaté Matthias Scanio, étudiant en Bachelor de sport. Pour cette première édition fribourgeoise du Paralympic School Day, il avait pour mission d’organiser une activité de goalball, un sport d’équipe destiné aux personnes aveugles ou malvoyantes. Il se joue à trois contre trois sur un terrain de la taille d’un terrain de volley.

«Bien que j’aie soigneusement préparé l’activité, j’ai dû me rendre à l’évidence: il n’est pas facile de donner des explications claires et univoques à des personnes malvoyantes, reconnaît-il. Il ne suffit pas de dire « Avance » ou « Viens ici », il faut préciser le nombre de pas et la direction.»
Comme pour illustrer ses propos, un étudiant au poste de gardien, les yeux bandés, plonge à l’instinct pour intercepter le ballon. Muni de grelots, ce dernier tintinnabule à chaque rebond : c’est à l’ouïe que le portier doit en deviner la trajectoire. Calcul presque parfait… mais le ballon glisse entre ses mains et atterrit sur son nez — plus de peur que de mal.
«C’est en se mettant dans la peau d’une personne en situation de handicap qu’on comprend que la notion de capacité est relative», relève Valérie Caron. En se remémorant les matchs auxquels elle a assisté lors des derniers Jeux paralympiques, elle s’émerveille: «C’était magnifique! Les joueurs avaient véritablement développé un sixième sens.»

Emma Chetelat

De la théorie à la pratique
Dans l’autre moitié de la salle de sport de Miséricorde, les étudiant·e·s ont testé une seconde activité, conçue cette fois pour les personnes paralysées des jambes.
«Il s’agit du hockey luge, un sport d’équipe normalement pratiqué sur glace, avec des luges munies de lames», précise Valérie Caron. «Comme nous jouons en salle, nous avons utilisé des planches à roulettes achetées en grande surface.»
Étudiante en pédagogie spécialisée, Emma Chetelat a coordonné l’activité pour ses camarades. Ayant déjà travaillé avec des personnes atteintes de troubles cognitifs et moteurs, elle sait que cette expérience immersive est extrêmement enrichissante.  «Par-dessus tout, j’apprécie de passer de la théorie à la pratique!», s’exclame-t-elle. Pour Mathias Sciano, cette journée inclusive tombe à pic : son cursus en sport ne propose aucune formation sur le handicap. Inversement, le Département de pédagogie spécialisée ne prévoyait jusqu’ici aucune activité physique pour ses étudiant·e·s. Et Emma d’ajouter: « J’espère vivement que la prochaine édition de ce cours rassemblera encore plus de participant·e·s, et pas seulement de la pédagogie spécialisée!»

Le sport, ce grand oublié
Quel que soit le sport pratiqué lors de cette matinée — goalball, hockey luge ou football pour amputé·e·s — le Paralympic School Day dépasse largement le simple exercice physique. Il transmet aussi un message. «Il faut savoir que le sport est hélas très souvent le parent pauvre de l’enseignement spécialisé», déplore Valérie Caron. «L’éducation physique adaptée est peu développée en Suisse, alors que dans certains pays, comme aux Etats-Unis, il y a des programmes de Bachelor et Master qui y sont entièrement consacrés.»
On conçoit aisément qu’un·e enseignant·e d’éducation physique, face à une classe de vingt élèves, peine à intégrer une ou deux personnes avec un handicap. «Hélas, sans entraînement et adaptations, ces jeunes sont plus à risque de développer des retards moteurs, par exemple, avoir des difficultés à manipuler un ballon, des retards dans les habiletés de locomotion ou être plus à risque de sédentarité», regrette-t-elle.

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Wissenschaft zum Zvieri – Migration /alma-georges/articles/2025/wissenschaft-zum-zvieri-migration /alma-georges/articles/2025/wissenschaft-zum-zvieri-migration#respond Fri, 04 Apr 2025 14:43:48 +0000 /alma-georges?p=22160 Bei der «Wissenschaft zum Zvieri» an der Uni Freiburg tauchen Kinder in komplexe Themen ein – ganz auf Augenhöhe mit der Wissenschaft. Dieses Mal ging’s um Migration, Staatsangehörigkeit und grosse Fragen wie: Wo darf ich eigentlich leben? Und was brauche ich dafür? Die Kinder haben zugehört, gefragt, gelernt … und am Schluss natürlich auch Zvieri gegessen.

Hören Sie rein!

 

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Une thèse en guise de sésame vers la vie professionnelle /alma-georges/articles/2025/une-these-en-guise-de-sesame-vers-la-vie-professionnelle /alma-georges/articles/2025/une-these-en-guise-de-sesame-vers-la-vie-professionnelle#respond Mon, 31 Mar 2025 08:45:07 +0000 /alma-georges?p=22088 La thèse de Master constitue non seulement l’ultime épreuve avant de conclure son parcours académique, mais aussi, pour qui sait s’y prendre, un excellent tremplin vers la vie professionnelle. Désireux d’aborder un sujet ancré dans le monde réel, Alexandre Cattin, étudiant en géographie humaine, s’est penché sur les réseaux d’irrigation dans la Broye. Il se peut fort que cette étude de terrain lui ait ouvert les portes du monde du travail.

Avec le réchauffement climatique, l’irrigation devient un enjeu important

Comment avez-vous eu l’idée d’aborder le thème de l’irrigation dans la Broye dans le cadre de votre thèse de Master?
Je souhaitais par-dessus tout traiter d’un sujet concret et pratique, ce qui n’est malheureusement pas souvent le cas dans le milieu académique, souvent très, voire trop théorique à mon goût. J’ai fait part à Olivier Graefe, mon superviseur de thèse, de mon intérêt pour la gestion des ressources naturelles, l’agriculture et l’aménagement du territoire. C’est lui qui m’a, après réflexion, proposé le thème de l’irrigation dans la Broye. C’est une problématique pratique et importante. D’ailleurs, dans mon travail actuel au Service de l’environnement du canton de Fribourg, je touche à ces trois thématiques!

Avez-vous pu tirer profit de vos liens avec le monde agricole pour mener vos entretiens sur le terrain? Les agriculteurs·trices se méfient souvent des « gratte-papiers », non?
Effectivement, mon cousin est agriculteur à Cornol et, enfant, j’allais souvent y passer des vacances. Comme il est essentiel de connaître son public pour mener des entretiens scientifiques, je pense que cela m’a aidé. En leur parlant de cette partie de mon histoire, je leur montrais que, bien que considéré comme un «gratte-papier», je comprenais leurs valeurs et leurs préoccupations actuelles. Cela a permis de briser certains a priori. J’ai aussi eu la chance de pouvoir faire relire mes questions à mon cousin agriculteur. Il m’a donné des conseils, notamment sur la formulation des phrases, ce qui m’a été très utile.

La Broye est une région agricole clé en Suisse

Quelles compétences votre cursus en géographie humaine vous a-t-il apportées (ou non !) pour traiter ce sujet?
Au cours de mes études, j’ai appris à mener des entretiens. Je dirais donc que j’étais relativement préparé à la réalité du terrain, même si le passage de la théorie à la pratique reste un défi: passer de Bourdieu à la Broye exige une certaine souplesse! Je pense aussi que les outils conceptuels transmis à l’université, dont on ne perçoit pas toujours immédiatement la finalité, trouvent naturellement leur application sur le terrain, parfois même sans qu’on en ait pleinement conscience.

Vos résultats ont-ils été présentés en dehors du milieu académique? Ont-ils été utiles à quelqu’un?
Il faudrait poser la question à l’Institut agricole de Grangeneuve! J’espère évidemment qu’ils ont été utiles, que ce soit pour des acteurs·trices académiques ou des instances politiques. L’un des objectifs de mon travail était de comprendre les raisons derrière les décisions des agriculteurs·trices à participer aux projets d’irrigation et ainsi d’identifier des leviers d’actions potentielles pour les intéressé·e·s.
J’ai présenté ma thèse à trois reprises: lors d’un cours de Bachelor sur la géographie de l’eau, à l’Institut agricole de Grangeneuve et enfin lors de ma soutenance. A Grangeneuve, des directeurs·trices d’associations d’irrigant·e·s, des agriculteurs·trices et des chef·fe·s de secteurs étaient présent·e·s. Les discussions ont été très enrichissantes. J’étais ravi de voir que ma thèse suscitait des échanges constructifs. C’était formidable.

Pourquoi les agriculteurs·trices refusent-ils parfois de participer aux projets d’irrigation?
L’aspect financier est bien sûr un facteur, mais ce n’est pas le seul. L’âge joue également un rôle, notamment la question de la relève générationnelle: les enfants de l’agriculteur·trice sont-ils susceptibles de reprendre l’exploitation? Si ce n’est pas le cas, pourquoi investir dans un projet d’irrigation? C’est une problématique qui ne date pas d’hier, comme j’ai pu m’en rendre compte en étudiant ultérieurement les intérêts de l’Etat de Fribourg à participer à la première correction des eaux du Jura. C’était passionnant, car on retrouvait les mêmes enjeux en 1860! Déjà à l’époque, certaines instances politiques affirmaient qu’il était inconcevable de demander aux agriculteurs·trices de sacrifier leurs intérêts individuels au profit de l’intérêt général. Je me suis dit: c’est fou, on en est encore là!

Quelles compétences avez-vous développées grâce à ce travail?
D’une part, il m’a appris à mettre en pratique la théorie assimilée au cours de mes études. D’autre part, il m’a montré l’importance de développer son réseau au-delà du cadre universitaire. Cette thèse, qui m’a valu 60 crédits et a duré un an et demi, équivaut, selon moi, à un véritable stage. Je l’ai beaucoup mise en avant lors de mes entretiens d’embauche, car elle mêlait travail de terrain, collaboration interinstitutionnelle et aspects très concrets. Je tiens à ajouter que nos études, thèse comprise, nous apprennent à être rigoureux, sérieux, organisés et curieux. C’est ce socle qui permet ensuite de se professionnaliser et qu’il faut conserver, quel que soit le domaine.

Est-ce cela qui vous a valu votre poste au Service de l’environnement du canton de Fribourg?
Peut-être! (Rires) Il faudrait poser la question à mon chef, mais c’est fort probable!

  • Article de l’Hebdomadaire sur la thèse d’Alexandre Cattin
  • ճè d’Alexandre Cattin
  • Photos: Alexandre Cattin

 

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Andere Perspektiven auf die Conquista, frischer Wind für das Geschichtsdepartement /alma-georges/articles/2025/andere-perspektiven-auf-die-conquista-frischer-wind-fuer-das-geschichtsdepartement /alma-georges/articles/2025/andere-perspektiven-auf-die-conquista-frischer-wind-fuer-das-geschichtsdepartement#respond Thu, 20 Mar 2025 09:53:50 +0000 /alma-georges?p=22076 Am 2. April hält Vitus Huber seine Antrittsvorlesung. Im Interview erklärt der neue Professor für Geschichte der Frühen Neuzeit, warum er dort über die Conquista spricht, welche Parallelen man zu heute ziehen kann und welche Art Professor er sein will.

Sie haben für Ihre Antrittsvorlesung das Thema «Kollaboration, Kooperation und Konkurrenz im spanischen Kolonialreich» gewählt. Erklären Sie Ihre Wahl.
Die Conquista, die Eroberung und Kolonialisierung des heutigen Lateinamerikas durch die iberischen Kronen, hat eine erhebliche Relevanz für die heutige Welt. Die sogenannte Entdeckung von Amerika durch Christopher Kolumbus etwa markiert ein welthistorisches Ereignis: den Anfang der Globalisierung. Sie beeinflusst unsere Ernährungskultur und verschiedene Lebensbereiche bis heute. Und der Fokus auf Kollaboration, Kooperation und Konkurrenz zielt darauf ab, in diesem kolonialen Setting die verschiedenen Ebenen von Begegnungen und Austausch, Konfrontation und Unterdrückung aufzuzeigen. Die Geschichte der Conquista wurde lange als eurozentrische Erfolgsgeschichte erzählt; dass Spanier die Amerikas entdeckt, erobert, unterworfen und besiedelt haben. Heute ist klar, dass das eine viel zu dichotome Darstellung ist.

Inwiefern?
Mittlerweile werden verstärkt auch die indigenen Perspektiven berücksichtigt, wodurch die Geschichtserzählung ein differenzierteres Bild erhält. Denn die Indigenen spielten mithin als Verbündete spanischer Eroberungszüge eine zentrale Rolle. Es entstanden ständig Kooperationen und Kollaborationen. Als Kooperation bezeichne ich in diesem kolonialen Setting eine Zusammenarbeit auf Augenhöhe. Kollaboration hingegen betitelt eine asymmetrische Partnerschaft.

Können Sie Beispiele nennen?
Beim von Hernán Cortés zu Beginn des 16. Jahrhunderts angeführten ikonischen Eroberungszug auf Tenochtitlan – den Ort, an dem heute Mexiko-Stadt liegt – schlossen die spanischen Eroberer verschiedene Allianzen. An der Küste wurden sie zuerst von den Totonaken empfangen. Diese waren den Mexica tributpflichtig, die im sogenannten Aztekenreich von den umliegenden Stadtstaaten Tribut verlangten. Die Spanier merkten deshalb schnell, dass Rivalitäten existierten und sie keineswegs auf ein einheitliches, homogenes Reich trafen. Die Totonaken kollaborierten mit den Spaniern. Die Motivation dahinter war die Hoffnung, sich vom Tributjoch zu befreien. Eine Kollaboration war es deshalb, weil es eine schwächere Gruppierung war, die versuchte, gegen die etablierte Macht Verbündete zu finden. Später trafen die Spanier auf die Tlaxcalteken, eine grössere indigene Gesellschaft, die sich gegen die Mexica wehren konnte und entsprechend nicht tributpflichtig war. Auch sie arbeiteten mit den Spaniern zusammen. In diesem Fall würde ich von Kooperation sprechen. Zu diesem Zeitpunkt waren die spanischen Eroberer rund 600 Mann stark. Allerdings wurden sie von Tausenden bis Zehntausenden Kriegern und Gefolgsleuten der Tlaxcalteken unterstützt. Von der ursprünglich erzählten heroischen Geschichte der kleinen Gruppe von Spaniern, die das riesige Aztekenreich bezwungen haben soll, bleibt deshalb nicht viel übrig. Auch im weiteren Verlauf trafen die Spanier immer wieder auf lokale Herrscher, die versuchten, ihre Macht auszubauen, indem sie die angreifende Kraft unterstützten.

Haben die spanischen Eroberer das geschickt eingefädelt oder bloss offene Türen eingerannt?
Das Bild von Cortés als genialem Anführer, der den lokalen Mikropatriotismus ausgenutzt habe, wurde rasch durch die berühmte Chronik von Bernal Díaz del Castillo revidiert. Dieser war ein einfacher Konquistador, der rund 40 Jahre danach in einer Chronik seine Beobachtungen festhielt. Es wurde klar, dass Cortés nicht immer über alles die Kontrolle hatte. Die heutige Forschung relativiert das Bild noch einmal zusätzlich, weil sie auch die Handlungsfähigkeit der indigenen Verbündeten benennt. Das ist mit Blick auf die Täter-Opfer-Zuschreibung ein heikles Thema, trotz Relativierung darf man nicht vergessen, dass der Ursprung der Aggression aus Europa kam. Tatsächlich aber war Mesoamerika schon vorher eine kriegerische Gegend, genau wie das Inkareich vor Francisco Pizarros Eroberungszug. Auch dort herrschte eine Bürgerkriegssituation vor, was es den Spaniern erleichterte, Allianzen zu knüpfen. Teilweise war es Zufall, dass sie auf solche Rivalen stiessen und sich mit ihnen verständigen und einen gemeinsamen Feind finden konnten. Es war kein kalkuliertes «Teile und herrsche», kein klarer Plan. Auch gab es immer wieder Verluste, gescheiterte Eroberungszüge, unübersichtliche Situationen. Es sei nur daran erinnert, dass Kolumbus eigentlich zu den Gewürzinseln wollte, einen Westweg nach Indien suchte – und aus Versehen auf den Doppelkontinent stiess, der der christlichen Welt unbekannt war.

Im Idealfall können aus der Geschichte Lehren für die Gegenwart gezogen werden. Was können wir mit Blick auf die Conquista mitnehmen?
Experte bin ich für Geschichte, aber ich beobachte Phänomene, die ähnlich sind. Nehmen wir beispielsweise die Beute, die ein zentrales Thema meiner Forschung zur Conquista ist. Ich behaupte, dass sie den Verlauf massgeblich beeinflusst hat. Die Leute, die bei den Eroberungszügen mitmachten, hatten keinen fix zugesagten Sold, sie lebten von der Beute, die aufgeilt wurde. Das trieb an, immer weiterzumachen und möglichst dort hinzugehen, wo es mehr zu holen gibt. Weil sie oft nicht so viel mobile Beute in Form von Gold, Silber und Edelsteinen machten, wie erhofft, suchten sie nach anderen Einnahmequellen, etwa indem sie Steuern erhoben oder den Boden gewinnbringend bewirtschafteten. Im russischen Angriffskrieg auf die Ukraine sehen wir derzeit ebenfalls eine Konzentration auf ressourcenreiche Gegenden. Der Osten und der Süden der Ukraine sind von den Böden her ressourcenreicher als der Rest des Landes. Die Russen haben dort auch Kornfelder abgeerntet und Korn weiterverkauft. Mit erbeuteten Ressourcen Einnahmen generieren und mit Einnahmen das kriegerische Unterfangen weiter vorantreiben; ich nenne das eine Beutespirale. Sie dreht sich immer weiter. Parallelen sind zudem auch auf Ebene Geschichtsschreibung und Legitimierung erkennbar.

Inwiefern?
Während der Conquista gab es in Spanien Kontroversen, ob es gerecht ist, die Bewohner_innen Amerikas zu unterwerfen. Entsprechend wurde ein rhetorischer Trick angewandt. Das sogenannte Requerimiento war ein Text, den man dem Gegner vorlas, bevor man ihn bekämpfte. Darin stand, dass es nur einen Gott gebe, den christlichen. Und dass dessen weltlicher Vertreter, der König, einen gesandt habe. Dass sich alle diesem Gott unterwerfen müssten, ansonsten habe man das Recht, sie zu bekriegen, weil sie Widerstand zur friedlichen Unterordnung zum Christentum leisteten. Dieses Umkehren der Rollen, wer der Aggressor ist, sehen wir in vielen Konflikten. Damit einher geht die Geschichtsschreibung. Cortés schrieb lange Briefe an den König, um seine Handlungen zu legitimieren. In Russland verfolgt Wladimir Putin heute ebenfalls eine demagogische Geschichtsschreibung. Es ist ein stark von den eigenen Interessen gefärbtes Narrativ, das die eigene Vorgehensweise legitimiert und die Fakten verdreht.

Sie forschen und lehren auch zu ganz anderen Themengebieten. Dazu gehört die Körpergeschichte. Wie kamen Sie dazu?
Mich interessieren insbesondere die historischen Formen der Selbstbeobachtung und Selbstverbesserung. Hierbei spielt der Körper eine zentrale Rolle. Die Frühe Neuzeit, die meinen Epochenschwerpunkt bildet, markiert die Zeit, in der die Praktik des Tagebuchschreibens aufkam. Die Verbreitung von Papier sorgte für eine günstigere Form von Schriftlichkeit. Mit der Reformation entstand gleichzeitig eine individuellere Beziehung zu Gott. Anders als im Katholizismus beichteten Protestant_innen ihre Sünden nicht regelmässig einem Beichtvater. Für das Verhältnis zu Gott waren sie vermehrt selbst verantwortlich. Es wurde propagiert, täglich zu beobachten und reflektieren, wie man den Tag verbracht, wo man gesündigt hat, was man besser machen kann – und am besten das alles am Abend im Tagebuch festzuhalten. Das brachte mich auf die Idee, mich mit der Frage nach der Veränderung des eigenen Ichs, des eigenen Körpers auseinanderzusetzen – beziehungsweise damit, inwiefern das schon in der Frühen Neuzeit ein Thema war.

Die Selbstoptimierung, die nicht nur in Lifestyle-Magazinen heute allgegenwärtig ist, ist also kein neues Phänomen?
Nur bedingt, allerdings unterscheiden sich die Umstände und Motivationen. In der Frühen Neuzeit waren Letztere oft verbunden mit religiösen, spirituellen Zielen. Ob Nahrungsreduktion, Schlafentzug oder Körperbeherrschung durch Unterdrückung von Wut etc. – all das war meistens mit spirituellen Intentionen verbunden. Gewisse Mechanismen sind dennoch vergleichbar mit der Gegenwart. Selbstoptimierung ist heute endlos, weil man nie weiss, wann das Optimum erreicht ist. Man kann immer noch besser werden. Im Christentum gab es insofern ein ähnliches Phänomen, als sich die Leute nie sicher sein konnten, ob sie fromm genug lebten. Sie durften auch nicht davon ausgehen, dass sie das taten, das hätte sonst als eitel gegolten – und wäre sicher nicht fromm gewesen. So mussten sich die Betroffenen permanent kleinhalten und selbst geisseln.

Sie sind seit rund einem halben Jahr ordentlicher Professor am Departement für Geschichte. Was für eine Art Professor versuchen Sie zu sein?
Ein hoffentlich innovativer. Ich versuche, die Studierenden für diese Epoche zu begeistern, plausibel zu machen, wie reichhaltig die Zeit war – und wie wichtig und relevant für heute. Ich nenne da gerne auch Beispiele aus dem Alltag: Tomaten kommen aus Amerika, die mediterrane Küche, die bei uns dominant ist, wäre ohne die sogenannte Entdeckung Amerikas undenkbar. Auch Rösti gäbe es nicht, weil wir die Kartoffel nicht kennen würden. Das sind Anekdoten, die Frühe Neuzeit ist jedoch tatsächlich eine Epoche, durch die wir viel lernen können, etwa über interkulturelle und interreligiöse Begegnungen, Staatsbildungsprozesse, Menschen-, Frauen- und Bürgerrechte, Konfliktmanagement etc. Für solche Themen versuche ich die Studierenden zu gewinnen und Ihnen zentrale Kompetenzen aus der Geschichtswissenschaft mitzugeben: Fundiertes Recherchieren, kritisches Analysieren sowie die Fähigkeit, einzuordnen und zu vermitteln. Ich versuche auch, das Fach Geschichte innerhalb der Universität Freiburg zu bewerben, dafür gehe ich gerne ungewohnte Wege und arbeite interdisziplinär. Bereits sind Kooperationen mit Kolleg_innen aus Literaturwissenschaften, Neurowissenschaften und Machine Learning angedacht.

Zur Person

Vitus Huber ist Professor für Geschichte der Frühen Neuzeit am Departement für Geschichte der Universität Freiburg. Nach seinem Doktorat an der Ludwig-Maximilians-Universität München war er als Gastwissenschaftler und Dozent an verschiedenen Universitäten in der Schweiz und im Ausland tätig, unter anderem an den Universitäten von Harvard und Oxford. Zu seinen Forschungsschwerpunkten gehören Kolonialgeschichte, Körpergeschichte und die Geschichte der Nacht.

Zur Antrittsvorlesung

Die Antrittsvorlesung von Vitus Huber findet am Mittwoch, 2. April, um 18.15 Uhr am Standort Miséricorde 03 im Raum 3115 statt. Das Thema lautet «Kollaboration, Kooperation und Konkurrenz im spanischen Kolonialreich».

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Quand l’architecture crée du lien : une immersion entre tradition et innovation /alma-georges/articles/2025/quand-larchitecture-cree-du-lien-une-immersion-entre-tradition-et-innovation /alma-georges/articles/2025/quand-larchitecture-cree-du-lien-une-immersion-entre-tradition-et-innovation#respond Wed, 19 Mar 2025 08:52:57 +0000 /alma-georges?p=22067 Dans le cadre du projet ARC-HEST, 30 étudiant·e·s suisses et coréen·ne·s se sont lancé·e·s dans un défi unique: réinterpréter les pojangmacha, ces stands de street food emblématiques de Corée. Un projet immersif, une expérience transformatrice… Découvrez leur incroyable aventure en vidéo!

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Lolita à la dérive /alma-georges/articles/2025/lolita-a-la-derive /alma-georges/articles/2025/lolita-a-la-derive#respond Mon, 20 Jan 2025 14:59:11 +0000 /alma-georges?p=21930 Dans un roman choc paru en 1955, Nabokov décrit la relation abusive entre le narrateur adulte et une jeune fille. Septante ans plus tard, le terme «Lolita» renvoie le plus souvent à une nymphette aguicheuse. Un séminaire dispensé à l’Unifr s’interroge sur cette déformation.

Des lunettes de soleil en forme de cœur, des lèvres ourlées de gloss et un air mi-boudeur, mi-provocateur: telle est l’image qui vient communément à l’esprit lorsqu’on évoque la figure de Lolita. Un coup d’œil sur le site du Larousse révèle qu’une lolita serait une «très jeune fille, jolie et aguichante». Au fil du temps, le personnage du célèbre roman éponyme de Vladimir Nabokov publié en 1955 n’a cessé d’évoluer, allant jusqu’à se muer en un véritable symbole de la libération sexuelle des femmes. Velia Ferracini attire l’attention sur le fait qu’à l’origine, «Lolita est une enfant victime de viol.»
Comment en est-on arrivé à une telle déformation de l’héroïne – et de l’histoire – imaginée par l’auteur américain d’origine russe? Ce questionnement figure au cœur d’un séminaire dispensé à l’Unifr au semestre d’automne de l’année académique 2024-2025 par cette assistante diplômée du Département de français. C’est en participant à un débat organisé en marge de la remise du Goncourt de la Suisse à Neige Sinno (pour son ouvrage «Triste Tigre») que la doctorante a pris conscience de l’ampleur «du tabou qui demeure autour du traitement de la thématique de l’inceste dans la littérature». Dans le cas du roman de Nabokov – qui décrit la relation abusive entre le narrateur de 37 ans et une jeune fille de 12 ans – «même certains grands penseurs contemporains de l’intelligentsia française parlent d’une histoire d’amour».

Dans la tête d’un pédocriminel
Retour 70 ans en arrière. En déroulant la trame narrative de «Lolita» par le biais d’un dialogue se déroulant dans la tête du personnage de Humbert Humbert, «Nabokov a choisi un angle inhabituel, un changement radical de perspective». Afin de montrer «toute la complexité d’un pédocriminel, qui plus est érudit, l’écrivain met en scène la confession à la première personne de cet homme». Cette confession, qui a pour but de dédouaner le narrateur d’un meurtre, finit par tourner entièrement autour de Dolorès Haze (alias «Lolita»), la jeune fille que Humbert Humbert a prise sous son aile et dont il abuse.
«D’une certaine manière, il s’agit bel et bien d’une histoire d’amour, du moins selon le point de vue du narrateur», souligne Velia Ferracini. Pour se justifier, Humbert Humbert utilise diverses stratégies, dont le recours à des références littéraires et à la pathétisation, notamment l’évocation d’un amour de jeunesse perdu. Si l’on sort de la tête du narrateur pour se placer du côté de Lolita, aucun doute n’est permis: «Elle est victime de contrainte sexuelle.»
«Ce qui rend l’ouvrage complexe – une complexité qui renvoie d’ailleurs à celle du cerveau d’un pédocriminel – est le fait que Lolita n’a pas directement droit à la parole, puisqu’elle n’existe qu’à travers les yeux de Humbert Humbert et de ce qu’il croit qu’elle pense.» Une perception qui est d’autant moins fiable que «le narrateur avoue qu’il ment parfois». Nabokov a néanmoins laissé dans son livre «des indices permettant d’une part de montrer que la jeune fille n’est pas consentante et, d’autre part, que lui-même réprouve le comportement de Humbert Humbert».

Amour interdit ou abus?
«’Lolita’ est clairement une critique de l’abus commis contre Dolorès Haze», résume la doctorante de l’Unifr. Or, à peine publié, l’ouvrage a fait l’objet d’erreurs d’interprétation, «peut-être tout simplement parce que les gens ne savaient pas comment lire» ce roman-ovni. Comme le montre le livre «L’ouragan Lolita», co-écrit par Véra et Vladimir Nabokov, le couple a «dès la sortie du livre été dérangé par l’interprétation qui en était proposée, par le fait que le personnage de Lolita ne semblait pas forcément être considéré comme une victime».
Il a néanmoins fallu attendre 1962 et la transposition au cinéma du roman par Stanley Kubrick pour que «la vraie déformation commence», ce malgré le fait que Nabokov était impliqué dans cette adaptation. «A la décharge du cinéaste et de l’écrivain, précisons que l’organe américain compétent a mis son veto à plusieurs reprises, ce qui a obligé l’équipe à réécrire une partie du scénario.» C’est une Lolita paraissant plus âgée qui s’est imposée à l’écran, «gommant partiellement le côté incestueux de la relation». Les scènes de sexe ayant été interdites, «les spectateurs et spectatrices pouvaient laisser libre cours à leur imagination, par exemple en se représentant des étreintes romantiques, voire mignonnes». Au final, «le film de Kubrick donne l’impression qu’il s’agit d’une histoire d’amour interdite».
Trente-cinq ans plus tard, Adrian Lyne «a essayé de mieux faire», poursuit Velia Ferracini. Dans cette deuxième adaptation cinématographique de l’ouvrage, le réalisateur utilise une voix-off pour reproduire l’effet narratif du roman de Nabokov. Le hic? «Alors que les images du film sont censées être le fruit de l’imagination d’Humbert Humbert, les spectateur·rice·s ont tendance à prendre ce qu’elles et ils voient pour argent comptant.» Une fois encore, l’abus fait place à la romance, en l’occurrence «l’histoire d’un amour un peu désespéré». Une méprise accentuée par le fait que l’actrice qui joue le personnage de Lolita est presque adulte.

Un raccourci troublant
Depuis, les références à Lolita se sont multipliées, de la musique à la publicité, en passant par la mode. En 2000, la popstar Alizée, alors âgée de 16 ans, clame ainsi haut et fort dans son tube «Lolita»: «C’est pas ma faute, et quand je donne ma langue au chat, je vois les autres, tout prêts à se jeter sur moi». Plus récemment, Lana del Rey reprend dans un clip vidéo des scènes du film de Lyne et «chante l’amour et la libération des femmes en tant que Lolita», rapporte l’assistante de l’Unifr. Quant aux lunettes de soleil en forme de cœur portées par l’héroïne du film de Kubrick, elles deviennent le symbole même de la nymphette, une adolescente aux airs faussement candides.
«Ce raccourci interpellant est assez symptomatique de notre société hypersexualisée», analyse Velia Ferracini. Un phénomène que dénonce justement la littérature post-MeToo et ses figures marquantes telles que «Triste Tigre» ou «Le Consentement» (Vanessa Springora). «’Triste Tigre’ explore la mauvaise interprétation du roman de Nabokov; Neige Sinno se demande comment on en est arrivé à le transformer en apologie de la pédophilie.»
La réception du livre «Lolita» est donc «le symptôme d’un problème contemporain plus vaste, celui de la banalisation des violences sexuelles», constate l’assistante du Département de français. «Le rôle de l’espace universitaire est justement de se réapproprier les sujets de société, de les contextualiser et de les aborder avec un regard critique.» D’où la pertinence d’un séminaire sur la question. «Les étudiant·e·s ont vraiment joué le jeu: ils et elles n’ont pas hésité à dépasser l’analyse littéraire pure pour s’attacher à la réception de l’œuvre», se réjouit Velia Ferracini.

 

Velia Ferracini est doctorante et assistante diplômée au Département de français de l’Unifr. Au premier semestre de l’année académique 2024-2025, elle a donné un séminaire sur la réception et l’interprétation de l’ouvrage «Lolita» de Vladimir Nabokov, paru en 1955.

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  • Image de couverture: Dominique Swain et Jeremy Irons à l’affiche de Lolita du réalisateur Adrian Lyne
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«Mon premier jeu de mots doit remonter à mes sept ans» /alma-georges/articles/2024/mon-premier-jeu-de-mots-doit-remonter-a-mes-sept-ans /alma-georges/articles/2024/mon-premier-jeu-de-mots-doit-remonter-a-mes-sept-ans#respond Mon, 16 Dec 2024 13:32:25 +0000 /alma-georges?p=21742 D’aussi loin qu’il s’en souvienne, Steve Oswald s’intéresse aux mots et au possibilités de jeu qu’ils offrent. Aujourd’hui professeur titulaire en linguistique anglaise, il se passionne pour la pragmatique, une sous-discipline de la linguistique. Pour partager sa passion, il a décidé d’en partager les fondamentaux dans trois vidéos intitulées « Questions de sens ».

La linguistique utilise des concepts assez abscons (et c’est un euphémisme). Avec ces podcasts, avez-vous essayé de la rendre accessible au plus grand nombre?
Comme toute science, la linguistique possède son jargon, mais dire que la sous-détermination sémantique est un corrélat de la nature inférentielle de la communication ne me semble pas forcément plus abscons que de parler de liaison covalente au niveau atomique.

Portrait de Steve Oswald, Maître d’enseignement et de recherche

Blague à part, je crois que l’un des avantages de la linguistique, prise comme objet de vulgarisation scientifique, réside dans le fait que, nous autres linguistes, nous nous intéressons à une pratique quotidienne, partagée par tout le monde, dont nous ne soupçonnons que très rarement la complexité. Si je vous réponds « j’ai 50 copies qui m’attendent sur mon bureau » quand vous me demandez si je veux aller prendre un café, vous comprendrez sans effort que je décline votre invitation. Or, on est bien d’accord, il n’y a aucun lien linguistique strict entre un énoncé qui dit qu’il y a des copies d’étudiant·e·s sur mon bureau et un énoncé qui dénote mon refus de prendre un café avec vous; on a littéralement deux états du monde bien distincts ici. On voit donc très bien qu’il y a quelque chose à expliquer là-derrière.


Mais pourquoi vouloir en parler au travers de vidéos?
Pendant le confinement lié à la pandémie de COVID, lorsque je devais donner des cours en ligne, j’avais essayé d’expérimenter un peu avec le format vidéo, en utilisant des musiques en relation avec les cours, en bricolant des petits montages un peu plus légers, voire amusants, afin de rendre l’enseignement à distance plus vivant et intéressant. Cela m’a permis d’expérimenter des choses un peu plus variées d’un point de vue pédagogique, et le support vidéo se prête assez bien à ce genre d’exercice, ce qui fait que j’avais envie de prolonger cette exploration. J’en ai parlé à Lou, un étudiant de Master chez nous au département d’anglais, qui avait des contacts dans l’audiovisuel et du savoir-faire en matière de montage. C’est ainsi que nous avons décidé de faire cette petite série. Le ton des vidéos est délibérément léger, sans toutefois tomber dans le pur divertissement, étant donné que nous voulions que l’intelligibilité du message prévale. En termes d’audience, nous espérions atteindre la communauté estudiantine, mais également n’importe quelle personne francophone susceptible d’être intéressée par la question du sens dans la communication.

Comment avez-vous procédé pour digérer la matière et la rendre digeste?
Pour rédiger le texte, je me suis basé sur mes années d’enseignement dans le domaine, qui m’ont, d’une part, demandé de développer une approche pédagogique à même de rendre accessibles des théories parfois complexes et, d’autre part, amené à travailler sur des exemples dont j’espère qu’ils illustrent le contenu de manière simple. C’est aussi la raison pour laquelle chaque vidéo commence par le même exemple de «mise en situation», susceptible d’être reconnu par tous les membres de la communauté universitaire ou par quiconque a une représentation ou un stéréotype du professeur d’université. J’ai rédigé le texte en réfléchissant à la manière dont j’allais le dire, et puis après, lors du tournage, j’ai pris quelques libertés par rapport à ce que j’avais écrit. Je n’ai donc pas préparé plusieurs scénarios, pour pouvoir ensuite choisir le meilleur. Le tournage s’est déroulé de manière plutôt improvisée, parce qu’il était aussi important pour moi de ne pas parler comme si je lisais – j’ai horreur des cours ou des conférences dans lesquelles la personne qui présente lit son texte. Un ton informel, conversationnel, était ce que je recherchais.

Bon, entre nous, qu’est-ce que la pragmatique, votre spécialité, et à quoi cela sert?
La pragmatique, c’est l’étude du sens en contexte. C’est la discipline qui vous explique pourquoi quand vous dites à votre enfant ‘ton pull traîne par terre’, il se plaint et vous répond qu’il le rangera plus tard, alors même que votre énoncé n’était, littéralement, qu’une observation quant à la localisation du pull. On communique donc bien davantage que ce que l’on dit littéralement. C’est une discipline qui a été développée depuis les années 1950-1960 par des philosophes dits ‘du langage ordinaire’, qui voulaient rendre compte de la communication humaine en tant que pratique et non en tant que système abstrait basé sur le langage. C’est une discipline qui permet d’expliquer beaucoup de choses: le sens implicite, les malentendus, l’humour, la manipulation, l’argumentation, la persuasion, l’effet du discours sur les gens, mais, surtout, le fait – qui devrait être troublant étant donné qu’on ne s’exprime jamais parfaitement explicitement – que nous nous comprenons lorsque nous communiquons. Son utilité est, somme toute, celle de toute science: elle permet de décrire et d’expliquer des phénomènes. Dans le cas présent, ce sont des phénomènes communicationnels complexes dont nous n’avons même pas conscience, même si nous les gérons spontanément de manière optimale.

Hormis à des fins de recherche fondamentale, à quoi sert la pragmatique?
La recherche sur le sens peut également être utilisée à des fins plus terre-à-terre, par exemple dans le discours journalistique, publicitaire, ou politique. Si on sait comment les gens vont traiter un message pour le comprendre, si on a une idée des différentes voies interprétatives qu’une formulation donnée va ouvrir ou fermer, alors il est possible de travailler sur un message pour qu’il favorise une représentation plutôt qu’une autre. On le voit, par exemple, dans le discours journalistique sur le féminicide: si on utilise des phrases à la voix active («Un homme a tué une femme pendant le concert de X»), l’attention est portée sur les actes de celui qui s’est rendu coupable, et donc sur la responsabilité de ce dernier; en revanche, si on utilise une phrase à la voix passive pour dénoter le même événement («Une femme a été tuée pendant le concert de X»), le texte oriente davantage l’attention sur la victime, étant donné que l’agent de l’action, c’est-à-dire le meurtrier, n’est même pas présent dans le texte. Attention, je ne suis pas en train de dire que ces deux phrases sont intrinsèquement stratégiques, qu’elles visent nécessairement à imposer des points de vue idéologiques différents, ou qu’elles ont des effets persuasifs nécessairement différents; cependant, il est indéniable que chacune donne à se représenter les mêmes faits d’une manière très différente, et qu’elles peuvent par conséquent avoir un impact différent sur le lectorat. L’utilité de la pragmatique est ainsi également flagrante dans le domaine de la diplomatie, dans lequel une formulation peut s’avérer lourde de conséquences – l’étude de la politesse et des rapports de préservation ou de perte de la face dans l’interaction s’inscrit du reste typiquement dans un cadre pragmatique.

Enfin, et pour prendre un exemple plus léger, on a besoin de pragmatique pour raconter des blagues! Beaucoup d’histoires drôles exploitent précisément ce mécanisme: une bonne blague est celle qui nous amène sur une voie interprétative qui nous éloigne du point de chute, et c’est uniquement lorsque nous entendons la chute que nous réinterprétons le texte pour voir qu’un autre sens était accessible dès le début. C’est bel et bien notre manière de traiter l’information qui est exploitée dans les blagues pour générer un effet de surprise et d’amusement, qui survient lorsque nous réalisons notre fausse route interprétative. En somme, et avant que j’oublie, pour répondre simplement à votre question: la pragmatique, c’est la vie!

Maintenant que vous avez réalisé trois vidéos pour vulgariser la pragmatique, avez-vous l’intention d’en produire d’autres?
Dans l’immédiat, j’ai plutôt trois articles pour des revues/ouvrages collectifs sur le feu, donc de futures vidéos ne sont pas prévues à court terme. Mais comme la réception des collègues et connaissances était plutôt bonne, même si ce sont loin d’être des vidéos virales, nous sommes en train de réfléchir, avec Lou, à des suites possibles, parce que c’est une expérience assez sympa, qui nous permet aussi d’approcher la recherche et le monde académique sous un jour plus décontracté, susceptible d’intéresser le grand public.

Et pour conclure, dans le fonds, comment diable en êtes-vous venu à vous intéresser aux rouages de la communication? Y a-t-il eu un événement déclencheur?
Depuis tout petit je me suis intéressé aux mots, à leur polysémie, ainsi qu’aux possibilités de jeu qu’ils offrent. Mon premier jeu de mots doit remonter à mes 7 ans, lorsque j’avais fièrement annoncé à mon père que quand l’idole des jeunes avait appris que son dernier album n’avait pas bien fonctionné, il en avait jauni à l’idée – ou quelque chose du genre… Je ne savais par contre pas que ce genre de phénomène pouvait être étudié, et ce n’est qu’en première année à l’Université de Genève que j’ai été exposé à la linguistique comme science. Au lieu de continuer en philosophie, comme je l’avais initialement prévu, j’ai bifurqué et me suis consacré à la linguistique, d’abord à travers un mémoire sur la manipulation dans les discours péronistes dans l’Argentine des années 1940-1950, puis par ma thèse de doctorat portant sur la communication non-coopérative et manipulatoire. A y regarder de plus près, je crois que ce qui m’a toujours attiré, ce sont les phénomènes un peu étranges ou difficiles à catégoriser, de même que ceux dans lesquels il y a un « truc » à expliquer, qui fait que les choses (en l’occurrence pour moi les mécanismes d’interprétation) n’ont pas l’air de se passer comme on pourrait s’y attendre. Je ne pense donc pas qu’il y ait véritablement d’événement déclencheur ; je mettrais plutôt mon intérêt pour la linguistique sur le compte des possibilités ludiques du langage et sur celui de ma curiosité naturelle. 

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  • Steve Oswald
  • îԱ @duauxlingaux
  • Vidéo produite avec l’aide de Lou Odermatt, étudiant de MA en anglais à l’Université de Fribourg

 

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