Anne-Sylvie Mariéthoz – Alma & Georges /alma-georges Le magazine web de l'Université de Fribourg Tue, 17 Nov 2020 16:38:43 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.3.5 L’économie au service des politiques publiques /alma-georges/articles/2020/leconomie-au-service-des-politiques-publiques /alma-georges/articles/2020/leconomie-au-service-des-politiques-publiques#respond Tue, 17 Nov 2020 10:31:49 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=12094 Ximena Játiva a obtenu le prix Vigener 2020 de la Faculté des sciences économiques et sociales et du management. Sa thèse de doctorat intitulée «Essays in empirical developement economics» examine les retombées de diverses initiatives politiques dans des pays en développement sous plusieurs latitudes.

L’isolement géographique est souvent considéré comme un facteur de pauvreté. Quand un gouvernement investit pour améliorer ses infrastructures routières et permettre à sa population d’accéder à de nouveaux marchés, on s’attend à observer des effets positifs. Or les mécanismes sont complexes et la réponse est souvent plus nuancée. Pour son travail de doctorat, Ximena Játiva a notamment étudié les répercussions d’un programme de réhabilitation de l’infrastructure routière en Tanzanie, mené entre 2008 et 2013. Ses résultats suggèrent que le désenclavement s’accompagne de nombreux effets collatéraux et que ceux-ci n’ont pas été suffisamment pris en compte. C’est ce type de problématiques qui passionnent Ximena Játiva: la façon dont les choix politiques influencent le bien-être des personnes.

Ximena Játiva, comment vous êtes-vous intéressée à l’économie du développement?
Je suis originaire d’Equateur, un pays considéré comme en voie de développement, et j’ai toujours été captivée par les questions de microéconomie, les problèmes structurels qui impactent directement la vie des gens et agissent sur le taux de pauvreté. L’économie du développement s’intéresse en particulier aux solutions qui permettent de faciliter l’intégration des personnes et des ménages au travail ou aux marchés. Au cours des dix dernières années, les gouvernements de pays en développement ont bénéficié d’une croissance accélérée qui leur a permis de mettre en œuvre des programmes d’amélioration. Dans ma thèse, j’étudie trois de ces initiatives et leurs effets: le projet tanzanien de réhabilitation des routes, les tentatives du gouvernement mexicain pour promouvoir la santé publique, enfin, les politiques indiennes d’intégration sociale visant à favoriser les investissements dans l’éducation.

Les résultats sont en demi-teinte, malgré des investissements colossaux, notamment en Tanzanie. Comment l’expliquez-vous?
Parfois, les politiques conçues pour accroître les échanges ont certains effets négatifs à court terme. Dans les pays en développement, l’agriculture constitue souvent un pilier essentiel pour les ménages ruraux. La connexion aux nouveaux marchés ouvre des opportunités mais pousse aussi les ménages à faire des choix et souvent à délaisser des activités plus traditionnelles comme l’agriculture. La circulation facilitée des biens introduit une concurrence nouvelle et fait pression sur les prix des cultures locales, comme le riz. Ce programme a permis de rénover un réseau important comprenant pas moins de 2’500 km de routes, mais il n’a pas suffisamment pris en compte les bouleversements qu’il entraînait pour des personnes vivant dans une situation de quasi-autarcie.

Au Mexique, vous examinez certains comportements alimentaires que le gouvernement essaie d’influencer, avec des succès limités.
L’attirance des Mexicains pour les boissons sucrées est un problème de santé publique important. Ce pays est l’un des plus touchés par l’obésité, selon les statistiques de l’OCDE. Or il semble que le réchauffement climatique accentue encore ce phénomène. On observe en effet que chaque vague de chaleur occasionne un recours accru à ces bombes caloriques que sont les boissons sucrées et les snacks salés. Le gouvernement a introduit des taxes sur ces produits qui ont un effet quelque peu dissuasif, toutefois insuffisant pour réduire la consommation de boissons sucrées associée aux hausses de température. Les taxes sont un levier important, mais elles doivent s’accompagner d’autres mesures, dans le domaine de la communication et de l’éducation notamment. Pour faire un rapprochement avec le précédent thème: les politiques publiques ne peuvent pas axer leur action uniquement sur un facteur comme l’accessibilité, elles doivent s’appuyer sur une vision plus large et prendre en compte la diversité des paramètres.

Vous avez publié ces recherches à l’occasion de votre doctorat, mais vous les présentez comme work in progress?
En effet, ces recherches continuent, car il y a toujours de nouveaux éléments qui alimentent la réflexion et me poussent à aller plus loin. J’ai aussi régulièrement l’occasion de présenter ces sujets dans des conférences internationales et de me confronter à l’expertise de mes pairs, qui me permettent d’affiner mes méthodes et mes investigations. J’effectue actuellement un mandat de recherche pour l’UNICEF qui concerne l’éducation en Afrique. Mon souhait est de pouvoir continuer à vivre de ma passion pour la recherche en économie du développement.

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  • du Département d’économie politique
  • Plus d’informations sur le
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L’islam au musée, une thèse pour questionner nos pratiques culturelles /alma-georges/articles/2020/lislam-au-musee-une-these-pour-questionner-nos-pratiques-culturelles /alma-georges/articles/2020/lislam-au-musee-une-these-pour-questionner-nos-pratiques-culturelles#respond Wed, 23 Sep 2020 07:34:03 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=11486 La thèse de Diletta Guidi, consacrée au traitement de l’islam dans les musées, a obtenu le prix Vigener de la Faculté des lettres de l’Unifr. C’est le couronnement d’un travail très conséquent sur un sujet qui fait écho aux préoccupations de notre temps. Rencontre avec l’auteure.

«Arabesques, calligraphies, mosaïques, mosquées, tapis, odalisques, harems… l’imaginaire que suscite le terme d’art islamique est autant riche et varié qu’il paraît contradictoire. Si d’une part on pense aux contes Les Mille et une nuits de l’autre ce sont les interdits : l’iconoclasme, l’aniconisme, l’absence de figuration et les controverses qui l’accompagnent nous viennent à l’esprit. Un mélange de fantasmes et de réalités qui demandent à être clarifiés. Qu’entend-on par art islamique ?» C’est en ces termes que , maître-assistante en , présentera la vaste question de la représentation muséale de l’islam en Occident, dans le livre qu’elle tirera de sa thèse.

L’histoire des relations entre l’Occident et le monde musulman est faite de tensions et de fascination. Au cours des siècles, c’est bien souvent un Orient fantasmé, peuplé de barbares et de figures érotiques, qui nourrit l’imaginaire des artistes européens. Les musées conservent aussi une variété d’objets disparates, désignés un peu vite sous les termes «arts de l’islam». A partir de collections réunies au gré des circonstances, nos institutions réalisent des expositions qui, à leur tour, contribuent à transmettre une certaine image de «l’autre musulman». C’est ce processus que détaille Diletta Guidi, maître-assistante en Science des religions, dans sa thèse soutenue en 2019 à Paris, en cotutelle avec l’Université de Fribourg. Intitulée «», cette thèse transversale convoque à la fois l’histoire de l’art, la sociologie et la science des religions.

«±õ²õ±ô²¹³¾²¹²Ô¾±²¹Â»
Depuis la fin du siècle passé, plusieurs dizaines de musées partiellement ou entièrement consacrés à l’islam ont ouvert leurs portes dans diverses capitales du monde, constate Diletta Guidi. On assiste, selon elle, à une forme d’«islamania» muséale, où la France se distingue en particulier. Rien d’étonnant à cela, si on considère l’histoire coloniale et la présence des communautés musulmanes dans ce pays. Or, la place de l’islam dans les institutions culturelles françaises est au demeurant peu étudiée, observe l’auteure. Sa thèse comble une lacune, à une époque où les institutions s’interrogent de plus en plus sérieusement sur la place qu’elles réservent aux minorités. Les actualités relaient aussi maintes tentatives visant à «décoloniser» notre regard, à décentrer nos perspectives d’analyse, pour un traitement plus respectueux des différentes cultures.

Le Musée, ce lieu de pouvoir
Diletta Guidi s’est intéressée en particulier à ces deux «mastodontes» que sont le Louvre, avec son Département des Arts de l’Islam, et l’Institut du monde arabe. Le premier est l’institution d’Etat par excellence, fille de la Révolution française et des ambitions éducatives de la République. Le second est né à la fin de la décennie 1970 qui a vu émerger la crise du Moyen Orient, avec un certain nombre de conséquences diplomatiques et économiques. Il a été créé dans une tentative évidente d’apaisement, analyse l’auteure. Si leur pouvoir d’influence est limité, comparé à d’autres canaux de diffusion actuels, le crédit des musées d’Etat reste néanmoins élevé, ne serait-ce que par leur caractère officiel. Leur impact est d’autant plus significatif que les attentes sont fortes de la part du public, notamment des communautés concernées, désireuses d’en être les actrices, indique Diletta Guidi.

A la recherche de l’exposition idéale
Comment représenter l’autre ? Comment lui rendre justice, en l’évoquant de manière respectueuse et suffisamment nuancée? Même animée des meilleures intentions, la démarche n’a rien d’aisé, reconnaît l’auteure. Elle cite l’exemple du Louvre qui, à l’occasion d’expositions-événements, promeut l’image d’un islam particulièrement raffiné, via les chefs-d’œuvre produits dans des temps anciens. Or, cette façon de mettre en lumière un aspect défini à l’exclusion de tout autre n’est pas anodine, relève Diletta Guidi. Et ce, d’autant moins si un homme d’Etat vient corroborer cette vision à l’occasion de son discours d’inauguration. De plus, il faut noter que les musées évoluent à un rythme qui n’est pas celui des réseaux sociaux. Ils doivent composer avec des collections, des pratiques et des ressources déterminées. Pour bien saisir tous ces mécanismes, l’auteure s’est intéressée, en sus de la recherche sociohistorique et documentaire, à tous les rouages du musée et à tous ses intervenant·e·s : de la surveillance au conseil scientifique. De ces investigations, elle a tiré une synthèse imposante recouvrant plus de deux siècles: du moment où l’islam fait son entrée dans les grandes institutions culturelles à nos jours.

L’image de «l’autre musulman»
Pour développer sa problématique, l’auteure fait un choix formel audacieux. Elle se glisse dans la peau d’un visiteur et nous emmène à la découverte des lieux. Au visiteur «naïf» qui a franchi le seuil de l’exposition, l’auteure dévoile peu à peu les enjeux et les problèmes que soulèvent ces objets et la façon dont ils sont présentés. Derrière les vitrines se dissimule une sorte d’«agenda caché», fruit de réflexions politiques, diplomatiques, sociétales… L’exposition nous en apprend en réalité autant sur l’Etat et son rapport à l’altérité musulmane, que sur les communautés elles-mêmes.

Le prix d’un effort singulier
Ce prix Vigener n’est pas la récompense la plus connue, mais elle réjouit particulièrement la lauréate, «parce que Fribourg, c’est chez moi», affirme-t-elle. Romaine d’origine, Diletta Guidi a accompli son parcours scientifique entre Paris, Abou Dhabi et Montréal, avant de revenir enseigner à Fribourg. Elle s’y sent bien et elle est très reconnaissante à toute son équipe, ainsi qu’à son directeur de thèse, , des encouragements reçus. Ce qui lui tient à cœur dans ce prix, c’est aussi le fait qu’il sanctionne un effort de longue haleine, peu reconnu en dehors du monde académique. «Quand on raconte qu’on rédige une thèse en Lettres qui vous prend des années, on suscite plus souvent la perplexité que l’admiration: ‹ah, tu es encore aux études?›», sourit la chercheuse. Elle travaille actuellement à la publication de sa thèse, dont elle souhaite qu’elle soit «aussi belle à lire qu’à écrire». La parution est prévue pour 2021

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  • Le , institué en 1908 et doté d’au moins 1’000 francs, récompense des travaux de doctorat se distinguant par leur excellence. Le prix Vigener 2020 est remis cette année ex-aequo à Diletta Guidi et à , chargé de cours au Département de philosophie pour sa thèse intitulée «ldentidades múltiples – Hibridismo cultural y social en la narrativa hispanounidense de los siglos XX y XXI».
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«Les Eglises orientales interpellent Rome grâce à leur différence» /alma-georges/articles/2019/les-eglises-orientales-interpellent-rome-grace-a-leur-difference /alma-georges/articles/2019/les-eglises-orientales-interpellent-rome-grace-a-leur-difference#respond Fri, 25 Oct 2019 08:19:11 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=9516 La Professeure Astrid Kaptijn est la première femme laïque nommée consulteure de la Congrégation pour les Eglises Orientales. A son retour de Rome, où elle a rencontré le pape, elle évoque l’importance du droit canonique pour l’évolution de l’Eglise.

Que représente cette nomination pour vous?
C’est un honneur et une reconnaissance. On dit souvent qu’il faudrait plus de femmes à Rome et le Saint Siège y travaille. Mais ces avancées sont discrètes et passent souvent inaperçues. Je crois pourtant que des progrès s’effectuent, par petites touches comme celle-ci.

Être femme dans ce contexte, est-ce un avantage ou un inconvénient?
J’ai l’impression d’être avantagée par le fait d’être dans une ambiance universitaire et reconnue pour mes compétences scientifiques. J’imagine que c’est différent pour une personne active au niveau de sa paroisse. Dernièrement, j’ai été nommée présidente de la Commission théologique et œcuménique de la Conférence des évêques suisses. Mes collègues n’ont pas été freinés par le fait que je suis une femme, au contraire. On me reconnaît certaines capacités d’écoute et de coordination. Femme ou pas, je crois que cela est dans ma nature: je m’efforce de donner une place à chacun·e. J’essaie de faire avancer les choses à mon niveau, d’être attentive à certains points, de les signaler à mes interlocuteurs, pour qu’ils le relaient plus loin. Ce sont des détails, mais je crois qu’on peut progresser aussi par petits pas.

Quelles sont les Eglises regroupées par la Congrégation pour les Eglises orientales?
Elle réunit les chrétiens de différentes Eglises orientales qui se déclarent catholiques, mais qui ont conservé leur rite propre. Actuellement, vingt-deux Eglises orientales sont reconnues au sein de l’Eglise catholique. Ce qui m’a toujours intéressée, c’est que nous formons une Eglise – nous partageons la même foi – tout en suivant des disciplines différentes. L’Eglise catholique n’est pas le bloc uniforme que l’on se représente: elle est plurielle à la base et les Eglises orientales montrent bien cette pluralité.

Où se manifestent ces différences et pourquoi inspirent-elles Rome?
Un point bien connu du grand public est le fait que ces Eglises acceptent d’ordonner diacre ou prêtre des hommes mariés. Ce modèle fonctionne dans les Eglises d’Orient et c’est un point qui fait débat en Occident. Plus généralement, c’est le mode de gouvernement de ces Eglises, de type plutôt synodal, qui interpelle Rome. Dans ce modèle, le synode a une compétence législative et judiciaire. Le chef de l’Eglise gouverne de concert avec le synode des évêques et ils prennent ensemble les décisions importantes.

Le pape François souhaite encourager des changements dans ce sens?
Oui, le pape François insiste beaucoup sur le sens de l’écoute. Il pense qu’il faudrait s’orienter vers une plus grande synodalité, prôner une Eglise où l’on écoute chacun·e. Si on arrive à le mettre en pratique, ce serait une excellente chose, même si je pense qu’il reste beaucoup à faire. Le synode est de nature à favoriser cette écoute, car il ne s’agit pas d’une simple réunion de personnes. Tout synode commence et se termine par une célébration liturgique. C’est une façon de manifester le fait que les participants ne sont pas là pour faire avancer leurs propres idées, mais qu’ils se mettent au service de l’institution et œuvrent pour le bien de toutes et tous.

En quoi consiste votre fonction de consulteure?
Les consulteurs sont des experts, souvent théologiens et canonistes, officiant un peu partout dans le monde, qui sont appelés à donner leur avis. La Congrégation est basée à Rome et sa fonction est d’aider le pape dans le gouvernement de l’Eglise, plus particulièrement des Eglises catholiques orientales. Elle compte des collaborateurs permanents sur place et des consulteurs qui travaillent à distance comme moi.


Un autre événement vous a valu l’attention de la presse récemment…
Oui, deux jours après l’annonce de ma nomination comme consulteure, je me suis rendue à Rome pour célébrer le cinquantième anniversaire de la Société pour le droit des Eglises orientales. Je préside cette association œcuménique et internationale qui réunit des canonistes des Eglises orientales orthodoxes et catholiques orientales. Nous avons souhaité que notre colloque du jubilé se déroule à Rome et c’est dans ce cadre que nous avons été reçus en audience privée par le pape. Je ne m’y attendais pas, mais ce colloque a eu passablement de retentissement. Il a été relayé le lendemain en première page de l’Osservatore romano (le journal du Vatican), puis j’ai été interviewée par Radio Vatican. Le thème de la synodalité, traité lors de notre colloque et l’intérêt que lui porte le pape François, expliquent en partie cette attention. Il s’agit en outre d’une association œcuménique qui fête son cinquantenaire, ce qui n’est pas anodin. Elle a été fondée en 1969, soit au lendemain du Concile Vatican II, dont l’un des effets majeurs a été de renouveler le thème de l’œcuménisme.

Comment êtes-vous devenue spécialiste du droit canonique?
Le droit canonique fait partie du cursus d’études en théologie et j’ai découvert cette discipline au cours de ma formation à Amsterdam. Elle m’a tout de suite intéressée par son côté concret. On part de la théologie pour la mettre en pratique: notamment sur le plan des structures et de la façon dont on se comporte les uns avec les autres. Je me suis spécialisée à Strasbourg, puis à l’Institut catholique de Paris. Enfin j’ai poursuivi mon cursus à Rome, où se trouve la seule faculté à délivrer des diplômes en droit canon des Eglises orientales.

Qu’est-ce qui vous a attirée à Fribourg?
Plusieurs choses. Je savais qu’il y avait un institut œcuménique et un corps professoral assez international. Ce sont deux éléments qui m’attiraient beaucoup. Ma famille m’a suivie (ndlr: son époux et deux filles âgées de 14 et 18 ans) et heureusement tout le monde est content! Ce que j’ai trouvé dès le début très intéressant à Fribourg, c’est que chacun a une langue de préférence, mais passe assez facilement d’une langue à l’autre.

Le droit canon a une réputation plutôt austère ?
On le perçoit trop souvent par le prisme de la norme et de l’interdit, mais je le vois surtout dans sa fonction de service. C’est une dimension nécessaire à l’Eglise. Même si ses mécanismes l’apparentent au droit, son fondement et son inspiration viennent de la théologie. L’Eglise est une société humaine aussi, ce qui veut dire qu’il faut organiser le «vivre ensemble». Le droit canon est l’instrument adéquat, parce qu’il détermine notamment les droits et les obligations de chacun, en particulier pour les personnes qui occupent une fonction spécifique.

Vous y voyez plus que des questions de forme?
Une partie fascinante de cette matière, est celle où l’on définit ce qu’on appelle les éléments constitutifs ou essentiels des institutions: les points qu’il ne faut pas perdre de vue et toujours conserver. C’est en fin de compte la question de la fidélité au message du Christ tel qu’il nous a été transmis et, partant, de notre identité de chrétiens. Le droit canon est au service de tout cela. De manière aussi plus globale, le code comprend une norme qui dit que le salut des âmes est la loi suprême de l’Eglise. Le but ultime du droit canonique est donc d’aider les gens à aller vers leur salut.

Est-ce une branche populaire parmi les étudiant·e·s?
Non et c’est dommage. On manque cruellement de canonistes et je pense que ça va se faire sentir de plus en plus. A mon avis, c’est une branche qui gagne en importance face aux défis actuels. Le droit canonique aide notamment à faire la différence entre ce que l’on ne peut pas changer et ce qui est plus accessoire: un débat extrêmement actuel. On peut avancer dans le dialogue œcuménique, une fois que l’on s’accorde sur l’essentiel. Il y a une ouverture, actuellement, avec le pape François surtout, une brèche qui permet de repenser des choses pour arriver à d’autres types de normes. Et je trouve absolument passionnant d’accompagner tout ce processus.

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  • d’Astrid Kaptijn
  • de l’Institut de droit canon
  • Photos: copyright Servizio fotografico del Vaticano
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Au secours du panicaut des Alpes /alma-georges/articles/2018/au-secours-du-panicaut-des-alpes /alma-georges/articles/2018/au-secours-du-panicaut-des-alpes#respond Mon, 18 Jun 2018 09:07:12 +0000 https://www3.unifr.ch/alma-georges?p=6641 Fleur emblématique de la région fribourgeoise, le panicaut des Alpes est menacé. Le Jardin botanique de l’Université de Fribourg a initié une action de sauvetage, en collaboration avec le Canton de Fribourg et Pro Natura. Dans l’espoir de renforcer l’espèce à long terme, une centaine de jeunes pousses ont été plantées sous la crête du Moléson.

On l’appelle couramment chardon bleu, mais cette appellation prête à confusion. Autant l’épineux chardon de la famille des astéracées est répandu – au point que les exploitants d’alpage doivent s’efforcer de limiter son expansion – autant notre panicaut des Alpes (appartenant aux ombellifères) a régressé partout. Plutôt robuste, il semble pourtant armé pour se défendre, avec sa bractée finement découpée, hérissée comme une armure tout autour de l’inflorescence. Familier des couloirs à avalanches, le panicaut a pu survivre à bien des éboulements, ainsi qu’à une longue cohabitation avec les chamois. Or, depuis le siècle passé, la cueillette et le pâturage intensif ont mis ses populations sous pression. Sa couleur intense, bleu améthyste, a failli causer sa perte en attirant trop l’attention. A moins qu’il ne faille chercher l’explication dans le pourvoir aphrodisiaque attribué à cette plante (lire l’encadré)?

Survie en équilibre
Mercredi 6 juin, au matin, sur les hauts de l’alpage du Mormotey, au-dessus des Paccots, une équipe du Jardin botanique s’active à creuser le sol. Benoît Clément, responsable des cultures ex-situ, est accompagné d’une apprentie et d’un stagiaire, chargés de 94 jeunes plants élevés par ses soins. Souvent la pelle des jardiniers crisse en rencontrant la pierre, dans cette pente assez forte et encombrée de nombreux rochers. «C’est justement le genre de sols où le panicaut prospère», précise Sébastien Bétrisey, expert de la flore menacée. Si la fleur colonise volontiers les bordures de pâturage, c’est qu’elle est soumise à un fragile équilibre entre sur- et sous-exploitation. Elle ne survit pas dans un contexte de broutage intensif, mais elle ne s’épanouit pas davantage si le sol est densément peuplé. L’ombre de la végétation voisine entrave en effet la plante de se reproduire, en empêchant ses graines de germer.


La patience du jardinier
C’est le genre de détails qui mettent en évidence la difficulté que peut représenter la réintroduction d’une plante sauvage. «Chaque espèce vit différemment avec un mode de fonctionnement qui lui est propre; nous devons l’étudier de près pour la comprendre et adapter chaque fois notre stratégie», indique le Professeur Gregor Kozlowski, curateur du Jardin botanique. Il a fallu un enchaînement d’événements pour aboutir à l’action du jour: d’abord l’œil exercé d’un jardinier, qui a repéré le site en courant dans la montagne, puis la réussite d’un processus de reproduction complexe. Deux étés de suite, les collaborateurs du Jardin botanique sont venus récolter les graines de ce petit groupe de rescapés (cinq individus!) et les ont choyées durant plus de deux ans. Au moins deux hivernages, avec gel et dégel, sont en effet nécessaires au bon déroulement de leur processus de reproduction.


Un savoir à préserver
«Ces cinq panicauts peuvent nous aider à sauver tout un pool génétique, relève Gregor Kozlowski. Il souligne que le patrimoine génétique de la flore de cette région des Préalpes fribourgeoises est unique et particulièrement riche, une spécificité qui tient vraisemblablement à sa situation intermédiaire, entre Alpes Sud et Nord, favorisant la richesse génétique. Or, sur les quelque 700 espèces régionales qui méritent une protection ou du moins un suivi, seules une ou deux par année peuvent bénéficier d’une telle opération. «Nous sommes obligés de nous fixer des priorités et de nous concentrer sur celles qui sont au bord de l’extinction», indique encore Gregor Kozlowski. Il souligne que le maintien de la biodiversité est aussi affaire de connaissance en matière de taxonomie (identification et classification des plantes) et que cette discipline est trop peu valorisée au sein de nos universités. «On s’imagine trop souvent que la technologie va résoudre tous nos problèmes. Mais si ces connaissances botaniques se perdent, il y a un réel risque pour la conservation de notre patrimoine naturel à long terme», prévient le professeur, qui souhaite encourager les jeunes générations d’étudiants à s’intéresser globalement à la biologie végétale «et pas seulement au niveau moléculaire»!


Une collaboration féconde
Cette action de sauvegarde est menée avec le concours de Pro Natura et du Service de la nature et du paysage du Canton de Fribourg. Ce dernier a notamment la compétence de négocier des mesures avec les exploitants d’alpages. Ingénieur agronome de formation, Jacques Frioud est habitué à discuter avec les agriculteurs. Pour lui, la sensibilisation est le maître-mot. «Nous attirons l’attention des exploitants sur le fait qu’une plante rare et digne de protection se trouve sur leur pâturage et nous cherchons ensemble une solution pour la préserver. Il suffit souvent d’apporter quelques aménagements (clôture, déplacement des périodes de pâture…) et nous proposons une indemnité au cas par cas, en fonction du supplément de travail ou de la perte de rentabilité subie.» En l’occurrence, le bétail ne viendra plus pâturer dans cette zone de l’alpage du Mormotey, mais cela n’a pas trop d’incidence sur la vie de l’exploitation. La discussion a été d’autant plus aisée que le domaine fait partie de l’établissement de Bellechasse et appartient, de ce fait, à l’Etat.

L’organisation Pro Natura en assure la coordination globale et le financement, en vertu d’une convention signée par les trois partenaires en 2013. «C’est la première fois que nous menons une action de sauvetage d’une espèce à cette échelle», relève René Amstutz, chef de projet pour la promotion des espèces chez Pro Natura. Parallèlement au projet fribourgeois, l’organisation collabore avec le Canton des Grisons pour la protection du panicaut des Alpes. Sur l’ensemble de la Suisse, neuf stations menacées ont été placées sous protection par des contrats d’exploitation appropriés. L’action de réintroduction effectuée à Fribourg permettra de tirer de nombreux enseignements pour la suite. «Nous allons suivre cette affaire encore quelques années», conclut René Amstutz.

 

Un aphrodisiaque convoité?
Le panicaut des Alpes (Eryngium alpinum) appartient à la famille des ombellifères. Si ses bractées épineuses rappellent celles du chardon, il se rattache toutefois à une famille bien distincte. Il est protégé à Fribourg depuis 1973. Il existe environ 250 espèces de panicauts. Ces plantes renferment des huiles essentielles et des tanins utilisés en médecine populaire depuis l’Antiquité. Un ouvrage pharmacologique médiéval vante ses propriétés en assurant que la plante: «contribue aux devoirs conjugaux, soutient les hommes vieux et impuissants en les rendant drôles et gais.» Le nom allemand de la plante, Mannstreu, a par la suite été interprété dans le sens où, de par sa force, il met à l’épreuve la fidélité de l’homme.

Tiré de La Flore des Préalpes, du Lac de Thoune au Léman, Emanuel Gerber et Gregor Kozlowski, édition Rossolis 2010

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  • du Jardin botanique

 

 

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