Jean-Christophe Emmenegger – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Thu, 02 Apr 2020 11:28:11 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 Etudiante et sapeur-pompier! /alma-georges/articles/2020/etudiante-et-sapeur-pompier /alma-georges/articles/2020/etudiante-et-sapeur-pompier#respond Thu, 02 Apr 2020 08:11:03 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=10628 Xenia Haberditz, 23 ans, étudie la géologie en voie de master à l’Université de Fribourg.Ìý Son job à côté des études? Volontaire dans le Bataillon des sapeurs-pompiers de la Ville de Fribourg! Qu’est-ce qui l’a poussée à intégrer un groupe d’intervention d’urgence? Est-il facile de concilier ce travail avec les études? Comment se passe l’adaptation à un milieu majoritairement masculin? Réponses.

Depuis quand êtes-vous incorporéeÌýdans le Bataillon des sapeurs-pompiers fribourgeois?
Depuis 2017, je suis sapeur-pompier dans un groupe d’intervention. Concrètement, j’effectue le service de piquet 24/24h durant une semaine toutes les six semaines.

Pourquoi vous être engagée?
Mon père était déjà pompier en Autriche, puis à Fribourg. Depuis toute petite, j’ai vu les feux bleus, les camions d’intervention, les échelles: cela m’a donné envie. De plus, par rapport à mes études universitaires, je trouve que les activités au service du feu me fournissent un bon contrepoids. Auparavant, j’avais essayé un autre job dans une boulangerie. Mais il me manquait clairement l’action!

N’est-ce pas difficile de concilier ce travail avec vos études?
Au contraire, ce travail s’adapte très facilement aux études. Mes professeurs sont au courant de mon engagement chez les pompiers et se montrent très compréhensifs. Je les en informe avant le début des cours, pour qu’ils ne soient pas surpris s’il y a une alarme qui m’oblige à partir subitement. A d’autres moments, tels que des cours à présence obligatoire ou à Berne, des excursions, des camps de terrain ou les examens, il est évident que les études ont la priorité. Je dois simplement savoir m’organiser à temps pour être sûre qu’un collègue reprenne les heures ou les jours en question.

Quelle a été votre intervention la plus difficile?
Dans ma première année de volontariat, je rentrais chez moi, le soir, après une longue journée de travail. L’alarme a sonné pour un feu de grange à la suite d’un orage. Cela a duré jusqu’à 4 heures du matin, c’était très fatigant. Il y a aussi cette intervention qui s’est soldée par la mort d’une personne. Lorsque la famille de la victime est venue sur les lieux, je me suis rendue compte que j’avais fait des activités extrascolaires avec l’un de leurs fils. Comme Fribourg n’est pas une très grande ville et qu’on connaît souvent ses habitant·e·s, en cas de drame, cela nous affecte forcément. Il ne faut pas se cacher que le volontariat chez les pompiers peut être éprouvant, physiquement et psychologiquement.

Votre meilleur souvenir d’intervention?
Cela me fait toujours énormément plaisir de voir les gens soulagés et contents quand nous arrivons pour les secourir. C’est le côté social de notre travail. On se sent utiles et reconnus. Quand il y a la gratitude, c’est toujours un très bon souvenir.

En tant que femme, est-il facile de s’intégrer dans un milieu qui reste majoritairement masculin?
C’est peut-être un peu plus difficile au début, surtout quand on est une des plus jeunes du bataillon comme moi! Peut-être que ma pratique du judo (Xenia a obtenu la ceinture noire lors d’un séjour au Japon, ndlr) m’a facilité l’adaptation en me donnant une certaine condition physique.

Est-ce que le fait d’être une femme vous empêche d’effectuer certaines tâches ou au contraire cela vous favorise-t-il?
En général, une femme peut effectuer les mêmes tâches qu’un homme. Certes, celles qui demandent beaucoup de force sont plus exigeantes pour une femme que pour un homme. En revanche, nous sommes en général plus petites et plus légères, ce qui fait de nous de bonnes coéquipières pour travailler dans la nacelle de l’échelle automobile ou dans des endroits serrés.

Quel serait votre argument pour convaincre les gens de s’engager?
Je pense, tout d’abord, à la camaraderie. Les autres avantages, à mon sens, sont nombreux. Ce travail sort de l’ordinaire et on ne sait jamais ce qui va arriver. Il faut aimer le suspense! Je pense aussi que l’on apprend beaucoup de choses utiles dans plein de domaines différents au cours des formations et exercices. Je crois que le plus important, si l’on veut s’engager, c’est la motivation. Cependant, l’accord de l’entourage, de la famille ou des conjoints est également indispensable. Car on sacrifie une partie de sa vie privée au service des autres.

Dernière question en lien avec l’actualité. Est-ce que l’épidémie de coronavirus modifie la mission des pompiers?
La vie des pompiers continue comme auparavant, mais en prenant en compte les mesures annoncées par l’OFSP. Des adaptations pour respecter ces mesures ont été mises en place à la caserne et pour les interventions.

Envie de devenir pompier volontaire?
Le Bataillon des sapeurs-pompiers de la Ville de Fribourg recrute ses futurs membres, hommes et femmes, entre 18 et 45 ans. C’est une occasion unique de se mettre au service des citoyens en accomplissant des tâches utiles et concrètes, comme l’aide aux personnes en situation de détresse. Le Bataillon est au service de la population principalement lors d’incendies, d’inondations, d’accidents d’hydrocarbures et chimiques, ainsi que d’accidents de la circulation, mais aussi pour le déblocage d’ascenseurs, le sauvetage d’animaux, etc. Il est composé de volontaires qui reçoivent une formation et perçoivent une solde. Le Bataillon comprend une section d’intervention et une section logistique qui totalisent près de 130 personnes, sapeurs, sous-officiers et officiers. L’expérience montre que tous les candidat·e·s sélectionné·e·s possèdent des ressources et des compétences insoupçonnées. Intéressé·e ? Suivez les instructions:

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  • Photo © Michel Chantoiseau
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Unique en Europe: un Master «Islam et société» /alma-georges/articles/2019/unique-en-europe-un-master-islam-et-societe /alma-georges/articles/2019/unique-en-europe-un-master-islam-et-societe#respond Tue, 19 Mar 2019 09:44:33 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=7974 C’est une première en Suisse: l’Université de Fribourg propose, dès la rentrée 2019, un programme de Master «Islam et société» en branche principale. Conçu par le Centre Suisse Islam et Société (CSIS) au sein de la Faculté des lettres et des sciences humaines, ce nouveau cursus a pour but de répondre aux défis sociétaux actuels. Pour en parler, nous avons rencontré Amir Dziri, professeur d’études islamiques et directeur du CSIS.

A qui s’adresse ce nouveau cursus de master?
Ce cursus en branche principale (90 crédits ECTS) s’adresse d’une part aux étudiantes et étudiants qui souhaitent examiner et approfondir des questions liées à l’islam en Suisse, en particulier celles et ceux qui proviennent des branches de la sociologie, de la théologie, des sciences des religions, et cetera. Et ce, quelle que soit leur appartenance religieuse. D’autre part, ce cursus s’adresse aussi au groupe cible que sont les Suisses de confession musulmane qui ont besoin d’interroger leur religion dans un cadre universitaire. C’est ce qu’il était ressorti de l’analyse des besoins réalisée par un groupe de travail mis sur pied par la Confédération suisse. Les différentes organisations et associations impliquées ont identifié une réelle demande de la part des minorités suisses de confession ou de culture musulmane. A noter qu’il est possible de choisir cette branche comme programme d’études secondaires à 30 crédits ECTS depuis le semestre d’automne 2017.

Précisons-le tout de suite, il ne s’agit pas d’une formation religieuse?
Non. Ce n’est pas du tout un prêche. Il n’est pas question non plus d’une formation continue comme il en existe pour les imams, même si des imams assisteront aussi à nos cours. Il s’agit d’une approche académique des questions centrales liées à l’interprétation de la religion musulmane, proposant un espace de compréhension et de débat pour répondre aux défis sociétaux actuels avec les compétences requises. La spécificité de ce programme réside dans l’imbrication de deux domaines, à savoir l’islam et la société, dont nous étudierons les interactions complexes en Europe et plus spécifiquement dans le contexte helvétique. Nous aborderons à la fois les aspects sociologiques, juridiques, théologiques, philosophiques, historico-herméneutiques et pratiques de ces relations.

On pourrait comparer cette formation à celles des théologies chrétiennes ou juives, fréquentées par des individus aussi bien religieux que laïques se sentant concernés par leur religion?
En effet, nous partons du même principe de réflexion scientifique, intellectuelle et rationnelle. Certaines personnes de confession chrétienne ou juive qui s’inscrivent en théologie sont choquées au premier abord par l’approche académique. Cela va aussi être le cas pour nous. Et c’est d’ailleurs également le cas quand j’interviens au milieu d’audiences composées uniquement de croyants musulmans, dont une partie n’est pas habituée à cette approche. Je pense que c’est largement un symptôme générationnel. L’héritage des traditions intellectuelles et religieuses musulmanes est soumis à des processus de transformation majeurs, et beaucoup de jeunes interrogent leurs convictions en Europe dans le contexte social qui leur est donné. Ce programme d’études a aussi pour objectif de satisfaire à cette soif de connaissance: il vaut mieux que d’aller la chercher sur d’autres canaux pas très recommandables.

Je vous ai posé ces questions, car vous savez que le contexte actuel est propice à la méfiance, voire à la médisance.
Je me situe en dehors de ces interprétations conflictuelles. Bien sûr qu’il existe une lecture essentialiste ou normative du Coran dans les pays musulmans en Orient, perpétuant des stéréotypes négatifs au sujet des Européens. De même, il existe un narratif en Occident visant à écarter l’autre, en l’occurrence le musulman. Mais dans les deux cas ce n’est pas une approche scientifique. Et cette guerre culturelle n’a pas sa place dans le contexte qui nous occupe. Nous n’avons pas le problème de devoir intégrer une culture orientale dans le cadre suisse, puisque nous enseignons à des Suisses, qui parlent des langues officielles suisses, appartiennent à la culture, la politique et la société suisses, et qui en plus sont de confession musulmane ou s’intéressent à la religion islamique pour différents motifs.

Quelles seront vos approches de la thématique de l’islam dans la sociétéÌýeuropéenne et, plus spécifiquement, helvétique?
Le cursus tourne autour de deux grands axes. D’un côté, il s’agit d’analyser les questions qui émanent de la société elle-même, par exemple: Comment une minorité musulmane se comprend dans une société multi-religieuse et multi-ethnique? Quel est le potentiel de paix ou inversement de conflit de cette relation? Quel est le rapport entre les musulmans et les médias? Comment garantir la cohésion sociale? Le deuxième axe d’études consiste en l’analyse et l’interprétation des discours pluriels de la tradition musulmane dans le contexte européen et suisse actuel. Cela comprend une réflexion sur les manières d’approcher le Coran, les hadits (textes relatifs aux actes et paroles du prophète Mahomet) ou la Sîra (biographie de Mahomet) et les moyens d’interpréter ces écrits. J’insiste sur le fait que le programme est étroitement lié au contexte suisse et possède un caractère fortement interdisciplinaire.

Vous travaillez en collaboration avec d’autres domaines d’études?
Oui, il y a déjà beaucoup de coopération avec différents départements et c’est un immense avantage de pouvoir disposer d’une telle diversité de branches d’études à l’Université de Fribourg. Nous pouvons ainsi répondre à chaque besoin individuel. Personnellement, je donne un cours sur l’art religieux islamique et la culture musulmane, et je suis heureux de constater que des étudiant·e·s en histoire de l’art y participent. De plus, ce riche potentiel de combinaisons d’études permet de renforcer la réputation de Fribourg comme un lieu où le phénomène religieux est étudié activement.

Dans ce programme d’études, il y a des cours en allemand et en français. Pourquoi l’arabe a-t-il été laissé de côté?
Dès le début c’était évident pour nous que ces études se feraient dans une langue officielle suisse, européenne. Même si la connaissance de l’arabe est un plus pour aborder les textes au plus près de leur signification originelle, il existe suffisamment de sources traduites en anglais et en allemand pour pouvoir mener à bien ces études.

Quelle sorte d’étudiant·e·s attendez-vous?
Comme ce cursus est unique en son genre en Suisse et même au niveau européen, nous attendons qu’il soit fréquenté par des personnes en provenance de toute la Suisse et des pays voisins.

Quels sont les débouchés professionnels d’un tel cursus?
Les formations en sciences humaines ouvrent toujours de larges perspectives qui sont difficiles à définir concrètement. En bref, les compétences acquises par les diplômées et les diplômés du cursus, à savoir une qualification approfondie et des connaissances pratiques sur les rapports entre islam et société, pourront être mises à profit dans de multiples secteurs d’activité. De nombreuses perspectives professionnelles sont envisageables dans les organisations civiles ou religieuses, les associations non gouvernementales, les administrations publiques, les services de la santé et du social, les professions de l’enseignement et même la relève académique.

Bio express

Le Professeur Amir Dziri est né à Tunis en 1984 et a vécu dès son enfance en Allemagne, où son père était enseignant de niveau gymnase. Il a effectué un baccalauréat bilingue (allemand-français) en Allemagne, avant de choisir des études de théologie islamique et de se consacrer à la recherche en histoire de la pensée religieuse, histoire intellectuelle et histoire culturelle de l’islam dans la perspective des enjeux contemporains. Il a notamment été collaborateur scientifique, de 2011 à 2017, au centre de théologie islamique de l’Université de Münster (Allemagne). Il est le premier professeur d’études islamiques en Suisse et il dirige le Centre suisse Islam et société de l’Université de Fribourg depuis 2017.

 

 

 


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Un serment pour les médecins qui fait des émules /alma-georges/articles/2018/un-serment-pour-les-medecins-qui-fait-des-emules /alma-georges/articles/2018/un-serment-pour-les-medecins-qui-fait-des-emules#respond Fri, 06 Jul 2018 08:41:13 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=6708 Lors d’une cérémonie en juin dernier, une quarantaine de médecins fribourgeois ont prêté «Le serment suisse», version actualisée de celui d’Hippocrate et de la Déclaration de Genève. Cette initiative est appelée à se renouveler ailleurs en Suisse et fait même des émules à l’étranger.

A quoi bon renouveler un serment vieux comme la médecine et pourquoi maintenant? Cette mesure veut, notamment, contrer la tendance commerciale de la médecine. Alma&Georges vous propose un triple éclairage avec le Prof. Bernhard Egger, médecin-chef du service de chirurgie HFR et co-auteur du Serment suisse, le Prof. Jean-Marie Annoni, président du Département de médecine de l’Université de Fribourg, consultant neurologiste aux hôpitaux HFR et CHUV, et PD Dr. Martina King, Professeure ordinaire en Medical Humanities à partir du 1er août 2018 à l’Université de Fribourg.

Qui est à l’origine du Serment suisse?
Bernhard Egger: L’idée est venue de l’Institut Dialog Ethik à Zurich, qui m’a demandé, ainsi qu’à d’autres personnes, si cela m’intéressait de participer au groupe de travail composé de philosophes, éthiciens, économistes et de professionnels de la santé, occupant des positions de premier plan dans leurs disciplines respectives. Lors de la réunion constitutive, il y a cinq ans, j’avais trouvé la réflexion tellement intéressante que j’ai accepté, peu à peu, de devenir un des ambassadeurs principaux du Serment suisse.

Est-ce pour cette raison que la première assermentation a eu lieu à Fribourg?

Bernhard Egger: Oui. C’est lié à ma position de médecin chef à l’HFR, mais aussi à d’autres fonctions que j’assume dans des sociétés médicales. Je suis notamment vice-président de l’Association suisse des médecins avec activité chirurgicale et invasive (FMCH), qui a aussi soutenu cette démarche.

Jean-Marie Annoni: Je n’ai pas participé à la préparation, mais quand j’ai su que cette petite cérémonie aurait lieu, j’y ai pris part avec plaisir et j’ai moi-même prêté serment.

Y aura-t-il une suite dans d’autres cantons, d’autres établissements médicaux?
Bernhard Egger: Oui, car le Serment suisse est destiné à être implémenté le plus largement possible. La prochaine cérémonie d’assermentation aura probablement lieu au sein du comité de la FMCH. Plusieurs hôpitaux publics, et même des cliniques privées m’ont déjà demandé les dossiers d’adhésion. Nous avons aussi suscité un grand intérêt dans d’autres pays, Allemagne et Pays-Bas en particulier. En ce qui me concerne, je peux déjà vous dire que je n’engagerai à l’avenir que des médecins qui auront prêté le Serment suisse dans notre clinique.

Le Serment d’Hippocrate avait déjà été actualisé dans le Serment du médecin ou la Déclaration de Genève de septembre 1948, qui a d’ailleurs été mise à jour en 2017, lors de la 68e Assemblée générale de l’Association médicale mondiale. Quelle est la raison de cette évolution?
Martina King: Im Nürnberger Ärzteprozess 1946/47 beriefen sich sowohl Ankläger wie Angeklagte auf den hippokratische Eid, er erwies sich insofern als nutzlos. Man erliess mit der Genfer Deklaration einen Eid, der insbesondere das damals drängendste Problem aufgriff:Ìý Alle Patienten sollen, unabhängig von Religion, Nationalität und Rasse, gleich behandelt werden.

Pourquoi y a-t-il besoin aujourd’hui d’un nouveau serment? Les autres étaient-ils caducs?
Bernhard Egger: Pas du tout. En l’état actuel, le Serment suisse présuppose l’adhésion au Serment d’Hippocrate et à la Déclaration de Genève. Mais la plupart des médecins ne connaissent plus le contenu de ces textes. Ce sont des papiers qu’ils reçoivent avec leur diplôme, mais ne lisent pas. De plus, ces deux promesses, en dépit d’éléments qui sont toujours valables, ne sont plus à jourdans leur ensemble. La médecine progresse beaucoup sur le plan technique, mais l’éthique médicale reste à la traîne. Le Serment suisse propose une adaptation concrète à la réalité, surtout en adoptant une position claire face aux enjeux financiers de la médecine qui ne garantissent plus la bonne protection de tous les patient·e·s ni des médecins d’ailleurs.

Jean-Marie Annoni: Lors de la remise de mon diplôme de médecin, en 1981, je n’ai pas le souvenir d’avoir dû prêter serment explicitement. A l’époque, on insistait sur le respect des principes d’Hippocrate, mais les progrès de la médecine et l’évolution de la conception de la santé ont rendu la stricte observance du serment d’Hippocrate plus compliquée. Le choix de prononcer à nouveau un serment et de le valider par sa signature rend l’engagement explicite, tandis que les devoirs du médecin sont habituellement implicites. C’est cet engagement explicite, sur une base volontaire, que je trouve le plus intéressant dans le Serment suisse.

Martina King: Der hippokratische Eid war in der Antike weitgehend unbekannt, wir wissen weder wann noch von wem er verfasst wurde. Der Eid erhielt erst in der Renaissance Bedeutung, wurde aber nur an wenigen Orten geschworen. Seine Aktualität ist umstritten, da er schwierig zu interpretieren ist und Bestimmungen enthält, die unseren Vorstellungen zuwider laufen, z.B. die Bestimmung, medizinischen Wissen nur mit Schülern, sonst aber niemandem zu teilen; ferner das Verbot, Steine zu schneiden, mit anderen Worten chirurgisch tätig zu sein.

En quoi ce Serment suisse inauguré à Fribourg est-il original par rapport aux déclarations précédentes?

Martina King: Der Schweizer Eid ist insofern innovativ, als er zentrale Aspekte des hippokratischen Eides, die auch in der neuesten Fassung der Genfer Deklaration von 2017 noch enthalten sind, nicht enthält, nämlich Respekt vor dem Leben, Schweigepflicht und den Hinweis auf die Standesehre. Stattdessen findet erstmalig der Faktor ‚Zeit’ im Umgang mit dem Patienten Erwähnung, ein sicherlich sehr aktueller und wichtiger Aspekt. Neuartig ist ferner, dassÌý hier sehr konkret das Verbot des finanziellen Gewinns durch Überweisungen formuliert wird. Weit expliziter als in der Genfer Deklaration wird gefordert, dass persönliche finanzielle Interessen bei ärztlichen Entscheidungen keine Rolle spielen dürfen.

Bernhard Egger: Un des points les plus importants est celui qui exige que les médecins traitent leurs patients de la même manière qu’ils traiteraient leurs proches ou eux-mêmes, ce qui implique d’agir dans toute situation pour le bénéfice du patient et non pas pour servir des plans de carrière ou des intérêts économiques.

Quels sont les intérêts économiques qui entrent aujourd’hui en conflit avec la pratique médicale?
Bernhard Egger: Le plus grand problème actuellement, c’est l’énorme pression financière qu’exercent des institutions – non seulement privées, mais aussi publiques – sur les médecins, par exemple dans le but d’augmenter leur chiffre d’affaires ou de réduire leurs dépenses. Cela ne concerne pas seulement le sur-traitement, mais aussi le sous-traitement. Par exemple, il est impossible d’expliquer une opération du pancréas à un patient en vingt minutes, d’après la limitation du temps de consultation de base décidée par le Conseil fédéral. Cela mènerait à une baisse de la qualité de la prise en charge des patient·e·s. Le Serment suisse oblige d’y consacrer le temps nécessaire. Or, ce n’est pas vraiment dans l’intérêt économique de l’hôpital qui emploie le médecin, vous comprenez? Dans certains établissements médicaux, il existe des contrats stipulant que le salaire des médecins dépend du chiffre d’affaires qu’ils génèrent. Le Serment suisse a précisément pour but principal d’éviter que la médecine devienne un pur business.

La problématique du médecin «intéressé» est vieille comme la médecine, Hippocrate en parlait déjà. Alors pourquoi réagir aujourd’hui?
Jean-Marie Annoni: Parce qu’il est important de reformuler cette exigence éthique de manière formelle. Ce serment peut compléter de manière intéressante l’engagement que nous prenons déjà vis-à-vis de notre conscience et des directives et recommandations de la Commission centrale d’éthique de l’Académie suisse des sciences médicales. Toutefois, je ne voudrais pas que cela mène à une sorte de certificat de qualité ISO 9001!Ìý Une prestation de serment ne fera pas de meilleurs médecins, qualité qui demeure individuelle. Je pense personnellement que cette assermentation doit rester libre et volontaire, c’est l’une de ses premières qualités.

Bernhard Egger: Dans l’idéal, cette déclaration devrait être soutenue aussi par les institutions, afin de créer une base morale commune à toutes les parties. Par exemple, si une institution demande à un médecin ayant prêté serment de signer un contrat exigeant de générer un chiffre d’affaires, ce dernier pourrait légitimement refuser en invoquant le serment. C’est une protection à deux composantes, non seulement et d’abord pour les patient·e·s, mais aussi pour les médecins. La réussite de ce projet dépendra de son implémentation à grande échelle.

Certaines thématiques au cœur du serment d’Hippocrate, mais qui nous concernent toujours, comme l’éthique face à la vie ou la mort (suicide assisté, interruption de grossesse, manipulations génétiques, utilitarisme de certaines conceptions bioéthiques), ne sont pas du tout évoquées dans le Serment suisse. Pourquoi?
Jean-Marie Annoni: Le serment énumère des principes de bonne conduite. J’imagine qu’il a fallu trouver un consensus parmi les différents avis et sensibilités. Au lieu d’entrer dans le débat de valeurs autour de la vie et de la mort, cette déclaration accorde la priorité au bien-être des patient·e·s, à la qualité de vie, au traitement des personnes sans discrimination aucune. L’information aux patients est aussi mise en avant. C’est une problématique que j’ai, lorsque je dois décider d’annoncer des maladies neurologiques sans traitement connu, comme Alzheimer, ou Charcot… Est-il éthique de l’annoncer avant ou après l’apparition des effets irrémédiables? Faut-il soigner le cancer d’un patient atteint de démence avancée? Faut-il débrancher un patient en état de mort cérébrale? En Suisse, les bases légales relatives à la plupart de ces problématiques sont en place. Ce Serment suisse nous permet de respecter ces principes en nous adaptant concrètement à l’évolution de la société.

Bernhard Egger: Je crois que ces thématiques sont mieux à leur place dans la loi sur les professions médicales (LPMéd) et dans le Code de déontologie de la Fédération des médecins suisses (FMH). Le Serment suisse, qu’on peut aussi qualifier de promesse solennelle, a une valeur constitutionnelle mais pas légale. En revanche, il se positionne clairement par rapport aux pressions concrètes que les médecins subissent aujourd’hui. Hormis les pressions financières directes, déjà mentionnées, je peux aussi citer en exemple les normes administratives de qualité imposées par l’Etat, qui grignotent toujours plus de temps et de ressources qui sont soustraits ensuite aux patient·e·s.

La conception hippocratique de l’être humain considéré dans sa totalité existentielle, physique et psychique, corps, âme et esprit, est-elle devenue obsolète à l’ère de la médecine spécialisée et de la complexité technologique?
Martina King: Keineswegs, ganz im Gegenteil: Im Angesicht einer technokratischen Hochleistungsmedizin, die auf den Körper konzentriert ist und bei vielen Patienten Desorientierung auslöst, ist es wichtiger denn je, dass wir ein integratives, ganzheitliches Personenkonzept im Blick behalten.

Jean-Marie Annoni: Je suis sensible à cette remarque, puisque le Master qui va être mis en place dans notre Faculté mettra l’accent justement sur la santé de l’être humain considéré dans son ensemble. Par la suite, ce diplôme, reconnu dans toute la Suisse, laissera la possibilité à quelqu’un de faire une spécialisation dans n’importe quelle branche médicale. Je ne pense pas que la spécialisation et le développement technologique contredisent la vision d’une humanité dans son ensemble; c’est un équilibre à trouver. Le Serment suisse l’évoque, mais peut-être pas assez explicitement, en disant que les médecins doivent travailler «dans les limites de leurs compétences» et en partageant leurs connaissances et leur expérience avec leurs collègues.

Ce Serment suisse pourrait-il concerner les carabins fribourgeois? Sera-t-il proposé aux futurs diplômés de Master avec orientation médecine de famille de l’Université de Fribourg?
Jean-Marie Annoni: C’est une question à envisager. J’aimerais discuter de cette option avec mes collègues, en particulier les responsables des humanités médicales. Dans la formation médicale de l’Université de Fribourg, nous développons bien sûr les questions éthiques de la santé. Mais nous n’avons pas eu pour but jusqu’alors de former des médecins: nous préparons les étudiant·e·s à la seconde partie de leur cursus. La question de l’assermentation ne se pose pas vraiment au niveau du Bachelor. Cela va peut-être changer avec l’arrivée du Master dès l’automne 2019.

Bernhard Egger: Je n’exclus pas cette possibilité. Pourquoi ne pas faire de l’Université de Fribourg la première qui intègre cet engagement moral? Néanmoins, je pense que le Serment suisse fait d’abord sens pour les praticiens et que l’exemple doit venir des cliniciens eux-mêmes dans un premier temps. Les étudiant·e·s sont encore loin de la relation avec les patient·e·s qui se trouve au cœur du serment. Celui-ci devrait être proposé chaque fois qu’un médecin signe un contrat de travail, et renouvelé lors de chaque changement de place de travail. J’aimerais que l’assermentation se fasse comme elle a eu lieu à Fribourg, lors d’une cérémonie solennelle et festive en même temps, pour que cela marque, un peu comme un rituel de passage.

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Le droit de ne pas être hermétique /alma-georges/articles/2018/le-droit-de-ne-pas-etre-hermetique /alma-georges/articles/2018/le-droit-de-ne-pas-etre-hermetique#respond Tue, 12 Jun 2018 16:53:31 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=6615 Le Professeur Paul-Henri Steinauer, spécialiste renommé du droit privé, a donné sa leçon d’adieu à l’Université de Fribourg. A 69 ans, fort d’une riche carrière académique, le civiliste s’apprête à prendre une retraite méritée. Il nous livre ses impressions de parcours et son interprétation – juridique et avec bon sens – de quelques faits d’actualité.

Professeur Steinauer, en tant qu’ancien étudiant de notre Université, recteur de 1995 à 2003 et pilier de la Faculté de droit depuis quarante ans, quelles sont les impressions marquantes de votre carrière académique?
Un des points les plus frappants est le développement quantitatif de la Faculté de droit. En quarante ans, ses effectifs ont triplé. De petite faculté sur le plan suisse, nous sommes devenus une faculté de taille moyenne. Cette augmentation est due en partie à l’arrivée d’étudiants extra-cantonaux et, surtout, à l’augmentation massive du nombre des étudiantes. Dans la Faculté de droit, et au sein de l’Université en général, les femmes sont désormais majoritaires. Cet accroissement est bien sûr positif, mais il a rendu les auditoires plus anonymes.


Les cours de droit font salle pleine, se réjouit le Prof. Steinauer, ce qui rend aussi parfois les auditoires plus anonymes. ©

Le monde académique évolue. Il y a eu le grand bouleversement du système de Bologne introduit au début des années 2000. Quel bilan tirez-vous de ce changement?
A Fribourg, on a eu une attitude très ouverte envers «Bologne»: l’adoption de ce nouveau système s’est faite globalement sans remous. L’idée simple de deux étapes, d’abord une solide formation de base (bachelor), puis un approfondissement ou une spécialisation (master), avec une possibilité de mobilité à la fin de la première étape, a convaincu la majorité des étudiants et du corps enseignant. L’homogénéisation de la structure des études au niveau européen me paraît une bonne chose, pour la mobilité, la cohésion et le langage commun que cela implique. Il est vrai cependant que la coupure entre le bachelor et le master convient moins bien à certaines branches. En droit en particulier, nous avons dû veiller à une bonne coordination entre ces deux étapes, pour que la formation demeure solide pour tout le monde.

Certaines voix critiquent une scolarisation des études. Qu’en pensez-vous?
Ce n’est pas «Bologne» qui oblige à cela. La scolarisation, qui est reprochée parfois comme un effet de ce système, tient plutôt à la façon dont les programmes d’études sont conçus: les facultés qui introduisent des programmes semestriels «scolarisent» beaucoup plus que celles qui ont des programmes annuels. Ces derniers laissent plus d’autonomie à l’étudiant pour mûrir la matière enseignée. D’un autre côté, on peut se dire que des examens plus fréquents stimulent les études. En somme, la manière de mettre en œuvre le système de Bologne dépend des options prises à l’intérieur des facultés.


Carnets de notes et ordinateurs se côtoient dans les rangées, si bien qu’aujourd’hui les visages des étudiants sont trop souvent cachés derrière les pommes des machines, déplore le Prof. Steinauer. ©

La Faculté de droit de Fribourg bénéficie-t-elle toujours de la grande réputation qu’on lui prête?
Bien sûr, et cela tient sans doute aux personnes qui y ont enseigné depuis des décennies et qui ont beaucoup publié. A Fribourg, la tradition est d’être professeur et chercheur à plein temps (les enseignants n’exercent pas de surcroît la profession d’avocat ou de notaire). La Faculté de droit fribourgeoise a aussi fourni un effort pionnier en matière de formation continue: les Journées suisses du droit de la construction, par exemple, ont été parmi les premières de ce type en Suisse. Enfin, notre faculté est bilingue; c’est la seule en Suisse où l’on peut étudier en deux langues. Des étudiants y viennent de la Suisse entière; ils passent presque tous devant au moins une autre université avant d’arriver chez nous: c’est qu’il doit y avoir une bonne raison de venir à Fribourg!

Hormis une pleine et entière carrière académique, vous avez été juge suppléant au Tribunal cantonal fribourgeois de 1987 à 2012. Cette pratique a-t-elle nourri vos réflexions et votre enseignement?
Oui, cette activité accessoire parmi d’autres – car j’ai aussi participé à de nombreuses commissions et groupes de travail – m’a évité l’enfermement dans une tour d’ivoire! Ces activités à côté des tâches académiques sont nécessaires pour garder le contact avec la réalité.


Rentrée 2017, les étudiants en première année prennent possession de leurs auditoire. ©

Mais, au fond, le droit, c’est quoi, pour vous, par rapport à la réalité?
Le droit ne doit pas être un monde hermétique, mystérieux, inaccessible. Il s’agit de la réglementation de la vie sociale, qui concerne tout le monde. Il doit aussi y avoir une relation de confiance entre le législateur et les personnes qui appliquent la loi: il serait dangereux d’avoir des kilomètres de lois dont plus personne ne connaît le contenu. A l’inverse, nous subissons aussi l’influence de la culture anglo-américaine, qui est beaucoup moins axée sur des principes légaux et raisonne davantage au cas par cas, avec une grande crainte de la responsabilité individuelle; ce qui a pour conséquence, par exemple, d’allonger indéfiniment les contrats. Il faut garder un juste milieu.

Quels sont vos domaines de recherche préférés?
J’ai beaucoup publié et enseigné dans le domaine des droits réels. Il s’agit de tout ce qui concerne la maîtrise juridique du monde matériel: la propriété, les gages, les servitudes, etc. Je me suis aussi intéressé au droit du mariage, surtout aux régimes matrimoniaux, qui régissent les biens des personnes mariées. Et j’ai beaucoup travaillé le droit des successions, c’est à-à-dire la réglementation du passage des biens de génération en génération.

Votre leçon d’adieu a porté sur une révision en cours du droit des successions. En quelques mots, de quoi s’agit-ilÌý?
Dans ce projet de révision, qui devrait être soumis au Parlement prochainement, il est question de tenir compte des nouveaux modes de vie familiale. Notre droit des successions est pensé et structuré pour des familles juridiques, mariées ou en partenariat enregistré. Cela pose le problème des successions pour les partenaires de vie ou les enfants qui se trouvent hors du cadre légal. Comment répondre à cette situation de plus en plus fréquente? C’est la question sociale principale qui est posée. La réponse sera largement politique. Le Parlement a déjà pris une option, en décidant que les personnes non mariées ne seront pas reconnues comme des héritières légales ni assimilées à des personnes mariées. En revanche, on va donner plus de liberté à chacun pour qu’il puisse laisser une plus grande partie de ses biens aussi à sa famille de fait. Je fais partie du groupe de travail qui planche sur ces questions au niveau fédéral. L’idée est de diminuer les réserves héréditaires – ce qui est bloqué pour les enfants, le conjoint ou le partenaire enregistré, et les père et mère de la personne décédée.


Mardi 5 juin 2018, le Prof. Steinauer donnait sa leçon d’adieu dans l’Aula Magna. © Federico Respini

En tant qu’ancien vice-président de la Commission fédérale de la protection des données, de 1993 à 2007, que pensez-vous de l’évolution actuelle de cette question?
La protection des données relève d’une part du droit public fédéral et cantonal et, d’autre part, du droit privé (banques, assurances, entreprises etc., qui collectent des données) dont je m’occupais. Au plan fédéral, ces deux aspects du droit ont été réunis dans une seule loi. Je me souviens qu’à l’époque, les tenants de la protection des données étaient considérés un peu comme des gens qui peignaient tout en noir. Aujourd’hui, on constate une véritable prise de conscience à la suite du développement de l’informatique et à l’heure de la collecte massive de données privées.

Ce pompage de données représente-t-il un danger réel pour la vie privée, si l’anonymat est garanti ou «si on n’a rien à se reprocher», comme argumentent certains?
Il y a toujours de gens que cela ne gêne pas, mais il semble qu’une conscience sociale est née pour réclamer des limites à cette moisson de données privées traitées à notre insu et de manière incontrôlable. Rien n’est gratuit: si l’on collecte vos données contre un service soi-disant gratuit, c’est qu’elles vont servir à quelque chose, mais à quoi? Le véritable problème, c’est l’agrégation des données privées. Aujourd’hui, vous pouvez facilement dresser des profils des personnes à partir du rassemblement de leurs données privées. Ce qui dérange le plus, car c’est le plus visible, c’est l’utilisation publicitaire de ces données, mais ce n’est peut-être pas le plus dangereux. Imaginez que votre profil serve à donner une image de vous, un reflet de votre état de santé, par exemple, ou de vos convictions personnelles… Qui pourrait utiliser ces données? Est-ce que nous nous rendons assez compte que les données que nous laissons un peu partout presque inévitablement peuvent être vendues ou utilisées à mauvais escient?


Bernhard Waldmann, doyen de la Faculté de droit, et Astrid Epiney écoutent attentivement la leçon d’adieu de leur prédécesseur. © Federico Respini

Comment réagir?
Au niveau individuel, cela ne sert pas à grand-chose. Vous pouvez faire enlever vos données du dossier d’une entreprise ou d’une administration, mais cela ne changera pas le système. Il faut une prise de conscience chez ceux qui traitent les données et, en outre, une réaction institutionnelle, étatique. En Suisse, ce sont surtout les délégués à la protection des données qui peuvent prendre des mesures, au besoin en provoquant des décisions judiciaires. Leurs compétences devraient encore être renforcées et des mesures prises pour tenter de contrôler les traitements de données.

Etes-vous optimiste par rapport à la protection de la personnalité?
J’ai en tout cas l’impression que la conscience collective progresse. Mais il y a encore beaucoup de chemin à faire, ce d’autant que le phénomène dépasse les frontières.

Quel est votre modèle ou idéal de droit?
J’enseigne le Code civil suisse depuis quarante ans et ce code, qui date de 1907, m’a toujours paru un modèle d’expression législative. J’aime cette manière de faire des lois simples avec des textes compréhensibles: pas plus de trois alinéas par article, pas plus d’une phrase par alinéa… C’est un droit accessible à tout un chacun, populaire dans le bon sens du terme. Il reflète un esprit suisse – dans le bon sens du terme, aussi – qui fléchit un peu de nos jours, sous l’influence du droit européen qui est construit autrement et est plus compliqué.


Image de synthèse du futur bâtiment de la Faculté de droit que le Professeur Steinauer appelle de ses vœux. ©

Etes-vous satisfait du projet de construction du nouveau bâtiment de la Faculté de droit?
Savez-vous que ce projet remonte à 1994? Il faisait partie d’un concept global établi dans une commission dont j’ai fait partie. Il était question d’étoffer et de moderniser les infrastructures de l’Université de Fribourg pour qu’elle reste compétitive. ÌýLa première étape était Pérolles II, la deuxième étape sera prochainement la construction de la nouvelle Faculté de droit sur le site de la Tour Henri-Miséricorde, et la troisième étape sera la modernisation des très vieux bâtiments de la Faculté des sciences. Tous ces projets sont nécessaires, ils correspondent aux besoins d’infrastructures actuels. Aujourd’hui, l’Université de Fribourg occupe une place indéniable dans le paysage des hautes écoles. Le futur master en médecine avec des caractéristiques fribourgeoises accentuera encore son rôle. Il faut que les infrastructures soient à la hauteur.

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  • Page du Professeur Paul-Henri Steinauer

 

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Qui dirigera l’Université ? /alma-georges/articles/2018/qui-dirigera-luniversite /alma-georges/articles/2018/qui-dirigera-luniversite#respond Fri, 06 Apr 2018 09:19:42 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=6171 Une chose est sûre, ce sera une rectrice. Deux femmes se sont portées candidates pour assumer la direction de l’Université de Fribourg durant la période 2019-2024. Astrid Epiney (52 ans) première femme nommée rectrice de l’Université de Fribourg pour la période 2015-2019, et Bernadette Charlier Pasquier (61 ans), nouvelle candidate. L’élection aura lieu lors de l’assemblée plénière du 11 avril 2018.

Qu’est-ce qui vous a motivée à présenter votre candidature?
Astrid Epiney:
L’Université de Fribourg est une institution importante pour la Ville et le Canton de Fribourg, et elle a sa place au niveau national tout en rayonnant au niveau international. Son bilinguisme me paraît une caractéristique importante. Toutefois, le paysage des hautes écoles connaît un profond changement depuis quelques années et il s’agira de renforcer la position de notre Université dans un environnement qui devient de plus en plus «concurrentiel» à différents niveaux. Pendant ces trois dernières années, nous avons pu entamer – avec toute l’équipe du Rectorat, que je profite de remercier vivement pour son engagement et sa grande loyauté envers l’institution – un ensemble de projets importants, qui sont en partie déjà réalisés. Il serait important de continuer sur cette voie. C’est pourquoi je suis très motivée à poursuivre mon engagement pour l’Université dans son ensemble.

Bernadette Charlier: J’ai perçu cette candidature comme urgente et nécessaire. De par ma connaissance de notre Université, mais aussi de l’environnement des hautes écoles en Suisse et en Europe, je voudrais orienter notre Université vers une gouvernance caractérisant les meilleures universités au monde. Une gouvernance alliant le prestige – c’est-à-dire une gouvernance respectant et valorisant tout notre capital humain – et l’excellence, qui est une qualité construite par ses propres acteurs et non imposée par d’autres, par l’appropriation de standards et de critères non adaptés à nos objectifs et à notre identité.

Quels sont vos objectifs pour les cinq annéesÌýdu mandat?
Bernadette Charlier:
Il s’agira, bien entendu, d’assurer la continuité et la réussite de projets et de chantiers déjà à l’agenda du Rectorat actuel, comme indiqué dans la convention d’objectifs qui vient d’être signée avec le Canton: «l’introduction du Master en médecine humaine avec une orientation vers la médecine de famille; le renforcement des infrastructures, en particulier l’élargissement du site Miséricorde (projet «Tour Henri»); l’accréditation institutionnelle de l’Université selon l’art. 28 al. 1 let. a de la Loi» (extrait de la convention d’objectifs, UNIFR, 2017, p. 4)». Il s’agira également de réussir à dépasser la contradiction entre la poursuite d’objectifs apparemment difficiles à concilier («revoir certaines prestations, fixer des priorités et opérer des réallocations de moyens») et «le maintien et le renforcement de la position en tant qu’université complète, d’envergure nationale et au rayonnement international».Ìý Pour cela, je voudrais que l’Université – chaque faculté et département – fasse des choix en connaissance de cause, c’est-à-dire en ayant une vue d’ensemble des défis et des priorités actuelles – les siens, mais aussi ceux des autres – en tenant compte également des éléments de prospectives qu’ils connaissent, puisque ce sont des expert·e·s de leurs disciplines, de leurs domaines. Ceci n’est malheureusement guère possible pour le moment. L’Université fonctionne en silos: l’accès est limité aux données et aux processus de décision. Peu de place est laissée aux débats à propos des perspectives et orientations d’avenir. Le principal défi sera donc d’ouvrir progressivement les différentes composantes de notre Université aux autres, par le dialogue, l’écoute et la participation pour construire ensemble une université ayant une identité forte: celle d’une institution bilingue, orientée vers l’avenir, associant une recherche de pointe avec un enseignement de qualité au cÅ“ur de la Suisse et de l’Europe. Dans ce cadre, il s’agira de développer et de mettre en Å“uvre un véritable plan de développement durable et de veiller à un plus grand bien-être au sein de l’institution, notamment par des actions favorisant le lien entre le travail et la vie familiale.

Astrid Epiney: Premièrement, il convient de continuer à mettre en œuvre la révision de la Loi sur l’Université, qui connaît tout un ensemble de nouveaux instruments, entre autres la convention d’objectifs entre l’Université et le Canton, des conventions de prestations entre le Rectorat et les facultés, le Fonds d’innovation et de développement. Ces instruments doivent servir à mieux positionner l’Université dans le paysage des hautes écoles en Suisse, tout en garantissant la liberté de la science et en permettant à tous les acteurs de développer leur stratégie. Par ailleurs, il s’agit de les mettre en œuvre en respectant les rôles et les compétences des uns et des autres dans un esprit de dialogue et de collaboration. Les expériences faites jusqu’à maintenant sont très positives: ainsi, la première convention de prestation avec une faculté a déjà pu être conclue et deux autres sont quasiment prêtes. Le processus consensuel avec les facultés lors de leur élaboration a d’ailleurs très bien fonctionné. De même, divers actes législatifs (p.ex. les statuts, les directives sur les fonds tiers, bientôt le règlement sur les professeurs) ont pu être adoptés suite à plusieurs procédures de consultation.

Deuxièmement, il s’agit de garder le caractère de l’Université de Fribourg comme université complète avec ses cinq facultés, tout en la profilant dans certains domaines précis. Dans ce sens, il est important de soutenir l’excellence et l’originalité dans les domaines de l’enseignement et de la recherche, tout en préservant la largeur de l’offre. L’Université de Fribourg est actuellement très bien placée à ce niveau: elle a pu – ces dernières années – développer des centres de gravité importants dans différentes facultés (p.ex. le Centre suisse Islam et Société, les Sciences des matériaux à l’Adolphe Merkle Institute [AMI], le Centre Human-IST [interaction «homme-machine»], ainsi que des cursus d’études interdisciplinaires [p.ex. droit et économie]). Il conviendra de continuer ces efforts de «profilage», en collaboration avec les facultés.

Finalement, il faudra essayer d’augmenter la marge de manœuvre financière afin de pouvoir réagir (plus) rapidement à des défis et des opportunités. C’est sans doute un très grand défi, mais à mon sens, il est indispensable de le relever, afin que l’Université de Fribourg développe sa position nationale et son rayonnement international.

Que pensez-vous pouvoir apporter personnellement?
Astrid Epiney:
Il me semble que mon expérience professionnelle passée (notamment membre du Conseil national de recherche pendant dix ans et vice-présidente de sa division IV, présidente du Conseil suisse de la science, responsable d’environ 15 projets de recherche soutenus par le Fonds national suisse), ainsi que mes responsabilités actuelles (entre autre au sein de swissuniversities) et l’expérience des trois dernières années comme rectrice peuvent aider à continuer à assumer cette fonction.

Ansonsten würde ich mich als konsensorientierte Person bezeichnen, die aber auch Entscheidungen trifft bzw. mitträgt, die sich als notwendig erweisen. Autonomie (der Universität) bedeutet auch (Selbst-) Verantwortung, die ihrerseits mit der Bereitschaft, die Kompetenzen wahrzunehmen, einhergehen muss. Gleichzeitig sind mir korrekte Verfahren ein grosses Anliegen: Legitimation erhalten Entscheidungen auch durch das Durchlaufen der vorgesehenen Verfahren. Sodann versuche ich, Argumente und Gegenargumente jeweils möglichst rational und unter Einbezug aller relevanter Gesichtspunkte abzuwägen, was auch die Bereitschaft impliziert, sich von Argumenten anderer überzeugen zu lassen.

Schliesslich erscheint mir ganz allgemein eine gewisse Berechenbarkeit und eine «Linie» für das Rektorat von grosser Bedeutung zu sein, müssen sich doch alle Akteure auf das Rektorat verlassen können.

Bernadette Charlier: Honnêteté, sincérité et passion, ce sont les qualités qui me sont attribuées. Mais au-delà de ces appréciations très ou trop flatteuses, j’apporte une expérience dans de nombreux domaines indispensables à une fonction aussi complexe. Tout d’abord une connaissance «de l’intérieur» des disciplines qui constituent notre Université complète. En effet, j’ai collaboré avec des spécialistes de toutes les disciplines dans le cadre de ma responsabilité de directrice du Centre Multimédia de l’Université de Namur en Belgique, et j’ai rencontré de nombreux enseignant·e·s de toutes les facultés de l’Université de Fribourg, grâce à ma fonction de directrice du Centre de didactique universitaire. J’apporte aussi ma connaissance de l’enseignement supérieur suisse et européen par ma participation au conseil scientifique de l’OAQ pendant plusieurs années (Agence d’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur suisse, remplacée aujourd’hui par l’AAQ) et ma contribution comme experte aux travaux d’autres conseils du même type en Europe: AEQES pour la Belgique, ANR pour la France, Conseil Qualité de l’University of Natural Resources and Life Sciences, Vienna (BOKU) en Autriche, Centre national d’enseignement à distance (CNED) en France. Ensuite, je peux faire valoir mes compétences de direction et de gestion de projets de recherche innovants, par mes responsabilités antérieures comme directrice de service, coordinatrice de projets de recherche européens et doyenne de la Faculté des lettres et sciences humaines. Weil ich nicht Zweisprachig bin, ist mir die Zweisprachigkeit unserer Universität umso wichtiger!

Quelles difficultés devrez-vous surmonter? Et comment?
Bernadette Charlier:
Une des difficultés centrales est sans aucun doute le financement de notre Université et, en lien avec cette contrainte: la nécessité de faire des choix. La question du financement dépasse largement la seule Université de Fribourg. En Suisse, le soutien financier à la formation est important. Cependant, les modalités de ce financement ont changé de manière très importante ces dernières années et sont encore appelées à évoluer. Ainsi, la nouvelle loi sur les hautes écoles a modifié certaines règles. Le contrôle externe des institutions est de plus en plus présent. Ensuite, l’évolution des besoins de tous pour une formation tout au long de la vie conduira peut-être à une répartition différente des moyens financiers au bénéfice de soutiens publics aux formations continuées. Dans ce contexte, il est demandé aux institutions, depuis déjà près de dix ans, de se profiler, de définir leurs spécificités et de garantir la qualité de leurs prestations. Notre Université peut et doit répondre à ces exigences. Ce défi devient réalisable grâce au partenariat avec les facultés, sans avoir peur d’adresser les problèmes ou les questions qui se posent, en favorisant la connaissance des informations utiles par toutes les personnes concernées et en construisant des solutions véritablement concertées. Cette proposition ne correspond pas à un vœu idéal, mais à des actions que j’ai déjà menées dans le contexte de la Faculté des lettres. Il faudra aussi être présent dans le réseau des universités suisses afin de participer aux projets communs. Ensuite, bien sûr, il faudra préparer la prochaine planification et la stratégie 2030 et, cette fois-ci, selon une direction cohérente et concertée. A cet égard, non seulement nous devrons travailler ensemble dans l’écoute et le respect des besoins de chacun·e, mais nous aurons également besoin du Canton. Pour cela, nous devons d’ores et déjà travailler à améliorer notre image dans le Canton, par nos services, nos activités culturelles, nos relations avec les institutions d’enseignement, nos messages dans la presse et nos relations avec les responsables cantonaux.

Astrid Epiney: Le développement de la marge de manœuvre financière, déjà mentionnée, constitue sans doute un des défis très importants. Weiter geht es darum, den Bedürfnissen angepasste Infrastrukturen, insbesondere Gebäude, zur Verfügung zu stellen, was u.a. die möglichst baldige Realisierung der in erster Linie für die Rechtswissenschaftliche Fakultät vorgesehenen Erweiterung des Standorts Miséricorde («Projekt Tour Henri) impliziert, wobei die Universität hier eng mit dem Kanton – der Bauherr ist und die diesbezüglichen politischen Entscheidungen trifft – zusammenarbeiten muss.

De manière générale, il s’agit de garantir les meilleures conditions-cadres possibles pour un enseignement et une recherche de haut niveau, ceci avec des moyens nécessairement limités:
– Die Fakultäten und Forschenden sollen ihre Verantwortung für eine qualitativ hochstehende Lehre und Forschung bestmöglich wahrnehmen können.
– Studierende sollen attraktive Lehrbedingungen geboten werden.
– Die Mitarbeitenden sollen möglichst gute Arbeitsbedingungen finden, damit sie ihre Aufgaben im Interesse der Gesamtinstitution effektiv und effizient erfüllen können.
– Dem wissenschaftlichen Nachwuchs soll ein inspirierendes Umfeld geboten werden.

In diesem Sinn wurden in den letzten Jahren grosse Anstrengungen unternommen (so z.B. die Einrichtung einer Ombudsstelle, die Intensivierung der Unterstützung von Forschenden bei der Einwerbung von Drittmitteln oder die Erneuerung diverser Infrastrukturen), die – unter angemessener Beteiligung aller – fortgeführt werden sollen (so z.B. im Bereich der Scientific IT, aber auch etwa im Zuge der Umsetzung und Weiterentwicklung der Leistungsvereinbarungen mit den Fakultäten).

Nicht zu vergessen ist in diesem Zusammenhang auch das Engagement in den schweizweiten Hochschulorganen: Mir erscheint es sehr wichtig, sich im Rahmen der Rektorenkonferenz (swissuniversities) sowie der Kammer Universitäre Hochschulen sowohl für die Interessen der Universität Freiburg als auch für diejenigen des Hochschulplatzes Schweiz insgesamt einzusetzen, einem Thema, dem ich in der letzten Zeit (seit 2016 als Vizepräsidentin der Kammer Universitäre Hochschulen und Mitglied des Vorstandes der Rektorenkonferenz) besondere Aufmerksamkeit geschenkt habe.

Comment mettrez-vous en œuvre votre politique?
Astrid Epiney:
Mir erscheinen drei Punkte wichtig:
1) Kultur der Exzellenz, des Dialogs und der Transparenz. Es geht darum, vielversprechende Projekte und Personen zu fördern. Weiter ist mittels diverser, bereits heute institutionalisierter Gremien und Verfahren (regelmässige Treffen mit allen Dekanen, Konferenz der Dekane, regelmässige Treffen mit den Vorständen aller Körperschaften, Vernehmlassungen, interne Informationen über die Entscheidungen des Rektorats u.a.m.), aber auch im Rahmen weiterer, noch zu entwickelnder Plattformen, ein Austausch über die relevanten Themata und Entwicklungen zu pflegen; diese Gefässe erlauben es allen Beteiligten, die ihnen bedeutsam erscheinenden Fragen zu thematisieren, was auch für das Rektorat von sehr grosser Bedeutung ist.
2) Die Interessen der Universität sind effektiv zu vertreten, dies sowohl im Kanton (für den die Universität eine sehr wichtige Rolle spielt, auch in wirtschaftlicher Hinsicht) als auch schweizweit. Im Kanton konnten in den letzten Jahren die Kontakte zur Politik intensiviert werden, ein Tag der offenen Tür («Explora») wurde ins Leben gerufen und diverse weitere Aktivitäten (z.B. cafés scientifiques) intensiviert.
3) Schliesslich ist die gesetzlich vorgesehene Rolle des Rektorats (für das ein «Teamgeist» für das gute Funktionieren von grosser Bedeutung ist, ein Aspekt, der in den letzten Jahren nach meinem Dafürhalten exemplarisch gelebt wurde) in angemessener Weise wahrzunehmen: Entscheidungen sind – nach der Einbindung und der Anhörung aller Akteure – transparent zu treffen und zu verantworten, auch wenn sie nicht immer bei allen auf Zustimmung stossen (können).

Prof. Bernadette Charlier: Il s’agira de composer une équipe rectorale forte, équilibrée entre hommes et femmes, dans laquelle il y aura dans l’idéal 3 germanophones et 2 francophones. J’aimerais aussi que les vice-recteurs et vice-rectrices développent un réseau plus étroit avec les personnes qui, dans les facultés et les services, sont en charge des dossiers similaires: enseignement, recherches, relève, bibliothèques. Je voudrais que l’on renforce la communication et que l’on exploite mieux les nombreuses compétences présentes dans l’institution. Il s’agira aussi, puisque je ne me représenterai pas, de préparer une relève pour le Rectorat suivant.

Bio express

Astrid Epiney

© Stéphane Schmutz / STEMUTZ.COM

Née en 1965 à Mayence (Mainz, D), double nationalité suisse et allemande. Mariée et mère de deux enfants.
Etudes de droit à la Johannes-Gutenberg Universität Mainz, ainsi qu’à Lausanne dans le cadre d’un semestre d’échange. Doctorat en droit international en 1991, puis habilitation en 1994, à l’Université de Mainz. Etudes postdoctorales à Florence. Collaboratrice scientifique à l’Institut des hautes études en administration publique (IDHEAP) à Lausanne. Professeure associée (depuis 1994) et ordinaire (depuis 1996) de droit international, droit européen et droit public suisse à l’Université de Fribourg. Lauréate du Prix Latsis national (1995), Directrice exécutive de l’Institut de droit européen de l’Université de Fribourg. Membre du Conseil de recherche du Fonds national suisse (2002-2010). Présidente du Conseil suisse de la recherche et de l’innovation (2012-2016).

Bernadette Charlier Pasquier

Née en 1956 à Liège (Belgique), double nationalité suisse et belge. Mariée, mère de deux enfants et grand-mère de trois petites filles.

Etudes de Master en Sciences de l’Éducation à l’Université de Liège, 1979. Professeure à l’Ecole Normale Moyenne Saint Barthélemy à Liège (1979-1984), chercheure, maître de conférences et directrice du centre audiovisuel puis du Centre multimédia des Facultés Universitaires Notre-Dame de la paix en Belgique (1985-2002). Chargée de Cours à l’ICHEC-Bruxelles (1986-1996). Doctorat en Sciences de l’Education à l’Université catholique de Louvain, Belgique en 1996. Chargée de Cours à l’UCL (1996-2002). Professeure associée en Sciences de l’éducation, responsable du centre de didactique universitaire de 2002 à 2011 et professeure ordinaire en Innovation, Formation et Didactique universitaire de l’Université de Fribourg, depuis 2011.

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  • Page du Rectorat
  • d’Astrid Epiney
  • de Bernadette Charlier
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Varsovie en textes et en images /alma-georges/articles/2017/varsovie-en-textes-et-en-images /alma-georges/articles/2017/varsovie-en-textes-et-en-images#respond Wed, 06 Dec 2017 08:04:37 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=5340 Comment raconter l’histoire d’une capitaleÌýqui s’est toujours trouvée à la croisée des chemins, au carrefour des hésitations entre Est et Ouest, dans une confrontation mouvementée entre modernité et traditions, brassant différentes populations et déchirée par des épisodes douloureux?

En évitant la description linéaire, répondent Matthieu Gillabert, historien, et Fanny Vaucher, illustratrice. Pour rendre compte de ces vicissitudes, ils ont uni leurs talents et cela donne Varsovie métropole, une histoire de la capitale polonaise, de 1962 à nos jours, fruit d’une approche éditoriale originale, qui fait dialoguer textes et images en dix chapitres transversaux.

En procédant par touches sensibles ou haltes explicatives, flâneries contemplatives sur images, ou arrêts plus descriptifs, Matthieu Gillabert et Fanny Vaucher ont conçu ensemble un livre original pour raconter l’histoire de la capitale polonaise. Le texte n’est volontairement pas prédominant, les dessins prenant autant de place et dialoguant avec la narration historienne, sociétale, architecturale, culturelle.


Matthieu Gillabert, assistant docteur au Département des sciences historiques de l’Unifr

Au hasard d’une rencontre
Matthieu Gillabert (1981) assistant docteur en histoire contemporaine auprès du Département des sciences historiques de l’Université de Fribourg. Spécialiste des relations culturelles Est-Ouest à l’époque de la guerre froide, il a résidé quatre ans à Varsovie pour ses recherches – et pour des raisons familiales, puisque son épouse est polonaise. En 2014, il se trouve dans la capitale pour préparer un cours sur les villes polonaises qu’il donne à l’Université de Fribourg. En bouquinant dans la librairie «Prus», en face de l’Université de Varsovie, il tombe sur un petit livre illustré de Fanny Vaucher, Pilules polonaises (Editions Noir sur Blanc) qui raconte en dessins et bulles de textes l’arrivée et l’installation de l’auteure dans la capitale polonaise. Matthieu Gillabert s’intéresse à son auteure et découvre qu’elle vient de Lausanne. Il prend contact avec elle pour partager leurs expériences. Dès leur première rencontre, dans un bar du Palais de la culture, à Varsovie, le courant passe et ils évoquent la possibilité d’un ouvrage commun pour raconter cette ville, car il n’existe encore rien de semblable et convaincant en français. Quelques mois plus tard, Fanny Vaucher relance Matthieu Gillabert et les deux se retrouvent au Buffet de la Gare, à Lausanne, pour débuter le projet.

Faire valser textes et dessins
Fanny Vaucher (1980) est diplômée en lettres et en histoire de l’art. Elle a travaillé comme correctrice pour la presse et l’édition avant de se consacrer à sa passion: le dessin. En 2012, après une formation d’illustration/BD à l’Ecole des Arts appliqués de Genève, elle s’est installée pour quelques années en Pologne, à Varsovie. Pourtant, il ne l’intéressait pas d’illustrer seulement un livre. Elle voulait s’impliquer davantage. L’idée de départ a été de mêler texte et dessin en regard et même en complément. «Ce dialogue a permis, non seulement de rendre l’écriture plus vivante, mais aussi de suggérer l’histoire complexe et douloureuse jusqu’à nos jours de Varsovie», explique Matthieu Gillabert.


Fanny Vaucher parÌý©Wiktoria Bosc

Alors que l’historien fournit la matière première du récit historique, Fanny Vaucher ne se contente pas d’illustrer celui-ci. Elle mêle toujours du texte à ses dessins. Comme ils ne se trouvent pas au même endroit, les deux auteurs ont utilisé l’application Slack pour communiquer à distance. Tous les chapitres ont été élaborés de cette façon. Le périple débute en 1862, parce que c’est la date de construction de la ligne ferroviaire qui relie Varsovie à Saint-Pétersbourg, qui marque le début de la métropole.

Après la ligne ferroviaire reliant Varsovie à Vienne (1848) et l’embranchement vers Berlin (1862), le gouvernement russe décida en effet d’ouvrir un axe vers Saint-Pétersbourg (1862), puis vers Moscou (1869). Varsovie se situe désormais au milieu de l’axe Berlin-Saint-Pétersbourg et se vend comme telle.

Pour illustrer cet épisode, Fanny Vaucher s’est inspirée en partie de documents d’époque fournis par Matthieu Gillabert. Ainsi de l’anecdote de l’écart des rails vers la Russie: il n’est pas le même que celui des rails européens, il fallait donc descendre du train en provenance de Berlin pour prendre un autre train en gare de Saint-Pétersbourg, de l’autre côté de la Vistule; les plus riches y allaient en calèche, les autres rejoignaient l’endroit à pied.

 

Parfois, la dessinatrice fait elle-même des remarques sur des parties du texte. Ainsi, lorsque l’historien décrit le climat de durcissement au début des années 1930 avec l’émergence de mouvements politiques d’inspiration fasciste, un astérisque renvoie à un commentaire de l’illustratrice.

D’autres fois, le texte qui aurait dû prendre forme de récit est remplacé par une illustration de style BD, comme dans le chapitre sur la culture, mettant en scène l’une des premières stars polonaises du cinéma durant l’entre-deux-guerres, Pola Negri.

L’ouvrage démontre par ce procédé de la double écriture, narrative et imagée, qu’on peut voir et interpréter les choses de manière différente. Les deux points de vue se complètent, se bousculent et parfois se contredisent.

Quand Varsovie se rêve New York
Le livre rend compte aussi de la perception compliquée des Varsoviens vis-à-vis de leur propre ville. Le sentiment qu’ils sont en retard par rapport aux autres capitales se manifeste en particulier durant l’entre-deux-guerres, après le départ des Russes. Des architectes polonais produisent le premier plan d’agglomération de Varsovie, en s’inspirant des Etats-Unis: la construction de gratte-ciels à l’image de New York, l’essor du cinéma et de la vie mondaine des cafés contribuent à créer une véritable atmosphère urbaine.


Cette volonté de paraître grande ville et de participer au réseau des grandes capitales européennes, avec la conscience en même temps de sortir d’une histoire chaotique, se retrouve aujourd’hui encore dans les mots d’ordre promotionnels qui fleurissent un peu partout dans l’espace public: «Tombe amoureux de Varsovie» est le slogan impératif que la ville s’est choisi au terme d’un concours citoyen en 2004. Sur un gratte-ciel en construction Warsaw Spire / «La flèche de Varsovie»), figure l’inscription géanteÌý: «J’aime Varsovie», tout comme rayonne l’installation en néons affirmant «I love Warsaw» sur la place Powstanców («place des Insurgés»).

La mémoire du ghetto
Certaines périodes sont cependant difficiles à effacer de la mémoire et suscitent encore le débat. A l’instar de la présence, puis de la quasi-disparition des Juifs, qui occupent un chapitre entier du livre. Renforcée par le début de l’industrialisation et le besoin de main d’œuvre, la communauté juive est à l’origine d’un foisonnement multiculturel particulièrement intense durant l’entre-deux-guerres, faisant de Varsovie la plus grande ville juive d’Europe. L’antisémitisme polonais, puis surtout allemand, a eu raison de cette effervescence. Les Juifs vivaient dans toute la ville, mais il y avait déjà, avant la Seconde Guerre mondiale, des quartiers où ils étaient plus concentrés. Néanmoins, c’est durant l’automne 1940 que le judaïsme varsovien prit fin, d’une manière tragique, avec la mise en place du ghetto de Varsovie occupée par les nazis. Ce sont 99% des 500’000 Juifs ayant été enfermés dans cet espace d’environ trois kilomètres carrés au cÅ“ur de la ville qui trouvèrent la mort. Les survivants ont émigré ailleurs, notamment à New York, et après 1968, suite à une autre vague antisémite, Varsovie ne compta quasiment plus de communauté juive. Aujourd’hui, de timides réappropriations de cette mémoire se font jour: en 2014, l’inauguration du musée Polin, consacré à l’histoire des Juifs de Pologne, en est un bon exemple.

 

Ces changements dans la perception de l’histoire de la ville se remarquent aussi au traitement architectural et à la sauvegarde des vestiges. Durant les années 1920, une crise politique et le refoulement du pouvoir russe d’avant-guerre aboutissent à une action spectaculaire: la destruction de l’immense cathédrale Nevski sur l’actuel square Piłsudski. Le patrimoine construit sous l’ère communiste a aussi été longtemps mis à distance depuis 1989. Par exemple, en dressant des affiches publicitaires sur certains bâtiments ou en détruisant carrément le magnifique supermarché «Supersam», qui avait été construit dans les années 1960. Le patrimoine caché et détesté comme un mauvais souvenir du régime soviétique est pourtant en partie réhabilité depuis une dizaine d’années, pour des considérations esthétiques. Par exemple, des habitants se lient pour la défense des derniers «bars à lait» qui subsistent, ces anciennes cantines de l’époque tsariste où l’on fournit à bas prix des repas traditionnels, autant utiles au businessman pressé qu’à l’étudiant fauché ou au retraité.

 

Une capitale sous tension
Matthieu Gillabert remarque d’ailleurs que la ville continue de se développer aujourd’hui de manière régulière et positive, malgré la crise financière et économique de 2008. Bien que Varsovie connaisse un dynamisme incontestable, une part importante de la population continue de vivre difficilement au quotidien. C’est une situation en tension: sur la redistribution des fruits de cette croissance, mais aussi sur les valeurs comme la place de la religion, le rôle des femmes ou les modèles familiaux. Ces tiraillements se concrétisent sur le plan politique. En 2015, le parti Droit et Justice (PIS) est le premier parti, depuis l’époque communiste, à obtenir une majorité absolue au Sejm (chambre basse) et s’applique à mener une politique autoritaire et ultra-conservatrice. Il a devancé les autres partis aux élections législatives dans la ville de Varsovie, dirigée par la présidente Hanna Gronkiewicz-Waltz, issue des rangs de l’opposition. La capitale devient alors le centre névralgique d’importantes manifestations, avec une forte mobilisation des femmes et des jeunes, contre certaines réformes liées à l’avortement, aux médias publics ou au tribunal constitutionnel.

 

Aujourd’hui, Varsovie devient aussi un lieu de plaisir, qui se substitue à l’ancienne ambiance douloureuse et laborieuse. Les citoyens varsoviens s’approprient davantage l’avenir de leur ville et sont très actifs dans les blogs sur Internet, en particulier sur l’histoire de Varsovie. De très nombreuses friches au centre-ville présagent d’un développement ces prochaines années. Le futur réaménagement des rives de la Vistule est en cours et déjà des berges sont transformées en plages et en lieux vivants.

Et Matthieu Gillabert conseille de visiter Varsovie en automne, quand il fait beau et la lumière se montre unique, dans un des jolis parcs que compte la capitale.

Cet ouvrage pourrait bien être le premier d’une série sur les capitales d’Europe centrale…

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Matthieu Gillabert, Fanny Vaucher, Varsovie métropole, histoire d’une capitale (1862 à nos jours), Editions Noir sur Blanc, Lausanne, 2016.

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Professeur en résidence /alma-georges/articles/2017/professeur-en-residence /alma-georges/articles/2017/professeur-en-residence#respond Fri, 24 Nov 2017 10:00:51 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=5271 Il n’y a pas que les étudiants qui peuvent prendre le large avec un programme de mobilité. Les enseignants et professeurs actifs dans la recherche sont aussi susceptibles de décrocher des résidences scientifiques. Marc-Henry Soulet, professeur ordinaire de sociologie, en a fait l’expérience à Nantes.

Titulaire de la Chaire de travail social et politiques sociales de l’Université de Fribourg, le Professeur Marc-Henry Soulet a fait partie de la volée 2016-2017 des résidents de l’Institut d’études avancées (IEA) de Nantes. Depuis 2009, cette fondation accueille chaque année une promotion d’une vingtaine de chercheurs aux profils très variés: de la philosophie à l’histoire en passant par l’anthropologie, le droit, l’architecture ou l’économie et même les arts visuels ou la poésie. Les personnalités invitées proviennent des cinq continents, ne se connaissent pas et profitent d’un séjour atypique. Fraîchement revenu, le Professeur Soulet raconte.

Qu’est-ce que l’IEA de Nantes?
L’Institut a été fondé il y a une douzaine d’années par Alain Supiot (que nous avions lors d’un passage à Fribourg, ndlr), professeur au Collège de France. Ce juriste de formation s’inscrit dans les perspectives ouvertes par André Leroi-GourhanÌýen anthropologie et Pierre Legendre en histoire du droit.ÌýLe Professeur Pierre Musso, animateur de la Chaire «Modélisations des imaginaires, innovation et création» à Télécom Paris-Tech, a également une influence en tant que conseiller scientifique de l’Institut nantais. L’IEA de Nantes veut ouvrir des discussions entre des chercheurs provenant du monde entier, parce que l’interprétation du monde ne peut plus se cantonner à la pensée occidentale. A l’inverse, les postures d’inversion dans le sillage des postcolonial studies sont aussi combattues comme des formes d’aveuglement réducteur. L’idée est de construire des passerelles reliant les différentes manières de concevoir le monde, en particulier avec des régions comme l’Inde, la Chine ou l’Afrique. L’Islam est aussi l’une des thématiques fortes de l’Institut en ce moment.

Dans quelle mesure la Suisse participe-t-elle à ce programme?
Hormis ses financements en France, l’IEA de Nantes bénéficie d’un soutien substantiel du Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation. En fait, j’ai été le premier Suisse à bénéficier d’une résidence à l’IEA de Nantes.

Comment avez-vous été sélectionné?
La sélection se déroule en partie comme un processus ordinaire: j’ai déposé un dossier expliquant mon projet. Une vingtaine de candidats sur les 170 dossiers déposés ont finalement été acceptés comme résidents à temps plein dans le bâtiment prévu à cet effet à Nantes.


Le Professeur Soulet a passé de nombreuses heures à méditer au bord de la Loire.

Qui vous a invité à postuler?
C’est Samantha Besson (professeure ordinaire de droit international public et de droit européen de l’Unifr, ndlr), qui m’a approché. Elle est membre du comité scientifique de l’IEA de Nantes. J’en avais également parlé à un deuxième professeur, Thomas Hunkeler (professeur ordinaire de littérature française, ndlr), membre du conseil d’administration de la Fondation IEA de Nantes. L’Université de Fribourg est donc bien placée au sein de ce réseau.

Comment a été gérée votre absence de l’Université de Fribourg?
Une fois que l’on a été retenu, des négociations formelles ont lieu pour régler les questions administratives. Le Rectorat de l’Université a reçu une compensation financière pour couvrir mon remplacement. J’ai donc été déchargé de tout enseignement et de toute participation aux commissions universitaires pendant mon année de résidence. Je devais seulement continuer à administrer à distance la Chaire de travail social et politiques sociales, et à suivre mes étudiants de master et de doctorat.

Y avait-il une thématique imposée? Des exigences scientifiques demandées pour pouvoir postuler?
Aucune thématique imposée. C’est une des particularités de l’IEA de Nantes. Quand je suis arrivé, lors de la première réunion de présentation, j’ai été stupéfait de l’éclectisme de mes futurs collègues! Il y avait des gens de tous pays, spécialistes de disciplines très différentes, avec des statuts à première vue incompatibles…Ìý De jeunes doctorants, des professeurs établis, des artistes quasiment bohèmes, des scientifiques retraités! Je me suis dit: «Qu’est-ce qu’on a de commun? Que vais-je pouvoir partager avec un exégète du premier verset du Coran ou avec un poète costaricain vivant de ses publications, tous deux a priori fort éloignés de mes préoccupations académiques?»


Au bord de la Loire, l’Institut d’études avancées de Nantes.

Et?
J’ai compris que c’était la philosophie de l’institution. Une philosophie de l’ouverture et de la mise en question des certitudes, plutôt que fondée sur la reconnaissance institutionnelle en tant que seul vecteur de la valeur de l’individu. Lors de la réunion officielle de rentrée, le directeur de l’institut nous a félicités pour la qualité de nos projets, mais en précisant que le but n’était pas de les mener à terme dans l’immédiat. Au contraire, l’objectif de cette année de résidence était de nous rencontrer avec les autres participants, de réfléchir et de prendre du recul par rapport à nos activités, sans aucune pression à la production, comme c’est de mise aujourd’hui dans le monde scientifique. C’est l’inverse d’une situation académique, où nous rencontrons nos collègues par intérêts scientifiques partagés. Là, nous devions d’abord faire connaissance avec des personnes dont le seul point commun était un parcours de forte mobilité et une activité dans plusieurs réseaux.

Quels sont les avantages de résider au sein d’une promotion de chercheurs du monde entier?
La résidence IEA de Nantes offre un accueil digne d’un très bon hôtel, avec du personnel aux petits soins pour les résidents. Nous sommes logés dans un bâtiment magnifique, près du centre-ville, et qui donne sur la Loire. J’ai passé des heures à méditer devant lesÌýmouvements du fleuve! Trois étages sont réservés aux membres de l’IEA qui peuvent venir seuls ou en famille. Les enfants deviennent d’ailleurs des agents de médiation importants, dans cette maison commune où nous croisons tout le monde dans des circonstances non académiques. Ainsi, nous faisons peu à peu connaissance avec les autres résidents, et des invitations se font fréquemment. On se croise à la buanderie, en rentrant de commissions, ou dans la cafétéria qui est en réalité un merveilleux salon, avec terrasse, cheminée, en accès libre 24 heures sur 24. On se retrouvait aussi, souvent, sur le site de l’ancienne biscuiterie LU, qui est devenue un centre culturel baptisé Le Lieu Unique, gardant les initiales de Lefèvre-Utile.


L’IEA de Nantes offre à ses résidents des espaces communautaires de rencontre et d’échange.

Il y a quand même des contraintes…
Quelques-unes, auxquelles je me suis soumis volontiers. Nous avons l’obligation de participer à trois repas en commun par semaine. Lors de ces déjeuners et dîners, nous pouvions nous trouver assis à côté d’un politicien, d’un directeur d’entreprise publique, d’une curatrice d’art, que l’IEA invitait, à des fins de discussion et de réseautage. Il y a une autre exigence atypique: chaque résident devait proposer un film de son choix au cinéclub de l’Institut, et le présenter devant ses collègues. Cela alimente ainsi la vidéothèque du lieu et nous fait découvrir des points de vue surprenants. Enfin, tous les lundis matin, nous devions assister à un séminaire, lors duquel nous présentions l’avancée de notre projet à l’aide de quelques textes de référence transmis auparavant à nos collègues. C’était très déstabilisant! Quand des personnes vives d’esprit mais travaillant dans des disciplines différentes que la mienne me posaient des questions, j’étais loin du confort académique où l’on connaît plus ou moins les arguments de ses interlocuteurs! Certaines interventions m’ont amené à réfléchir pendant des jours, des semaines…

En conséquence, votre projet a-t-il avancé?
J’étais persuadé de l’avoir clairement défini avant mon séjour et que j’allais le terminer durant cette année de résidence. Je voulais faire retour sur mes recherches et reprendre mes publications passées afin d’en tirer un livre de synthèse. Mais la résidence a rendu mon approche en partie caduque! Elle l’a enrichie d’autres aspects, qui m’ont amené, par exemple, à organiser un colloque international et interdisciplinaire autour de la notion d’incertitude, du point de vue du médecin, de l’informaticien, du juriste, de l’anthropologue, de l’architecte, du philosophe, etc. Cela va aboutir à un livre. De plus, un programme de trois colloques à propos de la notion de faiblesse va être organisé ces prochaines années entre les Universités de Fribourg, de Nantes et d’Abidjan.


Les projets académiques, comme les oiseaux, vous échappent parfois pour mieux revenir.

Quels comptes devez-vous rendre à l’Institut? Ce n’est tout de même pas totalement gratuit?
Dans le contrat que nous signons avec l’Institut, nous nous engageons à mentionner durant les cinq années suivantes notre appartenance à l’IEA de Nantes pour toutes nos activités et publications. Dans mon cas, la double appartenance à l’Université de Fribourg et à l’IEA de Nantes. C’est un partenariat gagnant-gagnant, si vous voulez, et qui est fondé sur le développement d’activités durables. Il n’y a pas de contrainte de délai, car ce n’est pas un organisme de subventionnement de la recherche finançant une activité de recherche spécifique sur une durée précise. En outre, la fondation m’a nommé membre correspondant de l’IEA de Nantes. Je suis ainsi devenu évaluateur de certains dossiers de candidature et un de leurs relais pour susciter des vocations. Je ne suis pas financé pour ces tâches, mais en contrepartie je suis invité aux événements tenus à l’IEA de Nantes, j’ai une possibilité de résidence temporaire et je peux y organiser moi-même des activités.


Essai de modélisation d’une théorie du travail social

Le projet de recherche du Prof. Marc-Henry Soulet durant son année de résidence à l’IEA de Nantes s’intitulait: «Le travail social, une activité d’auto-conceptualisation professionnelle prudentielle. Essai de modélisation d’une théorie intégrée du travail social». Il consistait à revenir sur la dimension profondément normative et donc fondamentalement contestée, au sens de Walter Gallie, du travail social et d’essayer d’apporter quelques éléments de résolution à cette énigme en prenant appui sur trois lignes de force:1.ÌýÌýÌýÌý Le dépassement des explications sectorielles par la construction d’une théorie intégrative articulant les fins, les modalités, le contexte et la situation.
2.ÌýÌýÌýÌý L’abandon de la prétention à produire une théorie en propre du travail social, comme essence ou comme agence, au profit d’une théorie de l’action tenant compte des caractéristiques formelles qui impriment les quatre piliers susnommés de la qualification du travail social, à savoir l’incertitude.
3.ÌýÌýÌýÌý La centration sur la dimension prudentielle (réflexive et délibérative) de l’activité des travailleurs sociaux et la prise en considération du fait qu’ils doivent affronter en situation des épreuves sociales de professionnalité pour, au sens fort, réaliser leur intervention.
Un Fribourgeois en résidence actuellement
Un autre enseignant de l’Université de Fribourg bénéficie actuellement de ce programme de résidence. Il s’agit de Dr Philippe Geinoz, chargé de cours en littérature française des XIXe et XXe siècles aux Universités de Fribourg et Genève. Son projet de rechercheÌýs’intitule: «Américanisation et ‹décadence›. Présence des Etats-Unis et questionnements poétiques dans la littérature française des années 1870-1880».
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  • Photo de une: © Christophe Delory, IEA
  • Illustrations de l’article: Marc-Henry Soulet
  • de l’EIA
  • Pages de Marc-Henry Soulet à l’et à l’
  • Page consacrée à la , dirigée par la Professeure
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«La lutte contre l’extrémisme n’est ni de gauche ni de droite» /alma-georges/articles/2017/la-lutte-contre-lextremisme-nest-ni-de-gauche-ni-de-droite /alma-georges/articles/2017/la-lutte-contre-lextremisme-nest-ni-de-gauche-ni-de-droite#comments Mon, 04 Sep 2017 15:01:30 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=4760 Dans un contexte de fortes migrations, de guerres internationales et d’attentats terroristes en Europe, la Suisse n’est pas épargnée par les tensions sociales et politiques. Un colloque se penche sur la question de l’hostilité envers les musulmans en Suisse, du point de vue de la société, des médias et de la politique. Aperçu avec Martine Brunschwig Graf, présidente de la Commission fédérale contre le racisme.

Ce colloque inaugure une collaboration avec le Centre Suisse Islam et Société (CSIS). En quoi y a contribué la Commission fédérale contre le racisme (CFR)?
La CFR est l’initiatrice de ce colloque et en est co-organisatrice avec le Centre Suisse IslamÌý et Société et le Centre de recherche sur les religions de l’Université de Lucerne.

Qu’entend-on par «hostilité envers les musulmans»?
C’est l’un des buts du colloque de la définir. L’hostilité s’exprime à travers des sentiments tels que la peur, le rejet, la méfiance. Tous ces sentiments s’observent en Suisse comme à l’étranger.

Dans le contexte des attentats perpétrés par des djihadistes en Europe, ne craignez-vous pas que ce thème soulève une incompréhension?
Les attentats terroristes en Europe et ailleurs sont un facteur qui provoque l’hostilité à l’égard des musulmans en général. Il est d’autant plus important d’aborder clairement cette question de l’hostilité, car les musulmans n’ont pas à être rendus responsables ni collectivement, ni individuellement des actes commis par des terroristes.

Après chaque nouvel attentat djihadiste en Europe, on peut observer des réactions d’apaisement, des manifestations de résistance contre les amalgames, mais aussi l’inverse. Le colloque parlera-t-il des tensions sociales, voire des utilisations politiques, que les attentats semblent favoriser?
Bien des colloques ont déjà traité de ces questions. Pour la CFR, il s’agit avant tout de faire le point sur la situation en Suisse. Je ne peux pas préjuger par ailleurs de ce que les différents intervenants évoqueront concrètement dans leurs interventions.

Y a-t-il, inversement, une hostilité des musulmans fondamentalistes envers les Suisses? Le cas échéant, comment la CFR agit-elle sur cette autre face du problème?
Nous n’observons pas d’expressions hostiles récurrentes de la part d’extrémistes islamistes à l’égard des Suisses spécifiquement. Mais il faut rappeler ici qu’une telle hostilité mériterait d’être combattue au même titre que celle à l’égard des musulmans.

Une récente enquête du Blick affirme que la Suisse est, depuis des années, une «plaque tournante d’imams radicaux» financés par des fonds étrangers, qui «enseignent la haine à de jeunes musulmans» et «entretiennent l’hostilité envers les autres croyances». Ils sont «difficiles à contrôler par les autorités», car ils évoluent «dans un monde parallèle». Comment la CFR envisage-t-elle cette réalité?
La CFR est consciente du fait que la Suisse n’échappe pas au phénomène de radicalisation. Le discours de haine doit être combattu d’où qu’il vienne; et il s’agit, en Suisse aussi, de prévenir, de contrôler et de sanctionner.

Comment faire la part des choses entre un islam vecteur du djihadisme et un islam religieux encadréÌýpar la loi?
La réponse est dans la question! Chacun doit respecter la loi et l’Etat de droit. C’est ce qui garantit la liberté religieuse comme les autres libertés. En conséquence, si la loi est violée, si des discours de haine sont tenus dans des lieux religieux et ailleurs, leurs auteurs doivent être poursuivis. Il ne s’agit pas d’être complaisant.Ìý Les moyens légaux existent, il est du devoir de chacun de veiller à ce que la loi soit appliquée.

Que pensez-vous de la prise de position de l’écrivain britannique Salman Rushdie, qui affirmait cette année dans le quotidien ³¢â€™O²ú²õÌý(8.6.2017): «Il faut arrêter l’aveuglement stupide face au djihadisme qui consiste à dire que cela n’a rien à voir avec l’islam» et «Je suis en désaccord total avec ces gens de gauche qui font tout pour dissocier le fondamentalisme de l’islam»?
La lutte contre l’extrémisme n’est ni de gauche ni de droite. Il ne s’agit pas d’être aveugle, mais d’identifier les dangers sans pour autant rendre ni responsables ni coupables celles et ceux qui n’ont pas à l’être. Il faut se souvenir aussi que nombre de musulmans, dans le monde, sont aussi les victimes des extrémistes islamistes et de Daech en particulier.

Dans le même ordre d’idées, en Suisse, une femme comme Saïda Keller-Messahli, fondatrice du Forum pour un islam progressiste, dénonce dans la NZZ am Sonntag la «naïveté des autorités et des politiciens quand il s’agit d’identifier les liens entre les fanatiques islamistes en Suisse et à l’étranger». Selon elle, «les politiciens de gauche ignorent le problème des imams radicaux, à cause de leur priorité à protéger les minorités». Elle précise bien que «la plupart des musulmans ne s’identifient pas à l’idéologie radicale», mais elle assure que «la majorité des mosquées en Suisse sont conservatrices et leurs imams islamistes, à cause des financements étrangers».Face à ce processus de radicalisation, ne faudrait-il pas un peu plus d’action politique… à côté de la prévention?
La prévention est une action politique! Cela étant dit, ce sont nos institutions démocratiques, notre Etat de droit qui permettent de protéger tous les habitants de ce pays contre l’extrémisme, religieux en particulier.Ìý Bien sûr qu’il faut reconnaître le problème, mais il faut aussi et surtout rappeler quelles sont les règles constitutionnelles et légales que chacun doit respecter. Le fédéralisme laisse aux cantons le soin de régler les rapports entre l’Etat et les communautés religieuses. Il existe des solutions qui permettent un meilleur contrôle lorsque c’est nécessaire. Par ailleurs, il est très important que les autorités puissent dialoguer avec des représentants des communautés musulmanes qui soient largement reconnues et représentatives de la population concernée, comme cela se pratique avec les autres religions présentes dans notre pays.

Que pensez-vous de l’idée que seuls les imams formés dans des universités suisses puissent être autorisés à précher en Suisse? Cela permettrait peut-être de rassurer la population et de prévenir l’hostilité envers les musulmans?
On peut saluer la démarche de mettre sur pied une formation pour les imans à l’Université de Genève. C’est Ìýun pas important pour permettre aux imans de se former dans un cadre qui intègre les lois et les règles de l’Etat de droit.

Le colloque fribourgeois abordera la (re)présentation des musulmans dans les médias. ÌýA votre avis, l’hostilité à l’encontre des musulmans passe-t-elle aussi par les médiasÌý?
Nous prendrons connaissance avec intérêt, lors du colloque, de la façon dont les médias représentent les musulmans en Suisse. Bien sûr que ce qui est relaté dans la presse exerce une influence sur l’image des musulmans et les réactions que l’on peut avoir à leur égard. C’est un phénomène qui n’est pas propre à l’islam.

La collaboration de la CFR avec le Centre Suisse Islam et Société va-t-elle se poursuivre à l’avenir?
Nous l’espérons bien. Les connaissances scientifiques sont un élément important pour le travail de la CFR et ses actions de prévention. Nous aurons donc à nous intéresser dans le futur aussi aux travaux et aux réflexions du Centre.

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  • Hostilité envers les musulmans: société, médias, politique
    11 septembre 2017, 9h15 – 17h, Auditoire Joseph Deiss, Université de Fribourg.
    Colloque public organisé par la Commission fédérale contre le racisme CFR, en partenariat avec le Centre Suisse Islam et Société de l’Université de Fribourg (CSIS) et le Centre de recherche sur les religions de l’Université de Lucerne (ZRF). Programme complet .
  • Blick, «», 27.8.2017
  • ³¢â€™O²ú²õ, «», 08.06.2017
  • NZZ am Sonntag, interview de Saïda Keller-Messahli, «», NZZamSonntag, 26.8.2017
  • La Liberté, «», 27.8.2017,
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La finance a la gueule de bois: comment la soigner? /alma-georges/articles/2017/la-finance-a-la-gueule-de-bois-comment-la-soigner /alma-georges/articles/2017/la-finance-a-la-gueule-de-bois-comment-la-soigner#respond Mon, 04 Sep 2017 09:12:18 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=4703 Dans son livre paru en 2015, Ethique et responsabilité en finance. Quo Vadis?, le Professeur Paul H. Dembinski s’interroge sur la responsabilité éthique des acteurs financiers. Ce livre, déjà traduit en allemand et en anglais, a été récompensé par le prix de la Fondation Ambros Lüthi, en octobre dernier, et une version en polonais est prévue pour l’automne. L’occasion de s’intéresser à son contenu avec son auteur.

La crise financière de 2007-2008 a jeté une lumière crue sur des pratiques financières irresponsables et irrespectueuses du rôle oublié de l’économie: être au service de l’humain. Paul H. Dembinski, professeur associé de stratégie et concurrence internationale à l’Université de Fribourg, nous explique pourquoi il y a besoin de réformer les pratiques financières à tous les niveaux, individuel, institutionnel et professionnel, en promouvant l’éthique et la responsabilité sociétale.

A qui s’adresse votre livre?
Il s’agit d’un livre concis et à visée pratique qui veut faire réfléchir tous les acteurs de la finance sur les dilemmes éthiques: les banquiers, assureurs, conseillers, intermédiaires, politiciens, personnels institutionnels, législateurs – mais aussi les journalistes spécialisés, les étudiants en gestion, économie ou finance, et tout public voulant approfondir la problématique de l’activité financière et cherchant des solutions qui fassent sens à la crise structurelle et de confiance que nous subissons aujourd’hui, à cause de pratiques financières qui ont montré leurs limites.

Quelle est votre critique principale de la finance contemporaine?
La finance actuelle est un secteur d’activité où la prétention scientifique, alliée à la globalisation et à l’hyper-sophistication technique, sont parvenues à faire oublier la dimension humaine qu’il y a derrière toute activité économique et financière. C’est ce qu’on appelle le scientisme. Or, c’est une grave erreur. Les acteurs financiers se sont trompés en misant tout sur la technique. La finance se déroule dans des contextes politique, social, intellectuel et technologique spécifiques, dont il est nécessaire de tenir compte dans une réflexion éthique portant sur cette activité humaine.

L’éthique est-elle à même de corriger ces mauvaises habitudes?
Le polytechnicien français Pierre-Noël Giraud a fourni une bonne définition de la finance: c’est «le commerce des promesses». Pour qu’il y ait promesse, il faut une confiance et un respect mutuel. La promesse est ce qui lie et, en même temps, projette dans un futur inconnu, incertain. Mais quand vous fourguez des produits financiers douteux à des caisses de pension ou à des épargnants peu regardants ou incompétents, c’est un manque de respect flagrant, qui déchire de haut en bas le tissu social. L’éthique est donc nécessaire en finance, bien plus que dans d’autres activités telles que la cueillette des fleurs.

Comment cette irresponsabilité en matière financière a-t-elle été rendue possible?
Il y a eu ce que j’appelle les «trente années euphoriques» de la finance depuis les années 1970 jusqu’à la crise de 2007. Durant cette période, la finance a pris une place centrale dans la société en tant que technique proposant des solutions «miracles» aux problèmes que l’on pensait insolubles: croissance, déficits, accès généralisé au crédit (subprimes)… On appliquait des modèles élégants, mais reposant sur des bases simplistes, à des problèmes humains, sans se poser de questions de fond, notamment d’éthique.

Les choses ont-elles changé?
Après l’époque euphorique, c’est le temps de la gueule de bois pour la finance! Elle est confrontée à une crise structurelle, l’euphorie est derrière nous – et elle est vue plus comme un «mal nécessaire» aujourd’hui. Mêmes les banques centrales avouent ne pas pleinement comprendre le système financier en place, il est devenu trop complexe pour l’esprit humain et ne remplit donc plus de fonction sociale bénéfique. Ce ne sont pas des gauchistes qui le disent, mais les banquiers (centraux) eux-mêmes! C’est d’ailleurs – indirectement – l’Association française des banques qui m’a demandé de rédiger cet ouvrage…

En quoi votre livre se distingue-t-il des nombreuses publications à propos de la crise du système financier?
Mon livre est l’un des rares qui ne se focalise pas sur les intermédiaires financiers – agents de change, ou gestionnaires de fortune. J’aborde les trois niveaux où se posent les dilemmes éthiques en rapportÌý avec l’activité financière: la personne et ses aspirations sociales et humaines – professionnels des services financiers et leurs utilisateurs; les entreprises et les institutions financières; et enfin la norme légale et réglementaire, les choix politiques. L’objectif de cetouvrage est d’aider les gens à ramener à des questions – dilemmes – simples les grandes difficultés auxquelles ils sont confrontés, pour qu’ils puissent se construire une boussole éthique pour leur activité quotidienne.

Prix de la Fondation Ambros Lüthi

Ambros Lüthi, professeur en économie à l’Université de Fribourg et membre de la Constituante (2000-2004) est décédé en 2008. a été créée pour honorer sa mémoire de scientifique réfléchissant à de nouveaux modèles économiques qui intègrent les enjeux de durabilité, de démographie, d’écologie et d’évolution technologique, en se basant sur des valeurs éthiques. La fondation a pour but de promouvoir la recherche scientifique et l’enseignement dans le domaine de l’économie, qui poursuivent ce questionnement et cette vision intégrée. Elle décerne périodiquement des prix à des mémoires de fin d’études attentifs aux problématiques éthiques en sciences économiques au sein des Hautes écoles.

Depuis 2014, la Fondation Ambros Lüthi récompense tous les deux ans, par un prix de 5000 francs, un projet de recherche désigné à l’issue d’une procédure d’appel à projets. En 2016, le lauréat, le Prof. Paul H. Dembinski, a été choisi parmi 6 candidats provenant de toute la Suisse. Le prochain prix de la fondation sera remis en 2018.

Vous proposez des pistes de réflexion éthique pour chacun de ces niveaux d’activité financière…
Pour commencer à agir simplement, on pourrait souhaiter que les professions financières s’inspirent de celles qui ont une mission sociale – les avocats, les notaires, les médecins… – et favorisent le développement d’une déontologie professionnelle consignée dans une charte applicable dans la réalité quotidienne. Plus directement, on pourrait travailler à agir sur les rémunérations dans le secteur financier: y a-t-il objectivement des raisons pour qu’elles soient plus élevées que dans d’autres secteurs de mêmes degrés de formation et de responsabilité? Les gouvernements aussi doivent répondre de manière responsable à l’opacité du système financier. Par exemple, en déterminant quel est le degré de complexité qu’on peut se permettre d’avoir dans une société, ou en fixant des plafonds aux tailles des entreprises pour éviter la perte de contrôle. Il y a non seulement des problèmes dans la culture des entreprises et des professions des services financiers, mais aussi des problèmes fondamentaux dans la formation des jeunes.

Un certain type d’enseignement aurait donc contribué à la situation catastrophique de la finance actuelle?
Jusqu’à la crise de 2007, le corpus académique était dominé par les tenants de l’idée de l’efficacité des marchés. Cette idée était portée par une prétention scientiste qui voyait dans l’économie et la finance une «physique» du socialÌýavec ses lois générales et intangibles. Ce courant qui date des années 1970 et coïncide avec le début de l’euphorie financière, a écarté toute composante sociale et tout facteur humain de l’enseignement et la recherche. Par conséquent, on a complètement oublié l’histoire, la philosophie des modèles, l’épistémologie. Tout cela a été réduit dans l’enseignement à la portion congrue. Maintenant encore, des jeunes gens sortant de «business schools» ont les dents tellement longues qu’elles rayent les parquets… Tout de même, cela s’est calmé. Mais il y a un grand travail à faire sur le rôle social de la finance au niveau de l’éducation et de la formation. Le chantier est énorme!

Comment réagissez-vous académiquement contre cette tendance scientiste?
Il y a cinq ans, nous étions plusieurs dizaines en Suisse à faire un «appel» pour que les choses changent. Cette année, nous sommes passés à l’acte en fondant avec une trentaine de collègues, y compris à Fribourg le Professeur Sergio Rossi Ìýet moi-même, l’Association pour renouveler la recherche et l’enseignement en économie et finance (AREF), que préside le Professeur Marc Chesney (ZH) et dont je suis vice-président. Elle est domiciliée à l’Université de Fribourg et a pour but, comme son nom l’indique, de redonner une tonalité sociale aux sciences économiques et financières qui ne peuvent pas être réduites à des modèles purement techniques. Il s’agit de corriger l’absurdité actuelle qui fait de la finance un élément étranger au corps social. En 2018, notre association organisera sa première école d’été à l’Université de Fribourg.

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  • le livre
  • du Professeur Dembinski
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Les brevets, toute une culture /alma-georges/articles/2017/les-brevets-toute-une-culture /alma-georges/articles/2017/les-brevets-toute-une-culture#respond Wed, 22 Mar 2017 12:36:00 +0000 http://www3.unifr.ch/alma-georges/?p=3865 La culture des brevets s’est aussi installée en Suisse, comme dans certaines grandes universités américaines. A Fribourg, un service de transfert du savoir et des technologies conseille les chercheurs sur la meilleure manière de valoriser leurs découvertes et inventions.
Imaginons que je sois un chercheur scientifique de l’Université de Fribourg, à la tête – disons – d’un laboratoire spécialisé en microbiologie moléculaire, et que je vienne de faire une découverte qui va révolutionner le monde de la médecineÌý– j’en suis sûrÌý– pourvu que mon invention soit connue, développée puis distribuée, c’est-à-dire commercialisée pour être mise à disposition du public. Un collègue m’a dit que l’examen de la demande de brevet dure d’un an au minimum jusqu’à trois ans. Mais je n’ai pas les connaissances techniques et juridiques, ni le temps, ni l’envie d’ailleurs, de me consacrer à ces aspects. Comment faireÌý?

Un service qui conseille les chercheurs
Les chercheurs qui pensent avoir une idée fondamentale, susceptible d’être développée et brevetée en tant qu’invention, peuvent prendre contact avec le Service Knowledge and Technology Transfer – Industrial Relations (KTT-IR) de l’Université de Fribourg. Ce service, mis sur pied en2011, conseille, en particulier, les chercheurs sur la stratégie de la propriété intellectuelle et les possibilités de licences de technologie en partenariat industriel. Mais pas seulement: il fonctionne aussi comme une interface entre la recherche académique et les partenaires externes. Chapeauté par l’Université de Fribourg, il est placé sous la direction opérationnelle de Jean-Marc Brunner, docteur en biologie.

«Quand je suis arrivé, fin 2010, il s’agissait de monter un service de A à Z et j’étais seul, explique Jean-Marc Brunner. Il y avait eu quelques essais auparavant – il y a plus de quinze ans – parmi lesquels une expérience d’outsourcing. Puis l’Université de Fribourg a choisi de développer un service approprié à l’interne, comme cela se fait en général en Suisse romande, tandis que la majorité des universités suisses-alémaniques préfèrent déléguer cette mission à une société externe. C’est ainsi qu’est né le Service KTT-IR.»


Il faut du temps et des connaissances spécifiques pour bien gérer le dépôt d’un brevet. En discuter avec des spécialistes peut se révéler très utile pour les chercheurs.

Breveter… ou pas?
Revenons à notre chercheur spécialisé du début de ce texte. Il n’était en réalité «un bleu» que pour l’exemple. Patrice Nordmann, professeur en microbiologie médicale et moléculaire du Département de médecine de l’Université de Fribourg et son adjoint, Laurent Poirel, n’en sont pas à leurs coups d’essai. «Quand on dépose un brevet, la composition et la technique de réalisation du produit doivent être rendues publiques pour que leur originalité et inventivité puissent être prouvées», indique le Professeur Nordmann qui a déjà cédé trois brevets à des industriels différents et en négocie deux autres actuellement.Ìý«Certains procèdent autrement, songez à Coca Cola ou Nutella, qui n’ont jamais déposé de brevet mais gardent secrets leurs procédés de fabrication.» De même, la marque suisse de fromage Appenzeller® a choisi de ne pas bénéficier du label de qualité AOC ou AOP pour ne pas divulguer sa recette de saumure aux herbes. Dans le cas contraire, comment et pourquoi est-il intéressant d’acquérir des brevets?

«Pour nous, reprend le Professeur Nordmann, il était capital de déposer une demande de brevet, car l’industriel qui s’intéressait à notre produit voulait protéger son développement et ses perspectives de vente en achetant la licence sur le brevet.» Récemment, Patrice Nordmann et Laurent Poirel ont mis au point dans leur laboratoire un test de diagnostic rapide de la résistance à la colistine, une molécule employée comme antibiotique de dernier recours dans les infections les plus graves. Ce test est le premier au monde qui permet une analyse rapide, en deux heures, de la sensibilité de toute souche d’entérobactérie à cette molécule, alors que ceci nécessite actuellement de 24 à 48 heures. Puis, ils ont déposé une demande de brevet pour leur invention baptisée «Rapid Polymyxin NP test». Et ils sont entrés en contact avec un industriel pour réaliser le test en condition manufacturière: la société internationale ELITechGroup Microbiology (France/USA), dont le siège est en France, mais qui a aussi ses quartiers à Estavayer-le-Lac. Fait rare, l’industriel, convaincu, a acheté le titre de propriété du brevet.


Pour le Professeur Nordmann, déposer une demande de brevet pour son test rapide de résistance aux antibiotiques était capital.

Une première
«C’est une première à l’Université de Fribourg, qu’un brevet encore provisoire soit vendu avec la licence d’exploitation commerciale», commente le Dr Michel Kropf, spécialiste en propriété intellectuelle pour l’Université de Fribourg auprès du service KTT-IR.ÌýC’est donc l’industriel qui a pris le risque de commercialiser le produit – il est sur le marché depuis le 1er décembre 2016 – et s’est chargé d’effectuer les démarches pour la requête du brevet. «C’est l’Université de Fribourg qui prend en charge les premiers frais d’analyse et d’évaluation de l’invention, précise Jean-Marc Brunner. Ensuite, les frais peuvent rapidement grimper à des dizaines de milliers de francs, dès que l’on demande la protection des brevets ou des licences d’exploitation dans plusieurs pays.ÌýTant financièrement que stratégiquement, il peut être intéressant d’en laisser la charge à un industriel qui aura acheté les droits. Tout dépend des cas. Par exemple, il serait inutile pour l’Université de chercher à vendre des licences à des entreprises en situation de monopole de fabrication.»

Des bénéfices après vente
Soit l’Université dépose un brevet en son nom, puis vend des licences à l’industrie qui en fait un produit; soit elle dépose un brevet et en transfère la propriété intellectuelle à l’industrie qui octroie en contrepartie une licence à l’Université pour renforcer davantage la recherche fondamentale; soit on transfère tout de suite la propriété intellectuelle à l’industrie, qui se charge de tout. «L’Université conserve de toute façon, en contrepartie, une licence qui permet de faire de la recherche fondamentale à partir de la découverte», précise Jean-Marc Brunner. Au plan financier, sur toutes les ventes d’un produit breveté ou licencié réalisées par la suite, les personnes morales ou physiques à l’origine de l’invention reçoivent des royalties ou redevances. Dans un premier temps, l’Université récupère les frais qu’elle a engagés pour le dépôt du brevet. Par la suite, un tiers des recettes (pourcentage des ventes) revient à l’Université de FribourgÌýqui l’investit dans le Fonds stratégique pour la recherche et le transfert du savoir et de la technologie; un deuxième tiers revient à l’unité dans laquelle a été réalisée l’invention; le dernier tiers revient à l’auteur ou au groupe de recherche à l’origine de l’invention. On parle là de 1% à 5% du prix net des ventes en général, alors que dans les inventions du domaine des softwares, la redevance peut atteindre 20%, car les coûts de fabrication et de commercialisation sont moindres.

Valoriser les découvertes
«Nous travaillons avec des fonds publics et le but n’est pas de faire des profits, tempère Jean-Marc Brunner. Mais nous espérons, bien sûr, un retour sur investissement, dans le but de réinvestir dans la recherche fondamentale. Notre Service de transfert du savoir et des technologies sert ainsi à mettre en valeur des découvertes qui reviendront, au final, à l’usage de la société.» Mais pour préserver l’image de l’institutionÌýnotamment, les industries avec lesquelles collabore l’Université sont «filtrées»: «Pas de cigarettiers, ni de fabricants d’armes», insiste Jean-Marc Brunner.

De l’idée en éprouvette à la commercialisation,l’objectif est tout de même toujours que la recherche fondamentale soit au service de la société.

A priori, tous les domaines de recherche sont éligibles, car l’Université ne transfère pas seulement de la technologie, mais aussi du savoir. Ainsi, par exemple, Susanne Obermeyer, directrice adjointe de l’Institut de plurilinguisme, a pu faire protéger la propriété intellectuelle d’un test de langues, destiné à des administrations cantonales. «Nous offrons un cadre et un support pour toute question en lien avec la mise en valeur des découvertes fondamentales: cela concerne non seulement les brevets ou les licences, mais aussi le consulting, les montages de projets CTI (Commission fédérale pour la technologie et l’innovation), les contrats de recherche…»

Pour Michel Kropf, qui opère un premier tri des propositions reçues, «Le but ne doit pas être de déposer des brevets pour en déposer. L’idée est de ne pas laisser dormir dans un tiroir des inventions qui peuvent avoir un impact sur l’ensemble de la société.ÌýToutes les inventions ne sont pas intéressantes commercialement. Et donc certaines peuvent être publiées de manière open source.»

Tendance américaine
Avec une dizaine de brevets déposés depuis 2011, l’Université de Fribourg ne joue pas encore dans la même ligue que l’Université de Stanford en Californie, qui a déposé 11’000 brevets depuis 1970 et bénéficie d’une équipe de 52 personnes s’occupant des procéduresÌýde brevetage. A l’EPFL, on dispose depuis trente ans d’un service comparable à KTT-IR. Avec un effectif d’une dizaine de personnes, l’école polytechnique lausannoise dépose en moyenne 30 à 40 brevets par année depuis l’an 2000.

«En six ans, nous avons mis sur pied, en partant de zéro, un service complet, avec des compétences professionnelles spécifiques», constate Jean-Marc Brunner. «Il a fallu commencer par énoncer des directives concernant les inventions, informer les professeurs de notre existence et des possibilités que nous leur offrons. Puis, dès 2014, le fruit des activités KTT-IR a permis de constituer un fonds, qui a été réinvesti dans la recherche fondamentale et a servi à augmenter l’effectif du service qui comprend, depuis début 2017,Ìý cinq personnes à temps partiel.» En effet, le Service compte actuellement, en plus de son responsable Ìýet d’un scientifique responsable des brevets, un spécialiste des questions juridiques en propriété intellectuelle, une responsable de la communication et une responsable administrative.

Le KTT-IR de l’Université de Fribourg est constitué d’une petite équipe, mais, en 6 ans, il a déjà réussi à réunir un fonds qui peut être réinvesti dans la recherche.

La culture des brevets vient des Etats-Unis et tout laisse à penser que cette tendance ne pourra que se renforcer à l’avenirÌýen Europe et en Suisse. Les scientifiques de l’Université de Fribourg ont différents avis à ce sujet. Pour le Professeur Nordmann, cela s’explique par le fait que «aux Etats-Unis, le monde académique s’est développé dès le XIXe siècle pour venir en aide Ìýau progrès de l’industrie, alors qu’en Europe, l’université a ses racines dans la communauté ecclésiastique c’est-à-dire dans un monde différent de la vie courante. De plus, en Europe, jusqu’à très récemment, il y avait plus de fonds publics, ce qui n’incitait pas les chercheurs à prospecter ailleurs. Mais cet état de fait change rapidement». Au climat de compétition extrême qui prévaut aux Etats-Unis dans le domaine de la recherche et les relations avec l’industrie, Jean-Marc Brunner préfère la solution suisse: «Nous nous trouvons dans une situation intermédiaire entre les Etats-Unis, où l’on pousse et force même les professeurs à déposer des brevets, car cela peut rapporter de l’argent, et certains pays d’Europe, où toute relation entre monde académique et monde industriel provoque des blocages politiques. En Suisse, nous sommes plus libéraux et je trouve notre solution idéale, élégante et garante d’un excellent niveau de recherche fondamentale. Je me bats personnellement contre la monétarisation de la recherche.»

Le Professeur Rolf Ingold, vice-recteur, responsable du dicastère Recherche et IT de l’Université de Fribourg, qui englobe le service KTT-IR, soutient cette vision et rappelle qu’il existe d’autres pistes: «Au départ, les brevets ont été conçus pour favoriser l’innovation. En effet, ils encouragent la commercialisation de nouveaux produits en protégeant les inventeurs et leurs partenaires industriels contre une forme de concurrence déloyale. Mais parfois, certaines entreprises achètent des brevets dans le but d’entraver ce développement, ce qui va à l’encontre de l’objectif». C’est pourquoi, dans certaines disciplines, les chercheurs optent, de plus en plus, pour une forme de valorisation publique de leurs résultats de recherche. C’est notamment le cas dans le domaine des logiciels open source, munis de licences, qui empêchent une appropriation industrielle et favorisent, au contraire, l’utilisation par un grand nombre d’exploitants. «Cette approche me paraît saine aussi, surtout s’il s’agit de travaux qui ont été financés par la manne publique», conclut le professeur.

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  • Contact: Jean-Marc Brunner, responsable de KTT-IR, jean-marc.brunner@unifr.ch
  • Tous les de l’Unifr sur les recherches du Professeur Nordmann concernant la résistance aux antibiotiques.
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